Des plantes additionnées aux rations : sans garantie d’efficacité ni d’innocuité - Le Point Vétérinaire expert rural n° 328 du 01/09/2012
Le Point Vétérinaire expert rural n° 328 du 01/09/2012

ALIMENTATION DES BOVINS

Veille scientifique

Auteur(s) : Béatrice Bouquet

Fonctions : 8, rue des Déportés
80220 Gamaches
beatrice.bouquet@wanadoo.fr

L’efficacité de deux additifs “bio” a été étudiée vis-à-vis des coccidies. La toxicité d’un troisième produit à base de plantes est suspectée.

La demande en produits alimentaires issus de l’agriculture biologique dépasse l’offre. La charte européenne impose de ne pas dépasser deux traitements allopathiques par an et par ruminant dans ce type de production. En revanche, l’adjonction d’additifs à la ration est autorisée s’ils sont également “bio”, c’est-à-dire répondant aux mêmes impératifs que tout autre ingrédient de la ration. La tentation est grande pour certains éleveurs de substituer certains traitements relevant du critère du médicament par des additifs “bio”. Ces produits ne sont pas soumis aux mêmes impératifs que les médicaments vétérinaires (hors du cadre de l’autorisation de mise sur le marché [AMM]), bien qu’il leur soit demandé de répondre à certains critères dans le cadre de la réglementation européenne sur les additifs. Une liste des ingrédients admis comme additifs de la ration des ruminants utilisables en agriculture biologique figure dans la législation européenne. Les exigences en termes d’efficacité ne sont pas les mêmes et les études de toxicité ne sont pas aussi poussées en amont. Les industriels rendent parfois publics des essais d’efficacité sur les additifs “bio” qu’ils proposent, notamment vis-à-vis des coccidies (aucun additif “bio” n’est enregistré comme coccidiostatique, les épices sont enregistrées comme antiparasitaires). Deux “cocktails épicés” ont ainsi fait l’objet de présentations aux dernières Journées européennes de la buiatrie à Marseille. Un rapport de cas d’ictère chez des veaux faisait aussi mention de l’emploi d’un additif à base de plantes.

Ces trois exposés se rejoignent en ce qu’ils tendent à inciter à la méfiance vis-à-vis de produits qui promettent des résultats excellents sous le couvert du “bio ou de phytothérapie” sur Internet.

DES AROMATIQUES QUI STIMULENT L’INGESTION

Les additifs commerciaux à base d’épices, qui adjoignent un effet coccidiostatique à leur appellation légale d’additif antiparasitaire, sont en plein essor. Toutefois, les résultats obtenus ne sont pas toujours clairs.

Bertrand Médina, de Phytozynthèse, a présenté à Marseille lors du Forum européen de buiatrie, fin 2011, une étude montrant qu’un produit à base de plantes contenant notamment de nombreux dérivés terpéniques semble bénéfique… à long terme (EMX®). Une différence significative a été observée en faveur de l’adjonction de terpènes dans la ration dès le très jeune âge pour l’excrétion quantitative de coccidies, mais il est nécessaire d’attendre le sevrage pour constater cette amélioration.

Les études ont été réalisées dans des conditions de pression infectieuse par les coccidies importante, en raison du regroupement d’animaux, en l’occurrence au sein d’un feedlot espagnol spécialisé dans l’élevage de veaux surtout laitiers, provenant de divers pays européens. Trente-deux veaux frisons de 55 kg ont été suivis jusqu’à l’âge de 3 mois (avec un sevrage vers 10 semaines).

Le gain moyen quotidien est significativement accru (+ 124,3 g/j), l’ingestion aussi, mais pas le rendement alimentaire. Le retour sur investissement avec ce type de produit a été exposé. La firme avance un gain de 18,34 € par veau produit, « soit 1 € de plus que lors de traitement à base de sulfamides  ». EMX® ne contient pas seulement des sources de terpènes (origan, thym et eucalyptus), mais aussi des précurseurs de stéroïdes et des substances flavonoïdes (photo 1). Un effet “anabolisant” et un encouragement aromatique à l’ingestion pourraient donc aussi expliquer l’augmentation de l’ingestion (photo 2). Surtout, l’additif aurait une action trophique sur la muqueuse intestinale, susceptible d’expliquer l’effet “anticoccidies” (préventif tout du moins).

DES ÉPICES ANTIPARASITAIRES INCORPORÉES GÉNÉREUSEMENT

Autre cocktail “bio” qui a fait l’objet d’une communication dans le contexte très scientifique de la buiatrie européenne : Paramaxin®. Leopold Podstatzky, de l’Institut pour l’agriculture biologique autrichien, a présenté une étude sur des agneaux recevant cet additif épicé qui contient de l’ail, du curcuma, du cèdre de l’Himalaya, du gingembre et du poivre long, tous ingrédients issus de l’agriculture biologique (tableau 1, photo 3).

Paramaxin® a été étudié une fois incorporé à 4 kg par tonne de concentré (soit deux fois le taux recommandé sur la notice !), dès la première semaine de vie, chez 28 agneaux contre 32 témoins, élevés uniquement en bergerie. Comme précédemment, les différences d’excrétion oocystale et de gain de poids n’apparaissent pas avant l’âge du sevrage ou un peu après (8 ou 12 semaines selon qu’ils avaient ou non atteint le poids de 20 kg). Elles ne sont significatives que sur le poids des agneaux 4 semaines après le sevrage (et surtout chez ceux qui ont été sevrés tardivement à cause d’un déficit corporel antérieur). Le gain de poids et l’excrétion oocystale montrent une tendance favorable avec les épices, mais non significative. Dans une seconde étude avec ce produit sur 24 agneaux en engraissement, cette fois avec accès en pâture et foin, il a été conclu pareillement à une simple « tendance à la réduction de l’excrétion oocystale » et à de meilleures croissances avec Paramaxin®. Des tendances à la réduction de la charge en vers abomasaux avaient aussi été constatées en 2009 dans une étude sur 18 moutons et 63 chèvres(1).

Les épices sont distribuées mixées au concentré. L’odeur de Paramaxin® peut surprendre. Aucune publication sur un impact possible sur le goût de la viande n’est disponible, a expliqué Leopold Podstatzky dans la séance de questions. Le prix est de 44,66 € le kilo. Aucune étude sur le rapport coût/bénéfice n’est proposée.

DES PLANTES ET DES ICTÉRES POUR LES VEAUX DE 32 FERMES

Plusieurs cas de cirrhose chez de jeunes veaux ont été exposés par Moritz Metzner, enseignant à la faculté vétérinaire de Munich (Allemagne), à ce même Forum européen de buiatrie, en décembre dernier(2). L’épisode remonte à septembre 2010-2011 outre-Rhin. Les hépatopathies sont un phénomène rarement rapporté chez le jeune bovin. Ces premiers cas allemands de septembre 2010 concernaient des animaux âgés de 7 à 10 jours.

L’ictère a été souvent précédé d’une diarrhée, mais les fèces sont redevenues normales lorsque la jaunisse est apparue. Plusieurs veaux affectés ont été présentés en décubitus permanent. Quelques-uns sont morts.

L’ictère est discret chez le veau en conditions d’élevage : la coloration jaune de la sclère oculaire est difficile à percevoir dans une étable sombre (photo 4). Autre signe associé dans ce cas, moins connu du praticien : parfois, les incisives sont grisâtres près de la gencive (ce qui est tout aussi difficile à percevoir dans les conditions de terrain). Des anomalies des paramètres hépatiques ont été mises en évidence systématiquement, et d’autres constantes étaient élevées ou faibles, de façon variable. Les valeurs maximales observées sont les suivantes :

– bilirubine totale à 134 µmol/l pour une valeur de référence inférieure à 8,5 ;

– glutamate déshydrogénase (GLDH) à 2 213 pour une valeur de référence inférieure à 16 ;

– L-lactate à 22,4 (le foie ne le métabolise plus).

Les hématocrites étaient généralement normales.

Les taux de protéines totales, d’albumine, et les glycémies étaient généralement en baisse.

À l’autopsie, une perte d’intégrité hépatique a été constatée, associée à des lésions de nécrose de prolifération dans les canaux biliaires (dystrophie). Aucune lésion dans les autres tissus n’a été constatée.

Cinquante-quatre causes correspondent à un diagnostic clinique d’ictère, a expliqué M. Metzner. Le travail des chercheurs a consisté alors à exclure des causes. L’anamnèse ou le faible nombre de cas ont suffi à écarter diverses origines infectieuses toxiques ou lésionnelles.

Plusieurs agents pathogènes ont été recherchés dans le groupe des causes infectieuses : les résultats étaient globalement négatifs pour les salmonelles, la leptospirose (toutefois pas recherchée sur tous les animaux). Le virus de la diarrhée virale bovine (BVD) a aussi été recherché, mais sans succès. Des agents toxiques compatibles avec l’anamnèse ont aussi fait l’objet d’analyses dans les tissus (tableau 2).

Une enquête a ensuite été mise en place pour faire remonter davantage de cas du terrain, avec les critères d’inclusion suivants :

– des veaux âgés de 1 à 3 mois ;

– une hyperbilirubinémie et/ou une lactate déshydrogénase (LDH) élevée ;

– ou des lésions de dystrophie.

Trente-six fermes ont ainsi été recrutées incluant 56 cas, ayant donné lieu à 43 autopsies. Chaque élevage totalisait 1 à 4 cas (mais davantage selon les critères que les éleveurs se sont constitués intuitivement : jusqu’à 10 pour certains, a souligné Moritz Metzner).

Une enquête épidémiologique a été conduite, avec un questionnaire sur les maladies de l’élevage, les pratiques alimentaires (relatives au lait), et la distribution éventuelle de médicaments ou d’additifs. Sur ce dernier point, il est apparu surprenant que, dans 32 fermes parmi les 36 incluses, un supplément nommé Vitakur®, utilisable chez des veaux à diarrhée était incorporé au lait (incluant des plantes).

Dans les 4 fermes qui n’en distribuaient pas, d’autres causes d’ictère ont été relevées (intoxication au sel, etc.). Des analyses ont été effectuées sur le produit suspecté (tableau 3).

Une reproduction expérimentale a été effectuée sur 8 veaux sains, (4 avec administration de Vitakur® selon les recommandations commerciales pendant 5 jours et 4 veaux témoins non traités). Un examen, a été pratiqué après 15 jours. Aucun des 8 veaux n’a présenté les signes précédemment constatés. Toutefois, chez les 4 veaux avec Vitakur®, la cinétique observée pour les taux de bilirubine et de GLDH (en deux pics), voire aussi d’aspartate amino-transférase (AST) et de L-lactate a suscité l’intérêt des experts (élévations nettes). À ce stade, le produit a été retiré du marché par la firme qui le commercialise.

L’origine toxicologique n’est pas élucidée, concluent les auteurs munichois de cette étude.

« Les composants de ce produit sont parfaitement autorisés, mais ils relèvent du secret industriel, nous ne pouvons les communiquer, et les doses d’incorporation peuvent être sujettes à caution » explique M. Metzner. Une étude ingrédient par ingrédient en cours de finalisation sera publiée prochainement (dans la revue Tierärztliche Praxis Ausgabe G (GroΒtier)). Elle a nécessité une étape préalable de séparation des différents constituants du produit commercial suspect.

Conclusion

À lire entre les lignes, ces différents exposés incitent, en définitive, à la méfiance vis-à-vis des produits commerciaux qui revendiquent telle ou telle propriété d’ordre médicamenteux, sans toutefois passer par la chaîne de précautions, lourde et coûteuse, du médicament vétérinaire. Les appellations “agriculture biologique” (“issue de” ou “autorisée en”) ou “à base de plantes” ne doivent pas être considérées comme une garantie d’efficacité et d’innocuité.

  • (1) Étude proposée sur le site www.almapharm.de.

  • (2) À paraître également au Tierärztliche Praxis Ausgabe G (GroΒtier).

Références

  • 1. Medina B, Llordella M et Cots F. Evaluation of botanic active compounds on the coccidan excretion and the growth performance of dairy calves fattened under Spanish conditions. EBF 2011, Marseille, 16-18 nov. 2011:19.
  • 2. Metzner M, Langenmayer M, Weber B et coll. Outbreaks of jaundice in young calves. A Novel disease EBF 2011, Marseille, 16-18 nov. 2011:65.
  • 3. Podstatzky L, Krenn V. Additional feeding of herbs in lambs : influence on shedding of Eimeria spp. and on weight gain. EBF 2011, Marseille, 16-18 nov. 2011:21.

Points forts

→ Aucun additif “bio” n’est légalement coccidiostatique. Les épices sont enregistrées comme antiparasitaires.

→ Les hépatopathies sont un phénomène rarement rapporté chez le jeune bovin, conduisant à un diagnostic différentiel de 54 étiologies potentielles.

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