Biopsies du pancréas - Le Point Vétérinaire n° 378 du 01/09/2017
Le Point Vétérinaire n° 378 du 01/09/2017

CHIRURGIE DIGESTIVE

Dossier

Auteur(s) : Sébastien Etchepareborde

Fonctions : Centre hospitalier vétérinaire des Cordeliers
29, avenue du Maréchal-Joffre
77100 Meaux

Une bonne connaissance du pancréas associée à une manipulation délicate permet de réaliser une biopsie de cet organe sans complications majeures.

Le pancréas peut être le siège de pseudo-kystes, d’abcès, de tumeurs (insulinome, carcinome, lymphome, gastrinome) et d’inflammations (pancréatites chroniques et aiguës). Les tests d’immunoréactivité des lipases canines et félines sont le meilleur moyen d’explorer les pancréatites, bien que leur sensibilité de 80 % dans ces deux espèces dénonce la possibilité de faux négatifs. De plus, aucun test ne permet de différencier une pancréatite aiguë, d’apparition soudaine et considérée comme réversible, d’une pancréatite chronique, associée à une fibrose et à une atrophie, et généralement irréversible. Contrairement au foie, il existe peu de moyens d’obtenir des prélèvements en vue d’étudier le pancréas sur le plan cytologique ou histologique. La cytoponction a été décrite chez le chien avec des résultats décevants, dans la mesure où seulement deux tiers des prélèvements étaient de qualité suffisante pour permettre une analyse [2]. De plus, les pancréatites sont souvent multifocales, plutôt que diffuses, au sein du parenchyme, avec un risque non négligeable de passer à côté de la lésion si le prélèvement est de trop petite taille. L’analyse histologique sur une biopsie reste donc la technique de choix pour diagnostiquer une pancréatite ou d’autres affections du pancréas.

1 Indications

Les indications pour la réalisation d’une biopsie du pancréas sont beaucoup moins fréquentes que dans le cas du foie, par exemple. En effet, la prise en charge des pancréatites reste avant tout médicale et des biopsies ne sont indiquées que dans les cas réfractaires aux traitements. En présence d’une masse dont l’aspect et la biologie ne sont pas caractéristiques, une biopsie peut également être recommandée pour établir le diagnostic. Les études sur le sujet montrent que les résultats sont plus souvent diagnostiques chez le chat que chez le chien [6]. Cela reflète le fait que les biopsies du chien sont le plus souvent réalisées pour exclure une maladie pancréatique, tandis que le diagnostic le plus fréquent chez le chat est la pancréatite chronique. Il peut arriver, dans de rares cas, qu’une laparotomie exploratrice pratiquée dans le cadre d’une chirurgie sans lien avec le pancréas révèle des lésions pancréatiques nécessitant un prélèvement à visée diagnostique.

2 Préparation de l’animal

Il n’existe pas de contre-indications à réaliser des biopsies du pancréas chirurgicalement, une fois l’animal stabilisé médicalement. Les précautions à prendre dépendent de la cause justifiant la biopsie.

Lors de diabète ou d’insulinome, des troubles de la glycémie peuvent être présents. Il convient donc d’obtenir une mesure de la glycémie avant l’intervention chirurgicale et de la contrôler régulièrement pendant la procédure. En cas d’hypoglycémie, une solution de dextrose à 5 % est utilisée. Les α2-agonistes sont responsables d’une hypo-insulinémie et d’une hyperglycémie chez les chiens sains. Leurs effets chez des animaux atteints d’une affection du pancréas sont imprédictibles et, à ce titre, ils doivent être évités pour la prémédication de l’animal. Dans un contexte d’insulinome seulement, l’utilisation de médétomidine entraîne une augmentation de la glycémie, avec une suppression de la sécrétion d’insuline, qui peut faciliter la stabilisation de l’animal durant la chirurgie [4]. Le propofol et l’étomidate, qui ont montré des signes de neuroprotection en cas d’hypoglycémie, sont donc les molécules de choix. L’utilisation d’opioïdes est indispensable pour traiter la douleur.

Lors de pancréatite, le traitement consiste à maintenir la volémie et à traiter les désordres électrolytiques. Dans les cas les plus graves, des coagulopathies peuvent être diagnostiquées. Les temps de coagulation doivent donc être mesurés avant l’intervention chirurgicale et une transfusion de plasma est parfois requise. Le traitement d’une hypoalbuminémie sévère peut se révéler nécessaire, bien que rarement.

3 Anatomie

L’anatomie du pancréas doit être bien connue du praticien avant qu’il ne réalise une biopsie. En effet, une lésion des canaux pancréatiques principaux ou de la veine pancréatico-duodénale craniale peut avoir des conséquences très graves (encadré).

4 Techniques

Technique de la suture-fracture

La technique de suture-fracture est la plus simple. Une étude de 1989 comparant cette méthode avec la technique de dissection mousse chez des chiens sains a montré une inflammation plus importante lors de suture-fracture sur le plan histologique à la nécropsie, 1 semaine plus tard. Aucune différence n’existait cliniquement [1]. L’étude de cette technique chez le chat n’a pas révélé de pancréatite 1 mois après l’intervention [5]. La première étape consiste à repérer une partie du pancréas loin des canaux excréteurs et de la vascularisation (photo 1). Les pancréatites n’étant pas toujours diffuses, plusieurs biopsies devraient être idéalement réalisées. En pratique, la petite taille du pancréas chez le chien et le chat rend cette tâche difficile et, généralement, une seule biopsie est obtenue. Statistiquement, lors d’une pancréatite focale, le lobe droit est le plus fréquemment atteint chez le chien, le lobe gauche chez le chat [3]. Ces données font privilégier une biopsie du lobe gauche ou droit.

Après avoir repéré la partie à biopsier, une ligature de fil non résorbable de taille 3-0 (décimale 2) est utilisée pour l’isoler et écraser le parenchyme pancréatique (photo 2). Dans certains cas, il est nécessaire d’inciser le mésoduodénum pour passer la ligature. Le morceau de pancréas distal à la ligature est alors coupé aux ciseaux de Metzenbaum avant d’être fixé dans le formol. Si le mésoduodénum a dû être incisé, il est alors suturé avec un fil résorbable monofilament de taille 4-0 (décimale 1,5) (photo 3).

Biopsie par dissection mousse

Cette technique permet de biopsier des lésions, quelle que soit la localisation du pancréas. La prudence reste de mise concernant les structures anatomiques à éviter. Dans un premier temps, le mésoduodénum ou l’omentum sont incisés pour libérer la partie à biopsier, puis une dissection mousse est réalisée à l’aide d’un mosquito ou de cotons-tiges stériles afin de séparer les lobules à prélever du reste du pancréas (photo 4). Chaque vaisseau ou conduit pancréatique rencontré est ligaturé, cautérisé à l’aide d’un bistouri électrique au fur et à mesure. Une fois complètement séparé, le fragment de pancréas est fixé dans le formol et le mésoduodénum est suturé avec un fil résorbable monofilament de taille 4-0 (décimale 1,5).

Biopsie avec une pince à fusion tissulaire

Les pinces à fusion tissulaire permettent de réaliser l’hémostase vasculaire et de sectionner le vaisseau en même temps. Cette technique évite l’usage de sutures en réalisant une hémostase parfaite. La chaleur collatérale générée par la fusion tissulaire, contrairement à celle d’un bistouri électrique, est très faible et permet ainsi de ne pas endommager les biopsies, et, dans le cas présent, de ne pas induire de pancréatite dans le pancréas restant. Cliniquement, l’utilisation de la fusion tissulaire ne semble pas associée à des signes de pancréatite plus souvent qu’avec des techniques traditionnelles [7]. La méthode est relativement similaire à celle de la suture-fracture : une partie du pancréas est repérée, puis séparée du reste du parenchyme à l’aide de la pince (photo 5). Le trou laissé dans le mésoduodénum est suturé à l’aide d’un monofilament résorbable de taille 4-0 (décimale 1,5).

Biopsies par laparoscopie

La laparoscopie permet de réaliser une intervention chirurgicale moins traumatique pour l’animal qu’une laparotomie, tout en permettant une biopsie de taille conséquente (comme en chirurgie ouverte). Une très bonne visualisation du pancréas est obtenue grâce à la magnification de l’image (photo 6). Deux ou trois points d’entrée (un port caméra et un ou deux ports instrumentaux) sont nécessaires selon le matériel employé. Les biopsies peuvent être réalisées à l’aide d’une pince à biopsie(1), de nœuds préserrés pour une ligature laparoscopique, par le placement en V d’hémoclips, par un bistouri harmonique ou avec une pince à fusion tissulaire. Les mêmes précautions que celles prises en chirurgie ouverte sont requises concernant le site de biopsie.

5 Complications

Les complications d’une biopsie du pancréas sont rares. La plus fréquente est l’induction d’une pancréatite et les autres rapportées sont en général liées aux procédures concomitantes de la biopsie du pancréas durant l’intervention chirurgicale [6].

La cicatrisation du pancréas a été évaluée chez le chien et le chat après des biopsies [6]. Une semaine après le prélèvement, une fibrose et une infiltration leucocytique sont observées. Les signes cliniques et la biochimie ne diffèrent pas par rapport à des animaux contrôles. Bien que le degré d’inflammation provoqué par la chirurgie du pancréas chez des animaux malades n’ait pas été étudié en profondeur, des lésions du pancréas sont induites par toute procédure sur cet organe, qu’il s’agisse d’une biopsie ou du retrait d’une tumeur.

L’impact clinique des biopsies pancréatiques a été étudié sur un petit nombre d’animaux, toujours des individus sains, indemnes de maladie pancréatique. En comparant les techniques de suture-fracture et de dissection mousse, aucune différence sur le plan tant clinique que biochimique n’a pu être mise en évidence [1]. Chez le chien, l’histopathologie a révélé une réaction inflammatoire légèrement plus sévère après la première procédure, mais cela n’a pas été relié à un impact clinique 1 semaine après la biopsie [1]. Des adhérences au pancréas ont été notées chez 3 des 19 chiens étudiés. Chez le chat, sur 15 animaux examinés, les signes cliniques non spécifiques identifiés ont été les suivants : inflammation de l’incision abdominale (3/15), fièvre (3/15), légère douleur à la palpation abdominale (15/15) et un épisode de vomissements [5].

Le pancréas reste un organe fragile et sensible à l’ischémie induite par l’anesthésie. Il doit être manipulé délicatement tout au long de la procédure. Il est coutume de conseiller d’éviter la manipulation du pancréas pour ne pas induire de pancréatite. Néanmoins, sa palpation est nécessaire et recommandée pour localiser les lésions. Aucune donnée n’a été publiée qui détermine le degré de manipulation acceptable.

Conclusion

Lorsque des précautions sont prises, la biopsie du pancréas n’est pas associée à des complications majeures, comme peuvent l’être l’hémorragie dans le cas des biopsies de foie ou la déhiscence des sutures lors de biopsies intestinales. Une manipulation délicate du pancréas et une bonne connaissance de l’anatomie de cet organe permettent de réaliser cet acte sans risque.

  • (1) Voir l’article “Biopsie du foie” du même auteur, dans ce numéro.

Références

  • 1. Allen S, Cornelius L, Mahaffey E. A comparison of two methods of partial pancreatectomy in the dog. Vet.Surg. 1989;18 (4):274-278.
  • 2. Cordner AP, Armstrong PJ, Newman SJ et coll. Effect of pancreatic tissue sampling on serum pancreatic enzyme levels in clinically healthy dogs. J. Vet. Diag.Invest. 2010;22:702-707.
  • 3. De Cock HE, Forman MA, Farver TB et coll. Prevalence and histopathologic characteristics of pancreatitis in cats. Vet. Pathol. 2007;44 (1):39-49.
  • 4. Guedes AG, Rude EP. Effects of pre-operative administration of medetomidine on plasma insulin and glucose concentrations in healthy dogs and dogs with insulinoma. Vet. Anaesth. Analg. 2013;40 (5):472-481.
  • 5. Lutz T et coll. Pancreatic biopsy in normal cats. Aust. Vet. 1994;J71:223-231.
  • 6. Pratschke KM, Ryan J, McAlinden A, McLauchlan G. Pancreatic surgical biopsy in 24 dogs and 19 cats: postoperative complications and clinical relevance of histological findings. J.Small Anim. Pract. 2015;56:60-66.
  • 7. Wouters EGH, Buishand FO, Kik M, Kirpensteijn J. Use of a bipolar vessel-sealing device in resection of canine insulinoma. J.Small Anim. Pract. 2011;52:139-145.

CONFLIT D’INTERETS

Aucun.

ENCADRÉ
Aspects anatomiques du pancréas à retenir lors d’une biopsie

Le pancréas est constitué d’un lobe droit et d’un lobe gauche qui sont reliés par le corps de l’organe. Le lobe droit s’étend le long du duodénum descendant. Le lobe gauche suit la grande courbure de l’estomac. Deux types de difficultés anatomiques se rencontrent.

→ La présence des canaux pancréatiques. Ils se situent environ au centre du pancréas et drainent chaque lobe avant de se rejoindre en regard du corps pour former deux conduits excréteurs : le conduit pancréatique et le conduit pancréatique accessoire. Le conduit pancréatique (ou canal de Wirsung) est le principal conduit chez le chat. Il s’abouche dans le duodénum au niveau de la papille duodénale majeure (elle-même située 4 à 6 cm en aval du pylore). Le conduit pancréatique accessoire (ou canal de Santorini) s’abouche au niveau de la papille duodénale mineure (2 cm environ en aval de la papille duodénale majeure). C’est le principal conduit excréteur chez le chien (figure 1). Chez le chat, le conduit pancréatique fusionne avec le canal cholédoque avant de s’ouvrir dans le duodénum descendant, particularité anatomique qui n’existe pas chez le chien.

→ La vascularisation. Certains vaisseaux sont primordiaux pour les organes qu’ils irriguent en dehors du pancréas. La vascularisation principale du pancréas vient de l’artère cœliaque, qui se divise en artère splénique, responsable de la vascularisation du lobe gauche, et en artère hépatique. En cas de lésion de l’artère splénique, une splénectomie est nécessaire. L’artère hépatique se poursuit par l’artère pancréatico-duodénale craniale qui rentre dans le corps du pancréas et irrigue le lobe droit. Ce sont ses branches qui irriguent le duodénum. En cas de lésion de l’artère pancréatico-duodénale craniale, une nécrose ischémique du duodénum peut être observée. L’artère pancréatico-duodénale caudale provient de l’artère mésentérique craniale et s’anastomose avec l’artère pancréatico-duodénale craniale dans le lobe droit du pancréas (figure 2).

Points forts

→ Aucune précaution particulière n’est nécessaire avant la réalisation d’une biopsie du pancréas, une fois l’animal stabilisé médicalement.

→ La faible taille de l’organe et sa proximité avec de nombreuses structures importantes demandent une bonne connaissance de l’anatomie.

→ La technique de la suture-fracture ne nécessite aucun matériel spécifique.

→ La complication la plus fréquente est la pancréatite et se manifeste cliniquement principalement chez les chats.

→ Les pinces de fusion tissulaire ne provoquent pas de pancréatite quand elles sont utilisées sur le pancréas.

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