Anomalies des leucocytes : augmentation - Le Point Vétérinaire n° 381 du 01/12/2017
Le Point Vétérinaire n° 381 du 01/12/2017

EN 10 ÉTAPES

Auteur(s) : Laetitia Piane*, Catherine Trumel**

Fonctions :
*Équipe de biologie médicale-histologie, CREFRE, université
de Toulouse, Inserm-UPS-ENVT, 31400 Toulouse

Lors de leucocytose ou d’augmentation d’une sous-population de leucocytes, une démarche diagnostique rigoureuse est primordiale. Les pistes à suivre sont ici présentées.

Une leucocytose se caractérise par une augmentation de la numération totale des leucocytes dans le sang par rapport à l’intervalle de référence de l’espèce. Dans cet article, nous envisagerons les leucocytoses ainsi que les augmentations de chaque sous-population de leucocytes avec ou sans leucocytose.

VÉRIFIER LES RÉSULTATS ET LA NATURE DE LA LEUCOCYTOSE

Dans un premier temps, il convient de vérifier les résultats chiffrés donnés par l’automate et la nature de la leucocytose en analysant les courbes et les nuages de points(1), ainsi que le frottis sanguin (formule sanguine et morphologie)(2), afin de lister les anomalies vraies. Par exemple, il peut s’agir de s’assurer de l’absence d’agrégats plaquettaires lors de leucocytose (automates à variation d’impédance) ou encore de celle d’érythroblastes en cas de lymphocytose (automates à cytométrie en flux et à variation d’impédance).

NEUTROPHILIE ET MONOCYTOSE

1. Diagnostic différentiel

Les causes de neutrophilie sont nombreuses. Une neutrophilie (plus ou moins associée à une monocytose) peut être observée lors de processus inflammatoire aigu et chronique, d’hémorragie ou d’hémolyse principalement à médiation immune chez le chien, de syndrome urémique, de stress corticoïde (endogène ou exogène) et de stress adrénergique, ou encore lors de processus néoplasique ou de syndrome paranéoplasique [4]. Une neutrophilie n’est donc pas spécifique d’une affection particulière, comme une infection, et, de plus, elle n’est pas systématiquement observée lors d’inflammation. Il convient donc de s’aider de l’examen clinique et des commémoratifs, des analyses biochimiques, de la morphologie des cellules et des autres anomalies hématologiques pour tenter d’en déterminer la cause.

2. Comment s’aider des résultats biochimiques

La réalisation d’un bilan biochimique permet d’orienter la démarche diagnostique lors de neutrophilie.

Par exemple, en cas de syndrome urémique, l’analyse d’urine est altérée, et l’urémie et la créatininémie sont augmentées.

Lors de pertes sanguines, la protidémie et l’albuminémie peuvent être diminuées.

En cas de processus inflammatoire, la protidémie et la globulinémie peuvent être augmentées, et l’albuminémie et le rapport albumine/globuline diminués.

Lors de stress corticoïde (endogène ou exogène), l’activité des phosphatases alcalines (PAL) (+/- l’activité des alanine aminotransférases [Alat] et des γ-glutamyl-transférases [γGT], la cholestérolémie et la triglycéridémie) peut être augmentée.

3. Comment s’aider de la morphologie des neutrophiles

La morphologie des neutrophiles peut aussi orienter vers une cause plutôt qu’une autre.

Par exemple, lors de la présence de band cells, un processus inflammatoire actif, une perte sanguine ou une hémolyse peuvent être suspectés. Si des neutrophiles toxiques sont présents, un processus suppuratif potentiellement septique, ou nécrotique, par exemple dans le cadre d’un processus néoplasique, doit être envisagé (photos 1a à 1c).

En présence d’une courbe d’Arneth déviée à droite (c’est-à-dire de neutrophiles hypersegmentés), un stress corticoïde, une inflammation chronique, une hyperthermie, un déficit en vitamine B12 ou une dysmyélopoïèse peuvent être suspectés (photo 2).

4. Comment s’aider des autres anomalies hématologiques

Lors de processus inflammatoire aigu, chronique, ou encore lors de stress corticoïde ou de stress adrénergique, des formules sanguines caractéristiques peuvent être observées (tableau).

Résultats des hématies

Lors de neutrophilie associée à une hémorragie ou à une hémolyse, une anémie régénérative peut être observée. Lors d’anémie hémolytique à médiation immune, il est possible de noter des agglutinats et des sphérocytes notamment chez le chien.

En cas de processus inflammatoire chronique ou de processus néoplasique, une anémie non régénérative est parfois présente. De plus, des rouleaux d’hématies peuvent être observés sur le frottis secondairement à une augmentation des globulines (hyperprotidémie, hyperglobulinémie) (photo 3).

Résultats des plaquettes

Lors de neutrophilie associée à une hémorragie, une thrombocytose peut être observée. Une thrombocytose est également parfois présente lors de stress corticoïde ou de stress adrénergique (splénocontraction).

Une thrombopénie est possible lors de pertes sanguines induites par une intoxication aux anticoagulants, de syndrome d’Evans ou de coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) associé à une anémie hémolytique à médiation immune, ou encore lors de CIVD associée à un processus inflammatoire aigu (par exemple, sepsis) ou néoplasique.

Résultats des autres leucocytes

Lors de processus inflammatoire aigu et de stress corticoïde, la neutrophilie s’accompagne d’une lymphopénie, et éventuellement d’une éosinopénie et d’une monocytose chez le chien. En cas de d’inflammation chronique, la neutrophilie peut être associée, selon la cause, à une lymphocytose, à une monocytose, à une éosinophilie, à une basophilie et, chez le chien, principalement à une mastocytémie.

LYMPHOCYTOSE

1. Diagnostic différentiel

Les causes de lymphocytose sont relativement nombreuses. Cette maladie peut être observée de façon physiologique chez le jeune animal (jusqu’à 1,5 an), lors de stress adrénergique chez le chat, de stimulation antigénique (maladies vectorielles, vaccination, etc.), de processus inflammatoire chronique, d’hypocorticisme ou encore d’hémopathie maligne lymphoïde (lymphome leucémique ou leucémie lymphoïde) [4].

Une lymphocytose n’est donc pas spécifique d’une affection particulière et n’est pas systématiquement observée. Il convient, dans ce cas aussi, de s’aider de l’examen clinique et des commémoratifs, des analyses biochimiques, de la morphologie des cellules et des autres anomalies hématologiques pour tenter d’en déterminer l’origine.

2. Comment s’aider des résultats biochimiques

La réalisation d’un bilan biochimique permet d’orienter la démarche diagnostique en présence d’une lymphocytose. Par exemple, lors de processus inflammatoire chronique, la protidémie et la globulinémie peuvent être augmentées, et l’albuminémie et le rapport albumine/globuline diminués. En cas de stress adrénergique chez le chat, il est possible d’observer une hyperglycémie et une glucosurie transitoires. Lors d’hypocorticisme, le rapport sodium/potassium et l’albuminémie sont parfois diminués. En cas d’hémopathie lymphoïde, la calcémie peut être augmentée.

3. Comment s’aider de la morphologie des lymphocytes

La morphologie des lymphocytes doit être observée attentivement. Lors de stimulation antigénique ou de maladie vectorielle, ces cellules apparaissent réactionnelles et hétérogènes, avec un mélange de lymphocytes à grains, de lymphocytes hyperbasophiles et/ou de lymphocytes blastiques (photos 4a à 4c). Quelques lymphocytes réactionnels sont parfois observés physiologiquement chez l’animal jeune.

Lors d’hémopathie maligne lymphoïde, la population de lymphocytes apparaît à l’inverse monomorphe (photos 5a à 5c).

4. Comment s’aider des autres anomalies hématologiques

Résultats des hématies

Lors d’hypocorticisme ou de processus inflammatoire chronique, une anémie normocytaire normochrome non régénérative peut être observée. En cas d’inflammation chronique, des rouleaux d’hématies secondairement à une augmentation des globulines (hyperprotidémie, hyperglobulinémie) sont parfois notés.

Lors de maladie vectorielle, notamment une piroplasmose, une anémie peut être également présente, mais elle n’est pas systématique et est généralement non régénérative en début d’évolution.

Résultats des plaquettes

Lors de lymphocytose associée à une piroplasmose et plus généralement aux maladies vectorielles, une thrombopénie est fréquemment observée.

Résultats des autres leucocytes

Lors d’inflammation chronique, une neutrophilie, une monocytose, une éosinophilie, une basophilie, voire une mastocytémie chez le chien peuvent être présentes. En cas de maladie vectorielle, il est possible d’observer une leucopénie. Lors d’hypocorticisme, une éosinophilie accompagne parfois la lymphocytose.

LEUCOCYTOSE SÉVÈRE OU EXTRÊME

1. Diagnostic différentiel

Une leucocytose sévère ou extrême peut être observée lors d’hémopathie maligne (lymphoïde ou myéloïde, aiguë ou chronique) et de réaction leucémoïde.

Une réaction leucémoïde se caractérise par une leucocytose pouvant atteindre de 50 000 à 100 000 cellules/µl, voire plus, avec une courbe d’Arneth déviée à gauche pouvant aller jusqu’au stade de myélocyte ou de promyélocyte [4].

Des modifications toxiques des neutrophiles sont parfois présentes. Rarement, une réaction leucémoïde se traduit par une lymphocytose ou une éosinophilie sévère.

Une réaction leucémoïde peut être observée lors d’infection chronique localisée sévère (par exemple, pyomètre, péritonite), d’anémie hémolytique à médiation immune, d’infection à Hepatozoon americanum et exceptionnellement à Hepatozoon canis, de syndrome paranéoplasique (par exemple, carcinome tubulaire rénal, fibrosarcome métastatique, adénocarcinome pulmonaire métastatique, polype adénomateux rectal) et, dans de rares cas, d’affection congénitale (par exemple, canine leukocyte adhesion deficiency [CLAD]) [4].

Différencier une réaction leucémoïde d’une leucémie peut être délicat. La première étape consiste à déterminer la nature de la population à l’origine de la leucocytose extrême. S’il s’agit principalement de neutrophiles, une réaction leucémoïde est probable. Si, après une démarche attentive, aucune cause n’est identifiée, une suspicion de leucémie myéloïde chronique peut être envisagée. Un processus inflammatoire ou néoplasique doit donc dans un premier temps être recherché. Plusieurs hémogrammes et ponctions de moelle osseuse sont nécessaires. Le diagnostic de leucémie myéloïde chronique est un diagnostic d’exclusion [4].

Si la leucocytose extrême n’est pas neutrophilique, mais liée à des cellules mononucléées, la cause la plus probable est une leucémie.

Il convient de s’aider de l’examen clinique et des commémoratifs, des analyses biochimiques, de la morphologie des cellules et des autres anomalies hématologiques pour déterminer la cause de la leucocytose extrême.

2. Comment s’aider de la morphologie des leucocytes

Lors de réaction leucémoïde, une déviation à gauche importante de la courbe d’Arneth peut être observée, avec des précurseurs médullaires myéloïdes (myélocytes, voire promyélocytes) circulants, associée ou non à la présence de neutrophiles toxiques (photos 6a à 6c).

Lors de leucémie aiguë (lymphoïde ou myéloïde) en phase leucémique, une population monomorphe de cellules blastiques est généralement notée sur le frottis sanguin (photos 7a et 7b).

3. Comment s’aider des autres anomalies hématologiques

Résultats des hématies

Les anomalies des hématies associées aux leucocytoses extrêmes dépendent de la cause sous-jacente. La plupart d’entre elles ont été explicitées précédemment. Lors de leucocytose extrême secondaire à une leucémie, il est possible d’observer une anémie non régénérative liée à une infiltration de la moelle osseuse et à une réduction du nombre de précurseurs érythroïdes en raison d’un écrasement par le tissu néoplasique. Lors de réaction leucémoïde secondaire à une anémie hémolytique à médiation immune (AHMI), une anémie régénérative est observée. Lors de réaction leucémoïde secondaire à un processus inflammatoire, infectieux ou paranéoplasique, une anémie inflammatoire non régénérative peut également être notée.

Résultats des plaquettes

Les anomalies des plaquettes associées aux leucocytoses extrêmes dépendent également de la cause sous-jacente, avec une possible thrombopénie centrale lors de leucémie.

Résultats des autres leucocytes

Lors de leucocytoses extrêmes par réaction leucémoïde, les autres lignées sont souvent augmentées, de açon variable selon la cause sousjacente. En revanche, lors de leucémie, il n’est pas rare que les autres lignées leucocytaires soient diminuées. Cependant, des éosinophilies peuvent accompagner notamment les leucémies lymphoïdes .

ÉOSINOPHILIE ET BASOPHILIE

Une éosinophilie (+/- basophilie) est parfois observée lors de parasitisme, d’allergie ou d’hypersensibilité, de processus dysimmunitaire (asthme, syndrome hyperéosinophilique, etc.), de syndrome paranéoplasique (par exemple, lymphome, mastocytome) ou néoplasique (leucémie éosinophilique, rare), d’inflammation chronique (secondairement à la sécrétion d’interleukines 5) ou encore en cas d’hypocorticisme (photos 8a et 8b) [4].

MASTOCYTÉMIE

Une mastocytémie est toujours pathologique chez le chien comme chez le chat (photos 9a et 9b).

Dans l’espèce canine, la présence de mastocytes circulants est peu spécifique. En effet, dans une étude, 95,5 % des chiens présentant une mastocytémie étaient atteints d’une affection autre qu’un mastocytome. Ces animaux présentaient une affection inflammatoire, une anémie régénérative, un processus néoplasique autre qu’un mastocytome, ou encore un traumatisme ou un processus nécrotique [1].

Dans une autre étude, 18 chiens sur 19 atteints d’une mastocytémie présentaient un leucogramme inflammatoire avec des neutrophiles toxiques. Parmi ces animaux, des cas de parvovirose, de péricardite, de péritonite septique, etc., sont notés. Dans cette série, un cas d’insuffisance rénale, sans neutrophiles toxiques observés sur le frottis, est également rapporté [3].

Une mastocytémie peut aussi être présente chez le chien lors de maladie inflammatoire de la peau ou d’atteinte médullaire (myélofibrose, ehrlichiose, etc.) [4].

Chez le chat, la présence de mastocytes circulants est beaucoup plus réquemment observée lors de processus néoplasique, en particulier lors de mastocytome cutané ou viscéral, de lymphome ou d’hémangiosarcome disséminé. Quelques cas d’insuffisance rénale ont également été rapportés sans qu’un processus néoplasique ait été exclu [2]. Dans notre expérience, quelques cas de mastocytémie ont été observés chez de jeunes chats avec des infections sévères (pyothorax) et lors de parvovirose.

Conclusion

Face à une leucocytose ou à l’augmentation d’une sous-population de leucocytes avec ou sans leucocytose, il est primordial d’adopter une démarche diagnostique rigoureuse. Dans un premier temps, il convient de confirmer les résultats chiffrés donnés par l’automate (analyse des courbes, lecture du frottis sanguin de premier niveau). Ensuite, les commémoratifs, l’examen clinique, les résultats de l’analyse biochimique, l’observation de la morphologie des leucocytes et des anomalies des autres lignées hématologiques peuvent aider pour établir la cause de la leucocytose.

  • (1) Voir l’article “Validation et interprétation des résultats d’automate” des mêmes auteurs. Point Vét. 2017;376:12-19.

  • (2) Voir les articles “Validation des résultats du frottis sanguin : lecture de premier niveau” et "Validation des résultats du rottis sanguin : lecture de second niveau" des mêmes auteurs. Point Vét. 2017;378:16-22;379:18-23.

Références

  • 1. McManus PM. Frequency and severity of mastocytemia in dogs with and without mast cell tumors: 120 cases (1995-1997). J. Am. Vet. Med. Assoc. 1999;215:355-357.
  • 2. Piviani M, Walton RM, Patel RT. Significance of mastocytemia in cats. Vet. Clin. Pathol. 2013;42:4-10.
  • 3. Stockham SL, Basel DL, Schmidt DA. Mastocytemia in dogs with acute inflammatory diseases. Vet. Clin. Pathol. 1986;15:16-21.
  • 4. Teske E. Leukocytes. In: Feldman BF, Zinkl JG, Jain NC, eds. Schalm’s veterinary hematology. Lippincott-Williams and Willkin

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ De nombreuses causes peuvent être à l’origine d’une leucocytose neutrophilique. Il convient de s’aider des commémoratifs, de l’examen clinique, des résultats biochimiques, de la morphologie des cellules et des anomalies des autres lignées pour tenter de déterminer l’origine de la neutrophilie.

→ La morphologie des lymphocytes permet de différencier le plus souvent une stimulation antigénique (lymphocytes réactionnels polymorphes) d’une hémopathie maligne lymphoïde (lymphocytes monomorphes).

→ Une réaction leucémoïde peut être observée lors d’infection sévère, d’anémie hémolytique à médiation immune, d’infection à Hepatozoon canis ou de syndrome paranéoplasique. Elle doit être différenciée d’un processus leucémique.

→ Chez le chat, la mastocytémie est le plus souvent associée à un processus néoplasique (mastocytome en particulier) alors que, chez le chien, elle est beaucoup moins spécifique.

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