PARASITOLOGIE DES OVINS
Étude clinique
Auteur(s) : Céline Doré*, Carine Paraud**, Rémy Vermesse***, Isabelle Tanguy****, Eric Le Dréan*****, Christophe Chartier******
Fonctions :
*ISAE (Institut en santé agro-environnement)
, 24, rue Antoine-Joly, 35031 Rennes cedex.
**Anses, Laboratoire de Niort,
60, rue de Pied-de-Fond, 79012 Niort Cedex
***UBGDS, BP110 56003 Vannes Cedex
****étudiante ENVA
*****ISAE (Institut en santé agro-environnement)
, 24, rue Antoine-Joly, 35031 Rennes cedex.
******Anses, Laboratoire de Niort,
60, rue de Pied-de-Fond, 79012 Niort Cedex
La résistance des nématodes gastro-intestinaux aux anthelminthiques a été évaluée chez les ovins en Bretagne.
La résistance des strongles des ovins aux anthelminthiques est connue dans toutes les zones d’élevage ovin : l’Australie, l’Afrique du Sud, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis [7, 10, 17, 19, 20]. Ces résistances, généralement multiples (résistance aux benzimidazoles, au lévamisole et aux lactones macrocycliques), impliquent souvent Haemonchus contortus (photo 1). Toutefois, Trichostrongylus spp. et Teladorsagia circumcincta sont aussi concernés. En Europe, des résistances vis-à-vis des benzimidazoles ont été décrites en Écosse et en Allemagne [1, 16]. Ces études ont récemment mis en évidence une suspicion de résistance d’un isolat d’H. contortus aux avermectines, alors qu’une autre étude décrit un cas de triple résistance aux benzimidazoles, lévamisole et ivermectine au Royaume-Uni [18].
En France, la résistance des strongles des ovins aux benzimidazoles est décrite depuis plus de 20 ans dans différentes régions : le Val de Loire, le Limousin, l’Ouest lyonnais, les Deux-Sèvres [2, 4, 8, 9]. Les données sur les autres familles d’anthelminthiques sont moins nombreuses : une étude rapporte la présence de strongles résistants au lévamisole dans 50 % des élevages ovins enquêtés et aucun cas de résistance à l’ivermectine [4].
Afin d’actualiser les données disponibles sur la résistance aux benzimidazoles et au lévamisole et de mettre en évidence une éventuelle résistance aux avermectines, une étude conjointe entre l’Union bretonne des groupements de défense sanitaire (UBGDS), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) de Niort et l’Institut en santé agro-environnement (ISAE) a été conduite dans 9 exploitations ovines de la région Bretagne.
Au cours des étés 2008 et 2009, 9 élevages ovins sont recrutés par l’UBGDS sur la base du volontariat. Les critères de recrutement sont les suivants : élevages de très bonne technicité, de grande taille, et n’ayant pas réalisé de traitement anthelminthique dans les 2 mois précédant l’essai. Avant inclusion définitive, le parasitisme moyen de l’élevage est contrôlé sur un sous-groupe d’une dizaine d’animaux et seuls les élevages présentant un niveau d’excrétion supérieur à 150 œufs par gramme (opg) sont retenus [5, 6]. Sur les 9 élevages retenus, 4 présentaient, avant traitement, une excrétion moyenne inférieure à cette limite et ont été écartés. Les résultats portent donc sur les 5 élevages restants.
Dans chaque élevage, 4 lots de 12 animaux sont identifiés parmi les agnelles et les antenaises :
– lot 1 : lot témoin non traité ;
– lot 2 : lot traité par le fenbendazole par voie orale (Panacur® 2,5 %) à raison de 5 mg de fenbendazole/kg de poids vif, soit 2 ml de Panacur®/10 kg de poids vif ;
– lot 3 : lot traité par le lévamisole par voie orale (Lévamisole 5 %) à raison de 7,5 mg de lévamisole/kg de poids de vif, soit 1,5 ml de Lévamisole/10 kg de poids vif.
– lot 4 : lot traité par l’ivermectine par voie orale (Oramec® ovin solution orale) à raison de 0,2 mg d’ivermectine/kg de poids vif, soit 2,5 ml d’Oramec®/10 kg de poids vif.
Les quantités d’anthelminthique administrées sont déterminées en se fondant sur l’estimation du poids de l’animal le plus lourd du lot.
Les animaux des lots 2, 3 et 4 sont traités à J0. Tous les animaux font l’objet d’un prélèvement de matières fécales : les animaux des lots 1, 2 (fenbendazole) et 3 (lévamisole) sont prélevés 10 jours post-traitement (J10) tandis que ceux des lots 1 et 4 (ivermectine) sont prélevés entre 14 et 17 jours post-traitement (J14-J17). Les délais entre le traitement et le prélèvement post-traitement sont fixés selon les recommandations de la WAAVP (World Association for the Advancement of Veterinary Parasitology) [6].
Chaque prélèvement est analysé par une méthode de coproscopie quantitative en cellule de McMaster (liquide de flottaison : iodomercurate de potassium d = 1,44) à l’ISAE [11]. Le résultat obtenu est exprimé en nombre d’œufs par gramme de matières fécales (opg).
Des coprocultures de groupe sont réalisées à partir des matières fécales du lot témoin prélevées à J10, afin d’obtenir une évaluation grossière des principaux genres de nématodes présents. Les larves infestantes issues de ces coprocultures sont récoltées à l’aide d’un appareil de Baermann [11].
Pour chaque lot et à chaque date, la moyenne arithmétique des opg est calculée. Le pourcentage de réduction de l’excrétion fécale d’œufs est calculé suivant la formule suivante : [(opg moyens du lot témoin – opg moyens lot traité)/opg moyens lot témoin] x 100 (photo 2).
Une procédure de rééchantillonnage est ensuite appliquée avec 2 000 retirages, afin d’obtenir une estimation plus précise du pourcentage de réduction et de l’intervalle de confiance(1) [3].
Les résultats sont interprétés suivant les recommandations de la WAAVP : si le pourcentage de réduction est inférieur à 95 % et si la borne inférieure de l’intervalle de confiance est inférieure à 90 %, une résistance aux anthelminthiques existe. Si un seul de ces critères est présent, une résistance est suspectée [5].
Les résultats portent sur les 5 élevages ayant répondu à tous les critères d’inclusion.
En ce qui concerne les benzimidazoles (efficacité évaluée par le traitement par le fenbendazole), la réduction d’excrétion fécale post-traitement est inférieure à 90 % dans les 5 élevages (de 48 à 79 % de réduction) par les deux modes de calcul (moyenne arithmétique et rééchantillonnage) (tableau 1). La borne inférieure de l’intervalle de confiance obtenu est inférieure à 90 % dans la totalité des élevages. Ainsi, 100 % des élevages enquêtés présentent une résistance aux benzimidazoles.
L’élevage 4 présente des résultats de réduction de l’excrétion fécale d’œufs évoquant une résistance au lévamisole avec une réduction de 90 % et une borne inférieure de l’intervalle de confiance égale à 82 % (résultats identiques par les 2 méthodes de calcul) (tableau 2). Les résultats de l’élevage 3 montrent une réduction de l’excrétion supérieure à 95 % par les deux méthodes de calcul, mais la borne inférieure de l’intervalle de confiance est égale à 87 à 89 % et laisse suspecter une résistance d’après les critères de la WAAVP.
Pour l’ivermectine, tous les pourcentages de réduction obtenus sont supérieurs ou égaux à 95 % (tableau 3). Seul l’élevage 4 présente une borne inférieure de l’intervalle de confiance limite (89 %) par les deux méthodes de calcul et peut faire l’objet d’une suspicion de résistance selon les recommandations de la WAAVP.
Les coprocultures réalisées sur les lots témoins montrent la présence majoritaire de larves infestantes appartenant aux genres Hæmonchus, Teladorsagia et Trichostrongylus (ces deux derniers étant indifférenciables au niveau larvaire). Un seul élevage présente des larves de type Chabertia/Œsophagostomum.
Cette étude a une portée limitée car les résultats de 5 élevages seulement ont pu être interprétés. Cela confirme néanmoins la très grande prévalence des strongles résistants aux benzimidazoles, puisque la totalité des élevages ovins enquêtés présentent des strongles résistants vis-à-vis de cette famille d’anthelminthiques. Seul le fenbendazole a été testé, mais la résistance aux anthelminthiques est une résistance de famille en raison du mécanisme d’action identique pour toutes les molécules. Ces résultats confirment aussi ceux précédemment décrits dans d’autres régions françaises [2, 4, 8, 9]. Cette forte prévalence s’explique par l’utilisation presque exclusive des molécules de cette famille depuis de très nombreuses années en raison de leur faible coût, de leur large spectre et de leur sûreté d’utilisation. Dans deux exploitations, le pourcentage de réduction d’excrétion coproscopique post-traitement est inférieur à 50 %, ce qui souligne probablement un très fort niveau de résistance.
Les résultats obtenus avec le lévamisole et l’ivermectine sont très différents de ceux qui sont obtenus avec les benzimidazoles à la fois par le faible nombre d’élevages présentant des résultats défavorables et par les valeurs chiffrées (pourcentage de réduction et/ou intervalle de confiance) souvent proches des valeurs limites. Ainsi, à ce stade, il s’agit plus de suspicions de résistance que de résistance avérée. Elles doivent être confirmées par la répétition de l’essai dans des conditions extrêmement strictes, de dose, de mode d’administration et de date de prélèvement après traitement (en particulier avec le lévamisole). Les résultats précédents qui indiquaient une suspicion de résistance au lévamisole dans 50 % des troupeaux ovins des Deux-Sèvres doivent être interprétés prudemment compte tenu du délai de 14 jours post-traitement appliqué lors de ce travail [4]. Par ailleurs, la dose, mais aussi le volume d’administration, ainsi que la charge parasitaire et la vacuité du tube digestif, sont susceptibles de faire varier l’efficacité d’un traitement. La confirmation définitive d’une résistance passe par l’infestation expérimentale d’animaux, suivie de bilans parasitaires permettant la comparaison du nombre de strongles adultes retrouvés chez les animaux traités par rapport aux animaux témoins. En France, les cas avérés de résistance au lévamisole sont rares, un seul cas de double résistance lévamisole/benzimidazoles étant décrit dans un troupeau caprin [14]. La résistance aux avermectines est à ce jour inconnue sur notre territoire, une récente enquête dans 22 troupeaux caprins n’ayant pas permis de l’établir [15].
Le FECRT, dont la mise en œuvre est relativement simple, permet donc d’émettre des suspicions de résistance. Toutefois, ce test détecte la résistance dans un troupeau seulement de façon tardive. Pour les benzimidazoles, la résistance n’est décelée que lorsque plus de 25 % des vers adultes sont porteurs des gènes de résistance [12]. Pour cette raison, la vigilance doit être maintenue quant à l’utilisation des anthelminthiques. Des études, comme celle qui est présentée ici, permettent ainsi de faire le point sur la situation de la résistance, et surtout de sensibiliser les éleveurs aux principes d’une bonne utilisation des anthelminthiques afin de préserver leur efficacité (encadré).
Un anthelminthique, le monépantel, destiné au traitement des strongyloses chez les ovins et appartenant à une nouvelle famille (amino-acetonitrile derivatives ou AAD) vient d’être commercialisé. Ce produit a démontré son efficacité vis-à-vis des strongles majeurs des ovins, y compris résistants aux autres anthelminthiques [13]. Sa commercialisation ne doit toutefois pas faire oublier la nécessité de préserver l’efficacité d’anthelminthiques plus anciens, car son utilisation systématique conduirait inévitablement à l’apparition de nouvelles résistances.
(1) Bootstrapping avec le logiciel Resivers 1.0, http://www.tours.inra.fr/sfpar/stat.htm
OBJECTIFS
→ Actualiser les données sur la résistance aux benzimidazoles et au lévamisole
→ Détecter une éventuelle résistance aux avermectines
MATÉRIEL ET MÉTHODE
→ Cinq élevages ovins de grande taille, n’ayant pas reçu d’anthelminthique dans les 2 mois précédant l’essai et présentant un parasitisme moyen (excrétion) de plus de 150 opg (œufs par gramme de fèces)
→ Quatre lots par élevage : un lot témoin (1), et les trois autres traités respectivement au fenbendazole (2), au lévamisole (3) et à l’ivermectine (4), par voie orale
→ Prélèvement de fèces individuel à J0, puis à J10 pour les lots 1, 2 et 3, et entre J14 et J17 pour les lots 1 et 4
→ Analyses coproscopiques et test de réduction de l’excrétion fécale d’œufs (FECRT)
RÉSULTATS ET DISCUSSION
→ Résistance avérée aux benzimidazoles dans tous les élevages
→ Deux élevages suspectés de résistance au lévamisole
→ Un élevage suspecté de résistance à l’ivermectine
→ Sensibilité du FECRT limitée
→ Seules de bonnes règles d’utilisation des anthelminthiques permettront de préserver leur efficacité
→ La résistance aux benzimidazoles est avérée dans les 5 élevages inclus dans l’étude.
→ Les résultats obtenus avec le lévamisole et l’ivermectine sont très différents de ceux qui ont été observés avec les benzimidazoles, ne permettant que de suspecter une résistance.
→ Le test FECRT ne permet de détecter une résistance que tardivement.
→ L’administration systématique d’un nouvel anthelminthique conduit inévitablement à l’apparition de nouvelles résistances, d’où la nécessité d’appliquer de bonnes règles d’utilisation des anthelminthiques pour préserver leur efficacité.
→ Respecter les doses, en appliquant une dose calculée sur l’animal le plus lourd du troupeau.
→ Administrer l’anthelminthique sous un volume inférieur à 10 ml pour prévenir la fermeture de la gouttière oesophagienne.
→ Alterner les familles d’anthelminthiques, sur une base annuelle, par exemple.
→ Réduire le nombre de traitements annuels et/ou appliquer un traitement ciblé chez les animaux le nécessitant (indicateurs de parasitisme du type état corporel, diarrhée, anémie).
→ Éviter d’introduire la résistance au sein du troupeau (quarantaine + association d’anthelminthiques à l’introduction).
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