Audit d’élevage en référé : étude des documents et constatations en ferme - Le Point Vétérinaire expert rural n° 337 du 01/07/2013
Le Point Vétérinaire expert rural n° 337 du 01/07/2013

MÉDECINE DE TROUPEAU

Cas clinique

Auteur(s) : Gilles Le Sobre*, Loïc Commun**

Fonctions :
*Unité clinique rurale de l’Arbresle (Ucra),
Groupe de médecine des populations
(MedPop) VetAgro Sup
** Groupe de médecine
des populations (zootechnie)
VetAgro Sup,
Campus vétérinaire de Lyon,
1, avenue Bourgelat, 69280 Marcy-l’Étoile

L’analyse de documents et une démarche structurée d’observations sont essentielles à la compréhension des difficultés d’un élevage laitier en Saône-et-Loire, en collaboration avec les différents intervenants.

Une collaboration entière entre les intervenants en élevage permet d’obtenir de très bons résultats. Ce cas clinique met en relation le groupement de défense sanitaire (GDS 71) et le Contrôle laitier (CL 71) de Saône-et-Loire, le vétérinaire de l’élevage, un cabinet de nutritionnistes référents, les laboratoires vétérinaires départementaux de Saône-et-Loire et du Rhône (LVD 71 et 69) et le Groupe de médecine des populations de VetAgro Sup (Groupe Medpop de VAS).

En octobre 2012, une intervention dans un élevage est demandée de façon conjointe par un cabinet de nutritionnistes intervenu comme auditeur de cette exploitation et le GDS 71, afin de « trouver les causes d’épisodes de toux avec baisse significative de production depuis 2 ans dans un troupeau de 50 prim’holsteins de bonne valeur génétique, apparus selon l’éleveur 2 mois après l’introduction de vaches achetées dans le troupeau des laitières ».

Le premier contact avec VAS a lieu lors du transport pour autopsie d’une vache prim’holstein. Cela a permis un échange direct entre l’éleveur, le GDS 71 et le Groupe Medpop de VAS.

La méthode d’audit suivant le principe du trépied d’observations a été appliquée à cet élevage (encadré) [3].

COMMÉMORATIFS

L’élevage, d’une cinquantaine de vaches laitières holstein, comporte un atelier d’engraissement des jeunes bovins. Le lait, pour un quota défini de litres, est livré totalement en laiterie.

L’éleveur s’est engagé récemment sur un quota laitier qu’il n’a pas pu réaliser et la laiterie menace de diminuer celui-ci.

L’éleveur travaille seul. Juste avant l’apparition des troubles, il a mis en place un atelier dérogataire de pension sans contact direct avec son troupeau. Il a entrepris la construction d’une nouvelle stabulation fermée comportant 100 logettes mises aux normes, dont seuls les murs, le toit et la fosse sont réalisés. Il a concomitamment décidé de bâtir sa villa d’habitation. Il relate la distribution d’un foin de luzerne pour la première fois au début des troubles et aussi l’enfouissement d’une ligne moyenne tension à proximité de la stabulation, avec un apport de remblai du voisinage.

Toutes ces circonstances peuvent être à l’origine d’une fatigue et d’une baisse de moral chez cet éleveur, mais aussi de courants parasites éventuels, d’apparition d’une maladie véhiculée par le remblai, par l’alimentation, etc.

ÉTUDE DES DOCUMENTS DE L’ÉLEVAGE

Le premier élément à vérifier en audit, préalablement à la visite, concerne la réalité des problèmes, qui n’avait pas été jusqu’alors démontrée. En effet, il arrive fréquemment qu’un éleveur, à la suite de multiples soucis ou d’une surcharge de travail, se focalise sur une difficulté ponctuelle, et l’amplifie ou la généralise. L’analyse des documents d’élevage permet de décrire les problèmes avec exactitude, à partir des seuls faits.

1. Analyse des bilans annuels et mensuels du Contrôle laitier

L’élevage avait quitté le CL l’année précédente (arrêt-d’adhésion au CL d’avril 2011 à mai 2012), ce qui complique la comparaison des résultats. De plus, le troupeau est en contrôle régulier mais non officiel : la pesée est mensuelle mais alternée, le soir ou le matin, ce qui fait apparaître des chutes de production mensuelles virtuelles, en raison des valeurs inférieures des pesées du soir.

Toutefois, les bilans annuels de CL montrent une baisse de production depuis 3 ans (à partir de 2009-2010), avec une moyenne de 7 500 kg par vache laitière (VL), soit, à l’âge adulte, 8 500 kg en moyenne sur 305 jours, en dessous du groupe prim’holstein de Saône-et-Loire (tableau 1 complémentaire sur www.WK-Vet.fr).

Le bilan génétique du cheptel n’apparaît pas sur les bilans annuels de CL le concernant, ce qui ne nous permet pas d’estimer l’effet troupeau lait.

Sur les documents mensuels, d’importantes chutes de production individuelles sont notées. Toutefois, elles étaient déjà présentes et tout aussi nombreuses avant fin 2010, donc avant l’apparition des premières toux.

L’étude des documents met également en évidence des taux butyreux (TB) et protéiques (TP) très satisfaisants pour des prim’holsteins, des premiers vêlages légèrement tardifs (2 ans et 8 mois), un intervalle vêlage-vêlage (IVV) moyen très long (451 jours en 2010). Le taux cellulaire moyen mensuel au CL est relativement élevé (321 000 cellules/ml). Le taux de réforme se situe dans les valeurs usuelles (28 %). Les moyennes de tank révèlent une concentration en urée trop importante en 2010 (entre 0,35 et 0,42 g/l), mais qui est revenue à des valeurs acceptables depuis quelques mois (environ 0,30 g/l).

De plus, aucun lien n’est établi entre les dates de traitement des toux (mentionnés sur le carnet sanitaire) et les chutes de production (comparaison des données CL avant et après les dates de toux) (tableau 2).

2. Analyse des trois derniers contrôles laitiers mensuels

Les bilans mensuels disponibles en ligne grâce au logiciel Coline du CL et l’analyse des taux cellulaires individuels mensuels sur 3 mois révèlent différents aspects, qui sont à interpréter avec prudence en raison du protocole alterné :

– CL du 7 juin 2012 au soir : 7 vaches présentent un TP inférieur à 28 g/l, ce qui évoque l’hypothèse d’un déficit énergétique ;

– CL du 4 septembre 2012 au matin : les rapports TB/TP sont faibles chez 40 % des animaux du troupeau, avec un TB moyen inférieur à 35 g/l, faisant suspecter un épisode d’acidose subclinique. En plus des troubles métaboliques, ce CL met en évidence des taux élevés de cellules, avec 532 000 cellules/ml en moyenne, et 14 % de vaches avec un taux supérieur à 800 000 cellules/ml. Ces troubles sanitaires semblent récurrents dans cet élevage, mais, pour notre première visite d’audit, nous avons choisi de ne pas nous focaliser sur eux car ils ne font pas partie de la demande de l’éleveur ;

– CL du 8 octobre 2012 au soir : la production, de 22 kg/VL en moyenne, est en forte baisse par rapport au mois précédent. Sept chutes de production, avec des TB et des rapports TB/TP élevés sans atteinte du TP, sont notées, ce qui fait suspecter une lipomobilisation débutante dans le troupeau (avec prudence en raison du protocole alterné).

3. Analyse des bilans sanitaires de l’élevage

Les bilans sanitaires de l’élevage (BSE) sur 3 ans, fournis par le GDS 71, et notamment celui de l’année 2011, révèlent principalement un taux de mortalité anormalement élevé chez les adultes (14 %), de nombreuses mammites (86 % des vaches) et beaucoup de troubles respiratoires (58 %). Sont également notés, de la mortinatalité, des dystocies, des rétentions placentaires, des œdèmes mammaires, des métrites, des IVV longs (446 jours en moyenne et supérieurs à 390 jours pour la moitié des vaches), des paraplégies, etc.

Les veaux présentent des diarrhées (15,4 %) et des affections respiratoires (25 %). Chez les génisses, aucune maladie n’est rapportée, mais une infécondité est relevée. La prévention antiparasitaire est excessive (deux traitements contre les strongles au cours de la période de stabulation, par exemple) et une vaccination grippe (virus para-influenza III [PI3], virus respiratoire syncytial [RSV], M. haemolytica) est en cours. Le traitement au tarissement par voie intramammaire est systématique. L’élevage est en appellation A pour la rhinotrachéite infectieuse bovine (IBR) et est indemne de diarrhée virale bovine (BVD).

Les vaches atteintes de toux (environ 30, soit 60 %) ont été traitées au fur et à mesure (17 sur 30) avec de l’oxytétracycline longue action lorsqu’elles ne venaient plus manger. Ces traitements ont été effectués principalement pendant la période de stabulation. Leurs résultats ont été souvent décevants et une euthanasie a parfois été requise en raison d’un décubitus permanent.

Enfin, aucune correspondance n’est constatée entre la toux et la parité, ni avec le délai d’introduction dans le troupeau des vaches en lactation.

4. Analyse des bilans annuels du centre d’insémination

Les vêlages sont groupés entre août et décembre (non volontairement), avec 100 % d’inséminations artificielles (IA). Les bilans annuels du centre d’insémination artificielle font apparaître des troubles de la fécondité : intervalle vêlage-première insémination (IVIA1) élevé (supérieur à 90 jours pour 26 % des animaux), fort indice coïtal (2,17 pour les multipares), grand nombre de vaches nécessitant plus de trois IA (38 % des multipares) et un IVV de 481 jours l’an passé, en nette amélioration cette année (IVV prévu : 405 jours). En revanche, 16 % des vaches sont mises à la reproduction avant 50 jours post-partum pour un taux de réussite de 29 % (l’objectif est de mettre 100 % des VL à la reproduction entre 50 et 90 jours, et aucune avant 50 jours) [1, 4, 12].

5. Études des analyses de laboratoire

De nombreuses analyses de laboratoire avaient déjà été réalisées (chlamydiose, fièvre Q, ehrlichiose, RSV, BVD, Histophilus somni, mycoplasmose, PI3, pasteurelloses, néosporose) (tableau 3 complémentaire sur www.WK-Vet.fr). Des coproscopies n’ont pas mis en évidence de dictyocaules. Comme souvent sur le terrain, aucune hypothèse n’a pu être définitivement écartée ou confirmée car le nombre d’analyses pour chaque agent pathogène incriminé à la suite de l’évolution des signes et des résultats était insuffisant pour conclure selon les préconisations des spécialistes de ces maladies (recommandations de l’Association pour la certification en santé animale [Acersa], du groupement technique vétérinaire (GTV), du GDS et du LVD, notamment).

6. Analyse d’un précédent audit

Deux rapports d’un précédent audit réalisé en février 2012 par un cabinet de nutritionnistes montrent que des modifications de la ration ont été proposées, ainsi que l’ajout de capteurs de mycotoxines. Ces conseils avaient alors été suivis partiellement par l’éleveur, avec des résultats mitigés. La production avait toutefois augmenté à la suite des apports recommandés.

7. Étude des comptes rendus d’autopsies

L’éleveur a amené 2 vaches sur le campus vétérinaire de Lyon pour autopsie.

Pour l’une, une broncho-pneumonie focale chronique avec abcès à bactéries communes a été mise en évidence, mais ces lésions ne pouvaient expliquer la mort. Pour l’autre, il s’agissait d’une péricardite à corps étranger (armature de pneu), compliquée d’un déplacement de caillette, avec de nombreux paramphistomes dans le rumen. Ainsi, ces deux morts ne semblent pas avoir de lien direct avec les affections décrites (photo 1). Toutefois, elles indiquent qu’il convient de conseiller à l’éleveur de jeter tous les pneus usagers qui sont mis fréquemment sur les silos et de revoir ses mesures de lutte contre ce parasite.

COMPTE RENDU D’ANALYSE DE DOCUMENTS

Un premier compte rendu d’analyse de documents a été rédigé et envoyé aux intervenants. Ses conclusions font apparaître que :

– les résultats de production annuelle de l’élevage sont effectivement en baisse, mais depuis 3 ans et non 2 ans. Ils sont passés en dessous du groupe 71 depuis 2 ans. De plus, les épisodes de toux ne sont pas significativement plus élevés dans les 2 mois qui suivent l’introduction dans le troupeau des vaches en lactation et les chutes de production existaient en même proportion avant le début indiqué des troubles. Les indications initiales sont ainsi à revoir ;

– aucun agent pathogène connu d’affection pulmonaire n’affecte les vaches d’après les analyses effectuées, qui sont toutefois parfois indirectes (sérologies). Aucune autopsie n’a mis en évidence de lésions récentes dues à un microorganisme classique ;

– les apports azotés sont excessifs. Le cabinet nutritionniste souligne une carence énergétique, notamment en fin de gestation, confirmée par les données du CL et des BSE, pouvant éventuellement induire des baisses d’immunité.

Toutefois, aucun rapport antérieur ne précise les particularités de la toux : saisonnalité et description clinique (sèche ou grasse, quinteuse ou isolée, d’origine respiratoire haute ou pulmonaire, avec hyperthermie ou non).

À la suite de cette première étape, une visite de l’exploitation est donc nécessaire afin d’objectiver ces constatations, d’évaluer les pratiques de l’éleveur (alimentation, logement), de préciser la clinique de la toux, de réaliser des prélèvements de liquides pulmonaires chez les animaux vivants pour confirmer l’absence d’agents pathogènes classiques ou pour mettre éventuellement en évidence des “agents non classiques”.

De plus, l’analyse de documents a également souligné l’opportunité d’une visite de traite dans un second temps, ces mammites pouvant en partie contribuer aux baisses de production observées.

AUDIT D’ÉLEVAGE LE 25 OCTOBRE 2012

1. Contacts avec les intervenants et présentation de l’éleveur

De nombreux échanges téléphoniques ont eu lieu avec l’éleveur, le vétérinaire, le GDS 71 et le CL 71 tout au long de ce premier travail et ces derniers ont été invités à être présents lors de l’audit.

L’éleveur, âgé d’environ 35 ans, présente un très bon niveau de technicité, et semble faire preuve d’un travail méticuleux et acharné. Il travaille seul (sauf partiellement pour la traite) et habite à côté de la stabulation, dans une maison qu’il vient de construire lui-même, concomitamment d’une nouvelle stabulation fermée pour 100 vaches en cours d’achèvement.

2. Observation des vaches laitières

Cinquante et une vaches sont en lactation sur l’exploitation lors de la visite, et 2 autres sont taries et logées à part. Les notes d’état corporel (NEC) des femelles en début de lactation sont satisfaisantes (2,8 en moyenne), mais celles des vaches en fin de lactation sont légèrement trop élevées (3,7 en moyenne, alors que l’objectif se situe de 3 à 3,5). De plus, au cours de la lactation, plusieurs VL présentent des NEC inférieures à 2 ou supérieures ou égales à 4, ce qui ne devrait pas être observé.

La note de remplissage du rumen (RR), prise vers 14 heures, est trop faible : de nombreuses vaches ont un RR inférieur ou égal à 2, avec une moyenne à 2,9 (le RR devrait être supérieur ou égal à 3 pour toutes les vaches en lactation). Aucune anomalie de RR ou de NEC n’est observée chez les vaches taries.

Aucune boiterie n’est observée, ni aucun défaut d’aplombs. Quelques bouses semblent un peu molles, mais ne sont pas significatives d’un trouble digestif. De plus, les animaux possèdent globalement un beau poil et des muqueuses roses.

Une évaluation clinique de la toux est réalisée [8]. Lors de la visite, seulement 2 vaches, sur les 51 présentes, expriment une toux sèche et non quinteuse, quatre fois en 1 heure (observations effectuées par temps beau et sec). Et chez 11 vaches, un jetage séreux peu abondant est observé. L’auscultation pulmonaire réalisée chez ces animaux n’a pas relevé d’anomalie particulière.

Cette toux apyrétique semble inflammatoire et affecte uniquement l’appareil respiratoire supérieur, faisant penser à une affection de type rhino-trachéite. Sa fréquence n’est pas significative (lors d’un second déplacement dans l’élevage, le 8 novembre 2012, après un week-end plus froid, une incidence légèrement plus élevée a été mise en évidence : cinq toux en 1 heure et en majorité par quintes).

Seules 5 vaches sur les 25 contrôlées présentent une température supérieure ou égale à 39,2 °C (avec un maximum à 39,8 °C). L’éleveur avait pris la température de toutes ses bêtes chaque jour la semaine précédente et n’avait pas noté d’hyperthermie.

3. Observations du bâtiment des vaches laitières

Les vaches sont logées en stabulation libre avec aire paillée, ouverte et orientée sud-est, avec des vents dominants venant de l’Ouest (figure). Les aires d’exercice et d’alimentation sont totalement découvertes et soumises aux variations climatiques hivernales (photo 2).

Les surfaces sont suffisantes pour les aires de couchage (aire paillée de 440 m2, soit 8 m2/VL) et d’exercice (11 m2/VL) [11]. L’aire paillée est propre. Les températures de litière relevées en trois points sont correctes (toutes inférieures à 30 °C) (photo 3) [11].

Les fumigènes, testés par un beau temps sec au centre de l’aire paillée, montrent une bonne élimination des fumées vers l’est en moins de 5 minutes (entrées d’air par châssis à l’ouest).

L’aire d’alimentation est constituée d’une auge plate avec des cornadis posés depuis un mois et demi seulement, venant remplacer une barre au garrot. Le jour de la visite, 48 cornadis sont comptés, pour 51 vaches. Par conséquent, une compétition à l’auge est possible en raison d’un manque de places.

La stabulation dispose d’un seul site d’abreuvement d’environ 3 m de large et de 30 cm de profondeur (photo 4). Ainsi, la largeur d’accès à l’abreuvoir est suffisante pour ce troupeau. Néanmoins, deux points d’eau au minimum sont toujours conseillés [11].

Les vaches en lactation ont également un accès direct à la pâture.

Un deuxième bâtiment, fermé, jouxte le précédent. Il est dédié à l’élevage des veaux, des jeunes bovins, des génisses et des vaches taries en préparation à la lactation.

Un troisième bâtiment fermé en cours de construction est accolé au précédent pour le futur logement des vaches en lactation en stabulation libre à logettes (photo 5).

4. Observation de l’alimentation

Une ration semi-complète composée d’ensilage de maïs, de ray-grass italien et de drèches est distribuée à la mélangeuse/peseuse sur une auge plate avec une tolérance zéro refus.

Du foin est disponible à volonté dans un râtelier attenant à l’auge.

Les vaches sont au pâturage d’avril à novembre. Cependant, aucun effet de la mise à l’herbe n’est noté sur la production de lait à l’examen des résultats sur le logiciel Coline du CL, comme c’est habituellement le cas.

L’auge est pleine à 14 heures, laissant supposer une distribution récente. La distribution a pourtant lieu habituellement le matin et la ration est généralement repoussée une seule fois, le soir (alors que les objectifs stipulent de la repousser au moins trois fois par jour).

Concernant les quantités distribuées, le poids donné par la mélangeuse, testé à l’aide de sacs d’aliment de 25 kg, est exact. Toutefois, une partie de la même ration est distribuée aux jeunes bovins et aux vaches taries. Par conséquent, l’augmentation du nombre de parts dans la mélangeuse doit être prise en considération, le jour de la visite. Ainsi, la ration distribuée aux VL, estimée par nos calculs à 49 kg bruts par VL présente, ne correspond pas à la ration calculée récemment par le CL (de 53 kg/VL/j). Les différences entre rations calculée et distribuée concernent surtout l’ensilage de maïs (3 kg d’écart) et le tourteau (700 g d’écart). De plus, le maïs récemment analysé a été dosé à 0,86 unité fourragère lait (UFL)/kg de matière sèche (MS). Il est donc moins énergétique que celui, théorique, utilisé pour calculer la ration (0,91 UFL/kg). De plus, un excès de phosphore est noté par nos calculs, mais le rapport calcium/phosphore est correct (1,6). La ration calculée par le CL correspond donc bien à une production de 30 kg (légèrement limitée par les UFL), mais celle qui est distribuée couvre les besoins énergétiques pour 25 kg de lait. Les quantités distribuées sont insuffisantes en énergie par rapport aux préconisations du CL, ce qui explique sans doute en grande partie le déficit de production. Le bilan fourrager n’est pas réalisé actuellement, mais le CL sera chargé d’estimer si les stocks sont suffisants pour corriger cet état.

Sur le plan de la qualité, un “lessivage” de la ration distribuée est possible par mauvais temps car l’auge n’est pas couverte (ration ingérée pouvant être de moins bonne qualité que celle qui est distribuée) (photo 6). Cette situation est susceptible d’aggraver encore le déficit énergétique. De plus, un tamisage de la ration au Penn Stat Separator montre une répartition correcte des particules, mais la ration apparaît toutefois très peu piquante à la pression manuelle (risque de défaut de rumination, donc d’acidose subclinique). Ce constat est à mettre en lien avec les modalités de préparation de la ration : celle-ci est mélangée pendant une demi-heure quotidiennement à la mélangeuse, ce qui est trop long.

Le concentré de production (type VL 3 l à base de tourteau de colza et d’orge aplatie) est distribué individuellement, uniquement le matin (un fractionnement matin et soir serait préférable pour les VL recevant plus de 2 kg/j).

Enfin, pour les vaches taries, l’attention de l’éleveur doit être attirée sur la présence de bicarbonate de sodium dans la ration de base dont elles bénéficient également, avec un fort impact sur le bilan alimentaire cations anions (BACA) et un risque accru de fièvres vitulaires. Sinon, la préparation des vaches taries à la ration de lactation en deux cases (début et fin de tarissement) est une bonne initiative. Toutefois, en période estivale, un passage au pré sans transition en début de tarissement n’est pas optimal car cela modifie beaucoup la flore ruminale.

5. Examens complémentaires

La mesure du Β-hydroxybutyrate à l’aide de l’Optium Xceed chez 7 vaches en début de lactation (toutes à moins de 30 jours en lait) montre qu’aucune d’entre elles ne présente une valeur au-dessus de 1,4 mmol/l, avec une moyenne de 1 mmol/l (de 0,7 à 1,4 mmol/l), ce qui indique l’absence de cétoses subcliniques. Ces animaux semblent bien compenser le déficit énergétique relevé par le CL.

Estimation du transfert colostral

Un dosage des protéines totales sériques, donc des anticorps, chez 4 veaux de moins de 7 jours révèle des valeurs trop basses (42 g/l, 46 g/l, 48 g/l et 48 g/l, alors que l’objectif est que le taux soit supérieur à 55 g/l) [13]. Cela indique un mauvais transfert de l’immunité colostrale. La qualité du colostrum des mères et les pratiques de l’éleveur lors des prochains vêlages devront être estimées (pour rappel, un veau doit boire au minimum 2 litres d’un colostrum de bonne qualité dans les 6 heures après le vêlage).

Recherche d’agents infectieux ou parasitaires

Dix aspirations transtrachéales (ATT) (deux séries de 5 à 15 jours d’intervalle) et un lavage broncho-alvéolaire (LBA) sont effectués afin de réaliser des analyses de flore totale, de mycoplasmose, et une recherche par PCR (polymerase chain reaction) de RSV ou de PI3 (photo 7).

Les analyses mises en œuvre aux LVD 69 et 71 sur ces prélèvements ne mettent en évidence aucun micro-organisme classique d’une affection pulmonaire. Les résultats d’une recherche de mycoplasmes sur le lait sont également négatifs. Aucun dictyocaule n’est retrouvé dans le LBA.

En revanche, une bactérie “inhabituelle” est détectée par le LVD 69. Elle est certainement d’origine respiratoire supérieure car elle est retrouvée en plus grande quantité dans le LBA. L’identification précise n’a pas pu être réalisée par l’ENV d’Alfort car la souche était fragile, mais il s’agit soit d’un Nocardia, soit d’un Actinomyces. L’éleveur suspecte le foin de luzerne qu’il a récolté pour la première fois juste avant les troubles d’en être à l’origine. Les vaches se seraient contaminées par inhalation. Toutefois, en raison de la faible quantité de luzerne dans la ration et de l’humidification du foin par la mélangeuse, cette voie paraît peu probable.

De plus, cinq sérologies de leptospirose, maladie suspectée à la suite d’avortements antérieurs, se révèlent négatives. Enfin, aucun dictyocaule n’est mis en évidence sur cinq coproscopies. En revanche, une grande quantité d’œufs de paramphistomes est trouvée, ce qui confirme les constatations de l’autopsie.

6. Vérifications annexes

Afin de ne négliger aucune hypothèse concernant une possible affection respiratoire haute apyrétique, les éventuels accidents de pollution de l’air sont recherchés sur le site de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe 71) et de l’association Atmosf’air Bourgogne. Le seul épisode inventorié est ancien et concerne l’incinérateur de Cluny, proche de la stabulation, dont le lien avec ces toux semble improbable.

La toux étant, selon l’éleveur, exacerbée en salle de traite (en épi 2 x 5 avec décrochage automatique) et une ligne moyenne tension ayant été enfouie juste à côté de la stabulation au moment de la baisse de production, une mesure des courants parasites en salle de traite est demandée en accord avec le GDS 71 [14]. Aucune valeur anormale n’est relevée.

Conclusion

La rédaction d’un document de synthèse d’analyse de documents et d’audit relatant les constatations effectuées, les conclusions émises et les préconisations, ainsi qu’un suivi de la réalisation et des effets de ces mesures concluent cette démarche(1).

(1) Voir l’article “Audit d’élevage : collaboration réussie entre les intervenants” des mêmes auteurs, dans ce numéro.

Références

  • 1. Alves de Oliveira L, Arcangioli MA, Mounier L et coll. Apporter de la valeur ajoutée au suivi de reproduction. Point Vét. 2008;289:47-52.
  • 2. Arcangioli MA, Mounier L, Alves de Oliveira L et coll. Approche méthodologique de la visite d’élevage. Point Vét. 2009;N° spécial “Les outils pour la visite d’élevage”:9-14.
  • 3. Commun L. Structurer sa visite en médecine des populations : le trépied d’observations. Point Vét. 2011;321:55.
  • 4. Hobé M, Chastant-Maillard S. Impact économique de la reproduction en système laitier. Point Vét. 2009;N° spécial “Les outils pour la visite d’élevage”:135-137.
  • 5. Kleen JL. Professional communication for veterinary advisory tasks on large dairy farms. In: Proceedings of a workshop on “Veterinary Management on large dairy farms”. Noordhuizen ed. By Alltech 1 VACQA-International, at the XXV World Buiatrics Congress, Budapest (H). 2008.
  • 6. Kurtz SM. Teaching and learning communication in veterinary medicine. J. Vet. Med. Educ. 2006;33(1):11-19.
  • 7. Lesobre G, Fernandez G, Noordhuizen JPTM. Principe et bases d’un programme de suivi d’élevage de vaches allaitantes (SEVAL). Bulletin des GTV. Novembre 2012;66.
  • 8. Maillard R, Belbis G, Milleman Y. La visite d’élevage en pathologie respiratoire. Point Vét. 2009;N° spécial “Les outils pour la visite d’élevage”:19-20.
  • 9. Noordhuizen JPTM, Frankena K, Thrusfeld M et coll. Applications of quantitative methods in veterinary epidemiology. Ed. Wageningen Academic Publishers, Wageningen Pays-Bas. 2001.
  • 10. Noordhuizen JPTM, Cannas da Silva J, Boersema JSC et coll. Applying HACCP-based quality risk management on dairy farms. Ed. Wageningen Academic Publishers, Wageningen, Pays-Bas. 2008.
  • 11. Noordhuizen JPTM, Lievaart JJ. Cow comfort and welfare. Proceedings of the 1st Meeting of the Swiss Buiatrics Association. Ed. A. Steiner, Bern, Suisse. 2005.
  • 12. Otz P, Lesobre G, Alves de Oliveira L et coll. Démarche structurée pour l’analyse de troubles de la reproduction dans un troupeau bovin laitier. Point Vét. 2010;311:48-55.
  • 13. Spieser F, Commun L. Examens complémentaires réalisables chez le veau, à la ferme ou en clinique, en médecine des populations. Point Vét. 2012;325:48-54.
  • 14. Vin H, Vin-Dekoker J. L’audit bâtiment : un champ diagnostique comme un autre. Point Vét 2009;N° spécial “Les outils pour la visite d’élevage”:105-108.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Application de la méthode d’audit d’élevage selon le principe du trépied d’observations

→ La méthode a été développée et décrite par le Groupe de médecine des populations de VetAgro Sup (Groupe Medpop de VAS) [2, 3, 5-7]. Elle consiste en trois étapes : analyse des documents d’élevage, observation des animaux et des méthodes d’élevage [9, 10]. Cette démarche ne doit pas négliger la demande de l’éleveur concernant la recherche de maladies infectieuses afin de répondre à son attente et il convient d’analyser les facteurs de risque éventuellement associés.

→ En premier lieu, une étude détaillée des documents de l’élevage est effectuée, et la véracité et l’importance du problème sont vérifiées. Pour cela, en amont de la visite, tous les éléments du dossier sont rassemblés et transmis au Groupe Medpop.

→ Ensuite, un audit global d’élevage est réalisé, avec des prélèvements complémentaires chez les animaux vivants afin d’objectiver l’éventuelle présence d’agents pathogènes dans l’arbre respiratoire. Plusieurs audits ayant déjà été mis en œuvre sans apporter de réponse satisfaisante à l’éleveur, ce dernier n’a accepté cette visite qu’après l’établissement du compte rendu d’analyse de documents et la promesse que les prélèvements que le vétérinaire de l’élevage ne souhaitait pas pratiquer lui-même seraient bien effectués, avec son accord. Cet audit est toutefois indispensable car il permet de mieux appréhender la structure et les méthodes de l’élevage afin de les mettre en relation avec l’étude des documents.

→ Enfin, un compte rendu global est rédigé, qui débouche sur la proposition d’un plan d’action clair et un accompagnement de l’éleveur sur la durée.

Points forts

→ L’analyse des documents est un préalable essentiel à la compréhension de la réalité des difficultés rencontrées par l’élevage.

→ La rédaction d’un compte rendu d’analyse des documents informe l’éleveur et les intervenants des problèmes qui seront objectivés lors de l’audit.

→ L’application du trépied d’observations et une démarche structurée pour les analyses complémentaires ont permis d’infirmer certaines hypothèses et de définir les points devant être améliorés.

Remerciements

Nous tenons à remercier le professeur Jos Noordhuizen pour la formation qu’il nous a apportée en médecine de troupeau.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

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L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

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Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

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