Évaluation de la douleur : mise en œuvre pratique des deux méthodes - Le Point Vétérinaire n° 330 du 01/11/2012
Le Point Vétérinaire n° 330 du 01/11/2012

ANALGÉSIE CANINE ET FÉLINE

DOSSIER

Auteur(s) : Thierry Poitte

Fonctions : Clinique vétérinaire
La Croix-Michaud
17630 La Flotte

Après avoir exposé les différents moyens d’évaluation de la douleur, il convient de présenter des cas pratiques et leur utilisation face à ces situations.

1
1er cas : douleur aiguë péri-opératoire

Une femelle cocker spaniel américain, âgée de 9 ans et pesant 14,9 kg est présentée en consultation.

Son propriétaire a remarqué des changements de comportement récents et inquiétants, notamment de l’irritabilité croissante, des attitudes menaçantes et très récemment des tentatives de morsures. La préhension et la mastication des aliments sont devenues douloureuses. L’animal est souvent prostré. Il ne montre plus d’intérêt depuis plusieurs mois pour les jeux ou les promenades et semble atteint de surdité. Son port de tête est dévié.

Cette chienne a été présentée plusieurs fois pour des otites érythémato-cérumineuses qui se sont accompagnées progressivement de suppuration chronique.

L’examen otoscopique sous sédation révèle une otite purulente sévère associée à une sténose du conduit auditif et à la présence d’un polype.

Diagnostic

Le diagnostic établi est donc celui d’une otite moyenne droite.

Choix du traitement

Le traitement est chirurgical. Il consiste en une ablation totale du conduit auditif associée à une ostectomie latérale de la bulle tympanique (photos 1 et 2).

Le protocole analgésique et anesthésique choisi comprend :

– une anesthésie locale : lidocaïne 2 mg/kg + bupivacaïne 1 mg/kg en bloc nerveux auriculo-temporal ;

– de la méthadone à la dose de 0,2 mg/kg associée à de la médétomidine à 10 µg/kg par voie intramusculaire (IM) ;

– du propofol et de la kétamine à 1/1 mg/kg (soit 1 ml/10 kg de propofol [10 mg/ml] + 1 ml/100 kg de kétamine [100 mg/ml]) administrés à effet ;

– de l’isoflurane dans 100 % d’oxygène ;

– une perfusion continue (CRI) pendant 8 heures : méthadone à 0,2 mg/kg/h et lidocaïne à 3 mg/kg/h associées à de la kétamine à 0,5 mg/kg/h ;

– du méloxicam à 0,2 mg/kg par voie intraveineuse (IV) en phase postopératoire immédiate ;

– puis un relais par de la buprénorphine pendant 48 heures trois fois par jour en IM et du méloxicam par voie orale pendant 15 jours.

Comment évaluer cette douleur ?

PAR LA MÉTHODE QUALITATIVE

→ Ces douleurs sont de type nociceptif et probablement neuropathique à la suite de la forte inflammation locale et à la chronicisation avec présence d’allodynie et d’hyperalgésie.

→ En ce qui concerne l’otite moyenne, l’intensité de la douleur est sévère. L’intervention entraîne une douleur sévère de durée supérieure à 48 heures.

→ La localisation de cette douleur est somatique.

→ Sa durée est chronique avec des accès paroxystiques.

→ Les composantes émotionnelle et comportementale sont une adynamie, un port dévié de la tête et des difficultés à la mastication. Une anxiété intermittente et une agression par irritation sont également notées.

PAR LA MÉTHODE QUANTITATIVE

Une évaluation postopératoire immédiate est effectuée (figure 1). La chirurgie du conduit auditif et de la bulle tympanique est considérée comme étant très douloureuse. Dans ce cas, l’ancienneté des lésions, à l’origine d’hypersensibilisation périphérique et potentiellement centrale est aussi à considérer. Le risque de douleur aiguë et chronique postopératoire est majoré par un état accru de vulnérabilité à la douleur.

La mise en place d’un protocole analgésique associant une sédation de qualité, une analgésie multimodale précoce et prolongée (15 jours), une anti-hyperalgésie (kétamine + anti-inflammatoire non stéroïdiens [AINS] + anesthésie locale + méthadone) et une continuité du contrôle de la douleur (pas de hiatus algique) a permis dans la période postopératoire immédiate une récupération très rapide de l’animal (photo 3).

Seulement quelques jours ont suffi pour observer un retour aux comportements habituels de cette chienne : appétit, jeu, courses, proximité avec les propriétaires, etc. (photo 4).

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2e cas : douleur chronique arthrosique

Une femelle beauceron non stérilisée âgée de 10 ans et pesant 42 kg est présentée pour une adynamie, une boiterie des membres postérieurs, des douleurs lombaires et un début de parésie évoluant depuis plusieurs semaines (photos 5 et 6).

Diagnostic

Cette chienne est atteinte d’arthrose lombo-sacrée sévère avec protrusion discale modérée L7-S1 (photos 7 et 8).

Traitement

Un AINS (cimicoxib à 2 mg/kg/j : Cimalgex® 80 mg 1 cp/j) est administré pendant 3 mois. Compte tenu de la gravité et de la chronicisation des lésions, un traitement de longue durée est choisi.

Comment évaluer cette douleur ?

PAR LA MÉTHODE QUALITATIVE

Le type de cette douleur se caractérise par un excès de nociception et de neuropathies. Une allodynie et une hyperalgésie sont présentes. L’intensité est sévère. Cette douleur est de localisation somatique. Il s’agit d’une douleur de durée chronique avec accès paroxystique.

Les composantes émotionnelle et comportementale sont une adynamie, des difficultés à se relever, à se coucher, à trottiner, un refus du jeu, de la course et des sauts, ainsi que des signes de dépression sans manifestation d’agressivité.

PAR LA MÉTHODE QUANTITATIVE

Le choix se porte sur la grille d’Helsinki, validée pour l’évaluation de la douleur chronique arthrosique.

Lors de la 1re évaluation, la somme des cotations donne un scoring de 36, révélant une douleur chronique sévère, nécessitant un traitement prolongé avec des AINS (tableau).

Les évaluations à 15 jours, à 6 semaines et à 3 mois après la consultation ont révélé une amélioration très nette de la mobilité, de l’humeur et de l’aptitude à certaines activités (jeu, marche et trot).

Les examens cliniques orthopédiques ont permis de constater la disparition de l’allodynie et de l’hyperalgésie, la réduction de l’inflammation articulaire et de l’ankylose.

Les propriétaires et leurs enfants ont souligné une amélioration spectaculaire de l’état de santé de leur animal, tout en étant conscients des restrictions d’exercice nécessaires à la prévention de l’aggravation des lésions ostéo-articulaires présentes.

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3e cas : douleur chronique chez un chat

Un chat mâle chartreux stérilisé âgé de 18 ans et pesant 3,2 kg est présenté pour une adynamie, un amaigrissement, une plantigradie et une polyuro-polydipsie (PUPD) modérée (photo 9). L’inquiétude des propriétaires se porte sur les difficultés locomotrices et des miaulements inhabituels de très forte intensité, leur évoquant une douleur insupportable.

À l’examen clinique, aucun déficit neurologique n’est noté. Une parodontite sévère associée à un ulcère éosinophilique labial est notée. La manipulation des hanches et des coudes est mal supportée par le chat.

Les analyses de laboratoire révèlent une insuffisance rénale modérée sans troubles endocriniens associés.

Les examens d’imagerie médicale ne sont pas souhaités par le propriétaire, compte tenu de l’âge avancé de l’animal.

Diagnostic

Ce chat présente une arthrose sévère avec un début d’insuffisance rénale.

Comment évaluer cette douleur ?

PAR LA MÉTHODE QUALITATIVE

Le type de cette douleur se caractérise par un excès de nociception et de neuropathie.

Son intensité est sévère, sa localisation somatique et sa durée chronique.

Les composantes émotionnelle et comportementale sont une adynamie marquée avec des difficultés à sauter. Le comportement général est altéré avec une diminution de son comportement de toilettage, la présence de vocalises. Aucune manifestation agressive n’est présente.

PAR LA MÉTHODE QUANTITATIVE

Il a été choisi d’utiliser la grille personnelle d’évaluation des champs comportementaux (figure 2).

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4e cas : douleur chronique chez une chatte

Une chatte femelle chartreuse stérilisée âgée de 9 ans et pesant 4,5 kg est présentée pour une adynamie, une boiterie du membre antérieur droit. La propriétaire a remarqué une irritabilité croissante et des récents comportements d’agression déclenchés par la prise de l’animal dans ses bras.

Les clichés radiographiques révèlent des lésions sévères d’arthrose localisées sur le coude droit et le grasset gauche (photo 10 et 11).

Diagnostic

Cette chatte est donc atteinte d’arthrose sévère du coude droit et du grasset gauche.

Comment évaluer cette douleur ?

PAR LA MÉTHODE QUALITATIVE

Ce type de douleur se caractérise par un excès de nociception. Son intensité est sévère, sa localisation est somatique et sa durée chronique.

Les composantes émotionnelle et comportementale sont une adynamie caractérisée par des difficultés à descendre, associée à des modifications comportementales, notamment un manque de toilettage. Il existe aussi des épisodes d’allodynie et d’hyperalgésie, ainsi que des manifestations d’agressivité.

PAR LA MÉTHODE QUANTITATIVE

La grille personnelle d’évaluation des champs comportementaux est employée dans ce cas (figure 3).

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Discussion des deux cas cliniques félins

Ces deux cas cliniques succincts permettent d’objectiver la variété des changements comportementaux rencontrés chez le chat douloureux, avec présence ou non de séquences d’agression.

Les scores obtenus sont relativement élevés, mais en concordance avec les motifs de consultation (miaulements, boiterie, agression), faisant déjà suspecter par le propriétaire une sensation de douleur chez son animal.

Lors de consultation gériatrique, sans suspicion de douleur, les scores relevés sont plus faibles, mais ils permettent de relier la douleur et les comportements inhabituels, ou par excès, trop souvent assimilés à la vieillesse.

Cette grille des champs comportementaux n’est pas validée : elle constitue néanmoins une base de réflexion et un support didactique pour rechercher les états douloureux chroniques chez le chat. Utilisée depuis 8 mois dans les cliniques de l’île de Ré, elle a permis d’objectiver des cas ignorés d’arthrose féline, confirmés radiologiquement. La prise en charge de la douleur suit alors un protocole classique, associant une prescription prudente et surveillée de méloxicam, une préconisation d’aliment diététique dédié (chondroprotecteurs, ω3 et 6) et une amélioration des conditions environnementales (plans inclinés, aide à la position en hauteur et à la vue sur l’extérieur, toilette, arbre à chat, phéromones, etc.).

Le nombre de cas recrutés et leur suivi ont permis d’étoffer la pertinence des items, sans pour autant considérer la grille comme complètement aboutie. Les praticiens intéressés peuvent l’amender et, grâce à leurs recherches et observations, progresser dans la compréhension de la douleur chez le chat.

Enfin, les propriétaires sollicités ont toujours souhaité garder un modèle de cette grille, attestant leur souci d’évaluer la douleur et leur volonté d’implication thérapeutique. Le temps consacré à la présentation des modifications des champs comportementaux témoigne de l’engagement du vétérinaire à améliorer la qualité de vie des animaux : en ce sens, il constitue un fort impact de satisfaction de la part du propriétaire.

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