Couverture végétale des silos d’ensilage : grands principes et impact sanitaire - Le Point Vétérinaire expert rural n° 315 du 01/05/2011
Le Point Vétérinaire expert rural n° 315 du 01/05/2011

ALIMENTATION DES RUMINANTS

Questions-Réponses

Auteur(s) : Denis Chapuis

Fonctions : Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire
Rue du Gué-de-Niffette
71150 Fontaines
dchapuis@sl.chambagri.fr

Le « sans bâche sans pneu? » pour les silos d’ensilage a peut-être un avenir en élevage : moins pénible à mettre en place, il n’a pas (trop) d’impact sanitaire.

La couverture végétale des silos d’ensilage a de quoi surprendre : elle paraît “écolo” mais concerne peu les “bios”. Elle semble économique, mais fait surtout gagner du temps. Elle fait suspecter un risque sanitaire… qui ne ressort pas dans l’étude conduite par Denis Chapuis(1).

D’OÙ VIENT ET DE QUAND DATE L’IDÉE DU COUVERT VÉGÉTAL ?

Depuis une dizaine d’années, en Bourgogne où je travaille, quelques éleveurs couvrent leurs silos avec une culture de céréale, et non avec une bâche et des pneus (photo 1). La technique a été tentée pour la première fois à la suite d’un voyage au Québec de l’un des associés d’une exploitation.

En France, la couverture végétale n’était presque pas pratiquée jusqu’alors, sauf peut-être dans le Nord, où l’utilisation de sous-produits tels que les pommes de terre comme couvert existait déjà.

L’idée vient de pays à grands troupeaux, qui doivent constituer des silos énormes, impossibles à bâcher, comme en Amérique du Nord.

CETTE PRATIQUE EST-ELLE RÉPANDUE ?

En France, selon les échos que nous recevons, la couverture végétale des silos a diffusé un petit peu partout au gré des articles et des reportages réalisés dans la foulée de l’étude que nous avons réalisée. Nous recueillons des questions et organisons des visites pour y répondre [3]. L’idée s’est sans doute répandue davantage dans le nord de la France car elle ne s’éloignait pas beaucoup des pratiques existantes. Des collègues de Conseil élevage (organisme de contrôle laitier), que je côtoie dans le cadre du groupe “alimentation” national, ont aussi contribué à la faire connaître.

Cependant, sa diffusion stagne encore à l’échelle nationale.

Qu’EST-CE QUI PEUT SÉDUIRE LES ÉLEVEURS ?

La charge de travail est moindre au quotidien et le travail est moins pénible en fin de chantier de confection. Une céréale de couverture est simplement semée à la volée après tassage du silo, ce qui prend 3 heures, pour une seule personne requise (photo 2). À l’inverse, la mise en place d’une bâche sur un silo est un labeur minutieux, toujours manuel et pénible. Trois heures trente à quatre personnes sont nécessaires pour le réaliser [3].

Lors de la reprise du silo, le temps de débâchage au quotidien disparaît. Il est remplacé par un décroûtage de surface. Celui-ci peut s’effectuer au godet, sans descendre du tracteur. À la main, c’est un peu plus pénible, mais certains éleveurs préfèrent pratiquer ainsi pour plus de précision, donc davantage de propreté. La croûte n’est pas très dense. Elle s’enlève par plaques, grâce à l’imbrication des racines de la céréale (photos 3 et 4).

LE PROCÉDÉ EST-IL MOINS COÛTEUX ?

Nous avons évalué les coûts induits dans le premier volet d’une enquête réalisée en Bourgogne en 2009. Sans prendre en compte les considérations de temps de travail, la dépense de la couverture végétale est supérieure à celle du bâchage. Le surcoût lié à la couverture (semence) et à la perte de maïs a été évalué à 0,65 € par m3 (pour une épaisseur moyenne de croûte non consommable de 14 cm). Par comparaison, celui pour des silos bâchés n’est que de 0,29 € par m3 (perte en ensilage).

Toutefois, le gain de temps de travail ramène le surcoût du couvert végétal à seulement 70 € pour un silo de 1 000 m3 (pour 18 heures de travail en moins) [2, 3].

L’IMPACT ENVIRONNEMENTAL A-T-IL COMPTÉ ?

Dans notre région, les élevages qui pratiquent la couverture végétale sont de grande taille (dans notre étude : 105 vaches pour une référence de 740 000 l en moyenne [3]). La considération environnementale (plus de plastique ni de pneus) est citée parmi les motivations dans l’enquête réalisée en Bourgogne en 2009, mais pas en première ligne. La réduction de la pénibilité arrive en tête.

Quant à la filière lait, elle ne s’est pas particulièrement prononcée sur cette technique, sachant que les résultats sur la qualité du lait dans les élevages qui pratiquent la couverture végétale restent satisfaisants.

Cette méthode a suscité l’intérêt de techniciens et d’éleveurs en agriculture biologique, mais il ressort qu’elle convient surtout aux gros troupeaux, disposant de silos étendus, ce qui n’est généralement pas le cas dans ce type de production.

QUELS IMPACTS QUALITATIFS ONT-ILS ÉTÉ ÉTUDIÉS ?

Dans le cadre des actions conduites pour le pôle laitier régional de Bourgogne, j’ai évalué cette pratique pendant 2 années consécutives en partenariat avec la ferme expérimentale du lycée de Fontaines (Saône-et-Loire). De plus en plus souvent questionné sur cette technique par des éleveurs et des conseillers en élevage, je pouvais décrire la faisabilité, mais je manquais d’éléments chiffrés sur l’efficacité réelle, le gain de temps et l’impact économique.

La première année, l’étude a été conduite sur toutes les exploitations du département de Saône-et-Loire qui pratiquaient la couverture végétale. Les aspects “travail” et “économie” ont été mis en avant. Les premiers résultats obtenus, encourageants, ont été présentés aux Rencontres autour des recherches sur les ruminants à Paris, fin 2009 [3]. De nouvelles questions ont alors émergé, notamment en provenance de l’Institut de l’élevage et de l’Institut national pour la recherche agronomique (Inra), sur les impacts sanitaires pour l’homme et l’animal.

Pour les sept exploitations incluses dans cet essai, dix silos ont été étudiés en 2009 et seulement six en 2010, répartis dans quatre exploitations. Une nouveauté : deux silos d’herbe ont figuré dans le second volet de ce travail [3].

QUEL EST LE RISQUE SANITAIRE ?

Les résultats de notre étude sont bons [3].

Nous redoutions les possibilités de contamination extérieure par des bactéries pathogènes, à cause des oiseaux, sachant qu’en revanche les rongeurs sont moins présents en l’absence de bâche.

Nous envisagions aussi des risques de migration de contaminants de surface, en raison des infiltrations d’eau de pluie.

Nous craignions également une mauvaise anaérobiose en surface, favorable au développement de moisissures, donc à la production de mycotoxines. La zéaralénone (ZEN), les fumonisines B1 et B2, et le déoxynivalénol (DON) ont été recherchés comme des marqueurs de la présence des mycotoxines en général. L’ochratoxine A (OTA) a aussi été analysée, mais pas la patuline. Les taux de matière sèche (MS) des ensilages ont été particulièrement élevés en 2010 (38 %), ce qui peut constituer un biais.

D’autres informations potentiellement explicatives ont été collectées, sur les caractéristiques physiques de l’ensilage (pH, hauteurs, températures) et les modalités de confection (dates, conditions à la récolte, etc.).

La présence de DON, d’OTA et de ZEN a été détectée dans la moitié des silos. Sauf pour la ZEN (seulement sur deux silos), la partie haute n’est pas plus affectée. Les niveaux sont bien inférieurs à ceux qui ont été recensés par Niderkorn et coll. en 2007 (figure, tableau 1) [4].

Listeria monocytogenes et Salmonella sp. ont été recherchées, mais aucune présence n’a été relevée.

Les éleveurs ne ressentent pas d’impact sanitaire ?: les taux de mammites sont similaires, de même que les taux cellulaires et les comptages de bactéries (tableau 2). L’incidence des troubles de la reproduction reste également dans la moyenne départementale.

Nous avons réfléchi aussi au fait que les pneus sont une source importante de corps étrangers pour les vaches. Les supprimer de l’exploitation ne peut que limiter ce risque (photo 5). Toutefois, cela n’est pas ressorti objectivement de notre enquête.

QUEL EST L’IMPACT SUR LA PRODUCTION ?

Un impact qualitatif lié aux spores butyriques qui risquent de perturber les processus de fabrication en laiterie était redouté. Ces dernières sont sept fois plus élevées dans la croûte de surface, mais, globalement, cela n’a pas eu d’effet sur les taux de spores butyriques dans les laits de tank (les élevages inclus dans l’enquête possèdent une bonne technicité, avec une hygiène de traite correcte, principal facteur de maîtrise des bactéries) [3].

La couleur est délavée dans la croûte superficielle, mais aucune odeur ni aucune texture particulière n’a été relevée, et l’ingestion n’est pas affectée (pas de risque de tri).

La croûte supérieure a une moindre valeur quantitative alimentaire, mais cela n’impacte pas le silo globalement, ni la production de tout l’élevage (valeurs alimentaires, taux de MS, unités fourragères lait [UFL], protéines dégradables de l’intestin permises par l’azote [PDIN] ou par l’énergie [PDIE]).

Les données de la laiterie sont généralement similaires aux autres, y compris en quantité (taux butyreux [TB], taux protéique [TP]).

COMMENT LE COUVERT VÉGÉTAL EST-IL MIS EN PLACE ?

Parmi les céréales d’hiver utilisables, l’orge semble particulièrement bien adaptée comme couvert végétal car elle est moins appréciée des oiseaux, mais d’autres types vont être testés cet hiver.

Après un bon tassage du silo, la céréale est semée à la volée, à la main ou au semoir (de type Vicon) à raison de 1 à 2 kg par m2. L’arrosage n’est pas nécessaire la plupart du temps, même si certains éleveurs l’effectuent. Cette technique ne convient qu’à des silos couloirs assez haut, c’est-à-dire d’au moins 2,2 m. De plus, il convient de limiter les longueurs des pentes (la croûte est en moyenne deux fois plus haute dans les pentes car elle est moins tassée). Le silo ne doit pas non plus être trop bombé, sinon le tassage est plus faible et un ruissellement se concentre sur les côtés. La densité du semis n’est pas le critère de réussite majeur (0,5 kg au m2 peut suffire). Le tassement et le fait de mettre l’ensilage le plus humide sur le dessus (ce qui offre aussi un meilleur tassement) restent essentiels.

Le couvert végétal est plus facile à réussir sur un silo de maïs car la levée de la céréale est meilleure que sur l’herbe (avec de l’orge d’hiver). Le taux de perte et les résultats sont néanmoins similaires. En conséquence, c’est l’aspect visuel qui est beaucoup moins satisfaisant sur un silo d’herbe.

La couverture végétale est possible sous tous les climats qui permettent un développement de la céréale suffisant avant les fortes gelées.

COMMENT LE SILO S’UTILISE-T-IL AU QUOTIDIEN ?

Comme lors de bâchage, la croûte n’est enlevée qu’une fois par semaine sur la largeur du silo. L’échauffement estival paraît moindre que sous une bâche. Les pentes du silo doivent être orientées à l’inverse du sens de reprise. Le retrait de la surcouche demande une manipulation en plus et elle doit être stockée, mais la manutention des pneus et des bâches est beaucoup plus pénible. La croûte est simplement ajoutée au fumier de l’exploitation en vue d’un épandage ultérieur. Il convient de noter que la céréale du dessus meurt avant la période de développement des maladies de printemps.

QUELLES SONT LES PERSPECTIVES ?

Le couvert végétal reste un choix individuel offert à ceux qui privilégient la qualité du travail et la réduction de la pénibilité. Les perspectives sont axées davantage vers de grands troupeaux avec des silos étendus, pour lesquels l’astreinte est lourde et le taux de perte proportionnellement faible. Dans ce contexte, cette méthode peut s’adresser aux élevages allaitants.

Le cours élevé des céréales est un frein pour l’acceptation actuelle d’une perte de maïs, à laquelle s’ajoute une perte en céréales.

Conclusion

Ainsi ce procédé paraît ne pas convenir à tous, mais les élevages grandissent et n’ont pas fini de nous surprendre, adoptant par exemple le robot de traite ou, dans une moindre mesure, la ration sèche, en dépit d’une faible rentabilité perçue a priori(1).

(1) L’introduction est de l’éditeur.

(1) La conclusion est de l’éditeur.

En savoir plus

  • 1. Chapuis D, Dupuits G, Dlévaque A. Évaluation des risques sanitaires liés à la couverture végétale des silos d’ensilage Poster 3R 2010. Consultable en ligne sur http://www.journees3r.fr/IMG/pdf/2010_02_26_Chapuis.pdf
  • 2. Chapuis D, Leuthreau A. Intérêt de la couverture végétale des silos d’ensilage de maïs en remplacement de bâches plastiques et de pneumatiques usagés. Conférence 3R 2009 Paris Résumé Consultable en ligne sur http://www.journees3r.fr/IMG/pdf/2009_04_06_Chapuis.pdf
  • 3. Chapuis D, Dlévaque A, Dupuits G. La couverture végétale des silos d’ensilage, Une nouvelle technique en alternative à l’utilisation de bâches et de pneumatiques : Résultats de 2 années de mesures et d’observations. Plaquette éditée par le Pôle de compétence laitier Bourgogne. 2010 : 4p.
  • 4. Niderkorn V, Boudra H, Morgavi DP. Les fusariotoxines : comment limiter leur présence dans les ensilages et leur impact chez les ruminants ? Fourrages. 2007 ; 189 : 111-124. Article consultable en ligne http://www.afpf-asso.org/index/action/page/id/33/title/Les-articles/article/1653/search/mycotoxines

Points forts

Les perspectives s’orientent davantage vers de grands troupeaux avec des silos étendus, pour lesquels l’astreinte est lourde, donc pas vraiment vers le “bio”.

La croûte contient sept fois plus de spores butyriques, mais cela n’affecte pas le lait de tank.

Le décroûtage est plus facile que le débâchage.

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