Paramphistomose larvaire dans un troupeau de vaches montbéliardes - Le Point Vétérinaire expert rural n° 314 du 01/04/2011
Le Point Vétérinaire expert rural n° 314 du 01/04/2011

PARASITOLOGIE DES BOVINS

Cas clinique

Auteur(s) : Jacques Devos*, Lionel Zenner**

Fonctions :
*Commission parasitologie de la SNGTV, Le Crozet, 42360 Panissières
**Commission parasitologie de la SNGTV, université Lyon 1
VetAgro Sup, Campus vétérinaire de Lyon, Service de parasitologie, 1, avenue Bourgelat, 69280 Marcy-l’Étoile
CNRS UMR 5558, Laboratoire de biométrie et biologie évolutive, 43, boulevard du 11-Novembre-1918, 69622 Villeurbanne

Présente sur tout le territoire français, la paramphistomose larvaire doit être incluse dans le diagnostic différentiel des diarrhées aiguës, sans fièvre, de bovins au pâturage en zone humide.

Le 18 septembre 2008, un éleveur reçoit la visite du vétérinaire pour des génisses de 8 à 10 mois, au pré depuis 6 semaines, qui maigrissent fortement et présentent une diarrhée, avec un appétit conservé. Ces dernières ont été vaccinées en août contre la fièvre catarrhale ovine (FCO). Leur état général était alors bon et leur croissance, correcte. Les vaches présentent une baisse de lactation généralisée. Elles ne mangent pas la totalité de leur ration. L’éleveur a consulté quand elles ont commencé à perdre l’appétit.

CAS CLINIQUE

1. Commémoratifs et anamnèse

L’éleveur a repris, en 2004, une exploitation située dans la plaine du Forez (Loire) (photo 1). Les terrains sont situés en zone inondable. Dans chaque pré se trouve au moins une “boutasse”, une petite mare artificielle dans laquelle les animaux peuvent aller boire. Les bâtiments sont laissés à l’abandon depuis de nombreuses années et tombent en ruine (photos 2 et 3). Les génisses sont élevées, après sevrage, dans un ancien poulailler en tôle. Les vaches vont en pâture presque toute l’année, sauf la nuit en hiver. Tous les ans, différents troubles réapparaissent, qui s’aggravent au cours du temps : baisse de production en automne-hiver, cachexie et mortalité pour les génisses d’élevage, boiteries, quelques avortements. Pour ces raisons, l’éleveur n’arrive pas à réaliser son quota laitier. Sa trésorerie au plus bas ne permet pas les réparations indispensables des bâtiments, ni l’achat de compléments alimentaires, pour des vaches qui, de plus, n’ont pas faim.

Diverses analyses ont été réalisées chez les vaches avortées, mettant en évidence une faible circulation du virus de la diarrhée virale bovine (BVD) et un individu positif à la fièvre Q. Un plan BVD a été mis en place, sans révéler d’animaux infectés permanents immunotolérants (IPI). Les coproscopies indiquent la présence de paramphistomes. L’éleveur traite l’ensemble du troupeau une fois par an à l’oxyclozanide suivant les recommandations d’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour la fasciolose : 3,4 g (100 ml) par bovin adulte en stop-dose (dose normalement utilisée chez tous les animaux de plus de 350 kg).

2. Examen clinique

L’examen clinique des génisses au pré révèle une diarrhée aqueuse, une température de 38,2°C, une cachexie et des difficultés au relevé. Une des génisses ne fait l’objet d’aucun traitement car son état est trop dégradé et le pronostic vital est désespéré. Il est convenu avec l’éleveur de l’envoyer à VetAgro Sup le lendemain matin. Elle meurt pendant le transport et est autopsiée. Une autre reçoit un traitement à base de sulfaméthoxypyridazine et de triméthoprime en solution injectable, d’acide tolfénamique injectable et de sulfamides associés au salicylate basique d’alumine per os. Elle meurt le lendemain.

Les vaches présentent une baisse de lactation généralisée. Elles ne mangent pas la totalité de leur ration. Les rumens paraissent correctement remplis. L’état général est correct : pas de vaches maigres, ni de vaches grasses. Les bouses sont légèrement trop liquides, phénomène attribué à la météo par l’éleveur (pluies abondantes cette année-là).

Les génisses plus jeunes, restées dans le “poulailler”, maigrissent également alors que leur rumen est plein (photo 4). Certaines présentent une diarrhée. Elles sont toutes traitées à l’éprinomectine.

3. Examen nécropsique

Le compte rendu d’autopsie signale un animal hydrocachectique (plus de graisse et présence de liquide péricardique), quelques paramphistomes immatures dans le rumen et une caillette œdématiée : il s’agit d’une paramphistomose larvaire massive dans l’intestin grêle avec une forte congestion de toute la longueur intestinale et des trichures dans le cæcum (photos 5 et 6).

4. Examens complémentaires

Un examen coproscopique est réalisé sur les matières fécales de 2 génisses et de 3 vaches. L’analyse issue de la première génisse, âgée de 6 mois, élevée dans le poulailler et traitée à l’éprinomectine 12 heures avant, révèle la présence de trichures (50 œufs par gramme [OPG]). Celle de la seconde, âgée de 2 ans, élevée sur le même pré que les 2 génisses mortes et présentant un retard de croissance important, montre des œufs de paramphistomes (1 500 OPG) en nombre important. Les résultats pour les 3 vaches adultes sont similaires : œufs de paramphistomes (200 à 1 000 OPG) et de grande douve (100 OPG).

5. Traitement et évolution

Tous les bovins sont traités à l’oxyclozanide à la dose de 10,2 mg/kg (30  ml/100 kg), sans stop-dose, deux fois à 3 jours d’intervalle. Les animaux qui présentent une diarrhée exacerbée après le traitement sont traités avec de l’acide tolfénamique et du salicylate d’alumine. Quelques jours plus tard, l’éleveur commence à distribuer de l’ensilage de maïs. Les vaches remontent ensuite en lactation, contrairement aux années précédentes.

À l’automne 2009, les vaches maintiennent leur production. Le quota est réalisé pour la première fois, avec un nombre de vaches inférieur aux autres années. Des coproscopies sont réalisées en octobre. Elles sont positives pour Paramphistomum (moyenne de 6 000 OPG). Toutefois, en l’absence d’incidence sur la productivité, il est décidé avec l’éleveur d’attendre le mois de décembre pour traiter.

Le poulailler est définitivement abandonné et les génisses sont élevées dans un autre bâtiment distant de quelques kilomètres. Elles pâturent sur des prés de côte avec des points d’eau aménagés. Les croissances sont normales.

DISCUSSION

1. Le parasite

La paramphistomose bovine est une maladie parasitaire due à l’infestation par un trématode du genre Paramphistomum (photo 7, figure 1). Elle fait partie du trio majeur des trématodoses (fasciolose, dicrocœliose et paramphistomose) qu’il convient de gérer et de hiérarchiser dans les troupeaux atteints.

Les révisions taxonomiques de l’ordre des Amphistomida rendent actuellement le terme de paramphistomose incorrect. En effet, les parasites principalement retrouvés dans nos contrées ne font plus tous partie du genre Paramphistomum, en particulier depuis que Paramphistomum daubney a été renommé Callicophoron daubney [5-7]. Le mot de paramphistomatidoses serait plus approprié pour désigner les espèces de la famille des Paramphistomatidés chez les ruminants. Le mieux serait peut-être, comme l’ont proposé Kilani et coll., de parler d’amphistomes et d’amphistomoses [6]. Ces termes, simples et peu différents de celui de paramphistomose, font référence à l’ordre et reflètent mieux la diversité des parasites rencontrés chez le bétail à travers le monde.

2. La paramphistomose, maladie émergente

Les études épidémiologiques en France, issues d’enquêtes d’abattoirs ou de suivis de résultats d’examens coproscopiques, montrent bien une extension du parasite, actuellement considéré comme présent sur la quasi-totalité du territoire hexagonal [1, 2, 7].

Qualifiée de maladie émergente, la paramphistomose est souvent décrite comme peu ou non pathogène, avec parfois des signes de perte d’état général, d’atonie du rumen, de météorisation et de ramollissement des matières fécales. Cette forme chronique, due aux adultes dans le rumen et souvent identifiée par des coproscopies de contrôle, ne doit pas masquer l’existence et l’importance d’une forme aiguë de plus en plus fréquente et beaucoup plus grave, retrouvée chez de jeunes bovins en première saison de pâture. Ce cas clinique en est une bonne illustration.

En effet sont retrouvés :

– les aspects épidémiologiques et cliniques : génisses en première saison de pâture, diarrhée aiguë d’apparition brutale à l’automne avec des conséquences importantes pour les animaux ;

– les aspects diagnostiques : plus particulièrement des coproscopies négatives pour la paramphistomose chez les jeunes animaux les plus cliniquement atteints ;

– les aspects lésionnels : lésions congestives et présence de paramphistomes immatures dans l’intestin grêle, et absence ou peu de parasites adultes dans le rumen, expliquant la coproscopie négative.

3. Aspects épidémiologiques

En s’appuyant sur le cycle biologique de ce parasite, très proche de celui de la grande douve, ce tableau épidémiologique et clinique peut être compris, ainsi que toutes les conséquences sur le diagnostic et la conduite à tenir en cas de paramphistomose larvaire [1, 4, 6]. Ce cycle se maintient à des températures plus faibles que celles nécessaires à la grande douve. Les hivers doux et les étés pluvieux de 2007 et de 2008 ont donc permis la continuité du cycle pendant plus de 24 mois.

En effet, les relevés météorologiques de 1998 à 2008 de la station la plus proche de l’élevage (distante de 5 km, à la même altitude, à Feurs dans la Loire) montrent que les températures sont relativement clémentes et les gelées en hiver assez modérées (figures 2, 3 et 4). La pluviométrie suit une courbe classique, avec des précipitations faibles en hiver, plus abondantes au printemps et de juillet à novembre. La comparaison des cumuls annuels met en évidence que, après les sécheresses de 2003 et de 2005, les précipitations ont augmenté progressivement pour atteindre un niveau record en 2008.

4. Diagnostic

Un autre élément important à prendre en considération dans le diagnostic de la forme chronique de cette maladie est une bonne corrélation entre la quantité d’œufs présents dans les matières fécales et la charge parasitaire de l’hôte [9]. Mais, actuellement, aucun moyen diagnostique de laboratoire n’existe pour confirmer une suspicion clinique de paramphistomose larvaire.

La période prépatente, c’est-à-dire le délai entre l’infestation et l’élimination des premiers œufs, étant de 3 mois, les coproscopies sont toujours négatives chez les jeunes animaux en première saison de pâture.

Enfin, devant le nombre de cas de plus en plus nombreux de paramphistomose larvaire aiguë, il convient d’inclure systématiquement cette maladie dans le diagnostic différentiel des entérites aiguës des ruminants, plus particulièrement lors de diarrhée aiguë, sans fièvre, survenant chez des bovins au pâturage en zone humide.

5. Traitement

Le praticien se trouve confronté à une autre difficulté en cas de paramphistomose larvaire : aucun médicament n’est destiné à lutter contre cette maladie. Seul l’oxyclozanide a fait l’objet d’un essai sur des chèvres, chez lesquelles Paraud et coll. montrent une certaine efficacité, partielle, de cette molécule contre les formes larvaires [8].

Contre la forme chronique, les doses de 10,2 mg/kg (compatible avec un délai lait nul) ou de 15,3 mg/kg administrées deux fois à 3 jours d’intervalle ou de 18,7 mg/kg une seule fois sont utilisées sur le terrain [3]. Ces traitements se fondent sur des suivis coproscopiques [2]. Il existe peu de données disponibles sur des bilans parasitaires réalisés à la suite de ces traitements pour vérifier la réalité de l’élimination des paramphistomes.

Les nouvelles générations de fasciolicides n’agissant pas sur le parasite, l’absence de traitement pourrait expliquer l’émergence de la paramphistomose.

Conclusion

Le cas clinique présenté montre bien que le parasitisme clinique existe, même pour un parasite dont certains doutent encore de l’effet pathogène. Il a suffi de quelques semaines pour amener des génisses à un état de cachexie irréversible. La production laitière est très largement réduite à ce degré d’infestation. Toutefois, un traitement adapté permet de ramener facilement celle-ci à un niveau où les effets sont subcliniques et ne requièrent plus une intervention d’urgence.

Le traitement régulier du troupeau s’impose pour diminuer la pression d’infestation au pâturage et prévenir les situations catastrophiques telles que celle décrite dans cet article.

Références

  • 1. Alzieu JP, Dorchies P. Réémergence de la paramphistomose bovine en France : synthèse des connaissances actuelles épidémiologiques, physiopathologiques et diagnostiques. Bull. Acad. Vét. France. 2007 ; 160 : 93-99.
  • 2. Courouble F. La paramphistomose chez les bovins. Bull. GTV. 2007 ; hors-série : 85-86.
  • 3. Desfontis JC. L’oxyclozanide, un rempart contre les paramphistomes. Point Vét. 2006 ; 268 : 82.
  • 4. Dorchies P, Lacroux C, Levasseur G et coll. La paramphistomose bovine. Bull. GTV. 2002 ; 13 : 13-16.
  • 5. Jones A. Family Paramphistomidæ (Fischoeder, 1901). In : Keys to the trematoda. Vol . 2. Jones A, Bray RA, Gibson DI, eds. CABI Publishing and The Natural History Museum. 2005 : 229-246.
  • 6. Kilani M, Guillot J, Chermette R. Amphistomoses digestives. In : Principales maladies infectieuses et parasitaires du bétail – Europe et régions chaudes. T. 2. Maladies bactériennes, mycoses et maladies parasitaires. Lefèvre PC, Blancou J, Chermette R, ed. Tec & Doc, Paris. 2003 : 1400-1410.
  • 7. Paraud C. Paramphistomose caprine : quelle est la prévalence ? Point Vét. 2009 ; 294 : 11.
  • 8. Paraud C, Gaudin C, Pors I et coll. Efficacy of oxyclozanide against the rumen fluke Calicophoron daubneyi in experimentally infected goats. Vet. J. 2009 ; 180(2): 265-267. Epub 2008 Mar 7. PubMed PMID : 18314360.
  • 9. Rieu E, Recca A, Bénet JJ et coll. Reliability of coprological diagnosis of Paramphistomum sp. Infection in cows. Vet. Parasitol . 2007 ; 146(3-4): 249-253.

Points forts

→ La paramphistomose larvaire est à l’origine de troubles chroniques, mais aussi aigus et graves en cas d’infestation massive.

→ Les termes d’amphistomes et d’amphistomose sont plus appropriés.

→ Présente sur la quasi-totalité du territoire français, cette maladie doit être systématiquement incluse dans le diagnostic différentiel des diarrhées aiguës, sans fièvre, de bovins au pâturage en zone humide.

→ Le diagnostic de la forme adulte repose sur la coproscopie.

→ Il n’existe pas de test diagnostic de la paramphistomose larvaire.

→ Un traitement régulier du troupeau à l’oxyclozanide diminue la pression d’infestation au pâturage.

SOURCE

Cet article a fait l’objet d’une présentation orale lors de la Journée “Cas cliniques en pratique rurale” 2009, organisée conjointement par VetAgro Sup et le GTV Rhône-Alpes.

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