Sans concentré, les vaches se reproduisent aussi bien - Le Point Vétérinaire expert rural n° 316 du 01/06/2011
Le Point Vétérinaire expert rural n° 316 du 01/06/2011

ALIMENTATION ET REPRODUCTION EN ÉLEVAGE LAITIER

Veille scientifique

Auteur(s) : Béatrice Bouquet

Fonctions : 8, rue des Déportés
80220 Gamaches

Selon la race à laquelle elle appartient, la vache a une capacité plus ou moins grande à supporter des rations sans intrant.

Avec les évolutions du paysage économique agricole, l’élevage de bovins amorce quelques virages. Parmi les options étudiées, figurent les systèmes herbagers à bas intrants (peu d’achats à l’extérieur, en particulier de concentrés) et vêlages groupés (de fin d’hiver). Sans concentré, les vaches vont moins produire, mais surtout maigrir davantage, donc moins bien se reproduire, arguent les défenseurs de la productivité par animal. Pourtant, sans concentré, la reproduction n’est pas forcément pénalisée. Les données sur ce sujet ont été jusqu’à présent parcellaires (portant sur telle ou telle étape de la reproduction) et pas forcément transposables aux systèmes français.

OBJECTIFS : UN ESSAI COMPLET ET DEUX RACES

Un jeune chercheur, Erwan Cutullic, a présenté, aux dernières Rencontres autour des recherches sur les ruminants (3R) à Paris fin 2010, les résultats d’un essai complet au sujet de l’effet de la stratégie d’alimentation sur la cyclicité, les chaleurs et la fertilité des vaches laitières. L’originalité a donc été de viser toutes les étapes de la reproduction. L’expérimentation s’est poursuivie pendant 3 ans et s’est déroulée dans l’Orne (commune du Pin-au-Haras) en Basse-Normandie, au sein d’une exploitation expérimentale dépendant de l’Institut national pour la recherche agronomique (Inra). Elle a été pilotée par l’Unité mixte de recherche Inra – Agrocampus-Ouest sur la production du lait (Rennes).

Deux systèmes d’alimentation ont été comparés, avec au sein de chacun d’entre eux les deux races laitières holstein et normande.

DÉROULEMENT DE L’ÉTUDE

Chaque lot alimentaire inclut une centaine de vaches. Dans le lot “bas”, la ration des vaches a été constituée en hiver de 50 % d’ensilage d’herbe et de 50 % d’ensilage d’herbe mi-fané distribués à volonté. En été, l’herbe pâturée n’a été complétée par aucun apport de concentré. Dans le lot “haut”, la ration hivernale s’est composée de 55 % d’ensilage de maïs, de 15 % de luzerne déshydratée et de 30 % de concentré. Au pâturage, les vaches ont reçu encore 4 kg de concentré (figure 1).

Des profils de progestérone ont été établis pour chaque vache (3 dosages par semaine). La détection des chaleurs a été effectuée par les animaliers cinq fois par jour. Des diagnostics de gestation par échographie ont complété le suivi de la fertilité.

RÉSULTAT : DÉCOUPLAGE ENTRE PRODUCTION ET ÉTAT CORPOREL

Côté production, peu de surprises : un découplage entre production laitière et amaigrissement a été observé. Dans le lot à hauts apports de concentré (“haut”), la production est significativement plus élevée et l’amaigrissement est modéré. Dans le lot bas, la production laitière est bridée et l’amaigrissement intense et prolongé (– 2 250 kg de lait et + 0,32 point de perte d’état en plus, différences significatives avec p < 0,001 dans les deux cas). Les normandes ont à la fois produit moins de lait et perdu moins d’état que les holstein.

RÉSULTATS REPRODUCTION

Les résultats peuvent être synthétisés autour des trois axes étudiés : influence sur la cyclicité, sur les chaleurs et sur la fertilité.

1. Effet non spectaculaire de la ration sur la cyclicité

L’effet ration sur la cyclicité n’est jamais significatif, quelle que soit la race (p > 0,12). C’est la race qui a eu beaucoup d’influence sur la cyclicité : peu d’anomalies ont été observées en l’absence de concentré en race normande, c’est-à-dire une reprise de cyclicité plus rapide, moins de phases lutéales prolongées. Les auteurs mentionnent six reprises de cyclicité très tardives en race holstein (c’est-à-dire supérieures à 100 jours) alors que toutes les normandes ont repris leur cyclicité dès 73 jours après vêlage.

2. Effet considérable de la ration sur la détection des chaleurs

79 % d’ovulations ont été détectées par des comportements de chaleurs dans le lot sans concentré, contre 59 % avec (différence significative, avec p < 0,001). L’acceptation du chevauchement est observée plus souvent lors de chaleurs dans les lots sans concentré (+ 12 %, p = 0,022) (tableau, photo 1). Dans les régressions logistiques utilisées pour la prédiction des chaleurs (détection et signe), les auteurs précisent que le facteur alimentaire arrive en deuxième place, juste derrière le facteur de variation “présence d’une congénère en chaleur”.

3. Effet plus complexe de la ration sur la fertilité

En race holstein, l’absence de concentré accroît les cas de non-fécondation ou la mortalité embryonnaire précoce (+ 25 %, p = 0,004). En revanche, elle limite la mortalité embryonnaire tardive (– 21 %, p = 0,004). En définitive, les deux aspects s’équilibrent et le taux de réussite en première insémination est globalement le même que dans le lot “haut”.

En race normande, il n’existe pas de différence notable entre lots du point de vue de la fertilité (p > 0,20).

4. Influence du niveau alimentaire sur le taux de gestation

En fin de campagne de reproduction, qui dure ici 13 semaines pour conserver des vêlages groupés, avec ou sans concentré, les taux de vaches gestantes ne diffèrent pas (figure 2). En revanche, l’écart entre races est net avec davantage de vaches normandes gestantes (72 % contre 54 % pour les holstein, p = 0,007). Les normandes du lot avec peu de concentrés ont démontré une capacité à être gestantes plus tôt (54 % de gestantes en 6 semaines dans le lot “bas”, contre 31 % dans le lot “haut”, p = 0,021).

DISCUSSION : ADAPTABILITÉ ET EFFET RACE

Aucune autre étude n’a obtenu des écarts de production et d’état corporel aussi marqués, avec au final des taux de gestation équivalents, soulignent Erwan Cutullic et coll.

Globalement, les vaches ont donc démontré leur capacité à s’adapter à des systèmes très contrastés. Il existe des effets positifs et négatifs d’un niveau alimentaire restreint selon l’étape de la reproduction considérée (cyclicité/-chaleurs/fertilité), avec des performances similaires en comparaison à un niveau alimentaire élevé. Toutefois, la modulation des effets de l’alimentation par la race reste considérable (photo 2). Au-delà des simples performances de reproduction, c’est la question plus générale « quelles vaches pour quels systèmes de production ? » qu’explorent désormais les chercheurs sur le domaine Inra du Pin-au-Haras (Basse-Normandie).

La meilleure détection des chaleurs dans le lot sans concentré découlerait d’un niveau de production plus bas. Pour la fertilité, l’état corporel influerait sur les étapes précoces du développement embryonnaire, tandis que la production affecterait les étapes tardives.

Conclusion

Pour aller plus loin dans les hypothèses explicatives, d’après le premier auteur de ces travaux, il faudrait approfondir l’idée selon laquelle une vache qui produit davantage ingère en plus grande quantité, et de ce fait élimine aussi plus certaines hormones circulantes (dont la progestérone et l’œstradiol) dans le foie.

Des relations plus directes entre glande mammaire et ovaires ou utérus pourraient aussi être imaginées, explique Erwan Cutullic.

Points forts

→ La meilleure détection des chaleurs dans le lot sans concentré découlerait d’un niveau de production plus bas.

→ Pour la fertilité, l’état corporel influerait sur les étapes précoces du développement embryonnaire, tandis que la production affecterait les étapes tardives.

SOURCE

Cutullic E, Delaby L, Gallard Y et coll. L’effet de la stratégie d’alimentation sur la reproduction des vaches laitières varie selon la race et les différentes phases du cycle de reproduction. 17es Rencontres autour des recherches sur les ruminants. Paris. 8 et 9 décembre 2010 : 149-152. Texte intégral disponible en ligne http://www.journees3r.fr/IMG/pdf/2010_04_01_Cutullic.pdf

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