Quinze cas d’hydropisie des enveloppes fœtales chez la vache - Le Point Vétérinaire expert rural n° 311 du 01/12/2010
Le Point Vétérinaire expert rural n° 311 du 01/12/2010

PATHOLOGIE DE LA REPRODUCTION BOVINE

Cas clinique

Auteur(s) : Gaby Hirsbrunner*, Lionel Balet**

Fonctions :
*Clinique des ruminants
Faculté Vetsuisse de Berne, Bremgartenstrasse 109a, 3012 Bern
Suisse
gaby.hirsbrunner@knp.unibe.ch
**Clinique des ruminants
Faculté Vetsuisse de Berne, Bremgartenstrasse 109a, 3012 Bern
Suisse
gaby.hirsbrunner@knp.unibe.ch

Malgré une clinique caractéristique, le diagnostic d’hydropisie des enveloppes fœtales n’est pas toujours clairement établi. Ce cas permet de rappeler comment suspecter et diagnostiquer cette affection.

Entre mai 1991 et avril 2004, 15 vaches atteintes d’hydropisie des enveloppes fœtales ont été admises à la clinique des ruminants de la faculté de Berne. Un diagnostic de suspicion d’hydropisie des enveloppes fœtales avait déjà été établi par le vétérinaire référent dans 8 cas. Sur ces 15 animaux, 6 sont arrivés avec une anamnèse de colique (suspicion d’un trouble gastrique) et 1 pour une complication non identifiée du part.

CAS CLINIQUE

1. Signalement et anamnèse

Les animaux admis appartiennent aux races suivantes : simmental croisé red holstein (7), simmental (1), hérens (4), brune (2) et limousine (1). Les vaches sont âgées de 2,5 à 12 ans au moment du diagnostic (médiane = 4 ans) et pèsent entre 530 et 908 kg (médiane = 688 kg). La durée de gestation est comprise entre 5,5 et 10 mois (médiane = 8 mois). Les 15 animaux présentent une anamnèse d’inappétence et une augmentation du volume de l’abdomen (photos 1 et 2). Parmi eux, 4 individus souffrent de coliques et de ténesme, un cinquième ne se lève plus.

2. Examens cliniques et complémentaires

Les vaches subissent, le jour de leur admission, un examen clinique général incluant une palpation vaginale et rectale. Des fréquences cardiaque et respiratoire élevées sont détectées chez 8 animaux sur 15. La température corporelle de 2 vaches est élevée (de 39,5 à 40,1°C). Un péristaltisme gastrique et intestinal réduit est noté chez tous les animaux. Le diagnostic d’hydropisie des enveloppes fœtales est confirmé dans tous les cas grâce à un examen rectal (sensation de toucher un mur avec la main, fœtus non palpable, utérus distendu). Dès 1994, l’examen général est complété par un examen échographique (260 Corvus by Pie Médical) via une sonde rectale de 6 MHz et une sonde abdominale de 3,5 MHz. Cette méthode permet de visualiser des parties du fœtus et l’énorme accumulation des eaux fœtales.

3. Traitement médical

Cinq propriétaires se décident pour un abattage ou une euthanasie sans traitement. Chez 7 vaches, la mise bas a été déclenchée le jour de l’entrée en clinique au moyen de prostaglandine F (à la dose de 0,5 mg de cloprosténol par voie intramusculaire) et de dexaméthasone (à la dose de 0,06 mg/kg par voie intramusculaire), alors que les 3 autres animaux présentent déjà les contractions du part. Les vaches admises en cours de vêlage sont traitées avec des perfusions de NaCl isotonique (à la dose de 40 à 60 l/j, le plus rapidement possible). Après un vêlage réussi, du “jus de rumen” frais leur est administré à l’aide d’une sonde gastrique. Ces vaches ont reçu également des antibiotiques par voie systémique (à la dose de 30 000 UI/kg/j de pénicilline) pendant une semaine et par voie locale dans l’utérus (à la dose de 3 g d’oxytétracycline) tous les 3 jours. Toutes les vaches ont présenté une rétention placentaire, et des injections intramusculaires de prostaglandine F2a leur ont été administrées à plusieurs reprises (à la dose de 0,5 mg de cloprosténol tous les 2 jours par voie intramusculaire) afin de stimuler les contractions utérines.

4. Résultats

Dans 10 cas, une gestation gémellaire a été constatée. Seuls 4 veaux ont survécu sur les 25 (1 veau appartenait à une portée gémellaire). Parmi les 10 vaches traitées, seulement 5 ont quitté la clinique en bon état général, 4 ont été euthanasiées et 1 est morte. Parmi les 5 animaux abattus sans traitement, la viande de 2 d’entre eux a été déclarée impropre à la consommation (aspect “mouillé”).

DISCUSSION

1. Formes d’hydropisie

L’expression “hydropisie des enveloppes fœtales” désigne une accumulation pathologique des eaux fœtales. L’hydramniosdécrit la forme plutôt rare (5 %) d’accumulation de liquide amniotique, tandis que l’hydrallantoïde correspond à la forme plus courante (de 85 à 90 %) d’accumulation de liquide allantoïdien [4, 5]. Bien que beaucoup plus rare, une association des deux peut être observée chez un même individu.

Un utérus hydropique (hydrope uteri) a été décrit pour toutes les espèces domestiques, mais les bovins sont les plus souvent touchés [6]. L’incidence chez la vache est égale à 1 gestation sur 7 ? 500, avec une tendance à la baisse : depuis 2004, aucun cas d’hydropisie des enveloppes fœtales n’a été présenté à la clinique. Cette diminution est confirmée par de jeunes confrères sur le terrain, qui ne connaissent souvent plus cette maladie qu’au travers des publications. Cela explique aussi pourquoi seuls 8 des 15 cas présentés ont été référés avec un diagnostic de suspicion correct.

2. Étiologie

Les causes exactes de l’hydropisie des enveloppes fœtales demeurent inconnues. Pour l’hydramnios, une malformation fœtale concernant le système nerveux central ou les reins est supposée. Pour l’hydrallantoïde, une placentation anormale, avec moins de caroncules normales et de multiples petites “caroncules de remplacement”, est plutôt suspectée [3, 9]. Mais l’étiologie de la maladie n’a toujours pas été clairement élucidée. Collyer a décrit un troupeau de 120 holstein frisonnes au sein duquel 7 vaches sont atteintes d’hydropisie des enveloppes fœtales. Il a émis l’hypothèse d’une infection par le virus de la diarrhée virale bovine (BVD) qui produirait ce type d’effet secondaire [2]. Toutefois, l’apparition sporadique de cas d’hydropisie des enveloppes fœtales en Suède alors que la BVD est éradiquée dans ce pays depuis 1993 contredit cette hypothèse [R. Båge, communication personnelle]. L’hydropisie des membranes constitue une complication particulièrement fréquente des gestations obtenues par clonage, associée au syndrome du gros veau [1].

3. Diagnostic

Malgré une clinique typique, cette maladie a été un peu oubliée en raison de sa raréfaction. Sur le plan clinique, les vaches atteintes présentent une augmentation du volume de l’abdomen, qui prend une forme de tonneau (jusqu’à 230 l), conduisant à une perturbation de la respiration (respiration rapide et superficielle) et à des troubles circulatoires. Une diminution de l’appétit et un amaigrissement en résultent. Des hernies ou des déchirures du muscle droit de l’abdomen (rectus abdominis) dues au surpoids de la gestation ne sont pas rares [6, 8]. Des œdèmes des parties déclives sont aussi observés. L’évolution semble plus rapide chez les vaches atteintes d’hydrallantoïde, comparées à celles qui présentent un hydramnios [9].

Le diagnostic d’hydropisie des enveloppes fœtales peut être établi sans difficulté de manière visuelle et grâce au résultat typique du toucher rectal, particulièrement lors d’hydrallantoïde : le rectum apparaît rétréci au toucher et l’utérus est dilaté comme un ballon, donnant l’impression que la main se cogne à un mur. En principe, palper le fœtus ou des placentomes est impossible.

4. Évolution

Le pronostic est défavorable pour la vache et pour le veau. Les veaux sont souvent déjà morts, malformés ou faibles. En fonction de la gravité des symptômes chez la mère, la mise bas doit être déclenchée dans un délai plus ou moins court. Veiller à laisser les eaux fœtales s’écouler lentement est important : en cas de collapsus rapide de l’utérus et de l’abdomen, il existe un danger de choc hypovolémique et de mort. Une trocardisation de la paroi abdominale, par exemple, ou une ponction, par voie vaginale, des enveloppes fœtales sont recommandées [4, 7]. Lors d’hydropisie des enveloppes fœtales, l’utérus ne se contracte plus pendant la mise bas et le col s’ouvre souvent insuffisamment. La césarienne n’est pas indiquée en raison du risque de choc à l’ouverture de l’utérus et de l’état de la paroi utérine (extraction/suture). Pour ces animaux, l’intérêt économique est fortement compromis, en raison d’une production laitière insuffisante et d’une fertilité future aléatoire. De surcroît, la viande de ces animaux n’est souvent pas consommable (maigre, humide) [6].

Une banque de données sur le transfert d’animaux n’a été introduite en Suisse qu’en 2000, et, de ce fait, seuls 2 des animaux survivants ont pu être suivis. Une vache a été abattue l’année suivante sans insémination réussie tandis que l’autre a été gestante quatre fois, avec deux avortements et un veau mort-né. Cette vache a mis bas normalement un seul veau.

Conclusion

La maladie n’est pas fréquente, mais présente une évolution très défavorable chez les animaux atteints. Seuls 4 des 24 veaux de notre groupe de vaches et un tiers des mères ont survécu. Le traitement est lourd, concernant tant le coût financier que le facteur temps. Il est conseillé aux propriétaires de faire abattre leur bête (en essayant éventuellement de sauver le veau si la durée de la gestation approche les 9 mois, après induction médicamenteuse de la mise bas comme pour une césarienne programmée) ou de les euthanasier, sauf s’il s’agit d’animaux de grande valeur. En cas de diagnostic précoce, afin d’obtenir un veau vivant, il est préférable d’intervenir tout de suite plutôt que d’attendre.

Références

  • 1. Chavatte-Palmer P. Clonage chez les bovins : état des lieux. Point Vét. 2005 ; 256 : 12-13.
  • 2. Collyer JH. Hydrallantois in cows. Vet. Rec. 1990 ; 127 : 47.
  • 3. Constant F, Guillomot M, Heyman Y et coll. Large offspring or large placenta syndrome ? Morphometric analysis of late gestation bovine placentomes from somatic nuclear transfer pregnancies complicated by hydrallantois. Biol. Reprod. 2006 ; 75 : 122-130.
  • 4. De Kruif A. Pathologie der Gravidität in Tiergeburtshilfe. Richter J, Götze R, eds. Paul Parey, Berlin & Hamburg ; 4. Auflage. 1993 : 142-144.
  • 5. Drost M. Complications during gestation in the cow. Theriogenology. 2007 ; 68 : 487-491.
  • 6. Jackson PGG. Geburtshilfe in der Tiermedizin. Elsevier Urban & Fischer, München & Jena ; 1. Auflage. 2007 : 21-23.
  • 7. Noakes DE, Parkinson TJ, England GCW. Arthur’s Veterinary Reproduction and Obstetrics. 8th ed. Saunders. 2001 : 139-141.
  • 8. Penzhorn BL, Gilbert R O. Hydrallantois in a bovine leading to rupture of the prepubic tendon and abdominal musculature. J. South Afr. Vet. Assoc. 1985 ; 56 : 115.
  • 9. Rebhun WC. Diseases of dairy cattle. Lippincott, Williams & Wilkins, Philadelphia. 1995 : 323-324.

Points forts

→ Une clinique caractéristique, mais une affection mal connue et qui se rarefie.

→ L’étiologie n’est pas totalement élucidée (malformation fœtale, placentation anormale, clonage).

→ Le traitement est lourd, l’évolution défavorable et les sequelles concernant la chute de production laitière et la baisse de fertilite sont importantes. L’euthanasie est conseillée.

→ Dans le cas présenté, 10 gestations sur 15 étaient gémellaires, 5 vaches et 4 veaux (sur 25) ont survécu.

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