Le “salé” hypertonique indétrônable pour “ressusciter” les bovins - Le Point Vétérinaire expert rural n° 329 du 01/10/2012
Le Point Vétérinaire expert rural n° 329 du 01/10/2012

CORRECTION DE LA DÉSHYDRATATION

Veille scientifique

Auteur(s) : Béatrice Bouquet

Fonctions : 8, rue des Déportés
80220 Gamaches

Selon Peter Constable, les additifs hydrocolloïdes qui allongent l’effet du soluté salé hypertonique sont chers et facultatifs. Une solution de bicarbonate est à préférer chez le veau en acidose.

S’il ne doit rester qu’un flacon dans le coffre des véhicules des vétérinaires pompiers ruraux des temps modernes, c’est bien celui de NaCl à 7,2 %. Cette solution “miracle” n’est pas nouvelle, mais elle est à nouveau d’actualité à la suite de l’intervention de Peter Constable au Congrès mondial de buiatrie, à Porto, Portugal, l’été dernier (photo 1) [1]. Ce chercheur de renommée internationale en rappelle l’intérêt physiologique, tant chez l’adulte que chez le jeune, en situation de déshydratation comme d’endotoxémie.

Au fil des années, les processus physiologiques qui expliquent l’efficacité de cette solution “miracle” sont mieux connus, et les idées germent pour en décupler l’effet, par le juste choix de la solution orale à distribuer conjointement (de l’eau tout simplement) ou par dilution dans le dextran.

COMMENT ÇA MARCHE ?

La solution saline hypertonique provoque une augmentation du volume plasmatique et une expansion du volume de fluide extracellulaire. Ce processus marche particulièrement bien chez le ruminant, explique Peter Constable, car les liquides sont mobilisés non seulement depuis l’espace intracellulaire mais aussi depuis la lumière digestive. Or les préestomacs constituent un réservoir de liquide incomparable. Le flux peut être renforcé en réduisant l’osmolarité du contenu du rumen, donc en administrant de l’eau dans le rumen (solution économique), voire toute solution isotonique (le contenu est iso-osmotique au plasma). Des études anciennes citées par Constable rapportent un flux allant jusqu’à 33 ml/min/l de contenu ruminal, ce qu’aucune perfusion ne saurait apporter en si peu de temps [2]. Outre le flux d’eau, celui de sodium salivaire particulièrement prévalent chez les ruminants est à exploiter aussi par l’administration conjointe de solution saline hypertonique par voie intraveineuse (IV) et de solution hypotonique ou d’eau per os.

Le “petit” apport par voie IV de solution hypertonique sert de phénomène déclencheur.

Si le processus est bien connu des vétérinaires, les quantités requises sont régulièrement sous-estimées. Constable recommande un NaCl hypertonique à 7,2 %, ni plus, ni moins, et une quantité/vitesse de 4 à 5 ml/kg par voie IV pendant 4 à 5 minutes. Il traduit cela comme suit :

– 2 l dans la veine jugulaire par une aiguille 12-14 G puis 20 l d’eau à boire immédiatement après, chez le bovin adulte (photo 2).

– 120 à 200 ml par une aiguille 16-18 G chez le veau diarrhéique en le laissant téter 2 à 3 l d’une solution électrolytique alcalinisante aussitôt après.

EFFETS CARDIO-VASCULAIRES : POINT TROP N’EN FAUT

Les connaissances se sont affinées sur l’effet cardiovasculaire de pareil “traitement de choc”. Autrefois, un effet d’augmentation de la contractilité cardiaque et d’activation d’un réflexe pulmonaire vagodépendant était suspecté, mais ce phénomène a été remis en cause. C’est au contraire une transitoire baisse de contractilité cardiaque qui est observée (10 minutes).

En outre, la pression artérielle augmente par la vasodilatation quasi généralisée induite par l’expansion volumique. Cette vasodilatation n’épargne que le rein. Elle est transitoire, ne durant que le temps de la perfusion.

Ces phénomènes cardiovasculaires participent à recommander de ne pas aller au-delà d’une hyperosmolarité à 2 400 mOsm/kg, au risque d’un collapsus cardiovasculaire (ne pas dépasser 1 ml/kg/min).

UN SOLUTÉ HYPERTONIQUE SALÉ OU BICARBONATÉ ?

Dans sa synthèse récente au Congrès mondial de buiatrie, Constable recommande globalement le salé hypertonique en première intention face au veau diarrhéique. Cette solution serait aussi efficace que le bicarbonate hypertonique pour décroître l’hyperkaliémie et contrer la bradycardie susceptible de lui être associée : il se produit un flux de potassium d’origine intracellulaire.

Toutefois, le chercheur anglo-saxon cite aussi les travaux récents de Koch et Kaske en 2008 en Allemagne [3]. Ces essais montrent que la supériorité de la solution hypertonique salée en première intention ne vaut que pour de faibles degrés d’acidémie (excès de base inférieur à 10 mEq/l). Quand le pH sanguin se situe en dessous de 7,1 et que l’acidose métabolique s’intensifie, le bicarbonate hypertonique prend le dessus pour la “ressuscitation” clinique et l’équilibre acidobasique (à 8,4 %, 10 ml/kg poids vif sur 8 minutes, étude sur N = 12 veaux, mais le groupe “salé” a reçu une solution hypertonique à seulement 5,85 %, N = 17 veaux).

UN COÛTEUX COLLOÏDAL VAUT MIEUX QU’UNE LOURDE POCHE

Les courageux de la perfusion et les chanceux praticiens hospitaliers (entourés d’étudiants) n’ont rien à attendre de leurs efforts. La peine qu’ils ont à fixer un sac de 5 l d’isotonique et à (faire) surveiller leur veau pendant toute une heure n’est pas récompensée. Dans une étude de Walker en 1998 confirmée par une étude de Senturk en 2003, la solution hypertonique garde le dessus par rapport à la solution classique : « < lactate administré à 3,2 l/h » pour un veau de 40 kg (photo 3). Statut hydrique, temps de recoloration capillaire (TRC) et pouls sont en faveur d’une solution saline. Cette dernière est combinée à l’administration orale d’une solution alcalinisante. Toutefois, le soluté salé hypertonique est ici administré dans une forme moderne tout à fait envisageable en pratique hospitalière : associé au dextran. Ce mélange de polymères de glucose de poids moléculaire moyen élevé (70) est issu de la métabolisation bactérienne du sucrose. Il permet d’accroître la pression oncotique. Il participe à l’expansion volumique, qui gagne alors en durée, car le dextran doit être métabolisé en glucose (ou redistribué au compartiment extravas-culaire) pour que l’effet s’estompe.

Aucune solution salée hypertonique avec le dextran n’est disponible dans le commerce, rappelle Constable, mais il est possible de le préparer extemporanément au cabinet, la solution se conservant 3 mois avec quelques précautions. En France, le dextran n’est pas disponible, mais un équivalent, Plasmo HES® (Aguettant) peut lui être substitué (encadré).

Étonnament, la solution hypertonique avec le dextran a aussi prouvé sa supériorité face au choc hémorragique, comparée à des solutions de même hyperosmolarité, mais seulement salées et bicarbonatées, contenant du sel et des bases “douces” (acétate), du sel et du mannitol ou seulement glucosées [5]. La solution hypertonique salée avec le dextran permet, lors de choc hémorragique, une amélioration prolongée du débit cardiaque, de la pression artérielle et un accroissement du volume plasmatique (24 heures) (photo 4). Même le temps de survie est allongé [4]. Outre les effets volumiques et cardiaques cités précédemment, une réversion dans les anomalies cellulaires et une amélioration de la microcirculation susceptible de réduire le risque d’adhérence leucocytaire locale, etc. sont observées.

Une solution saline hypertonique (sans dextran) n’est pas contre-indiquée lors d’hémorragie d’après Constable, et est moins chère, précise-t-il.

À QUELS RISQUES ?

→ Constable rapporte que des tremblements musculaires plus ou moins importants peuvent être observés pendant les premières 1 à 2 minutes d’administration de “salé hypertonique”, mais sans réel affaiblissement de l’animal. Si le bovin ne boit pas spontanément (ses 20 à 40 l) dans les 10 minutes, il recommande de le forcer à la sonde, car l’apport d’eau per os de façon conjointe est capital. Il en est de même chez le veau à diarrhée ou endotoxémique (il convient alors de proposer une solution isotonique alcalinisante plutôt que de l’eau, et drencher si la buvée n’est pas spontanée).

→ Une importante contre-indication est l’administration au bovin dont la fonction rénale est altérée, en raison de l’hypernatrémie qui va de pair. La même situation est observée chez des bovins privés d’eau, ou des veaux à qui un lait de remplacement ou une réhydratation inappropriée ont été administrés. Le risque est l’altération des fonctions cérébrales et le coma.

→ Chez le bovin qui n’est pas en hyperkaliémie, une hypokaliémie peut être redoutée a priori, mais aux doses indiquées, cet effet est transitoire et faible (inférieur à 0,8 mEq/l) et sans trouble du rythme associé.

→ Chez le bovin adulte, la perfusion hypertonique salée peut être réitérée sans souci sous 24 heures. Par la suite, un suivi de la natrémie est requis. Chez le veau, réitérer cette perfusion est formellement déconseillé. Une correction plus ciblée des troubles acido-basiques doit être envisagée si la solution hypertonique salée ne suffit pas.

→ Dans tous les cas, une bonne contention est requise car l’injection périvasculaire de solution salée hypertonique induit une nécrose tissulaire (photo 5).

→ La survenue d’un œdème pulmonaire ou autre effet indésirable respiratoire pourrait être redouté lors d’administration rapide d’un soluté hypertonique, mais il a été vérifié à de multiples reprises que paradoxalement, lors d’endotoxémie, c’est avec une solution isotonique que des effets respiratoires sont à craindre (hypertension pulmonaire sans véritables conséquences néanmoins : essai avec une quantité équivalente de NaCl, [300 mOsm/l, 32 ml/kg IV sur 4 à 5 min]). Donc il n’existe pas de risque pulmonaire avec une solution hypertonique dans les conditions d’administration citées ci-dessus.

Conclusion

Ainsi la solution saline hypertonique reste-t-elle la championne de la médecine d’urgence en pratique rurale, même si des solutions “améliorantes” existent (dextran, etc.). De plus, elle a l’inestimable intérêt de maintenir les frais au plancher en ces temps de vache maigre…

  • (1) Le plasmo HES® n’est plus disponible en officine depuis 2011, il convient d’ouvrir un compte “vétérinaire” directement auprès du laboratoire producteur Aguettant.

Références

  • 1. Constable PD. Use of hypertonique saline in cows and calves. Proceeding XXVII world buiatrics congress, Porto. 2012:77-81.
  • 2. Constable PD. Hypertonic saline. In: Roussel AJ, Constable PD, guest editors. Fluid and electrolyte therapy. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract. WB. Saunders Company, Philadelphia, PA. 1999;15:559-585.
  • 3. Koch A, Kaske M. Clinical efficacy of intravenous hypertonic saline solution or hypertonic bicarbonate solution in the treatment of inappetent calves with neonatal diarrhea. J. Vet. Intern. Med. 2008;22(1):202-211.
  • 4. Maningas PA, DeGuzman LR, Tillman Jj et coll. Small-volum infusion opf 7,5% NaCl in 6% dextran 70 for the treatment of severe hemorragic shock in swine. Ann. Emerg. Med. 1986;15:1131-1137.
  • 5. Smith GJ, Kramer GC, Perron P et coll. A comparison of several hypertonic solutions for resuscitation of bled sheep. J. Surg. Res. 1985;39:517-528.

Points forts

→ La perfusion de soluté salé hypertonique peut être répétée une fois “à l’aveugle” chez l’adulte, mais pas chez le veau.

→ Les risques d’hypokaliémie ou d’œdème pulmonaire sont négligeables à ces rythmes de perfusion.

→ Les additifs colloïdaux représentent un surcoût, mais donnent plus de temps au bovin pour “ressusciter”.

ENCADRÉ
Comment se procurer ou élaborer une solution hypertonique hyperoncotique

→ En France, aucun hydrocolloïde ne semble disponible en centrale d’achat vétérinaire et le dextran n’est pas disponible en médecine humaine. Il est possible d’employer alors un soluté hydrocolloïde utilisé, entre autres, au service des urgences canines à l’ENV d’Alfort : plasmo HES®(1). Il s’agit d’hydroxyéthyl amidon à 6 %. Plasmo HES® est vendu en poches de 500 ml (9,27 € HT prix direct producteur, vendu par 20, péremption de l’ordre de 2 ans). En médecine vétérinaire canine, il n’est pas utilisé dilué dans un autre soluté, mais directement en bolus entre les autres perfusions de réanimation. Peter Constable donne dans sa dernière intervention la recette de la solution saline hypertonique additionnée de dextran (le copolymère de glucose, qui augmente la pression oncotique, nécessite une métabolisation, donc prolonge l’effet “expansion volumique plasmatique” du NaCl hypertonique).

→ Il utilise des bidons de 500 ml de dextran – 70 à 6 % dans du NaCl isotonique (commercialisés aux États-Unis). Il dépose 31,6 g de sel dans une seringue de 60 ml et aspire 60 ml de solution de dextran, puis agite pour dissoudre les cristaux de sel, avant de réinjecter les 60 ml dans le bidon initial de 500 ml, en prenant soin de passer à travers un filtre de 0,22 µm pour prévenir toute contamination bactérienne. Le contenu du bidon peut alors se conserver réfrigéré 3 mois.

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