UROLOGIE FÉLINE
DOSSIER
Auteur(s) : Mathieu Faucher
Fonctions : Clinique vétérinaire Alliance
8, boulevard Godard
33300 Bordeaux
La cystite idiopathique féline est une affection diagnostiquée par exclusion. Son mécanisme physiopathogénique est encore peu connu, même si de nombreuses hypothèses sont avancées.
La présence de signes d’affection du bas appareil urinaire (ABAU) est un motif fréquent de consultation. Les animaux concernés présentent une association variable de dysurie, de pollakiurie, de périurie, d’hématurie et de strangurie. Après les investigations diagnostiques usuelles (analyse urinaire, examen cytobactériologique des urines, imagerie médicale), aucune cause à ces signes n’est le plus souvent identifiée. Une cystite idiopathique féline (CIF) est alors diagnostiquée par exclusion. Cette affection a retenu l’attention des chercheurs, notamment parce qu’elle présente de nombreuses similitudes avec la cystite interstitielle (CI) connue en médecine humaine. Elle est proposée comme son modèle animal spontané.
L’origine de cette affection reste malgré tout obscure. Cet article résume les principales anomalies qui ont été identifiées et les hypothèses physiopathogéniques qui en découlent.
L’hypothèse d’une origine virale de la CIF provient de travaux expérimentaux anciens dont l’objectif était de déclencher des symptômes d’ABAU chez des chats après inoculation de différents virus dans la vessie (calicivirus, herpesvirus, foamy virus). Cependant, plusieurs études ultérieures n’ont pu prouver une relation entre la présence du Calicivirus félin (FCV) et celle de signes spontanés d’ABAU [34]. Plus récemment, des travaux utilisant des moyens modernes de détection (PCR, polymerase chain reaction) de ces virus se sont plus spécifiquement intéressés au FCV. Une étude a recherché le FCV chez 40 chats atteints de CIF et vaccinés contre ce virus. Deux FCV distincts des souches vaccinales et de terrain ont été isolés des urines de deux animaux [43]. Dans un autre essai, une souche respiratoire ou urinaire de FCV a été inoculée à des chats SPF (specific pathogen free). La fréquence des signes cliniques urinaires (hématurie et pollakiurie) et de la virurie n’est pas significativement différente entre les deux groupes [35]. Enfin, une étude a comparé des chats atteints de CIF ou d’affection des voies respiratoires supérieures et des chats sains [36]. Le FCV a été recherché dans les sécrétions oropharyngées et les urines, et le titre en anticorps neutralisants, déterminé pour tous les animaux. Les chats qui présentent une CIF montrent une exposition significativement plus importante au FCV (virurie détectée chez 6 % d’entre eux, titre en anticorps significativement plus élevé), comparativement aux individus sains, sans qu’une relation de cause à effet ne puisse être établie [36]. Les études sur la caractérisation des inter-actions hôte-calicivirus sont en cours [34]. Les auteurs espèrent mettre en évidence un effet sur la perméabilité de l’urothélium et une interaction avec les mécanismes de l’inflammation neurogénique [34].
À ce jour, aucune relation évidente de cause à effet entre la présence du calicivirus et le développement d’une CIF n’a été prouvée. De plus, l’implication de ce virus dans un syndrome plus systémique n’a pas encore été étudiée.
Chez le chat, une infection du tractus urinaire (ITU) est à l’origine des signes d’ABAU dans un très faible nombre de cas (moins de 3 %). Cette assertion n’est plus vraie chez les chats âgés(1). L’impression qu’une antibiothérapie peut être efficace résulte en réalité de la nature autolimitante de la plupart des accès aigus de CIF [34].
Si une ITU n’est probablement pas à l’origine de cette affection, en revanche, elle pourrait venir la compliquer. En effet, un tractus urinaire modifié lors de CIF est susceptible d’être plus vulnérable à la colonisation bactérienne [6]. C’est ce que suggère une étude qui a comparé le taux de complications infectieuses après une urétrostomie chez des chats sains et des chats atteints de symptômes urinaires obstructifs. Ainsi, aucun individu sain n’a présenté une ITU après l’intervention tandis que 22 % des animaux avec des symptômes obstructifs en ont développé une [22]. Cependant, ces derniers ont probablement subi un cathétérisme urétral. Les infections urinaires observées dans ce groupe pouvaient donc être d’origine iatrogène.
En conclusion, les ITU d’origine bactérienne n’apparaissent pas comme une cause possible de CIF.
Il existe une faible association entre la séropositivité pour les bactéries du genre Bartonella et la présence d’une CIF (mais pas avec la bactériémie) [47]. Aucune relation de cause à effet n’a pour autant été démontrée. Comme pour le calicivirus, une implication dans un syndrome plus global est à envisager.
L’urothélium est tapissé d’une couche de protéoglycanes et de glycoprotéines appelée “couche de glycosaminoglycanes” (GAG) [26]. La fonction de cette couche de GAG n’est pas connue avec précision, mais plusieurs hypothèses sont proposées : une imperméabilisation de l’urothélium, une protection contre les sels et les protéases contenus dans l’urine, une prévention de l’adhésion de bactéries ou de cristaux [26, 34].
Une altération quantitative et qualitative de cette couche est rapportée chez l’homme lors de cystite interstitielle [26]. Cela pourrait exposer l’urothélium de la vessie à certaines substances contenues dans l’urine, stimuler les fibres nerveuses sensorielles afférentes et accentuer la sensation de douleur [34]. Certains patients atteints de cystite interstitielle bénéficient d’un traitement visant à reconstituer la couche de GAG (pentosan polysulfate) [27, 28].
L’excrétion urinaire des GAG est significativement diminuée chez les chats atteints de CIF [7, 41]. Deux études ont évalué le bénéfice de la supplémentation en glucosamine ou pentosan polysulfate par voie orale lors de CIF et aucun effet supérieur au placebo n’a pu être démontré [23, 49]. Une durée trop courte d’étude, le type de GAG employé ou un faible taux global de récidives peuvent avoir masqué un éventuel effet bénéfique de ces composés.
Le rôle de cette couche de GAG dans le développement de la CIF n’est pas bien compris à ce jour. Ses altérations peuvent constituer aussi bien une cause qu’une conséquence de la cystite interstitielle.
L’urothélium est composé de plusieurs couches de cellules : les cellules basales situées contre la lame basale, les cellules intermédiaires et les cellules superficielles en forme de raquette appelées dans les publications anglo-saxonnes les umbrella cells [40]. Ces dernières sont recouvertes de plaques constituées d’uroplakine et contiennent de nombreuses vésicules intracytoplasmiques permettant de fournir de nouvelles plaques en cas de distension de la vessie [40]. Les modifications histopathologiques rencontrées lors de cystite idiopathique sont un urothélium érodé, un œdème sous-muqueux, une dilatation des vaisseaux sous-muqueux et des hémorragies sous-muqueuses (photo 1) [8]. En microscopie électronique, des zones de l’urothélium apparaissent dénudées des cellules superficielles avec une rupture des jonctions serrées [8, 37]. Ces modifications sont accompagnées d’une altération de la perméabilité de la paroi vésicale (exposition des couches plus profondes de l’urothélium au contenu vésical) [21, 37].
Un nombre augmenté de mastocytes a été identifié dans la sous-muqueuse vésicale de certains individus lors de CIF et de CI [6, 9, 10]. Cette infiltration mastocytaire a été retrouvée dans d’autres affections de la vessie. Elle ne semble donc pas spécifique de la CIF ou de la CI [17, 45]. Cependant, pour certains auteurs, la distribution des mastocytes à proximité des terminaisons neuronales sensorielles suggère qu’une activation neuro-hormonale des mastocytes pourrait jouer un rôle important dans la physiopathogénie de la CI [25, 34, 48].
Les terminaisons nerveuses afférentes situées dans la paroi de la vessie peuvent être stimulées par différents mécanismes (figure 1). Tout d’abord, en réponse à une inflammation ou à des lésions vésicales, les cellules urothéliales sont capables de libérer des substances (monoxyde d’azote [NO], adénosine triphosphate [ATP], substance P, prostaglandines) jouant le rôle de médiateur entre leurs voisines ou les cellules nerveuses et elles-mêmes [1]. Certaines de ces substances sont susceptibles de stimuler les fibres nerveuses afférentes et d’accentuer la sensation de douleur rencontrée lors de CI ou de CIF [1, 2]. Ensuite, les altérations de la perméabilité de l’urothélium permettent à certaines substances contenues dans l’urine d’entrer directement en contact avec les terminaisons nerveuses [34]. Le NO est une molécule libérée par l’urothélium qui paraît jouer un rôle important dans l’altération de sa perméabilité et susceptible d’accentuer ce phénomène [1, 3]. Enfin, les fibres nerveuses afférentes peuvent être stimulées par certains médiateurs de l’inflammation (dont l’histamine, notamment) libérés par les mastocytes activés [34].
Les fibres nerveuses afférentes elles-mêmes subissent des changements lors de CIF. Le nombre et l’affinité des récepteurs neuronaux pour la substance P, un neurotransmetteur pouvant induire une vasodilatation, une augmentation de la perméabilité vasculaire et une dégranulation des mastocytes, sont augmentés dans la vessie des chats atteints de CIF [14]. L’excitabilité des fibres nerveuses afférentes paraît également augmentée [44]. Cette caractéristique est limitée à une catégorie de neurones sensoriels (ceux qui répondent à la capsaïcine), mais concerne également des neurones n’innervant pas la vessie, suggérant que cette dysfonction pourrait expliquer les symptômes non urinaires rencontrés lors de CIF [44].
La recherche sur les marqueurs urinaires de la CIF et de la CI a pour objectif de mieux comprendre les mécanismes physiopathogéniques en jeu et de faciliter le diagnostic de ces affections. Les biomarqueurs urinaires pourraient également être utiles à la sélection de certains individus pour des thérapies spécifiques ou au suivi de l’efficacité du traitement [20]. Plusieurs substances montrent des concentrations urinaires modifiées lors de CI. La plus prometteuse est un peptide appelé APF (antiproliferative factor) qui possède la capacité d’inhiber la prolifération des cellules épithéliales vésicales in vitro [32]. Celui-ci est retrouvé en concentration augmentée dans les urines des patients souffrant de CI [29]. Deux facteurs de croissance, l’HB-EGF (heparin-binding epidermal growth factor) et l’EGF (epidermal growth factor), sont également en quantités modifiées lors de CI (respectivement diminué et augmenté) [30]. Ces modifications apparaissent sensibles et spécifiques de cette affection, et pourraient montrer que son développement fait suite à une dérégulation de l’expression de facteurs de croissance/antiprolifératifs [31]. Une étude ne trouve pas de corrélation entre les concentrations des marqueurs étudiés (APF, EGF, HB-EGF, interleukines 6 et 8, GMPc [guanosine monophosphate cyclique]) et les anomalies histologiques [19].
Chez le chat, un déficit en trefoil factor 2 a été mis en évidence lors de CIF. Il s’agit d’un facteur de croissance dont le défaut pourrait rendre l’urothélium incapable de cicatriser et de se régénérer [39]. Une étude récente a montré que l’expression de l’enzyme responsable de la dégradation des prostaglandines cytoprotectrices (la 15-hydroxyprostaglandin-déshydrogénase) est maintenue lors de CIF, pouvant également contribuer à une capacité de cicatrisation diminuée [33]. L’excrétion urinaire de fibronectine est augmentée chez les chats atteints de CIF par rapport à des chats témoins ou à des individus présentant une cystite bactérienne ou une urolithiase [38]. Les auteurs proposent qu’une surexpression de la fibronectine secondaire à la fibrose observée chez ces animaux pourrait survenir. L’altération de la perméabilité vésicale serait à l’origine du passage de la fibronectine dans les urines [38].
Toutes ces observations ne permettent pas d’identifier si les modifications observées sont primitives ou secondaires à la maladie sous-jacente [6, 34]. De plus, ces altérations n’ont pas été recherchées dans d’autres organes. Il n’est donc pas possible de déterminer si elles font partie d’une entité physiopathogénique plus globale. Enfin, aucune relation temporelle entre l’apparition de ces anomalies et l’évolution des signes cliniques n’est établie [6].
Lorsque le mode de vie d’un chat atteint de CIF est analysé, il est fréquent d’identifier un événement ou un environnement stressant (photo 2) [34]. En particulier, les déménagements et les conflits entre chats qui vivent sous le même toit sont fréquemment rapportés dans les études [5, 15, 18].
Un essai a comparé l’occurrence des signes d’un “tableau comportemental de maladie” en réponse à des événements externes inattendus chez des chats sains et des chats atteints de CIF [46]. Ces signes sont une dysorexie, une absence d’élimination, une périurie, des vomissements ou un comportement d’évitement. Ces chats sont logés en colonie dans un environnement enrichi. Une association de ces signes avec la survenue d’événements stressants, mais pas avec le statut sain ou CIF de l’animal a été observée [46]. Le mécanisme proposé est immunitaire par la production de cytokines pro-inflammatoires [6].
Le système nerveux sympathique des chats présentant une CIF a été étudié. Le locus coeruleus(LC) est un noyau du tronc cérébral particulièrement riche en neurones noradrénergiques. Il contient une enzyme, la tyrosine hydroxylase (TH), qui catalyse la réaction limitante dans la synthèse des catécholamines. L’immunoréactivité pour la TH augmente chez le chat lors de stimuli stressants appliqués de manière aiguë ou chronique, résultant en une production accrue de catécholamines [11]. Chez les chats atteints de CIF, l’immunoréactivité pour la TH dans le LC est plus importante, comparés aux animaux sains [42]. Les niveaux plasmatiques de noradrénaline et de dihydroxyphénylalanine (le premier métabolite obtenu lors de la biosynthèse des catécholamines) sont également augmentés lors de CIF, particulièrement après un protocole de stress [11, 51]. Enfin, la sensibilité des récepteurs α2-adrénergiques (cibles des catécholamines et responsables d’une diminution du tonus sympathique dans le système nerveux central) est diminuée chez les chats présentant une CIF et soumis à un protocole de stress, ce qui évoque une “désensibilisation” en réponse à une exposition à des concentrations élevées de catécholamines. [52]. La CIF est donc associée à une activation du système nerveux sympathique.
L’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, qui joue également un rôle dans la réponse de l’organisme au stress, a été exploré. Les glucocorticoïdes sécrétés lors de stress restreignent normalement l’activité du système nerveux sympathique [34]. Une étude comparant des chats sains à des chats atteints de CIF lors d’un protocole de stress n’a pas trouvé de différence significative dans le rapport cortisol/créatinine urinaires [51]. Un autre essai a analysé la réponse à l’administration de CRF (corticotropin-releasing factor) chez des chats sains et des chats présentant une CIF : aucune différence n’a été observée entre les deux groupes [11]. Une étude évoque même la possibilité d’une insuffisance surrénalienne modérée chez ces chats sur la base d’une réponse à la stimulation à l’ACTH (adrenocorticotropic hormone) diminuée, et d’un poids et d’un volume surrénaliens diminués [53]. L’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien n’est donc pas activé lors de CIF, suggérant un “découplage” entre ce système et le système nerveux sympathique (figure 2) [6, 34, 50].
Chez les chats atteints de CIF, des troubles intercurrents sont rapportés [6]. Cela n’est pas le cas des autres affections du bas appareil urinaire.
Plusieurs études décrivent des troubles comportementaux, gastro-intestinaux, respiratoires et dermatologiques [12, 13]. Aucune séquence dans l’apparition de ces anomalies les unes par rapport aux autres n’est identifiée. Cela plaide donc pour une cause systémique pouvant concerner plusieurs organes [6].
L’exposition de l’organisme à des événements stressants durant la vie fœtale ou néonatale peut avoir une influence sur l’expression du stress dans la vie [6]. Par exemple, une étude portant sur des rats a montré que le développement de certains circuits neuronaux centraux est modifié en réponse à des événements stressants survenus pendant la période néonatale [16]. Chez l’homme, la survenue d’événements traumatisants durant le jeune âge a un effet sur le fonctionnement de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien [4, 6, 24]. Un tel mécanisme pourrait également être impliqué dans la physiopathogénie de la CI et de la CIF, mais cela reste encore très hypothétique.
Les anomalies documentées lors de CIF sont nombreuses, et la plupart d’entre elles peuvent être à la fois des causes ou des conséquences de cette affection. La CIF est de plus en plus considérée comme une maladie systémique et il est possible que les différentes anomalies identifiées jusqu’à présent soient un jour regroupées dans un même syndrome.
(1) Voir l’article “Le diagnostic de la cystite idiopathique chez le chat” du même auteur, dans ce numéro.
Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »
L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.
En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire
Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.
Découvrez en avant-première chaque mois le sommaire du Point Vétérinaire.
Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire