Des mycotoxines dans les parties apparemment non moisies des ensilages - Le Point Vétérinaire expert rural n° 310 du 01/11/2010
Le Point Vétérinaire expert rural n° 310 du 01/11/2010

QUALITÉ SANITAIRE DES FOURRAGES

Étude clinique

Auteur(s) : François Van Hove

Fonctions : Mycothèque de l’Université catholique de Louvain (BCCM/MUCL)
Earth and Life Institute (ELI), Applied Microbiology (ELIM)
Croix du Sud 3/6, B-1348 Louvain-la-Neuve, Belgique
francois.vanhove@uclouvain.be
http://bccm.belspo.be/about/mucl.php

Les espèces fongiques, d’une part, et les mycotoxines, d’autre part, ont été caractérisées dans des ensilages d’herbe et de maïs prélevés en Belgique.

La présence des mycotoxines et leur signification ont notamment été étudiées, en Belgique, dans un travail de grande envergure orchestré par la Mycothèque de l’Université catholique de Louvain (MUCL : identifications morphologiques et moléculaires), et réalisé en partenariat avec un laboratoire situé à Gand (Hogeschool Gent : échantillonnages et isolements fongiques), un laboratoire sis à Anvers (Universiteit Antwerpen : analyses de toxicité) et un dernier à Bruxelles (Centre d’étude et de recherches vétérinaires et agrochimiques : analyses des mycotoxines). L’objectif, large, était de rechercher des paramètres permettant d’évaluer la qualité des fourrages.

UN CLIMAT DU TYPE NORD-EST DE LA FRANCE

Des échantillons ont été prélevés au cours de deux campagnes, 2005-2006 et 2006-2007, dans 65 silos d’ensilage de maïs et 47 silos d’herbe répartis sur l’ensemble du territoire belge. Pour chaque silo, la collecte a été effectuée à quatre périodes différentes espacées de 6 à 8 semaines, en commençant au début de l’utilisation des ensilages. 700 à 1 400 g ont été prélevés à chaque fois, de façon différenciée, dans une zone “apparemment saine” (pas de moisissure visible) et une à trois zones moisies (photo).

Pour les moisissures, des méthodes modernes d’identification moléculaire fongique ont été utilisées (génotypage), en plus des techniques traditionnelles de mise en culture pour identification et caractérisation morphologique.

Les résultats ont été présentés à Paris début décembre 2009(1). Ils offrent un bon panorama et quelques surprises sur la contamination fongique et mycotoxique des fourrages distribués aux bovins dans un pays d’Europe dont les conditions climatiques sont très proches de celles qui sont observées au nord-est de la France. Or celles-ci sont déterminantes quant au profil de mycotoxines produit.

Penicillium est le genre fongique qui domine, avec environ la moitié des isolats, aussi bien en 2006 (51 %) qu’en 2007 (52 %), dont en particulier les espèces P. paneum et P. roqueforti. Ainsi, la proportion des P. paneum représentait 48 % et 42 % de la population des Penicillium isolés respectivement en 2006 et en 2007 alors que celle des P. roqueforti passait de 27 % à 47 %.

En recoupant les résultats mycotoxiques avec les zones de prélèvement, il ressort que l’aspect ne présume pas de la présence ni de la quantité de mycotoxines. Pour l’ensilage de maïs, l’acide mycophénolique (MPA), la citrinine (CIT), l’enniatine B (ENN B) et la zéaralénone (ZEA) sont présents à des teneurs significativement supérieures dans les zones “saines”, alors que les autres mycotoxines sont autant ou moins abondantes dans les parties “saines“ par rapport aux zones contaminées (tableaux 1 et 2). Pour l’ensilage d’herbe, l’ochratoxine A (OTA) et la gliotoxine (GLT) sont relativement plus élevées dans les parties “saines” que dans les zones apparemment moisies. En ce qui concerne les concentrations en mycotoxines mesurées dans les échantillons, l’étude a révélé des dépassements de seuil réglementaire pour le DON (seuil à 12 ppm dans les ensilages de maïs).

DES ASSOCIATIONS “CONTRE-NATURE”

L’analyse des données a aussi amené à croiser les types de champignons avec ceux de mycotoxines présents dans l’ensilage. Des surprises ont été enregistrées, certains champignons étant significativement associés (en termes de présence) avec des mycotoxines qu’ils ne sont pas capables de produire : par exemple, Monascus ruber et penitrem A (Pen A), Trichoderma atroviride et verruculogen (VER) ou bien Pen A. Inversement, l’absence d’association entre la présence de certains champignons et celle de mycotoxines qu’ils sont pourtant en mesure de produire a été remarquée. Ainsi, la patuline (PAT) n’a pas été davantage détectée dans les échantillons où P. paneum a été identifié alors que cette espèce est connue pour être productrice de PAT. L’étude a vérifié que ces champignons “savent toujours” produire les mycotoxines qu’ils sont réputés développer in vitro, et c’est le cas. Des phénomènes de compétition entre espèces ou de dégradation des mycotoxines produites pourraient intervenir lors de la préparation des ensilages ou au cours de leur conservation. Il convient de garder à l’esprit que certaines des mycotoxines des ensilages peuvent être produites dès la plante au champ, et pas seulement in situ dans l’ensilage. Cela est bien connu pour des toxines de Fusarium, telles que le déoxynivalénol (DON) et la ZEA, produites au champ et retrouvées dans les ensilages alors que Fusarium n’est pas détecté car il ne résiste pas aux conditions dans ces derniers (anaérobiose, diminution du pH).

VÉRIFICATION DE LA TOXICITE IN VITRO

Autre “vérification” dans l’étude conduite sur les ensilages en Belgique : les mycotoxines mises en évidence et les ensilages qui les contiennent sont bien “toxiques” in vitro. Une technique récente a été utilisée, celle des biosenseurs. Elle consiste à mesurer l’activité d’une enzyme codée par un gène rapporteur inséré dans le génome de la bactérie Escherichia coli en aval de régions promotrices sensibles à différents stress (oxydatif, osmotique, de température, atteinte à l’ADN, etc.). L’activité de l’enzyme est mesurée après exposition à une solution de mycotoxine ou d’extrait d’ensilage à diverses concentrations. Le type de toxicité induit par la toxine ou l’extrait d’ensilage est révélé par l’ensemble des promoteurs qui sont activés. Le travail a été effectué sur l’aflatoxine B1 (AFB1), OTA, la fumonisine B1 (FB1), CIT, DON, ZEA, et la beauvéricine (BEA). Les toxines OTA et ZEA sortent du lot en termes de toxicité évaluée par cette technique car ce sont celles qui activent le plus grand nombre de promoteurs. Selon les années, des différences de toxicité moyenne mesurées par ce procédé sur des extraits d’ensilages de maïs et d’herbe ressortent. Les extraits d’ensilage d’herbe de la saison 2006 ont activé plus de promoteurs que ceux de l’année 2007. La tendance est inversée pour les extraits d’ensilage de maïs. En moyenne, les extraits d’ensilage de maïs ont activé plus de promoteurs que les extraits d’ensilage d’herbe. Cependant, aucune différence n’a été observée entre les extraits d’échantillons sains et moisis d’ensilage de maïs.

L’essai ne comportait pas de recherche d’impact clinique chez les animaux.

PAS DE FACTEURS DE RISQUE DE PRÉSENCE

Parallèlement aux analyses mycologiques et mycotoxiques, des résultats biochimiques ont été collectés, afin de documenter la recherche de facteurs de risque de la présence de moisissures ou de mycotoxines. Les résultats biochimiques ont confirmé que les zones moisies sont significativement moins acides, avec de l’acide lactique en plus faible quantité (de même pour l’acide butyrique dans le maïs). Après confrontation statistique, par une analyse multivariée, des résultats de détection des moisissures et des mycotoxines avec les données concernant la préparation des ensilages (date de préparation, teneur en matière sèche du maïs, finesse du hachage, type de couverture plastique, type, taille et vitesse d’utilisation du silo, etc.), aucun facteur de risque de présence de moisissures ou de mycotoxines n’a pu être mis en évidence. Aucune corrélation n’a été relevée entre les paramètres biochimiques (matière sèche, pH, concentration en NH3, en acides acétique, lactique et butyrique) et la présence d’espèces de moisissures. Ces résultats semblent indiquer que les espèces présentes sont capables de résister à l’ensemble des conditions observées dans les ensilages au cours de cette étude.

Conclusion

Cette étude pluridisciplinaire a démontré que l’aspect “sain” ou moisi des ensilages ne présume pas de la présence, du type et de la quantité des mycotoxines qui peuvent être détectées. De même, aucun facteur de risque de présence de moisissures ou de mycotoxines n’a pu être mis en évidence dans les paramètres étudiés liés à la préparation des ensilages.

(1) Bastiaanse H, Tangni EK, Pussemier L, Depoorter J, Haesaert G, Robbens J, Van Hove F. Characterization of fungal species and mycotoxins contaminating silages in Belgium (11/2005-3/2008). Proceeding Session Aftaa, Paris, 6 mai 2010 : 2-42.

Points forts

→ Certains champignons sont présents avec des mycotoxines qu’ils ne sont pas capables de produire, et inversement.

→ La technique des biosenseurs a été utilisée in vitro pour vérifier que les mycotoxines mises en évidence ou l’extrait d’ensilage prélevé sont bien toxiques.

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