La fluidothérapie en pratique chez les bovins - Le Point Vétérinaire expert rural n° 321 du 01/12/2011
Le Point Vétérinaire expert rural n° 321 du 01/12/2011

MÉDECINE BOVINE

Veille scientifique

Auteur(s) : Paul Perié

Fonctions : d’après la présentation de Marion Soulestin et Emmanuel Legrand à la Journée normande vétérinaire du 11 octobre 2011
Clinique vétérinaire
6, quai Félix-Faure
27500 Pont-Audemer

Les troubles acido-cétosiques et hydro-électrolytiques sont fréquents. Un examen clinique rigoureux et la connaissance des mécanismes physiopathologiques sont indispensables pour mener à bien un plan de réhydratation.

Chez les bovins, les déséquilibres hydro-électrolytiques et acido-basiques sont observés dans de nombreuses affections. Les solutés de réhydratation font partie de l’arsenal thérapeutique classique, mais ils doivent être adaptés au cas par cas. Lors de la Journée normande vétérinaire organisée à Touques le 11 octobre dernier, Marion Soulestin et Emmanuel Legrand ont présenté les bases théoriques et les applications pratiques de la fluidothérapie chez les bovins.

QUAND RÉHYDRATER UN BOVIN ?

L’évaluation de la déshydratation est avant tout clinique dans l’espèce bovine, et fait appel à l’appréciation du degré d’énophtalmie, de la persistance du pli de peau et de la sécheresse des muqueuses. Les analyseurs étant la plupart du temps non disponibles sur le terrain, il convient que le praticien connaisse les déséquilibres électrolytiques et acido-basiques probables en fonction de la clinique et de l’affection supposée. Le pH sanguin physiologique des bovins est de 7,4. Un pH inférieur à 7,25 marque une acidose sévère et un pH supérieur à 7,6 témoigne d’une alcalose sévère. Chez le veau, l’acidose peut être évaluée cliniquement (tableau 1). Elle est en général proportionnelle au degré de déshydratation. Chez l’adulte, le statut acido-basique dépend de l’affection primaire (figures 1 et 2). Une hyponatrémie est rencontrée lors de diarrhée sécrétoire et d’insuffisance rénale. Les syndromes occlusifs et les déplacements de caillette s’accompagnent d’une hypochlorémie par création d’un troisième secteur séquestrant les chlorures. L’hypokaliémie est observée dans de nombreuses affections, telles qu’un déplacement de caillette, un iléus paralytique, une insuffisance rénale, une hémolyse, une babésiose, une mammite, une métrite ou une diarrhée chronique. Différents automates mesurant les gaz du sang, l’excès de base (BE), le trou anionique plasmatique (TA) et la SID (strong ion difference,ou différence de charge entre les anions et les cations) permettent de déterminer plus précisément le statut acido-basique et électrolytique de l’animal afin de mettre en place un plan de réhydratation adapté (encadré).

LA VOIE PARENTÉRALE

→ La réhydratation par voie veineuse est indispensable dès que le seuil de 8 % de déshydratation est atteint. Le praticien dispose de deux familles de solutés : les cristalloïdes et les colloïdes. Les solutés cristalloïdes sont des solutions aqueuses d’électrolytes ou de glucides simples qui permettent l’expansion volumique de l’ensemble du compartiment extracellulaire en dehors de tout pouvoir oncotique. Ils se caractérisent par leur osmolarité par rapport au plasma : les solutés isotoniques ont la même osmolarité que le plasma, alors que les solutés hypertoniques ont une osmolarité plus élevée et induisent un afflux massif d’eau depuis les compartiments cellulaire et ruminal. Un apport rapide de substances utiles est ainsi possible chez des animaux de grand format. Ces solutés sont administrés en priorité lors de choc hypovolémique ou septique. Les solutés cristalloïdes se distinguent également par leur SID. Les solutés dont la SID est nulle sont acidifiants tandis que ceux dont la SID est supérieure à 40 mEq/l sont légèrement alcalinisants. Différentes spécialités plus ou moins complexes sont disponibles sur le marché (tableau 2). Les colloïdes sont constitués de particules volumineuses qui restent confinées dans le secteur vasculaire. Leur pouvoir oncotique assure un transfert d’eau massif des espaces interstitiels vers le courant sanguin. En dehors du sang entier, qui est considéré comme un soluté colloïde, ils ne sont pas utilisés en médecine bovine.

→ Les veaux déshydratés et/ou endotoxémiques présentent en général une hyponatrémie, une hyperkaliémie, une hypoglycémie et une acidose métabolique (photo). La plupart du temps, la correction de la volémie permet à elle seule de rétablir partiellement le statut acido-basique altéré. Le Ringer lactate ou un soluté glucosé isotonique sont à privilégier. Selon l’état clinique du veau, un volume de 5,5 l (diarrhée modérée) à 11,5 l (diarrhée sévère, déshydratation marquée) est perfusé au cours des premières 24 heures (chez un individu de 50 kg), avec une vitesse maximale de 80 ml/kg/h. Lorsque la perfusion doit être prolongée, les besoins d’entretien sont aussi pris en compte : 50 ml/kg/24 h, soit 2,5 l/j pour un animal de 50 kg. Chez un veau fortement déshydraté ou un nouveau-né septicémique, l’administration de chlorure de sodium hypertonique (250 ml en 5 à 10 minutes en début de perfusion) semble efficace.

→ Les bovins adultes déshydratés et/ou endotoxémiques présentent le plus souvent une hyponatrémie, une hypokaliémie, une hypochlorémie et une alcalose métabolique. Théoriquement, la solution de Ringer devrait être choisie. Cependant, elle n’est pas adaptée à la réanimation en urgence d’animaux de grands gabarits. L’injection d’un soluté de NaCl hypertonique (7,2 % ou 10 %) à un débit de 1 ml/kg/min (soit une poche de 3 l sur 5 à 10 minutes) est une bonne solution alternative. Elle doit être suivie d’un abreuvement spontané dans les 10 minutes. La réhydratation est ensuite poursuivie, si besoin est, par l’administration de chlorure de sodium isotonique, en prenant en compte les besoins d’entretien (40 ml/kg + 1 l/kg de lait produit/24 h pour une vache de 650 kg produisant 20 l de lait). En raison du volume de solutés nécessaire, l’emploi de solutions commercialisées est rapidement très coûteux. La fabrication de solutés par le praticien est une solution alternative envisageable lorsqu’un bovin requiert une perfusion sur une longue durée (20 l d’eau déminéralisée + 120 g de NaCl + 20 g de KCl + 50 g de NaHCO3). Les bovins adultes en acidose (acidose aiguë du rumen, troubles de la déglutition tels que la listériose ou la paralysie du pharynx) reçoivent en priorité du bicarbonate de sodium isotonique (NaHCO3 1,4 %) ou hypertonique (8,4 %, 1 ml/kg/min au maximum) selon leur état clinique. Les solutés glucosés hypertoniques sont administrés lors d’acétonémie et/ou d’hypoglycémie.

ET LA VOIE ORALE ?

Chez les bovins, la réhydratation par voie orale peut être envisagée en première intention lorsque la déshydratation est modérée (inférieure à 8 %) ou prendre le relais de la voie parentérale. Ses seules contre-indications sont la présence d’une occlusion digestive et l’acidose lactique ruminale (risque d’accentuation de l’acidose). Chez l’adulte, le sondage œsophagien permet le passage direct du soluté de drenchage dans le rumen. Cette technique est particulièrement indiquée lors d’hypovolémie, de déshydratation modérée, d’hypokaliémie, d’hypochlorémie ou d’hyponatrémie. Le rumen constitue un grand réservoir d’eau et d’électrolytes rapidement disponibles. Sa pression osmotique, dans des conditions normales, est la même que celle du plasma : un apport d’eau en grande quantité diminue son osmoralité et favorise le transfert passif d’eau vers le secteur plasmatique. Ainsi, la muqueuse ruminale assure la diffusion de 140 l de fluide par heure. Un transport actif présent sur la muqueuse ruminale assure l’absorption du sodium. Les chlorures et le potassium diffusent passivement dans le rumen et l’intestin. De plus, par son action sur la diurèse, la réhydratation par voie orale participe à la correction des désordres électrolytiques. Chez le veau, un réflexe de succion conservé, une station debout sans assistance, une température rectale supérieure à 38 °C et une déshydratation modérée sont autant d’indications pour une réhydratation orale en première intention. L’objectif est alors de restaurer les équilibres hydrique et électrolytique, de lutter contre l’acidose et d’apporter du glucose. De la même manière que chez l’adulte, le sondage œsophagien permet l’apport rapide et en grande quantité d’eau, de potassium, de sodium, de glucides, d’acides aminés et de bases. En pratique, il est préférable d’utiliser des préparations dont la composition est la suivante :

– une concentration en glucose comprise entre 100 et 140 mmol/l ;

– une concentration en sodium comprise entre 50 et 70 mmol/l ;

– une concentration en acides aminés (alanine ou glycine) inférieure à 200 mmol/l ;

– une concentration en potassium comprise entre 10 et 20 mmol/l ;

– une concentration en agents alcalinisants (préférer l’acétate au citrate ou au bicarbonate) comprise entre 50 et 80 mmol/l.

La réhydratation par voie orale peut également être utilisée en seconde intention dès que l’état clinique de l’animal s’améliore. Elle est requise lorsque le bovin ne s’abreuve pas correctement après une perfusion de soluté hypertonique.

Conclusion

Les désordres acido-basiques et électrolytiques sont fréquemment rencontrés en médecine bovine. Une fluidothérapie est souvent nécessaire, mais elle est rendue difficile par le gabarit des animaux et les contraintes de temps et de coût du traitement. En l’absence d’appareillage, un examen clinique rigoureux et la connaissance des mécanismes physiopathologiques permettent d’adapter au cas par cas un plan de réhydratation. La voie orale constitue une solution alternative intéressante lorsque la déshydratation est modérée.

SOURCE

– Soulestin M, Legrand E. La fluidothérapie des bovins, bases théoriques et applications pratiques. Journée normande vétérinaire, Touques, Deauville, 11 octobre 2011. 2011 : 11-23.

ENCADRÉ Définitions

→ BE : c’est la quantité d’acide ou de base forte nécessaire pour ramener à un pH de 7,40 un sang oxygéné maintenu à une température de 37 °C en présence d’une pCO2 à 40 mmHg. Un BE positif est associé à une alcalose métabolique, un BE négatif, à une acidose métabolique.

→ TA : le calcul du trou anionique est fondé sur le principe de l’électroneutralité du plasma, selon lequel la somme des charges positives (cations) est égale à celle des charges négatives (anions). Il permet de distinguer les acidoses métaboliques organiques (TA élevé) des acidoses métaboliques hyperchlorémiques ou minérales (TA normal).

→ SID : c’est la différence de charge entre tous les cations forts (Na+, K+, Ca2+ et Mg2+) et les anions forts plasmatiques (Cl-, lactates, corps cétoniques). Si la SID augmente, le pH s’élève (alcalose) et si la SID diminue, le pH baisse (acidose).

Points forts

→ Une perfusion en volume suffisant, mais en teneurs imparfaites est toujours meilleure qu’une perfusion à teneurs optimales, mais de volume trop faible.

→ Les veaux déshydratés et/ou endotoxémiques présentent généralement une hyponatrémie, une hyperkaliémie et une acidose métabolique.

→ Les bovins adultes déshydratés et/ou endotoxémiques présentent le plus souvent une hyponatrémie, une hypokaliémie et une alcalose métabolique.

→ Chez les adultes, les maladies les plus fréquemment associées à une acidose sont l’acidose aiguë du rumen et les troubles graves de la déglutition.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à notre Newsletter

Découvrez en avant-première chaque mois le sommaire du Point Vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr