Avortements en série : conduite à tenir pour les prélèvements - Le Point Vétérinaire expert rural n° 323 du 01/03/2012
Le Point Vétérinaire expert rural n° 323 du 01/03/2012

AVORTEMENTS DES BOVINS

Conduite à tenir

Auteur(s) : Dominique Rémy

Fonctions : ENV d’Alfort,
7, av. du Général-de-Gaulle
94704 Maisons-Alfort.
dremy@vet-alfort.fr

Lors d’une série d’avortements, le conditionnement et l’envoi des prélèvements doivent respecter des règles précises : rigueur, hygiène et respect de la chaîne du froid positif.

L’objectif de cet exposé est la présentation d’une méthodologie applicable par le praticien lorsqu’il se trouve en face d’une série d’avortements(1). Il doit apporter aux laboratoires les informations et les prélèvements nécessaires à l’identification de la cause abortive. Pour cela, nous décrirons la méthodologie à mettre en place pour apporter un maximum d’informations aux opérateurs que sont le vétérinaire et le laboratoire.

ÉTAPE 1 QUELS PRÉLÈVEMENTS RÉALISER ?

Plusieurs prélèvements peuvent être réalisés, pour analyse par examens directs ou indirects(2) (tableau et encadré).

1. Le fœtus entier

L’envoi au laboratoire d’un fœtus frais et entier, prélevé le plus précocement possible, est le meilleur choix pour optimiser les chances de diagnostic sur un cas individuel, quel que soit l’agent infectieux. Le fœtus, quel que soit son poids, est placé dans un sac de plastique propre ou dans un bac et acheminé rapidement par le propriétaire, avec les commémoratifs, vers le laboratoire où auront lieu l’autopsie et les prélèvements.

En présence d’un avorton dans l’utérus, il convient de l’extraire en respectant des conditions d’hygiène d’un vêlage normal : nettoyage de l’arrière-main à renouveler au cours de l’extraction dès que des efforts expulsifs avec défécation apparaissent (photo 1). L’usage de deux seaux est important, l’un doit contenir de l’eau propre avec un désinfectant qui est projeté sur l’arrière-main après un nettoyage lors d’expulsion de fèces.

Si l’avorton a été expulsé, il peut être utilisé si l’expulsion est récente et s’il n’est pas souillé, mais sa qualité est moindre (photo 2). L’autopsie et les prélèvements doivent être réalisés dans des conditions d’asepsie les plus rigoureuses possibles (photo 3).

Le prélèvement incontournable est le contenu de caillette ligaturé pour un veau mort-né ou la collection d’un minimum de 4 ml dans un tube sec stérile à l’aide d’une seringue et d’une aiguille à usage unique. Les autres organes à prélever sont la rate, le foie, le poumon. Le cerveau est important pour l’implication de N. caninum, surtout si l’avortement est tardif (plus de 6 mois) [5, 11]. Les prélèvements sont placés dans un flacon stérile et non pas dans un gant. Les flacons peuvent être fournis par le laboratoire. Un flacon en plastique avec un bouchon à vis du commerce convient également. Le liquide de caillette peut être placé dans un tube vacutainer sec (bouchon rouge) et prélevé à l’aide d’un porte-aiguille ou d’une seringue. Un volume de 2 ml est suffisant.

2. Le placenta

Il constitue un prélèvement de bonne valeur diagnostique s’il est prélevé in utero et jamais dans la litière (photo 4). Il comprend obligatoirement une (des) houppe(s) cotylédonaire(s) accompagnée(s) de tissu intercotylédonaire présentant des lésions, mais aussi de tissu sain. Ce prélèvement est disséqué à partir de placenta prélevé proprement, puis il est placé rapidement dans un flacon stérile et non pas dans un gant. Ces zones saines et avec lésions sont obtenues en prélevant du tissu au niveau de houppes cotylédonaires désengrenées et de houppes qui nécessitent un désengrènement manuel.

3. Les prélèvements sanguins

Couple tube sec et EDTA sur la vache qui vient d’avorter

Une sérologie négative de la vache avortée ne présume pas que l’agent n’est pas impliqué, car l’animal peut, par exemple, être en cours de séroconversion. Dans une batterie de prises de sang (PS) sur une suspicion d’avortements à leptospires, les animaux avortés sont souvent séro-négatifs [1]. Cette séronégativité est aussi signalée pour Ch. abortus, N. caninum et C. burnetii [7, 10, 11].

Échantillon de six tubes secs chez les vaches à problème

L’échantillonnage idéal comprend des vaches atteintes au cours des 2 ou 3 mois précédents (anciennes vaches avortées ou vaches avec des problèmes de reproduction : retour en chaleur décalé, métrites persistantes, rétention placentaire, avortements à répétition) en choisissant 3 multipares et 3 primipares [4, 5]. L’échantillonnage peut être différent suivant l’objectif. Dans un élevage considéré comme indemne de virus de la diarrhée virale bovine (BVD) et vacciné, la mise en évidence d’une circulation récente du BVD et son implication dans les avortements peuvent être établies avec d’autres sentinelles comme les jeunes animaux non vaccinés entre 6 et 12 mois [3].

L’ehrlichiose est un cas particulier, où la sérologie permet, sur un échantillonnage plus ou moins grand, de confirmer un passage de la maladie a posteriori sans nécessiter des prises de sang couplées [6].

Prises de sang couplées

Les prises de sang couplées sont réalisées à 15 jours d’intervalle et permettent, lors de séroconversion, de confirmer la circulation de l’agent recherché dans le lot au moment des troubles ou, s’il s’agit d’une sérologie sur un seul animal, d’augmenter la présomption (le passage du virus BVD et des leptospires peut être très antérieur à l’épisode d’avortements) [3].

4. Les autres prélèvements en vue d’examens indirects

Les autres prélèvements peuvent mettre en évidence une “circulation”, au sein de l’effectif, d’un agent pathogène reconnu pour ses capacités abortives. Une PCR (polymerase chain reaction) sur lait de tank (valable pour Chlamidia spp., C burnetii et le virus BVD) permet de vérifier la présence d’animaux excréteurs. Parfois, lors d’un examen direct, la PCR confirme une suspicion d’incidence de l’agent isolé, même si pour la commission “Fièvre Q” de l’Acersa (Association pour la certification en santé animale),un résultat de PCR positif sur lait de grand mélange n’est pas forcément lié à l’expression de signes cliniques (avortements) évocateurs de la fièvre Q [12].

ÉTAPE 2 CONDITIONNEMENT ET TRANSPORT DES PRÉLEVEMENTS

1. Objectifs

En clientèle, des objectifs réalistes doivent être fixés afin d’identifier, avec un maximum de chance, la cause de la série d’avortements, quelle que soit son origine (photo 5). Pour cela, il convient d’envoyer des prélèvements :

– avec commémoratifs. Un interrogatoire utilisant des questions croisées et l’examen clinique des animaux de la cohorte sont nécessaires. Le praticien est le plus apte à commander les examens adéquats ;

– non souillés. Dans le cas contraire, les résultats d’analyse risquent de mettre en évidence des agents infectieux environnementaux, c’est-à-dire ceux qui ont une grande résistance dans le milieu extérieur ;

– en respectant le froid positif pendant le transport. Cela est valable pour tous les prélèvements, même en vue d’examen direct à l’aide de la technique PCR.

2. Le conditionnement

L’expéditeur est responsable du colis et des contaminations qu’il peut causer (des sacs postaux, des personnels, etc.) jusqu’à l’arrivée au laboratoire. Les échantillons biologiques doivent être conditionnés selon la règle du triple emballage : emballage primaire fermé (avec matériel absorbant pour les sérosités), emballage secondaire étanche comprenant un absorbant autour de l’emballage primaire (en cas de casse ou de fuite de l’emballage primaire), emballage tertiaire portant l’adresse de l’expéditeur et celle du laboratoire, ainsi que le sigle « échantillon biologique ».

3. Le transport

L’acheminement doit être réalisé :

– pour la sérologie, à température ambiante et dans les 24 heures si possible ou en laissant les prélèvements reposer à température ambiante jusqu’au lendemain, puis il convient d’assurer le froid positif. Les températures inférieures à 5 °C et supérieures à 25 °C peuvent altérer les échantillons ;

– pour la bactériologie, sous couvert du froid (+ 4 °C) et si possible dans la journée ;

– pour la PCR, il est possible de congeler les prélèvements, à condition de les maintenir congelés jusqu’à l’analyse.

L’idéal est de transporter directement les échantillons au laboratoire : dans certains départements, ce service est assuré par le laboratoire lui-même. La Poste assure actuellement un service qui permet un acheminement en moins de 48 heures en respectant le conditionnement décrit ci-dessus. Certains transporteurs privés acceptent les prélèvements biologiques. Dans ce cas, il convient de vérifier les conditions d’exécution du transport sur la durée et la température, l’agrément du transporteur pour ce type de transport et l’existence d’un bordereau de suivi de colis.

Conclusion

Malgré le caractère obligatoire, beaucoup d’avortements restent non déclarés. De nombreuses mesures financières sont apportées par le Groupement de défense sanitaire (GDS), et des techniques sont proposées. Toutefois, les recherches complémentaires restent encore négligées. Lors de demandes d’investigation, l’anamnèse, les examens et les prélèvements doivent être considérés par le praticien comme des actes importants en raison de leur valeur ajoutée potentielle. Ces étapes devraient être soutenues financièrement au même titre que les examens complémentaires. Ceux-ci, dont la valorisation dépend des étapes précédentes, ont vu leurs résultats s’améliorer en raison de l’utilisation de nouvelles techniques mises au point et utilisées dans des protocoles réfléchis. Cela doit permettre une augmentation de l’identification des causes, seul moyen de mettre en place des mesures thérapeutiques et prophylactiques adaptées.

  • (1) Voir la définition d’avortement et série d’avortements dans l’article “Avortements en série : protocoles, anamnèse et examen des animaux” du même auteur, dans ce numéro.

  • (2) Pour les spécificités liées au virus Schmallenberg, voir l’article “Nouvelle émergence dans le nord de l’Europe : le virus Schmallenberg” de S. Zientara et coll. dans ce numéro.

  • (3) Le choix des organes prélevés sur le fœtus et des animaux prélevés en sang dans la cohorte où ont lieu les avortements est important.

Références

  • 1. André-Fontaine G, Kodjo A. Leptospiroses et troubles de la reproduction : la leptospirose bovine. Proceeding. Journées nationales des GTV, Nantes. 13-15 mai 2009:327-330.
  • 2. Aubadie-Ladrix M. Diagnostic des avortements infectieux non brucelliques chez les bovins. Bull. GTV. 2010;Hors série:73-80.
  • 3. Grooms DL, Bolin CA. Diagnosis of fetal loss caused by bovine viral diarrhea virus and leptospira spp. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract. 2005;21:463-472.
  • 4. Guattéo R, Nicollet P, Ledrean E et coll. Les avortements infectieux chez les bovins vers une démarche standardisée d’investigation. Dans : Diagnostic des maladies infectieuses. Éd. du Point Vétérinaire, Rueil-Malmaison. 2011
  • 5. Joly A, Leperlier A. Prélèvements et interprétation des résultats lors d’avortements d’origine infectieuse chez les bovins. Bull GTV. 2009;48:15-21 <http://www2.toulouse.inra.fr/internet//velisa/revue.php?id=9>
  • 6. Joncour G, Colin E. Le diagnostic clinique de l’ehrlichiose bovine. Dans : Colloque richettsioses-zoonoses et autres arbo-bactério-zoonoses. 2003;50-53.
  • 7. Lars F. Quel est le rôle du vétérinaire praticien dans le diagnostic différentiel des avortements brucelliques. JNGTV, Nantes. 2011:215-223.
  • 8. Pitel PH, Legrand L, Rouland JF et coll. Un support pour l’abord global des avortements. Point Vét. 2009;40:71-74.
  • 9. Rodolakis A. Chlamidiose et Fièvre Q, similitudes et différences entre ces deux zoonoses. Renc. Rech. Ruminants. 2006;13:395-402.
  • 10. Rodolakis et coll. Fièvre Q : rapport sur l’évaluation des risques pour la santé publique et des outils de gestion des risques en élevage de ruminants. AFSSA. 2004:1-88.
  • 11. Salat O. Néosporose : une affection de mieux en mieux comprise. Bull GTV. 2009;48:33-40.
  • 12. Touratier A, Baurier F, Beaudeau F et coll. Comment faire le diagnostic d’un élevage cliniquement atteint de fièvre Q ? JNGTV, Nantes. 2007:147-155.

ENCADRÉ Intérêt des examens directs et indirects(3)

→ Examens directs

Les prélèvements sur l’avorton, à partir du placenta ou des écoulements vaginaux permettent de réaliser des examens directs et d’améliorer les chances de succès dans le diagnostic [5, 8]. La plupart des agents sont encore présents sur l’un de ces prélèvements au moment de l’avortement et l’excrétion de C. burnetiipersiste pendant 8 jours. Ce délai semble moins long pour Chlamidia (24 heures), mais l’isolement de cet agent dans les jours qui suivent l’implique avec plus de certitude [9]. L’isolement de l’agent dans le contenu de caillette du fœtus (bonne corrélation avec le liquide amniotique) permet d’impliquer l’agent avec un bon niveau de certitude (cela est vrai pour C. burnetii ou Chlamidia, mais aussi pour des agents abortifs secondaires comme A. pyogenes ou Aspergillus) et d’éliminer le risque de contamination à la condition de réaliser cet isolement dans des conditions aseptiques. En raison du portage chronique de salmonelles par certaines mères, leur mise en évidence dans les fèces de la vache qui a avorté n’a aucune signification diagnostique. En revanche, l’ADN du virus BVD est isolé préférentiellement dans la rate, celui de N. caninum dans le cerveau, uniquement après 6 mois de gestation, ou dans le liquide céphalo-rachidien, le cœur, les poumons et les reins [2].

La PCR, utilisée au départ pour la recherche de l’ADN de C. burnetii ou de Chlamidia, a été étendue à la plupart des agents abortifs bactériens (Leptospira, Neospora) et la bactérioscopie est actuellement réservée à B. abortus, Salmonella et Listeria. Une limite de la PCR est son coût élevé. Elle requiert également une bonne technicité de la part du laboratoire et un matériel spécifique. Elle présente cependant de nombreux avantages : rapidité de l’obtention des résultats, innocuité pour les exécutants, congélation possible des prélèvements (à la condition de décongeler au moment de la réalisation de la PCR).

→ Examens indirects

Les sérologies effectuées chez les mères et/? ou leurs congénères sont faciles à mettre en œuvre. Elles sont peu coûteuses et disponibles pour la plupart des agents abortifs, sauf Salmonella et Listeria.

À l’exception de Neospora (sans diagnostic de certitude), les sérologies individuelles présentent peu ou pas d’intérêt (pas de conclusion définitive). La sérologie individuelle n’implique pas nécessairement l’agent, pour lequel la réaction immunologique exprimée ne traduit que l’infection plus ou moins récente de l’animal dont le sérum a été prélevé. La mise en évidence d’une séroconversion est plus significative. L’élévation du taux d’anticorps entre la première et la seconde prise de sang permet de conclure au passage récent de l’antigène qui peut alors être la cause de l’avortement. Par rapport à l’avortement, la séroconversion est plus ou moins rapide (tardive pour C. burnetii et précoce pour Chlamidia). Pour le BVD, une séroconversion est le signe d’un passage viral récent. Généralement, en raison d’un long délai entre le passage viral et l’expulsion du fœtus, l’animal a “séroconverti” depuis longtemps. Ce délai est également long lors d’un avortement par les leptospires [1].

Ces prélèvements sanguins sont réalisés chez la(es) vache(s) avortée(s) et chez des animaux sentinelles. La notion d’animaux sentinelles est différente de celle utilisée pour suivre le BVD [7]. Il ne s’agit plus de génisses de 12 à 15 mois en contact avec le troupeau des reproductrices. Ce sont des animaux du même lot que la vache avortée. En général, 5 primipares et 5 multipares sont choisies. Il convient de choisir des animaux qui ont présenté des troubles de la reproduction.

Étapes essentielles

ÉTAPE 1 Les prélèvements

• Un fœtus frais et entier est le meilleur prélèvement, le plus précocement possible, quel que soit l’agent infectieux

• Placenta : dans un flacon stérile

• Prises de sang chez les vaches avortées et à problèmes

• Autres prélèvements en vue d’examen indirect

ÉTAPE 2 Conditionnement et transport

Cette étape est importante car l’expéditeur de prélèvements biologiques est responsable du colis et des dégâts ou des contaminations qu’il peut causer.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à notre Newsletter

Découvrez en avant-première chaque mois le sommaire du Point Vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr