La faune sauvage : réservoir de tuberculose bovine en France ? - Le Point Vétérinaire n° 313 du 01/03/2011
Le Point Vétérinaire n° 313 du 01/03/2011

MALADIES INFECTIEUSES

Recherche

Auteur(s) : Jean Hars*, Céline Richomme**, María Laura Boschiroli***

Fonctions :
*Office national de la chasse
et de la faune sauvage,
Unité sanitaire de la faune,
ZI de Mayencin, 5, allée de Bethléem,
38610 Gières
**Anses, Laboratoire d’études
et de recherches sur la rage
et la pathologie des animaux
sauvages, site de Nancy,
Domaine de Pixérécourt, BP 9,
54220 Malzéville
***Anses,
Laboratoire d’études et
de recherches en pathologie
animale et zoonoses,
23, avenue du Général-de-Gaulle, 94706 Maisons-Alfort

Un vétérinaire amené à autopsier un animal sauvage sensible à la tuberculose doit examiner attentivement les ganglions et envoyer au laboratoire toute lésion suspecte.

Généralement transmise par des bovins infectés, la tuberculose bovine à Mycobacterium bovis peut, dans certaines conditions démographiques et environnementales, se développer dans les populations sauvages, qui peuvent alors constituer un réservoir primaire de l’infection pour les bovins et/ou l’homme (cas du blaireau au Royaume-Uni, du phalanger-renard en Nouvelle-Zélande ou du sanglier dans plusieurs régions d’Espagne) [2, 4, 8]. Dans d’autres situations, les mammifères sauvages peuvent être des réservoirs secondaires, qui disparaissent naturellement si le réservoir primaire est éradiqué (le sanglier en Australie et le furet en Nouvelle-Zélande). Autre éventualité, la maladie peut former des culs-de-sac épidémiologiques incapables de l’entretenir ou de la transmettre (certains rongeurs et carnivores sauvages) [1, 3, 9]. Dans tous les cas, l’installation d’un réservoir sauvage persistant met en péril les programmes de lutte chez les bovins.

Dépistage et diagnostic

En France, la tuberculose des animaux sauvages est détectée soit sur des animaux morts ou mourants grâce au réseau Sagir(1), soit lors de la découverte fortuite par des chasseurs de lésions évocatrices de la maladie lors de l’éviscération des animaux, ou encore lors d’enquêtes épidémiologiques ciblées mises en œuvre dans des régions où la tuberculose sévit dans les cheptels bovins. Dans ce dernier cas, un échantillon d’animaux tués à la chasse fait l’objet de prélèvements systématiques des nœuds lymphatiques céphaliques, pulmonaires et mésentériques, et d’organes suspects pour analyse. De nombreux sangliers et blaireaux infectés par M. bovis ne présentent pas de lésions macroscopiques évidentes à l’autopsie. Aussi, dans une zone d’infection bovine, un vétérinaire amené à autopsier un animal sauvage doit examiner attentivement les différents nœuds lymphatiques et transmettre toute lésion suspecte au laboratoire.

La culture bactérienne, qui permet l’isolement de la mycobactérie et son identification jusqu’à l’espèce, demeure l’outil diagnostique de référence. La méthode alternative pour la détection directe est la PCR (polymerase chain reaction), très spécifique mais moins sensible que la bactériologie [6]. D’autres techniques moléculaires, telles que le spoligotypage ou le typage par VNTR (variable number tandem repeats), sont également utilisées pour caractériser finement les souches de M. bovis, et étudier les liens épidémiologiques entre les différents cas et foyers [7, 10].

Situation française

En France, la tuberculose a été découverte pour la première fois dans la faune sauvage en 2001, sur des cerfs tués à la chasse en forêt de Brotonne (Seine-Maritime). La saison de chasse suivante, l’enquête épidémiologique a révélé des prévalences d’infection très élevées (14 % chez les cerfs, 28 % chez les sangliers) avec des lésions le plus souvent limitées aux nœuds lymphatiques mésentériques chez les cerfs et céphaliques chez les sangliers (photos 1 et 2). La même souche bactérienne (SB 0134) a été isolée chez les ongulés sauvages et les bovins infectés proches de cette forêt (une dizaine entre 1986 et 2006). Malgré la mise en œuvre d’un programme de lutte (réduction des densités d’ongulés sauvages, destruction des viscères des animaux chassés, interdiction de l’agrainage à poste fixe), le phénomène s’est accentué (prévalence de 24 % chez les cerfs et plus de 30 % chez le sanglier entre 2005 et 2006, avec aggravation du tableau lésionnel). Un abattage total de la population de cerfs, considérée comme le réservoir primaire, a alors été décidé ainsi qu’une réduction drastique de la population de sangliers, a priori réservoir secondaire [5, 11]. En 2010, alors que probablement seule une vingtaine de cerfs restent dans la forêt, l’infection semble disparaître chez les sangliers, tandis qu’aucun foyer bovin n’est observé depuis 2006(2).

En Côte-d’Or, à la suite de l’apparition en 2002 d’une épizootie de tuberculose bovine dans le canton de Pouilly-en-Auxois (souche SB 0134), puis, à partir de 2003, dans la région de Venarey-Vitteaux (souche SB 0120), des enquêtes successives ont été menées dans la faune sauvage. Elles ont débouché sur la découverte de 1 cerf et de 2 sangliers infectés entre 2003 et 2007, puis de 7 sangliers (n = 99) entre 2007 et 2008 et de 23 (n = 150) entre 2008 et 2009, avec plusieurs jeunes animaux porteurs de lésions évolutives et une prévalence apparente d’infection plus élevée dans l’Auxois, région aux populations de sangliers beaucoup plus denses. De plus, 19 cas ont été détectés en 2009 (n = 284) et le même nombre en 2010 (n = 300) chez des blaireaux vivant près d’exploitations bovines infectées. Bien que 80 % d’entre eux présentent très peu des lésions macroscopiques, l’excrétion de M. bovis par ces animaux ne peut être exclue. Aucun blaireau contaminé n’a été trouvé hors de la zone d’infection bovine, indiquant que la tuberculose dans cette espèce est corrélée aux foyers bovins. Par précaution, une forte réduction des densités de blaireaux et de sangliers est entreprise dans les zones infectées du département afin de diminuer les risques de recontamination des bovins.

En Dordogne, une recrudescence de la tuberculose est observée dans les cheptels bovins depuis 2004. M. bovis n’a jamais été isolé sur les 500 cerfs, chevreuils et sangliers analysés dans les zones à risque jusqu’en janvier 2010, où un cerf tuberculeux a été découvert. De plus, depuis le printemps 2010, 24 blaireaux (n = 250) se sont révélés positifs (PCR et/ou bactériologie) à proximité de cheptels bovins touchés par la même souche bactérienne (BCG-like). En Charente, département voisin, 4 blaireaux (n = 10) contaminés ont été trouvés en 2010 autour d’un foyer bovin. Parmi ces blaireaux en Dordogne et en Charente, plusieurs présentent un tableau nécropsique différent de celui qui est observé en Côte-d’Or, avec des lésions évolutives, parfois étendues à plusieurs organes et sites ganglionnaires (photo 3).

Enfin, des cas sont observés chez des sangliers en Corse depuis 2003 (9 cas) et dans les Pyrénées-Atlantiques depuis 2005 (8 cas sur 327 sangliers examinés). Les souches bactériennes affectant les sangliers sont toujours identiques à celles qui sont isolées chez les bovins de la région considérée.

Évolution et mesures

Alors que la France est parvenue à une quasi-éradication de la tuberculose bovine au début des années 2000, l’infection dans les cheptels bovins de plusieurs départements est en recrudescence et des cas ou foyers sont détectés dans la faune sauvage avec des situations épidémiologiques très différentes. La forêt de Brotonne est le seul site où, à ce jour, un véritable réservoir sauvage de M. bovis a été révélé en France. Le plan de lutte, fondé sur l’hypothèse que le cerf représente le réservoir primaire et le sanglier seulement un réservoir secondaire dans un contexte de densités maîtrisées, semble montrer son efficacité.

En Côte-d’Or et en Dordogne, la situation est plus préoccupante. S’il est admis que l’origine de l’épizootie bovine est interne à la filière, la question est de savoir si un réservoir sauvage se constitue actuellement et si un risque réel de transmission “retour” aux bovins existe. La découverte de blaireaux tuberculeux, connus dans les îles Britanniques pour leur capacité d’entretien de l’infection, complique la situation [2]. De plus, les paysages de ces départements d’élevage allaitant, mosaïques de prairies et de forêts, augmentent certainement les risques de transmissions interspécifiques. Dans les autres départements où des cas plus sporadiques chez les sangliers sont notés, cette espèce, très réceptive aux mycobactéries, semble jouer le rôle de sentinelle épidémiologique des infections bovines.

Dans tous les cas, si la réduction des densités d’animaux sauvages sensibles peut contribuer à la prévention de l’installation de foyers sauvages et de la recontamination des bovins, d’autres facteurs (environnement, gestion cynégétique, conduite des troupeaux, etc.) sont à prendre en compte et la mise en œuvre de mesures de biosécurité dans les cheptels est essentielle. L’épidémiosurveillance de la faune sauvage ressort également comme primordiale grâce à l’implication des chasseurs et de la profession vétérinaire, en particulier dans les départements où l’infection persiste ou réapparaît chez les bovins.

(1) Réseau généraliste national de surveillance des maladies de la faune sauvage fondé sur l’analyse des causes de mortalité des mammifères et oiseaux sauvages (ONCFS – FNC – FDC).

(2) Les données de 2010 fournies sont celles qui étaient disponibles au moment de la rédaction de l’article ; ces résultats seront à confirmer lors de la saison de chasse 2010-2011.

Références

  • 1. Corner LAL. The role of wild animal populations in the epidemiology of tuberculosis in domestic animals : how to assess the risk. Vet. Microbiol. 2006; 112: 303-312.
  • 2. Delahay RJ, Cheeseman CL, Clifton-Hadley RS. Wildlife disease reservoirs : the epidemiology of Mycobacterium bovis infection in the European badger (Meles meles) and other British mammals. Tubercule and Lung Disease. 2001; 81: 1-7.
  • 3. Delahay RJ, De Leeuw ANS, Barlow AM et coll. The status of Mycobacterium bovis infection in UK wild mammals : a review. Vet. J. 2002; 164: 90-105.
  • 4. De Lisle GW, Mackintosh CG, Bengis RG. Mycobacterium bovis in free-living and captive wildlife, including farmed deer. Rev. Sci. Tech. Off. Int. Epiz. 2001; 20(1): 86-111.
  • 5. Hars J, Boschiroli ML, Duvauchelle A et coll. La tuberculose à Mycobacterium bovis chez le cerf et le sanglier en France : émergence et risque pour l’élevage bovin. Bull. Acad. Vét. France. 2006; 159: 393-401.
  • 6. Hénault S, Karoui C, Boschiroli ML. A PCR-based method for tuberculosis detection in wildlife. Development in biologicals (Basel). 2006; 126: 123-132.
  • 7. Kamerbeek J, Schouls L, Kolk A et coll. Simultaneous detection and strain differentiation of Mycobacterium tuberculosis for diagnosis and epidemiology. J. Clin. Microbiol. 1997; 35: 907-914.
  • 8. Naranjo V, Gortazar C, Vicente J et coll. Evidence of the role of the european wild boar as a reservoir of the Mycobacterium tuberculosis complex. Vet. Microbiol. 2008; 127: 1-9.
  • 9. Ryan TJ, Livingstone PG, Ramsey DSL et coll. Advances in understanding disease epidemiology and implications for control and eradications of tuberculosis in livestock: The experience from New Zealand. Vet. Microbiol. 2006; 112: 211-219.
  • 10. Skuce RA, McDowell SW, Mallon TR et coll. Discrimination of isolates of Mycobacterium bovis in Northern Ireland on the basis of variable numbers of tandem repeats (VNTRs). Vet. Rec. 2005; 157: 501-504.
  • 11. Zanella G, Durand B, Hars J et coll. Tuberculosis in wildlife in France. J. Wild. Dis. 2008; 44(1): 99-108.
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