Risque mycotoxique : principes pour son abord pratique - Le Point Vétérinaire expert rural n° 310 du 01/11/2010
Le Point Vétérinaire expert rural n° 310 du 01/11/2010

ALIMENTATION DES RUMINANTS

Article de synthèse

Auteur(s) : Philippe Guerre*, Jean-Denis Bailly**

Fonctions :
*ENV de Toulouse
Unité de mycotoxicologie
23, chemin des Capellesi
31076 Toulouse Cedex 3
p.guerre@envt.fr
**ENV de Toulouse
Unité de mycotoxicologie
23, chemin des Capellesi
31076 Toulouse Cedex 3
p.guerre@envt.fr

La connaissance de certains éléments est nécessaire pour appréhender correctement le risque mycotoxique chez l’animal en France.

Les mycotoxines sont des contaminants naturels de l’alimentation dont les effets délétères chez l’homme et l’animal sont connus depuis des siècles. Présents sur les cinq continents, ces composés sont de plus en plus réglementés. Des recommandations sur les teneurs maximales de certains d’entre eux en alimentation animale sont également disponibles en Europe.

MYCOTOXINES : DES AGENTS TOXIQUES ISSUS DU MÉTABOLISME FONGIQUE

→ Les origines des mycotoxines dans les aliments et les conditions générales de développement des moisissures et de leur toxinogenèse, précédemment exposées, restent valables dans leurs principes [6].

La connaissance des facteurs qui déterminent ou favorisent la présence de mycotoxines dans les aliments est un préalable nécessaire à la mise en œuvre de moyens de contrôle, au champ, lors du stockage des grains, de la fabrication d’aliments et de leur distribution [4, 5].

Aucune mycotoxine ne peut être présente sans contamination fongique préalable. Cette évidence est à l’origine de plusieurs éléments de contrôle.

→ Les agents fongiques sont des organismes vivants. Ils se développent dans des conditions qui leur sont spécifiques et qui varient selon les genres. Il est contre-productif de rechercher des mycotoxines dans des matières premières ou des aliments qui ne sont pas susceptibles de les héberger. Les notions de substrat ou de conditions climatiques favorables ou non à leur développement sont ainsi à prendre en compte. De même, les mycotoxines produites au champ doivent être différenciées de celles issues du stockage.

→ En prévention, l’essentiel, pour le risque mycotoxique dans les aliments, est de maîtriser le développement fongique. Au champ, cela revient à gérer les antécédents culturaux et le travail du sol, voire l’utilisation de pesticides ou de certaines variétés végétales (différents travaux d’Arvalis-Institut du végétal traitent du sujet)(1). Au cours du stockage, cela consiste principalement à contrôler le taux d’humidité (et surtout l’activité en eau) et la teneur en oxygène (photos 1 et 2).

→ Les contaminations fongique et mycotoxique sont hétérogènes, et l’échelle de raisonnement doit systématiquement être précisée : s’agit-il du grain, de l’épi, de la parcelle, d’une région, d’un pays ou d’un continent ? Cet aspect conduit à souligner l’importance de l’échantillonnage pour aborder la qualité d’une matière première d’un lot d’approvisionnement ou de production pour les aliments. Il explique aussi la difficulté à relier un accident (ou un défaut de production) en élevage à un résultat d’analyse au temps t : l’aliment en cause peut être épuisé le jour de la suspicion (donc du prélèvement) pour cause de réapprovisionnement, ou de contamination seulement ponctuelle d’un silo, d’une bale de foin ou de paille, ou d’un ensilage.

→ Les mycotoxines sont des produits « naturels » qu’il est donc « naturel » de retrouver dans des aliments. Comme le plus souvent en toxicologie, c’est leur dose qui va déterminer le danger. Il est essentiel d’interpréter un résultat d’analyse dans son contexte avant de tirer une conclusion.

→ Le métabolisme fongique est complexe. Plusieurs mycotoxines et leurs métabolites peuvent être retrouvés simultanément dans une même matière première, et plusieurs espèces fongiques peuvent se développer concomitamment ou successivement sur une même matière première. Cette polycontamination, fréquente, complique l’interprétation des résultats d’analyses(2).

→ Les mycotoxines pour lesquelles des analyses « en routine » sont disponibles sont en nombre limité. Beaucoup sont sans doute encore inconnues. L’analyse fongique des aliments s’impose dans tous les cas où un agent étiologique spécifique n’est pas fortement suspecté.

MYCOTOXINES/MYCOTOXICOSES : DEUX PROBLÉMATIQUES QUI SE SUPERPOSENT

Les mycotoxines sont des contaminants qu’il est “naturel” de retrouver dans certaines matières premières, même si quelques-unes d’entre elles restent indemnes.

La présence de mycotoxines dans un aliment n’est pas synonyme d’insalubrité. En alimentation humaine, des teneurs maximales réglementaires ont été établies pour un certain nombre de composés (règlements nos 1881/2006/CE et 1126/2007/CE). En alimentation animale, des teneurs maximales réglementaires ou recommandées ont été publiées en Europe (tableaux 1 et 2).

Les effets toxiques des mycotoxines sont à l’origine des mycotoxicoses. Chaque composé, ou famille de composés, dispose d’une toxicité propre et spécifique. La manifestation peut varier selon la durée de l’exposition (toxicité aiguë ou chronique), l’espèce animale, le type de production. Dans un rapport complet paru en 2009, l’Anses(3) propose une « Évaluation des risques liés à la présence de mycotoxines dans les chaînes alimentaires humaine et animale » pour les mycotoxines réglementées ou en cours de réglementationet d’autres composés qui ne le sont pas encore (encadrés 1 et 2) [1].

Les effets toxiques des mycotoxines et les méthodologies de détermination de ces teneurs y sont largement détaillés. Chez l’animal, les teneurs maximales tolérables sont envisagées par espèce ou groupe d’espèces, afin de prendre en compte les différences de susceptibilité.

Ces recommandations ne couvrent pas toujours la totalité des espèces animales et/ou des modes de production. Par exemple, des défauts de production sont observés chez les palmipèdes lors de distribution, au cours du gavage, d’un aliment contaminé à hauteur de 20 mg/kg de fumonisines (B1 et B2). Or cette teneur correspond à la valeur maximale recommandée dans l’aliment des espèces aviaires au sens large [7, 8].

Les recommandations sont souvent établies sur la base de publications faisant état d’une altération de la santé animale, mais de larges facteurs de sécurité ne peuvent pas toujours être appliqués en raison du niveau de contamination des matières premières. Elles sont liées à la précision des données déjà publiées sur les doses toxiques et les effets mesurés. Mettre en évidence un cas de leuco-encéphalomalacie équine lors de distribution d’aliments contaminés par des fumonisines ne pose pas les mêmes difficultés méthodologiques, scientifiques, voire éthiques que relever une diminution de productivité chez la dinde destinée à la consommation humaine, par exemple [3].

Autre limite, les recommandations sont établies mycotoxine par mycotoxine. Ainsi, les dangers d’une multicontamination des aliments ne sont pas réellement envisagés, alors qu’il s’agit d’une observation fréquente. L’expertise “bute” encore ici sur des difficultés spécifiques d’évaluation : quelles sont les associations à étudier, à quelles doses et quels en sont les effets ?

Ces difficultés participent probablement à l’intérêt des additifs technologiques, en cours d’évaluation. Ces produits sont destinés à réduire la contamination des aliments pour animaux par les mycotoxines(2).

ADAPTER LES OBJECTIFS SANITAIRES AUX TYPES DE CONTAMINATION

La présence “naturelle” des mycotoxines dans les matières premières conduit aussi à proposer différentes approches selon la nature de la contamination et les objectifs poursuivis. Cela revient à proposer des stratégies que les acteurs des différentes filières peuvent envisager selon les risques considérés, qu’il s’agisse du praticien qui sollicite une analyse d’ensilage de maïs pour un client ou d’un vétérinaire salarié de coopérative laitière qui doit gérer une contamination.

1. Mycotoxines réglementées en alimentation humaine et animale

Pour rappel, il n’existe pas de “recommandations” en alimentation humaine, mais une réglementation.

La situation est simple : le respect de cette réglementation est requis.

La vérification passe par le contrôle mycotoxine par mycotoxine des différents types d’aliments, qu’il s’agisse de matières premières, d’aliments transformés, voire d’aliments animaux et d’origine animale. Des stratégies d’échantillonnages et des méthodes d’analyses adéquates sont disponibles ou en cours de validation (consulter, par exemple, le règlement n° 401/2006/CE).

2. Mycotoxines avec teneurs maximales recommandées dans l’espèce ou la production envisagée

Le respect des teneurs maximales recommandées en alimentation animale dans l’espèce ou la production envisagée au niveau des matières premières et de l’aliment semble tout aussi nécessaire que précédemment. Dans le cas contraire, le fournisseur d’aliments serait en situation délicate vis-à-vis des animaux destinataires et de leur éleveur. Là encore, la vérification des recommandations passe par un contrôle dont les méthodologies de mise en œuvre sont assez bien codifiées.

3. Mycotoxines sans teneur maximale recommandée par l’Union européenne dans l’espèce ou la production envisagée

Pour les mycotoxines pour lesquelles, dans l’espèce ou la production envisagée, des teneurs maximales recommandées par l’Union européenne (UE) ne sont pas disponibles (en alimentation animale), il semble cohérent d’appliquer la recommandation en alimentation animale la plus contraignante (principe de précaution largement admis).

Ce point concerne particulièrement certaines productions animales (par exemple les poissons) pour lesquelles des végétaux sont couramment employés et les espèces animales de compagnie. La durée de vie des carnivores domestiques, par exemple (relativement longue par rapport aux espèces de production), pourrait peut-être justifier de respecter la réglementation établie chez l’homme. Aller au-delà ne semble pas réaliste dans l’état actuel des connaissances.

4. Mycotoxines sans teneurs maximales recommandées par l’UE

Concernant les mycotoxines pour lesquelles aucune teneur maximale recommandée n’est proposée par l’UE, seule une étude bibliographique détaillée permet de prendre position. Pour nombre de ces composés, des résultats d’analyses spécifiques ne sont pas disponibles, par manque de standards ou de méthodes. Certains laboratoires de recherche proposent, s’ils sont sollicités, les analyses de mycotoxines qui ne sont pas effectuées en routine(4). Le nombre de ces examens “hors recommandations” reste limité (tableau 3). La mise en évidence de teneurs élevées dans un aliment, en association avec des signes cliniques compatibles, permet de confirmer une intoxication clinique caractéristique [2]. Lorsque aucune toxine n’est mise en évidence, une analyse de la flore fongique peut permettre de conclure à la présence d’une espèce réputée être à l’origine de troubles. Là encore, la présence conjointe de signes cliniques compatibles est nécessaire. Ainsi, dans certains cas de figure, la recherche d’ergostérol, composant de la paroi des moisissures, et/ou une analyse de la flore fongique totale avec détermination des espèces en cause précisent, par comparaison à des teneurs de référence et/ou à des aliments produits dans des conditions semblables, l’ampleur d’une altération fongique des aliments. Celle-ci n’implique pas forcément une altération de la santé. Elle témoigne en revanche de la distribution d’un aliment ne présentant pas toutes les conditions de qualité attendues.

RECOMMANDATIONS LORS DE SIGNES CLINIQUES

Tout animal et toute production d’origine animale issue d’animaux présentant des signes de mycotoxicose doivent être exclus de la consommation humaine en raison du risque de transfert de ces composés dans les productions. En dehors des aflatoxines, aucune réglementation spécifique n’est disponible.

Conclusion

La problématique “mycotoxine” est complexe et en perpétuelle évolution. Des sujets émergent au fur et à mesure de l’amélioration des connaissances en la matière(2). À côté des évolutions scientifiques, techniques et réglementaires, les modifications des pratiques agricoles, des conduites d’élevage et du climat ont un impact majeur sur la contamination des aliments, qu’ils soient produits de façon industrielle ou à la ferme. Le vétérinaire praticien peut recourir à l’expertise des laboratoires d’analyses et de recherche s’il s’écarte du simple cas de la contamination des aliments par les mycotoxines pour lesquelles il existe une réglementation ou des recommandations de l’Union européenne.

(1) Une partie des travaux d’Arvalis-Institut du végétal sur le sujet sont consultables en ligne sous la forme d’interview : http://www.arvalis-tv.fr. D’autres essais sont en cours de publication.

(2) Voir l’article “Risque mycotoxique chez l’animal en France : points d’actualité” des mêmes auteurs, dans ce numéro.

(3) Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. Elle s’appelait encore l’Afssa lors du rapport.

(4) Voir l’article “Analyses de laboratoire (mycotoxines)” d’Éric Marengue, dans ce numéro.

Évaluation des risques liés à la présence de mycotoxines dans les chaînes alimentaires humaine et animale. [1]

Références

  • 1. Afssa. Évaluation des risques liés à la présence de mycotoxines dans les chaînes alimentaires humaine et animale. Rapport final 2009. Disponible en ligne : http://www.afssa.fr/cgi-bin/countdocs.cgi Documents/RCCP-Ra-Mycotoxines2009.pdf
  • 2. Bailly S, Bailly JD. Mycotoxines et mycotoxicoses : les analyses de laboratoire. Bulletin des GTV. 2010 ; 53 : 63-70.
  • 3. Bailly S, Querin A, Guerre P et coll. La stachybotryotoxicose, un emycotoxicose d’actualité en France. 36es journées de la recherche équine. Institut français du cheval et de l’équitation. 2010 : 221-223.
  • 4. Engelhardt G, Zill G, Wohner B et coll. Transformation of the Fusarium mycotoxin zearalenone in maize cell suspension cultures. Naturwissenschaften. 1988 ; 75 : 309-310.
  • 5. Gareis M, Bauer J, Thiem J et coll. Cleavage of zearalenone-glycoside, a “masked” mycotoxin, during digestion in swine. Zentralbl Veterinarmed B. 1990 ; 37 : 236-240.
  • 6. Guerre P. Principales mycotoxicoses observées chez les ruminants. Point Vét. 1999 ; 29 : 1231-1238.
  • 7. Tardieu D, Bailly JD, Benard G et coll. Toxicity of maize containing known levels of fumonisin B1 during force-feeding of ducks. Poult Sci. 2004 ; 83 : 1287-1293.
  • 8. Tardieu D, Bailly JD, Benlashehr I et coll. Tissue persistence of fumonisin B1 in ducks and after exposure to a diet containing the maximum European tolerance for fumonisins in avian feeds. Chem. Biol. Interact. 2009 ; 182 : 239-244.

Évaluation des risques, rapport Anses 2009(1)

ENCADRÉ 1 Mycotoxines réglementées ou en cours de réglementation

→ Aflatoxines (B1, B2, G1, G2)

→ Ochratoxine A

→ Patuline

→ Fumonisines (B1, B2, B3)

→ Trichothécènes (DON, T2)

→ Zéaralénone

→ Alcaloïdes d’ergot (dit ergot du seigle)

ENCADRÉ 2 Composés non encore réglementés

→ Citrinine

→ Toxines d’Alternaria (alternariol, alternariol-méthyl-éther…)

→ Acide cyclopiazonique

→ Stérigmatocystine

→ Sporidesmines

→ Stachybotryotoxines

→ Toxines d’endophytes (ergovaline, lolitrème B)

→ Phomopsines

→ Toxines trémorgènes

Points forts

→ Il est contre-productif de rechercher des mycotoxines dans des matières premières ou des aliments qui ne sont pas susceptibles de les héberger.

→ Dans certains cas, la recherche d’ergostérol et/ou une analyse de la flore fongique totale, avec détermination des espèces en cause, permettent de préciser l’ampleur d’une altération des aliments.

→ Toute production issue d’animaux présentant des signes de mycotoxicose doit être exclue de la consommation humaine.

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