MALADIES DES BOVINS
Symptômes d’appel
Auteur(s) : Sébastien Buczinski
Fonctions : Faculté de médecine vétérinaire,
Université de Montréal
CP 5000, St-Hyacinthe, J2S 7C6
Québec, Canada
Suivre une démarche diagnostique précise face à un œdème de l’auge permet, dans un premier temps, d’éliminer une origine cardiaque, puis d’établir le diagnostic.
L’œdème de l’auge ou sous-maxillaire, encore appelé “bouteille” est un symptôme d’appel courant, dont les étiologies sont très variées. Les cas exposés dans cet article sont tous d’origines non cardiaques. Les causes cardiaques sont l’objet d’un précédent article [1].
Dans un premier temps, le clinicien doit exclure les origines cardiaques de cet œdème. Pour cela, un examen cardiovasculaire approfondi est nécessaire [1, 2, 4, 5].
Dans un second temps, la nature de la distension et de l’œdème doit être recherchée. Les causes inflammatoires sont infectieuses ou non infectieuses :
– les phlegmons sont les principales affections extra cardiaques infectieuses à l’origine de ce symptôme. Les myosites clostridiennes (charbon de quartier) sont rares. L’actinomycose et l’actinobacillose peuvent aussi aboutir à une distension de la région de l’auge, mais, généralement, le tableau clinique est différent et l’œdème peu développé ;
– les affections traumatiques et inflammatoires pouvant générer de tels symptômes sont les hématomes ou les sialocèles.
Enfin, les causes d’œdème généralisé sont l’hypoprotéinémie (parasitose sévère, paratuberculose avancée, amyloïdose rénale ou digestive, péritonite diffuse, etc.), et une obstruction du retour veineux jugulaire (abcès dans le médiastin cranial, lymphome à forme thymique, etc.). Les œdèmes associés à de l’hypoprotéinémie ne s’accompagnent pas de turgescence/pouls jugulaire.
Une démarche diagnostique rigoureuse permet de réaliser le diagnostic différentiel (figure).
→ Motif d’appel : primipare ayant vêlé 5 mois auparavant, qui a une petite bouteille, maigrit et présente une diarrhée chronique, malgré les traitements antiparasitaires internes (photo 1).
→ Examen : la sérologie paratuberculose est positive, mais la coloration de Ziehl sur les fèces ne met pas en évidence de bactéries acido-alcoolo résistantes. La PCR (polymerase chain reaction) paratuberculose est positive et la vache est euthanasiée.
→ Motif d’appel : déformation de l’auge qui augmente depuis plusieurs jours.
→ Examen :
– actinobacillose : la déformation n’affecte pas la peau qui reste fine (photo 2a). L’examen de la bouche révèle un volume très augmenté et une induration diffuse de la langue, ainsi que la présence de zones jaunâtres en surface, qui saignent facilement (photos 2b et 2c). L’affection a bien rétrocédé au traitement à l’iodure de sodium par voie intraveineuse deux fois à 7 jours d’intervalle associé à de l’oxytétracycline LA ;
– phlegmon : la tuméfaction augmente de volume depuis 3 jours (photo 3a). La vache, en détresse respiratoire, court et s’affale, morte. La langue est le siège d’une infection sévère phlegmoneuse jusqu’au larynx (photo 3b). L’inoculation accidentelle de Necrobacillus est probable.
→ Motif d’appel : une génisse à 7 mois de gestation présente un œdème sous-glossien et une diarrhée moulée et verte (photo 4).
→ Examen : la température est normale mais les muqueuses sont pâles et des croûtes sont observées sur le mufle et les zones blanches du dos. Une prise de sang confirme une hypoprotéinémie (55 g/l, la limite inférieure étant de 65 g/l) qui explique l’œdème de l’auge. L’examen des bouses par flottation révèle la présence d’un grand nombre d’œufs de strongles. Le traitement à l’ivermectine en injection sous-cutanée permet la guérison.
→ Motif d’appel : vache abattue avec une volumineuse bouteille qui gagne le bas des joues et le haut de l’encolure (photo 5).
→ Examen : l’auscultation est normale, sans pouls jugulaire rétrograde. La température est de 40,6 °C. La percussion de la peau révèle la présence de gaz.
→ Le diagnostic est celui d’œdème malin. L’animal meurt malgré l’administration d’une forte dose d’antibiotiques.
→ Motif d’appel : dans les deux cas, tuméfaction molle symétrique de la zone de l’auge et du bas de la face. La vache mange, ne bave pas, n’a pas de fièvre et les ganglions rétropharyngiens ne sont pas hypertrophiés. La zone tuméfiée n’est pas chaude, pas douloureuse.
→ Examen :
– sialocèle : une ponction ramène un liquide ambré, visqueux et inodore en grande quantité, laissant suspecter un scialocèle (photos 6a et 6b) ;
- obstruction du canal de Bartholin : une tuméfaction molle emplie de salive sous la pointe de la langue est caractéristique d’une obstruction du canal de Bartholin, résolue par un traitement de 3 jours à la dexaméthasone (photos 7a et 7b).
→ Motif d’appel : Dans les deux cas, œdème de l’auge sans abattement, dont l’anamnèse a permis de déterminer la cause.
→ Examen :
– œdème : l’éleveur a perfusé un soluté hypertonique sucré à cet animal quelques heures auparavant, par voie périveineuse (photo 8). L’appel d’eau et la position déclive de la tête expliquent l’œdème ;
– hématome et infection : cette vache a avalé une pomme entière, qui a obstrué l’œsophage à l’entrée du pharynx. L’éleveur l’a repoussée avec un manche à balai en bois, engendrant un hématome et une infection par inoculation (photo 9).
La physiopathologie de la formation de l’œdème périphérique implique une fuite de liquide vasculaire vers le compartiment interstitiel [4]. Ce phénomène est mis en évidence à la suite de la réalisation du signe de godet (encadré 1). Lors d’évaluation de ce symptôme par le praticien, son défi principal consiste à déterminer rapidement face à quelle catégorie d’œdème il se trouve. Cela va lui permettre d’établir un diagnostic différentiel et de classer par ordre de priorité les examens complémentaires à envisager pour affiner ses démarches diagnostique puis thérapeutique.
D’abord, il est important de réaliser une anamnèse détaillée de l’animal axée sur les grandes affections capables d’engendrer ces symptômes (accès au pâturage, vermifugation, historique parasitaire et paratuberculose du troupeau).
Ensuite, au cours de l’examen clinique, le praticien doit chercher tout signe systémique d’infection ou d’inflammation. Ainsi, lors de phénomènes phlegmoneux, la fièvre et la tachycardie sont fréquentes, de même que l’abattement qui est en général encore plus marqué lors de clostridiose. Des signes de distension veineuse sont recherchés lorsqu’une obstruction vasculaire (exemples : lymphome à forme thymique, masse comprimant la veine jugulaire craniale, thrombophlébite massive jugulaire etc.) est suspectée. Ces signes doivent être distingués de ceux de l’insuffisance cardiaque congestive [4, 5]. La présence de diarrhée chronique peut aussi être à l’origine d’une perte protéique et, par conséquent, d’œdème, par diminution de la pression oncotique plasmatique.
Dans un second temps, les examens complémentaires simples permettent de préciser l’origine de l’œdème et d’établir un diagnostic différentiel simplifié, qui mène à une thérapie et à un pronostic en fonction de l’étiologie suspectée.
→ Si l’animal ne présente pas de signes systémiques d’infection, la détermination de l’hématocrite et des protéines totales à l’aide d’une microcentrifugeuse et d’un réfractomètre permet d’objectiver une hypoprotéinémie.
→ La collecte d’un échantillon d’urine dans l’objectif de détecter une protéinurie massive est également suggérée, surtout en l’absence de diarrhée chez l’animal, afin notamment d’investiguer une perte protéique à la suite d’une atteinte glomérulaire (amyloïdose rénale) [3]. Les causes d’hypoprotéinémie les plus fréquemment rencontrées par le praticien sont les maladies parasitaires et la paratuberculose (encadré 2). La péritonite généralisée, bien qu’elle puisse entraîner une fuite massive de protéines vers la cavité abdominale, s’accompagne rarement d’œdème de l’auge. Les signes de chocs hypovolémique et distributif prédominent le tableau clinique. Dans ce cas, contrairement aux autres causes d’hypoprotéinémie, l’hémoconcentration associée entraîne une augmentation de l’hématrocrite par rapport aux autres cas où un hématocrite normal à diminué est généralement observé.
→ Si l’animal présente des signes d’infection généralisée et de toxémie ou d’endotoxémie, un œdème inflammatoire est à suspecter dans la plupart des cas, et une thérapie locale et systémique doit être envisagée (antibiothérapie adaptée, anti-inflammatoires +/– fluidothérapie). Une ponction à l’aiguille de la masse peut être réalisée afin de préciser sa nature. Cependant, le liquide est généralement plus diffus que dans le cas d’un abcès, ce qui peut rendre la tâche plus ardue lorsqu’une ponction à l’aveugle est réalisée. De plus, la proximité de vaisseaux et le risque de contaminer un éventuel hématome à la suite de ponctions répétées incitent à effectuer un examen échographique de la zone distendue. Rapide, il peut être réalisé avec le même type de sonde que celui qui est disponible pour les suivis de reproduction. Après cet examen, le vétérinaire est plus à même de choisir la zone la plus intéressante et la plus sûre pour réaliser sa ponction.
→ Lorsque l’animal présente des signes de diarrhée associés à l’hypoprotéinémie, il convient de connaître les risques de parasitose. En général, une coproscopie ou un diagnostic thérapeutique en vermifugeant l’animal sont réalisés. Le statut de l’animal vis-à-vis de la paratuberculose doit être déterminé afin de ne pas traiter ce dernier inutilement. Lorsque l’animal développe des symptômes cliniques, les tests Elisa sur sang disposent d’une bonne valeur prédictive positive. Une recherche de mycobactéries par la réalisation d’une coloration de Ziehl-Nielsen après un raclage rectal de même qu’une culture fécale peuvent également être effectuées [6].
La démarche diagnostique à appliquer lors d’œdème de l’auge d’origine extracardiaque consiste d’abord à exclure une origine cardiaque. À la suite d’un examen clinique détaillé et d’examens complémentaires pratiques à réaliser, le praticien peut préciser son diagnostic différentiel et ainsi aboutir à un diagnostic précis, donc à une conduite thérapeutique et à un pronostic appropriés.
(1) Nicol JM. Jeune mais avec de la bouteille. Galerie photo. 2009 (2 MAI). VétoFocus.
(2) Nicol JM. Langue de bois. Cas clinique. 2007 (9 novembre). VétoFocus.
(3) Nicol JM. Phlegmon de la langue. Cas clinique. 2007 (9 novembre). VétoFocus.
(4) Nicol JM. Œdème sous-glossien. Cas clinique. 2008 (29 juillet). VétoFocus.
(5) Nicol JM. Grosse tête, bonne joues. Galerie photo. 2009 (11 février). VétoFocus.
(6) Nicol JM. Une bouteille parmi d’autres. Galerie photo. 2009 (12 novembre). VétoFocus.
(7) Nicol JM. Obstruction glande sublinguale. Cas clinique. 2007 (9 novembre). VétoFocus.
(8) Nicol JM. Déformation. Galerie photo. 2008 (19 octobre). VétoFocus.
(9) Chakri A. Œdème sous-maxillaire. Galerie photo. 2008 (15 novembre). VétoFocus.
La formation de l’œdème s’effectue selon quatre grands mécanismes :
– l’augmentation de la pression hydrostatique vasculaire (obstruction vasculaire, maladie cardiaque) ;
– la baisse de la pression oncotique (baisse marquée de l’albuminémie) ;
– l’obstruction du réseau lymphatique ;
– l’augmentation de la perméabilité des vaisseaux (inflammation).
Elles sont de cinq grands types :
– défaut d’apport (malnutrition, rarement observée de nos jours) ;
– défaut de synthèse, plus rare en clinique (maladie hépatique grave) ;
– perte digestive (parasitose, paratuberculose, entérite chronique, amyloïdose) ;
– perte rénale (amyloïdose) ;
– péritonite généralisée.
→ Les causes cardiaques de l’œdème doivent être exclues par un examen cardiovasculaire.
→ Il convient de déterminer si l’œdème est ou non inflammatoire.
→ Les causes inflammatoires sont infectieuses ou infectieuses.
→ En cas d’œdème non inflammatoire, les causes d’hypoprotéinémie sont recherchées.
→ Des examens complémentaires adaptés permettent d’établir le diagnostic.
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