GASTRO-ENTÉROLOGIE FÉLINE
Analyse d’article
Auteur(s) : Magali Decome
Fonctions : Faculté de médecine vétérinaire
Service de médecine interne
3200, rue Sicotte
Saint-Hyacinthe, J25 2M2 Canada
La taurine est un acide aminé essentiel chez le chat (comme l’arginine, la méthionine et la cystéine). Contrairement aux autres espèces, chez le chat, l’activité enzymatique est insuffisante pour assurer sa production en quantité requise, et c’est pourquoi l’apport alimentaire de taurine est primordial [7]. Une fois ingérée, la taurine est absorbée via l’iléon terminal, en mettant en jeu un mécanisme de transporteur [5].
Un déficit d’apport alimentaire en taurine est aujourd’hui beaucoup moins fréquemment observé que dans les années 1980, grâce à l’alimentation commerciale. En effet, ces nourritures sont en général complémentées en taurine. Les animaux recevant une alimentation strictement végétarienne ou non équilibrée présentent un risque de développer une déficience en taurine. Dans l’article étudié ici, les chats étaient nourris selon les recommandations de la World Small Animal Veterinary Association (WSAVA) pour la plupart. Les autres recevaient une nourriture commerciale supplémentée en taurine selon les recommandations. Il est donc improbable qu’un déficit en taurine soit lié à l’alimentation dans cette étude [4, 5].
La taurine est largement distribuée dans les tissus, avec une concentration maximale observée dans le coeur, la rétine, les muscles squelettiques et le système nerveux central. Un déficit en taurine entraîne donc de nombreuses altérations cliniques et organiques, telles qu’une dégénérescence de la rétine, des troubles de la reproduction, une baisse du système immunitaire et une dysfonction cardiaque [3, 8, 9]. Cette substance joue également un rôle majeur dans la conjugaison des acides biliaires. En effet, chez le chat, ceux-ci sont exclusivement conjugués avec la taurine. Ils sont ensuite déconjugués par les bactéries intestinales.
Pour ce qui est du système immunitaire, un manque de taurine peut affecter la nature et l’intensité de la réponse immunitaire. Cet acide aminé joue un rôle d’antioxydant intracellulaire, principalement pour les macrophages et les neutrophiles. Un déficit peut ainsi entraîner une diminution de la quantité de cellules en circulation et de leur prolifération [1].
La cardiomyopathie dilatée est l’atteinte la plus connue secondaire à un déficit en taurine chez le chat et le chien. Bien que son rôle sur le muscle cardiaque n’ait pas été clairement établi, l’imputabilité d’un manque de taurine a été démontrée. Pour être normale, sa concentration plasmatique doit être supérieure à 60 nmol/l. Chez le chat, le risque de développer des signes de cardiomyopathie est encouru dès lors que la concentration plasmatique est inférieure à 30 nmol/l [9].
Peu de publications existent qui étudient la concentration en taurine chez le chat atteint d’une maladie intestinale. Il est donc aisé d’imaginer qu’une atteinte digestive puisse entraîner un déficit en taurine. Pourtant, dans l’étude ci-contre, le seul chat qui présentait une baisse de la concentration sérique en taurine était atteint d’un adénocarcinome de l’iléon et 18 chats présentaient une hypertaurinémie [5, 6]. La taurine étant absorbée au niveau de l’iléon proximal, un manque d’absorption est très probable chez l’animal présentant un déficit. De plus, une dysbiose associée au changement environnemental local dû à la tumeur peut conduire à une déconjugaison des acides biliaires plus importante avec une oxydation de la taurine par les micro-organismes présents, diminuant son recyclage.
Les chats cliniquement atteints d’une maladie du côlon présentent une concentration significativement inférieure à celle des autres chats. Dans une étude précédente, les animaux recevant une alimentation riche en acides gras saturés présentaient une augmentation de la quantité de sulfures dérivés de la taurine au niveau du gros intestin, avec pour conséquence une hausse des bactéries capables de tolérer la bile. Le microbiote est ainsi perturbé et engendre une réaction immunitaire de type Th1 chez la souris. La baisse en taurine proviendrait donc soit de l’alimentation, soit d’une atteinte du petit intestin. L’atteinte du gros intestin serait uniquement la conséquence de la hausse en taurine à son niveau [6]. Cette hypothèse n’a pas encore été démontrée chez le chat.
La concentration en taurine ne semble pas être affectée par l’âge, le score corporel ou le poids du chat, ce qui est en accord avec les résultats de l’article étudié. Dans une étude précédente, le sexe et le statut reproducteur (stérilisé ou non) ont paru l’influencer. Une régulation hormonale de la concentration en taurine est donc suspectée [4].
Un jeûne de 24 heures peut également résulter en un taux de taurine plasmatique bas (faux-positif) et, à l’inverse, des faux-négatifs sont parfois observés en situation postprandiale, à la suite d’un changement alimentaire ou d’un épisode récent de thromboembolie aortique [2]. Peu de données sont disponibles concernant les circonstances précises du prélèvement dans l’article étudié, mais il est peu probable que ces situations (outre un jeûne) aient eu lieu.
Selon les résultats de cette étude, la concentration en taurine ne peut être utilisée pour caractériser l’origine de l’atteinte intestinale étant donné les superpositions observées entre les groupes. Malgré une absorption iléale de cet acide aminé, elle est significativement inférieure chez les chats présentant une atteinte colique. Les signes coliques ne seraient cependant que le résultat d’une altération du microbiote à la suite de l’augmentation de la concentration en taurine non conjuguée à son niveau. Cette hypothèse reste à valider chez le chat.
Aucun.
OBJECTIFS
Déterminer la concentration en taurine lors du diagnostic d’une maladie intestinale et évaluer dans quelle mesure il existe une corrélation entre cette concentration et les signes cliniques ou les autres variables de laboratoire.
MÉTHODE
Il s’agit d’une étude rétrospective incluant 21 chats atteints d’une maladie inflammatoire chronique des intestins (MICI) et 7 autres présentant une tumeur intestinale. Lors du diagnostic, des échantillons de sang entier sont prélevés et conservés à – 20 °C sur EDTA (acide éthylène-diamine-tétra-acétique) afin d’être utilisés rétrospectivement pour mesurer la concentration en taurine. Un examen clinique complet et des examens complémentaires ont été réalisés chez tous les chats. Les signes cliniques présentés ont permis de classer les animaux selon l’origine potentielle de l’atteinte intestinale (petit intestin, gros intestin ou atteinte mixte).
RÉSULTATS
• La durée médiane des signes cliniques est de 8,5 mois (de 3 semaines à 84 mois).
• 3 chats présentent des signes cliniques exclusivement du petit intestin, 4 exclusivement du gros intestin, 1 des signes prédominants du gros intestin et 4 une diarrhée mixte.
• Parmi les chats, 7 ont une tumeur, 6 une MICI diffuse, 12 une MICI du petit intestin et 3 une MICI du côlon.
• 27 chats présentent une hypertaurinémie.
• L’appétit, le type d’atteinte (MICI ou néoplasie), l’évolution du poids, la consistance des selles, la durée des signes cliniques, la concentration en cobalamine ou en folate, l’alimentation reçue et l’âge au moment du diagnostic n’influencent pas la concentration en taurine.
• Lors de signes cliniques prédominants ou exclusifs du gros intestin, la concentration en taurine est significativement inférieure par rapport aux autres types d’atteinte.