Voies, évaluation et traitement de la douleur arthrosique - Le Point Vétérinaire n° 318 du 01/09/2011
Le Point Vétérinaire n° 318 du 01/09/2011

ORTHOPÉDIE ET ANALGÉSIE

Dossier

Auteur(s) : Gwenola Touzot-Jourde

Fonctions : 1, place Marin
14740 Bretteville-L’Orgueilleuse

La douleur arthrosique est un exemple de souffrance chronique bien connu en médecine vétérinaire. Ses voies et ses caractéristiques doivent en être maîtrisées pour un traitement optimal.

L’arthrose est une maladie dégénérative progressive et irréversible des articulations synoviales due à une détérioration du cartilage articulaire et aux remaniements qu’elle engendre. Elle comporte des épisodes évolutifs intermittents, avec des poussées congestives aiguës caractérisées par une augmentation de l’état inflammatoire et de l’intensité douloureuse, suivis de périodes d’accalmie pendant lesquelles la douleur rétrocède, voire disparaît. Un excès de stimulation des voies nociceptives engendre une douleur prédominante dans le tableau clinique, qui s’accompagne parfois d’une raideur articulaire et d’une limitation de l’amplitude des mouvements pouvant conduire à un handicap moteur.

1 Mécanismes de la genèse de la douleur arthrosique

Initialement, le cartilage articulaire se détériore et devient incapable d’assumer ses fonctions d’absorption des chocs et de transmission des pressions [7]. Il s’amincit jusqu’à l’exposition de l’os sous-chondral, entraînant une inflammation, un remaniement osseux (sclérose de l’os sous-chondral et formation d’ostéophytes péri-articulaires) et un œdème de la moelle osseuse. Les débris cartilagineux et/ou osseux libérés dans le liquide synovial provoquent une irritation de la membrane synoviale qui, à son tour, libère des médiateurs de l’inflammation. Une synovite s’installe, avec une distension synoviale, un œdème et une inflammation des tissus mous péri-articulaires, voire, à long terme, une fibrose de ces derniers. Cette inflammation synoviale engendre de nouveaux dommages cartilagineux et le processus pathologique entre dans une phase d’autoentretien.

Au niveau des articulations, la nociception est détectée par deux types de récepteurs (III et IV, les types I et II étant des organes sensoriels non nociceptifs) [6]. Les récepteurs de type III fonctionnent comme des mécanorécepteurs dynamiques à seuil élevé. Ils sont sensibles à la pression et à l’étirement, et transmettent l’influx nociceptif par de fines fibres myéliniques A. Ils répondent à de forts stimuli mécaniques et, à moindre degré, à des stimuli thermiques. Ils sont présents essentiellement à la surface des ligaments. Les récepteurs de type IV (dits polymodaux) sont formés par les terminaisons nerveuses libres des fibres fines amyéliniques C et sont en majorité dans toutes les structures articulaires (capsule dont la membrane synoviale, ligament, ménisque, périoste, os sous-chondral), sauf dans le cartilage, qui n’est pas innervé. Ces récepteurs polymodaux répondent à des stimuli mécaniques, chimiques et thermiques dans des conditions pathologiques d’inflammation, mais sont normalement inactifs. La douleur ressentie lors de la stimulation de ces fibres C est de nature sourde et lancinante. La présence de ces deux types de récepteurs explique les composantes de la douleur arthrosique :

– une douleur mécanique articulaire liée aux mouvements et à la pression, d’origines capsulo-ligamentaire et osseuse. Les mouvements articulaires provoquent des tensions sur la capsule et les ligaments lésés, ce qui active les récepteurs de type III ;

– une douleur liée à l’hyperpression osseuse et périostée sur l’os sous-chondral et associée à un œdème de la moelle osseuse. Elle a tendance à être sourde et constante ;

– une douleur inflammatoire essentiellement d’origine synoviale lors des poussées aiguës.

À cette souffrance articulaire, et en raison de l’utilisation inadéquate de l’articulation (boiterie, changement d’aplomb, etc.), s’ajoutent des douleurs musculaires par sollicitation compensatoire et anormale de certains groupes de muscles.

La douleur d’une articulation arthrosique est d’abord intermittente, avec des poussées s’intercalant entre des périodes asymptomatiques. Puis, avec l’évolution du processus pathologique dégénératif irréversible et autoentretenu, apparaît une douleur constante d’intensité croissante avec le temps, comme un bruit de fond sur lequel se surajoutent des phases de douleur exacerbée. La maladie s’installe dans la chronicité et se caractérise par une sensibilisation périphérique et centrale des voies de la douleur, avec le développement de zones hyperalgiques (sensation douloureuse exacerbée pour un stimulus nociceptif donné) et/ou allodyniques (sensation douloureuse à la suite d’un stimulus normalement non nociceptif). Localement, au niveau de l’articulation, l’inflammation diminue le seuil d’activation des nocicepteurs, ce qui entraîne une augmentation de l’activité spontanée de ces récepteurs et de leur réponse aux stimuli, avec un recrutement de fibres nociceptives silencieuses. La récurrence de l’influx nociceptif ascendant et l’amplification de son intensité provoquent une sensibilisation centrale de la corne dorsale de la moelle épinière, connue comme le phénomène de « wind up » et se caractérisant par un accroissement de la réponse des neurones nociceptifs médullaires aux stimulations répétitives des fibres C en provenance de la périphérie. Le message par la moelle épinière vers les centres supraspinaux de la douleur est ainsi encore une fois amplifié (facilitation du message nociceptif ascendant). Une sensibilisation de centres supraspinaux, et plus particulièrement du thalamus, survient aussi et se manifeste par une diminution de l’activité des contrôles morphiniques endogènes inhibiteurs descendants et des contrôles inhibiteurs nociceptifs diffus. Cette sensibilisation aux messages nociceptifs à plusieurs étages des voies de la douleur aboutit à l’établissement d’un état hyperalgique.

2 Voies de la douleur arthrosique et molécules thérapeutiques

En raison du caractère irréversible de l’arthrose, la prise en charge de son symptôme principal, la douleur, présente plusieurs facettes [8]. Elle est à la fois symptomatique et causale, et comporte :

– des traitements locaux visant à diminuer l’inflammation, à limiter le processus dégénératif et/ou à modifier la mécanique articulaire (arthroscopie, chirurgie de type TPLO, pour tibial plateau levelling osteotomy, infiltration intra-articulaire, etc.) ;

– des traitements antidouleur médicamenteux (anti-inflammatoires non stéroïdiens [AINS], opioïdes, gabapentine, etc.) ou non (acupuncture, massage, laser, etc.) ;

– des modifications de l’hygiène de vie de l’animal, avec un contrôle de la surcharge pondérale, une physiothérapie et la mise au point d’un programme d’activité contrôlée.

La douleur entrant vite dans la chronicité, les monothérapies initialement efficaces, comme un traitement anti-inflammatoire avec du repos, sont vite vouées à l’échec. Selon leurs propriétés, les molécules analgésiques interviennent à un ou à plusieurs niveaux des voies de la douleur (figure) :

– les AINS agissent essentiellement à la périphérie, mais une action centrale au niveau du cerveau et de la moelle épinière est avancée pour certaines substances (administration systémique et locale) [5] ;

– les opioïdes sont utiles à la gestion de la crise douloureuse lorsque les AINS sont insuffisants. Les récepteurs opioïdes sont nombreux dans les centres modulateurs de la douleur de la moelle épinière et du tronc cérébral (administration par voie générale). Leur concentration est de plus augmentée dans la membrane synoviale lors d’inflammation (administration intra-articulaire) ;

– les propriétés analgésiques de la gabapentine et de l’amantadine lors de douleur chronique, de découverte fortuite, sont dues à leur effet sur la modulation du message nociceptif au niveau central [4] ;

– les antidépresseurs ne sont pas des analgésiques per se, mais agissent sur l’anxiété et la sensation de mal-être souvent présentes lors de douleur chronique et d’invalidité. Toutefois, certains ont une action indirecte sur la modulation du message au niveau central via celle de la recapture de neurotransmetteurs.

3 Évaluation et quantification de la douleur arthrosique

L’évaluation de la douleur arthrosique comprend plusieurs étapes :

– le recueil de l’anamnèse avec un historique détaillé du caractère intermittent ou continu de la douleur, de son intensité et de son impact sur le comportement et la qualité de vie de l’animal ;

– l’examen clinique, avec une palpation des muscles et des articulations suivie d’une mobilisation de ces dernières à la recherche de zones hypersensibles, puis un examen locomoteur. Un diagnostic radiographique est intéressant pour établir un bilan lésionnel. Cependant, la gravité des signes radiographiques est peu corrélée à celle des signes cliniques [3] ;

– un suivi de la douleur, avec des réévaluations régulières de son évolution et de la réponse au traitement, ainsi que des effets indésirables éventuels de celui-ci.

L’examen clinique apporte des informations intéressantes, mais il n’est pas toujours représentatif de l’état observé par le propriétaire car le comportement de l’animal est souvent modifié par le stress d’être à la clinique, hors de son environnement familier. Une douleur chronique a un impact global sur la vie de l’animal : sur son niveau d’activité, mais aussi sur son humeur, son comportement alimentaire, son sommeil. Ainsi, l’identification de changements comportementaux permet de mieux cerner les effets à long terme de la douleur sur la qualité de vie de l’animal. Plusieurs questionnaires à destination des maîtres ont été mis au point et validés pour l’évaluation de la douleur d’origine arthrosique (tableau et encadré) [1-3]. Simples à remplir, ils facilitent l’estimation de la maladie par le vétérinaire et rendent l’information plus objective grâce à l’établissement d’un score utile au suivi de l’intensité douloureuse et de la réponse aux traitements institués.

Conclusion

La douleur arthrosique a pour fait marquant son caractère évolutif, avec une présentation clinique intermittente et aiguë au début, qui se transforme rapidement en une maladie chronique en raison d’une maladaptation du système nerveux central. Le phénomène s’autoentretient et s’autoamplifie, ce qui demande une approche thérapeutique multimodale et une évaluation clinique globale (examen clinique et comportemental) afin de juger de l’impact de cette affection chronique sur la qualité de vie de l’animal et de l’efficacité de la thérapie mise en œuvre.

Références

  • 1. Brown DC et coll. Ability of the canine brief pain inventory to detect response to treatment in dogs with osteoarthritis. J. Am. Vet. Assoc. 2008; 233: 1278-1283.
  • 2. Hielm-Björkman AK et coll. Psychometric testing of the Helsinki chronic pain index by completion of a questionnaire in Finnish by owners of dogs with chronic signs of pain caused by osteoarthritis. Am. J. Vet. Res. 2009; 70: 727-734.
  • 3. Hielm-BjörkmanAK et coll. Evaluation of methods for assessment of pain associated with chronic osteoarthritis in dogs. J. Am. Vet. Assoc. 2003; 222: 1552-1558.
  • 4. Johnston SA et coll. Non surgical management of osteoarthritis in dogs. Vet. Clin. Small Anim. 2008; 38: 1448-1470.
  • 5. Livingston A. Mechanisms of action of non steroidal anti-inflammatory drugs. Vet. Clin. Small Anim. 2000; 30: 773-781.
  • 6. Perrot S. Physiopathologie de la douleur articulaire. Rev. Rhumatisme. 2009; 76: 494-499.
  • 7. Renberg WC. Pathophysiology and management of arthritis. Vet. Clin. Small Anim. 2005; 35: 1073-1091.
  • 8. Rychel JK. Diagnosis and treatment of osteoarthritis. Topics Companion Anim. Med. 2010; 25: 20-25.

ENCADRÉ
Questionnaire concis sur la douleur canine

→ Attribuer une note à la sévérité de la douleur de votre chien pendant les 7 derniers jours avec une échelle de 0 à 10, 0 représentant une absence de douleur et 10 une douleur extrême (cocher la case correspondante)

→ Donner une note pour décrire dans quelle mesure la douleur interfère avec la vie de votre chien avec une échelle de 0 (aucune interférence) à 10 (interfère complètement) (cocher la case correspondante)

→ Évaluer la qualité de vie de votre chien pendant les 7 derniers jours (cocher la case correspondante)

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