Les mycotoxines dans les denrées animales - Le Point Vétérinaire expert rural n° 310 du 01/11/2010
Le Point Vétérinaire expert rural n° 310 du 01/11/2010

DENRÉES ANIMALES ET D’ORIGINE ANIMALE

Article de synthèse

Auteur(s) : Charlotte Grastilleur

Fonctions : Bureau de la législation alimentaire
Ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche
Direction générale de l’alimentation/sous-direction de la Qualité de l’alimentation
251, rue de Vaugirard, 75732 Paris Cedex 15
charlotte.grastilleur@agriculture.gouv.fr

Les mycotoxines, dont l’ochratoxine A, renvoient aussi à des enjeux de sécurité sanitaire des aliments. Elles sont visées à ce titre par la réglementation.

L’objet du présent article est de synthétiser pour les denrées animales la démarche prospective de l’administration centrale (Direction générale de l’alimentation, ou DGAL) en termes d’études et de fixation de la réglementation, à travers le cas de l’ochratoxine A (OTA). Il convient toutefois de rappeler en préambule que pour ce qui est de la sécurité sanitaire des aliments, les mycotoxines induisent avant tout des enjeux liés aux denrées végétales.

UNE RÉGLEMENTATION SURTOUT ”VÉGÉTALE“

L’exposition alimentaire de l’homme aux mycotoxines est essentiellement due aux denrées végétales, directement exposées à la contamination. Des concentrations en mycotoxines parfois importantes ont été mesurées dans ces aliments. De plus, les végétaux constituent une part importante de notre régime (céréales, etc.).

L’exposition à ces mycotoxines est parfois loin d’être négligeable au regard des valeurs toxicologiques de référence. Le risque de dépassement de ces valeurs de sécurité pour l’exposition chronique existe. Par exemple, les forts consommateurs français sont exposés à l’ochratoxine A à hauteur de 20 % de la dose journalière tolérée pour les adultes. Ce chiffre s’élève à 45 % pour les enfants (120 ng/kg de poids corporel par semaine) [1, 2, 4].

Toujours pour l’OTA, le risque est d’observer des effets indésirables sur le rein en cas d’exposition chronique. Aussi l’ensemble des États membres de l’Union européenne se sont-ils dotés progressivement, depuis 1997, d’une réglementation pour protéger les consommateurs d’une exposition excessive. La législation actuelle impose ainsi des teneurs maximales (TM) au-delà desquelles les denrées ne sont pas autorisées à être mises sur le marché [3]. Elle porte sur :

– les aflatoxines B1, B2 et M1 ;

– l’ochratoxine A ;

– la patuline ;

– le déoxynivalénol ;

– les fumonisines B1 et B2 ;

– la zéaralénone.

À l’exception de l’aflatoxine M1 dans le lait, les teneurs maximales portent actuellement exclusivement sur des denrées végétales.

Dans le cas de l’OTA font ainsi l’objet d’une teneur maximale (de l’ordre de quelques parties par billion, ou ppb) :

– certaines préparations diététiques ;

– des spécialités infantiles ;

– le raisin (y compris transformé : vin, jus, raisins secs) ;

– les épices et la réglisse ;

– le café (y compris soluble) ;

– les céréales, brutes ou transformées (photo 1).

UNE POSSIBILITÉ DE TRANSFERT VERS LES DENRÉES “ANIMALES”

Si elles ne sont pas les principales cibles de la réglementation, la vigilance s’impose quant à l’implication des denrées animales et d’origine animale (DAOA) dans l’exposition alimentaire aux mycotoxines. Cela tient à plusieurs raisons (encadré).

1. Exemple de l’OTA : quelles données théoriques de base ?

Certains transferts de mycotoxines aux DAOA sont bien documentés, comme ceux de l’aflatoxine B1, qui est métabolisée par les animaux et excrétée en aflatoxine M1 dans le lait.

C’est aussi le cas pour l’ochratoxine A. Celle-ci est un métabolite des moisissures de genre Aspergillus et Penicillium. Dans les pays chauds, les Aspergillus sont à l’origine d’une contamination du café, du cacao, etc. Sous nos latitudes, Penicillium verrucosum est un champignon de stockage des céréales. Sa croissance est favorisée par des températures fraîches en présence d’un taux d’humidité élevé. Il est présent sur la plante au moment de la récolte au champ et sa croissance s’opère surtout lors de la phase de stockage des végétaux.

Chez l’animal, l’OTA est ingérée à partir d’un fourrage contaminé (maïs, orge, blé, avoine, etc.). Elle est absorbée dans l’intestin grêle après un passage dans le sang (forte affinité pour les protéines plasmatiques, d’où une demi-vie importante dans ce compartiment). Elle est fixée essentiellement, par ordre décroissant d’importance, par les reins, le foie, les muscles et les graisses des animaux, qu’ils soient monogastriques ou ruminants.

Une certaine réduction de la quantité absorbée est observée sous l’action de la flore des préestomacs.

L’OTA est ensuite stable lors des traitements usuels des denrées alimentaires (chauffage en particulier).

2. Objectif de l’Administration : fixer une teneur maximale

Pour l’Administration centrale (DGAL), l’objectif poursuivi à travers la mise en place d’études prospectives sur l’OTA est de savoir si ce transfert aux DAOA justifie la mise en place d’une législation particulière, notamment sous la forme d’une teneur maximale.

Une législation aurait pour objet de restreindre l’exposition des consommateurs, par l’interdiction de la mise sur le marché des denrées non conformes.

3. Prendre aussi en compte l’exposition

La seule existence d’un transfert ne justifie pas toujours la mise en place d’une teneur maximale. Pour favoriser une diminution de l’exposition, il est utile d’agir sur un levier puissant, donc de fixer des teneurs maximales sur les aliments qui y contribuent le plus. La contribution d’une denrée à l’exposition à l’OTA implique la conjonction de deux facteurs essentiels :

– une présence de cette substance en quantité non négligeable et récurrente dans cette denrée ;

– une consommation significative de ladite denrée.

Le schéma de consommation des aliments en France est connu grâce aux travaux de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa(1), étude INCA2 notamment).

En revanche, les données sur la contamination des DAOA par l’OTA et ses principaux métabolites le sont moins ou sont anciennes. Par exemple, les plans de surveillance DGAL sur les rognons de porc et les foies de volaille datent de 1998 et de 2000 (ils révélaient des niveaux de contamination faibles, de l’ordre de 0,1 ppb).

Ainsi, pour l’OTA, les données sur la caractérisation de la toxine et sa toxicologie sont complètes et n’impliquent pas de favoriser à titre prospectif d’autres essais dans l’immédiat. La DGAL a donc axé ses efforts sur la mise en place de plans de surveillance pour recueillir des données de contamination.

4. Plans de surveillance

En 2009 et en 2010, deux plans de surveillance ont ainsi été conduits, sur des produits de charcuterie à base de sang et des abats de porc (photo 2). Le plan a pour objet supplémentaire de développer une méthode de caractérisation de métabolites de l’OTA dans les DAOA (OTΑ). Les analyses et développements de méthodes de ce plan ont été confiés à l’Afssa de Maisons-Alfort, laboratoire national de référence pour les mycotoxines dans les DAOA. Les prélèvements sont réalisés, sur demande de la DGAL, par les services déconcentrés du ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche (c’est-à-dire les directions départementales de la Protection des populations, nouvellement créées).

Ces données de contamination pourront ensuite être utilisées par l’Anses, sur saisine de la DGAL, pour déterminer si l’ingestion de la DAOA considérée peut être à l’origine d’une exposition alimentaire notable, et éventuellement d’une préoccupation de santé publique.

Ce n’est qu’à l’issue de l’ensemble de ces étapes qu’il sera possible d’établir l’utilité et la pertinence de fixer une teneur maximale en OTA dans certaines DAOA.

Cette question a notamment dû être approfondie en raison de divergences d’appréciation entre les États membres de l’Union européenne quant à la participation notable des DAOA dans cette exposition et à la nécessité de créer une législation en la matière.

Conclusion

Au-delà de cet exemple de plan de surveillance prospectif, préréglementaire, de nombreux travaux sont prévus, notamment pour tenir compte du manque de données sur des mycotoxines émergentes (caractérisation et détection), leur pouvoir pathogène (toxicologie) ou les régimes et exposition spécifiques (étude des consommations et expositions des enfants âgés de moins de 3 ans). Tout cela se fait en gardant à l’esprit les difficultés de l’exercice réglementaire : il s’agit d’établir des priorités de gestion, selon le risque, entre les mycotoxines, les contaminants et les différents dangers alimentaires en présence (biologique, chimique, etc.).

Les questions émergentes des effets de mélange et des effets aux très faibles doses viennent encore compliquer l’exercice. Elles sont un défi pour l’avenir, encore au stade de la recherche.

(1) L’Afssa est désormais dénommée l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire).

Références

ENCADRÉ Pourquoi une vigilance « mycotoxines » pour les DAOA ?

→ Les mycotoxines sont très nombreuses. Dès lors, elles ne sont pas encore toutes identifiées ou bien elles sont imparfaitement caractérisées chimiquement. De plus, la capacité analytique de les détecter et de les quantifier est un obstacle difficile à lever s’agissant de molécules actives à des doses infimes, de l’ordre du ppb (partie par billion).

→ Les mycotoxines peuvent être transférées aux productions animales après ingestion d’un aliment contaminé tel quel, mais aussi dans des formes métabolisées par l’animal (par exemple, aflatoxine M1 dans le lait). Ces métabolites nécessitent une identification complémentaire par rapport à la forme d’origine. Ils sont parfois peu ou pas identifiés.

→ La toxicité et les données toxicologiques sont encore très parcellaires pour de nombreuses mycotoxines et a fortiori leurs formes métabolisées. Les effets zootechniques indésirables ou bien la toxicité à l’homme ne sont pas toujours parfaitement établies.

Points forts

→ Dans l’exemple de l’ochratoxine A, la mise en place d’une législation deviendra nécessaire s’il est établi que cette mycotoxine est présente en quantité non négligeable et récurrente dans telle ou telle denrée animale ou d’origine animale, et si celle-ci est consommée significativement.

→ En plus des aspects préréglementaires, des travaux sont prévus sur les mycotoxines émergentes (caractérisation et détection), leur pouvoir pathogène (toxicologie) ou encore les régimes et expositions spécifiques (étude des consommations et expositions des enfants de moins de 3 ans).

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à notre Newsletter

Découvrez en avant-première chaque mois le sommaire du Point Vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr