1973-2013 : 40 ans de reproduction bovine - Le Point Vétérinaire expert rural n° 340 du 01/11/2013
Le Point Vétérinaire expert rural n° 340 du 01/11/2013

REPRODUCTION

Article de synthèse

Auteur(s) : Sylvie Chastant-Maillard

Fonctions : Reproduction
ENV de Toulouse
23, chemin des Capelles
31300 Toulouse

En 40 ans, la pathologie de la reproduction a évolué : la sélection génétique a modifié les données physiologiques des vaches, et les progrès technologiques et scientifiques ont changé la gestion de ces aff ections par le praticien.

« La vache a toujours raison », convient-il de dire devant un traitement ou une ration alimentaire qui ne donne pas les résultats escomptés. Certes, mais encore conviendrait-il que l’animal ne change pas au cours du temps. Or, en reproduction, les vaches elles-mêmes se sont modifiées tout au long des 40 dernières années. Notre intuition nous suggère pourtant que la physiologie, comme l’anatomie, est coulée dans le bronze. Il reste à l’apprendre une bonne fois pour toutes, sans aucune chance que ça bouge. Sauf que personne n’avait prévenu les vaches du caractère immuable de la physiologie ! Les holsteins d’aujourd’hui n’ont pas lu les mêmes cours de reproduction que celles des années 1970, et ça change tout [8]. Et pas dans le sens d’une simplification…

CIRCULEZ, IL N’Y A PLUS RIEN À VOIR !

La sélection génétique impose aux vaches des carrières d’athlètes, qui ne sont pas sans conséquences physiologiques, justement. “Plus de lait”, sous-entend, par exemple, d’augmenter l’ingestion, donc le flux sanguin hépatique. Or le foie catabolise les oestrogènes. Comment , dans ces conditions, exprimer des chaleurs correctement ? L’oestrus, dont la détection est si précieuse pour l’insémination artificielle, s’est désespérément raccourci au cours des 40 dernières années (6-10 heures au lieu de 18 heures). Les vaches ne se donnent même plus la peine de développer une congestion vulvaire ou le fameux écoulement “eau de roche”, ni même d’accepter le chevauchement [4]. L’éleveur a maintenant le choix entre tenter de repérer des signes aussi subjectifs que les interactions avec les congénères ou le port des oreilles, se faire aider par la technologie (des simples détecteurs de chevauchement “à gratter” jusqu’au podomètre) ou encore recourir à des protocoles hormonaux de plus en plus raffinés (qui a dit complexes ?) pour contraindre ses vaches à ovuler quand il le souhaite. Jusqu’aux kystes ovariens qui passent inaperçus : la nymphomanie, qui a fait se gausser des générations d’étudiants, n’est plus si fréquente. Les vaches modernes, devenues tristes, associent plus souvent un anoestrus à leurs kystes que cette spectaculaire nymphomanie.

DES VACHES INVENTIVES QUI TESTENT DE NOUVELLES SOLUTIONS

Les vaches modernes ont également trouvé créatif d’inventer de nouvelles façons de reprendre leur cyclicité après le vêlage : au lieu de faire simple (rien jusqu’à 20 jours post-partum, puis une ovulation, suivie d’une autre 21 jours plus tard), 25 % d’entre elles jouent les vaches “fantômes” (en chaleur une première fois dans un délai raisonnable après le vêlage, puis plus rien pendant 2 à 3 mois, avant de revenir de nouveau en chaleur). Que font-elles dans ce laps de temps ? Elles interrompent leur cyclicité en ne développant sur leurs ovaires que de petits follicules ou des kystes folliculaires. Mais, plus original encore, leurs corps jaunes deviennent “syndicalistes” et font la grève de la lutéolyse : ils persistent pendant 2 à 3 mois, au lieu des 16 à 17 jours habituels (photo 1). Ces phases lutéales dites prolongées ont ainsi été réellement inventées (au sens littéral du terme) au cours des 40 dernières années [7].

CES VACHES QUI NE SAVENT PLUS RIEN FAIRE

→ Même si certaines vaches manifestent quelques signes de chaleurs, 20 % d’entre elles n’ovulent pas dans les traditionnelles 27 à 30 heures après le début des chaleurs et font traîner les choses jusqu’à dépasser 60 heures. Et voilà comment faire rater une insémination. Et d’ailleurs, entre 1975 et 2013, en même temps que les vaches apprenaient à produire plus de lait, elles ont progressivement oublié de réussir leurs inséminations. Au lieu des 50 à 55 % de réussite à l’insémination artificielle (IA) dans les années 1970, les années 2000 ont vu ce taux chuter à 37 % chez les prim’holsteins. De même, le délai nécessaire pour qu’une vache devienne gravide passe de 105 jours vers 1995 à 140 jours 10 ans plus tard [5]. L’État français leur avait pourtant donné les moyens de se reproduire : la fameuse loi sur l’élevage de 1966 (récemment dissoute) avait ouvert la voie pour les 40 ans qui ont suivi à une “IA pour tous”. Depuis une quinzaine d’années, raffinement absolu, l’éleveur peut même choisir le sexe du veau (grâce au tri de spermatozoïdes par cytométrie) et, encore mieux de nos jours, les caractéristiques génétiques (grâce à la génomique). Quarante ans pour approcher de la fin du testage sur descendance…

→ Enfin, à la condition de pouvoir décider la vache à faire un veau. Parce que les vaches modernes ne savent pas prendre soin de leurs embryons. Ce n’est pas tant que leurs ovocytes sont moins fécondables que ceux de leurs aînées des années 1970 (5 % de non-fécondations actuellement, comme il y a 40 ans), mais leurs embryons ne passent pas le seuil fatidique des 16 jours après IA (45 % de mortalité embryonnaire précoce en 2013, contre 30 % en 1980) [2]. Le fameux flux sanguin hépatique s’attaque aussi à la progestérone. Voilà ainsi nos pauvres vaches laitières hautes productrices détruisant leur progestérone par catabolisme hépatique en plus de l’exporter massivement dans les matières grasses du lait. Elles se retrouvent alors en insuffisance lutéale, comme une jument ou une chienne rottweiler. Le défimétabolique que doivent relever ces femelles déboussole aussi leur système immunitaire, et en particulier les voies inflammatoires. Le milieu utérin devient de plus en plus défavorable, avec le développement d’endométrites “sournoises”, même pas assez franches pour que du pus apparaisse dans le vagin (endométrites subcliniques, dont la prise de conscience chez la vache ne date que de 10 ans, alors que l’inflammation endométriale à expression purement cytologique, sans écoulement, est une des premières causes d’infertilité explorées chez la jument depuis des décennies) [3].

LE BISTOURI ENTRE LES DENTS

Et une fois que la vache s’est enfin décidée à mener à bien une gestation, la “sacro-sainte” obstétrique a-t-elle, elle aussi, changé ? Il s’agit objectivement toujours d’extraire un veau vivant, mais plus forcément par les voies naturelles. Même si la technique de la césarienne existe depuis bien plus longtemps chez la vache, c’est bien au cours de ces 40 dernières années que les vétérinaires ont perdu leurs complexes et leurs hésitations face à cet acte. Exceptionnelle dans les années 1970 (au point que tout le village rappliquait à la rumeur de l’imminence d’une césarienne), elle n’étonne désormais plus personne (photo 2).

LES VACHES INNOVENT AUSSI EN INFECTIOLOGIE

En reproduction comme dans bien d’autres secteurs, les 40 dernières années ont ainsi vu se développer les maladies “de production”, ce qui signifie tout simplement que l’animal n’est pas adapté à l’environnement (alimentation, bâtiment, etc.) qui lui est fourni, ou inversement (photo 3). Si les années 1980 ont marqué la fin des grandes maladies “légalement réputées contagieuses” comme la brucellose, en revanche, la reproduction s’est vue fortement impactée par des affections moins spectaculaires mais plus insidieuses comme la néosporose, la diarrhée virale bovine (BVD) et la fièvre Q. Au cours des 40 dernières années, le taux de diagnostic face à un épisode d’avortements n’a pas progressé de façon spectaculaire malgré la mise au point de nombreux tests PCR (polymerase chain reaction). Les vaches ne simplifient pas les choses : loin de se satisfaire de la palette déjà large d’agents abortifs, bactériens, viraux, fongiques, elles ont renouvelé le catalogue depuis 5 ans, avec des épidémies de fièvre catarrhale ovine, d’abord, puis d’infection par le virus Schmallenberg.

FAIRE DU NEUF AVEC DU VIEUX

Face à ces créations bovines, peu de molécules nouvelles sont apparues. L’arsenal thérapeutique se limite depuis 40 ans toujours aux mêmes classes de médicaments : les prostaglandines F2α (apparues en France à la toute fin des années 1970), la progestérone et les progestagènes sous forme à relargage prolongé, hCG (human chorionic gonadotropin), eCG (equine chorionic gonadotropin, anciennement appelée PMSG, ou pregnant mare serum gonadotropin), FSH (follicle-stimulating hormone), GnRH (gonadotropin-releasing hormone) (pour laquelle nous avons gagné quelques analogues de synthèse), sans oublier les antibiotiques. Ayons une pensée émue pour les oestrogènes qui ont été interdits dans les protocoles de synchronisation des chaleurs en 2006, et sans lesquels les praticiens se débrouillent finalement mieux qu’ils ne l’avaient cru possible.

VIVE LA TECHNIQUE !

→ Qui peut croire de nos jours que les gants de fouille n’ont pas toujours existé ? Ils ne sont en fait apparus en France qu’à la fin des années 1970 (ce qui pourra sembler préhistorique à certains). Jusque-là, l’exercice de la palpation transrectale exposait le bras du vétérinaire à changer de couleur, en particulier en période de mise à l’herbe. Dans la foulée (1985-1995), l’échographie génitale a été mise au point chez la vache, avec pour application première le diagnostic de gestation. Outre son intérêt en pratique quotidienne, cette technique va aussi permettre de faire des découvertes décisives sur le fonctionnement ovarien, parmi lesquelles le concept de vagues folliculaires (vers 1986-1990) [6]. De cette démonstration vont ensuite découler la compréhension des limites de certains protocoles hormonaux (par exemple la variabilité du retour en chaleur après une injection de prostaglandines F2α) et la mise au point de nouvelles générations de protocoles (OvSynch ou GPG en 1995, puis tous ses dérivés). L’échographiste bovin a pu, dans les années suivantes, se réjouir de quelques améliorations matérielles confortables : quel plaisir de ne plus devoir réquisitionner la brouette pour déplacer un échographe de 20 kg derrière les vaches, en déroulant une, voire deux rallonges électriques, avec la satisfaction plus grande encore de ne plus avoir à les nettoyer avant de les réenrouler ; quelle joie de pouvoir passer sans y penser les barrières pour aller échographier 2 génisses restées au fond d’un autre bâtiment éloigné (photos 4 et 5).

→ Comme dans les secteurs industriels, la reproduction bovine a ainsi connu au cours des 40 dernières années une évolution de type industrialisation, avec des développements technologiques majeurs, au moins jusqu’à la fin des années 2000 : transfert d’embryon dans les années 1975-1980 (chirurgical par laparotomie d’abord, puis transcervical) ; transfert direct des embryons congelés sans passage sous la loupe par de multiples bains de décongélation, puis maturation et fécondation in vitro (années 1990). Malgré la progression des connaissances sur la dynamique folliculaire, les rendements de superovulation ne se sont pas améliorés depuis 30 ans (cinq ou six ovocytes par vache), avec une imprévisibilité persistante qui limite la diffusion de la technique. Événement majeur en 1996, la naissance du premier mammifère cloné, la brebis Dolly en Écosse, a révolutionné les concepts de base de la reproduction : plus besoin d’un gamète mâle, “retour en arrière” d’une cellule différenciée (en l’occurrence, une cellule mammaire, origine justifiant que la brebis soit baptisée du prénom d’une chanteuse et actrice à la gorge avantageuse, Dolly Parton) [1]. En France, les premiers veaux obtenus à partir de cellules foetales puis adultes sont nés peu après (photo 6). Et des clones sont nés dans une vingtaine d’espèces animales, jusqu’au chat, au chien et à des espèces en voie de disparition. Le clonage et, dans la foulée, la transgenèse (ajout de gènes étrangers dans l’embryon) ont suscité de grands espoirs et nombre de débats éthiques virulents dans les années qui ont suivi, à la fois pour leurs possibles applications animales, mais aussi dans la peur (ou l’espoir) de leur extension à l’espèce humaine, laquelle s’est rappelée alors avec effroi qu’elle n’était biologiquement qu’un mammifère parmi d’autres. Dix ans plus tard, la polémique est largement retombée, tout comme ces biotechnologies de dernière génération, bien loin de la large diffusion qui leur était promise. Les vaches et les chèvres transgéniques productrices de médicaments dans leur lait sont restées confidentielles.

Conclusion

Actuellement, la reproduction suit deux courants philosophiques assez divergents :

– le premier, en continuité avec les décennies précédentes, est hypertechnologique, tourné vers l’intensification, la recherche de l’efficacité maximale, avec un recours massif aux protocoles hormonaux, à la semence sexée et à la génomique ;

– le second, à l’inverse, essaie d’optimiser les résultats de reproduction dans les conditions d’élevage disponibles, avec un recours minimal aux intrants et dans le respect des contraintes de vie de l’éleveur.

Comme la mode, la reproduction a été, au cours de 40 dernières années, un éternel recommencement. Les approches de la reproduction bovine ont d’abord été physiologiques (l’animal), puis biotechnologiques (les cellules), pour s’intéresser ensuite aux gènes (génomique, transcriptomique), avant que le balancier ne reparte dans la direction inverse : retour à la physiologie, au troupeau, à l’élevage. Il s’agit maintenant d’intégrer la vache dans son environnement social (ses congénères), sociétal (gestion du temps de travail de son éleveur, respect des contraintes données par le consommateur, durabilité des cheptels), économique (rester rentable) et environnemental (entretien des paysages, gestion des déchets) (photo 7). Pas si simple…

Références

  • 1. Campbell KHS, McWhir J, Ritchie WA, Wilmut I. Sheep cloned by nuclear transfer from a cultured cell line. Nature. 1996;380:64-66.
  • 2. Diskin MG, Murphy JJ, Sreenan JM. Embryo survival in dairy cows managed under pastoral conditions. Anim. Reprod. Sci. 2006;96(3-4):297-311.
  • 3. Kasimanickam R, Duffield TF, Foster RA et coll. Endometrial cytology and ultrasonography for the detection of subclinical endometritis in postpartum dairy cows. Theriogenology. 2004;62(1-2):9-23.
  • 4. Kerbrat, S, Disenhaus, C. A proposition for an updated behavioural characterisation of the oestrus period in dairy cows. Appl. Anim. Behav. Sci. 2004;87:223-238.
  • 5. Le Mezec P, Barbat-Leterrier A, Barbier S et coll. Fertilité des principales races laitières. Bilan 1999-2008. Institut de l’élevage. Avril 2010:35p.
  • 6. Roche JF, Austin EJ, Ryan M et coll. Regulation of follicle waves to maximize fertility in cattle. J. Reprod. Fertil. Suppl. 1999;54:61-71.
  • 7. Shrestha HK, Nakao T, Higaki T et coll. Resumption of postpartum ovarian cyclicity in high-producing Holstein cows. Theriogenology. 2004;61(4):637-649.
  • 8. Walsh SW, Williams EJ, Evans AC. A review of the causes of poor fertility in high milk producing dairy cows. Anim. Reprod. Sci. 2011;123(3-4):127-123.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ L’oestrus a été raccourci à 10 heures, au lieu de 18 heures, au cours des 40 dernières années.

→ 25 % des vaches reviennent en chaleur une première fois dans un délai raisonnable après le vêlage, puis plus rien ne se passe pendant 2 à 3 mois, avant un nouveau retour en chaleur. Leur cyclicité s’interrompt en ne développant sur leurs ovaires que de petits follicules ou des kystes folliculaires.

→ Des phases lutéales prolongées sont apparues : les corps jaunes persistent pendant 2 à 3 mois, au lieu des 16 à 17 jours prévus.

→ 20 % des vaches n’ovulent pas dans les 27 à 30 heures après le début des chaleurs et l’ovulation peut se produire plus de 60 heures après.

→ Loin des 50 à 55 % de réussite à l’insémination artificielle chez les prim’holsteins dans les années 1970, les années 2000 ont vu ces taux chuter à 37 %.

→ Le délai nécessaire pour qu’une vache devienne gravide est passé de 105 jours vers 1995 à 140 jours en 2005.

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