Retour en chaleur chez deux chiennes stérilisées : du diagnostic au traitement - Le Point Vétérinaire n° 376 du 01/06/2017
Le Point Vétérinaire n° 376 du 01/06/2017

REPRODUCTION

Dossier

Auteur(s) : Juliette Roos*, Alain Fontbonne**

Fonctions :
*École nationale vétérinaire d’Alfort
6, rue Pierre-et-Marie-Curie
94700 Maisons-Alfort
juliette.roos@vet-alfort.fr

Après stérilisation, une femelle ne doit plus avoir de chaleurs : c’est précisément l’objectif recherché ! Lorsque cela arrive, la première hypothèse est un reliquat ovarien, mais ce n’est pas la seule.

Le syndrome de rémanence ovarienne peut prendre différentes formes et surtout avoir plusieurs origines. Une démarche rigoureuse est nécessaire pour aboutir au bon diagnostic et proposer les solutions adaptées au propriétaire.

Les deux cas qui suivent illustrent deux causes différentes de rémanence ovarienne pour un tableau clinique presque identique.

1 CAS CLINIQUES

Première chienne

COMMÉMORATIFS ET ANAMNÈSE

Une chienne shih tzu stérilisée de 5 ans et demi est présentée pour l’apparition de signes évoquant des chaleurs et remontant au mois précédent (photo 1). Une ovariectomie a été réalisée il y a environ 3 mois.

Trois semaines plus tôt, elle a présenté une vulve gonflée, associée à des pertes vulvaires séro-hémorragiques depuis 5 jours. Le vétérinaire traitant diagnostique alors un début d’œstrus grâce à un frottis vaginal, montrant plus de 80 % de cellules kératinisées. Il conseille un dosage de progestérone et une échographie abdominale. Pour ces examens, l’animal est référé au centre hospitalier universitaire vétérinaire d’Alfort (CHUVA). Le jour de la présentation, les chaleurs sont terminées et les pertes ont disparu.

La chienne est également suivie pour une maladie valvulaire mitrale dégénérative de stade 1 échocardiographique. Comme traitement, elle reçoit du Fortekor® 2,5 mg (bénazépril) un quart de comprimé par jour. Ses vaccinations sont à jour.

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL

Les signes cliniques sont en faveur d’une période de prœstrus chez une chienne stérilisée récemment [3].

Les hypothèses diagnostiques des écoulements vulvaires séro-hémorragiques chez une chienne stérilisée sont :

– un syndrome de rémanence ovarienne ;

– une tumeur vaginale ou vestibulaire ;

– une vaginite ;

– un traumatisme vaginal ;

– une origine urinaire ;

– une coagulopathie.

Les hypothèses diagnostiques du syndrome de rémanence ovarienne sont :

– une rémanence chirurgicale : présence d’un reliquat ovarien ;

– une rémanence ovarienne d’origine iatrogène (traitement aux œstrogènes des propriétaires ou médicaments œstrogéniques administrés à l’animal) ;

– des métastases d’une tumeur ovarienne sécrétant des œstrogènes ;

– des cellules ovariennes disséminées le long du ligament suspenseur de l’ovaire ;

– un ovaire surnuméraire dans le ligament suspenseur de l’ovaire.

EXAMENS COMPLÉMENTAIRES

→ Pour confirmer la présence d’œstrogènes, des dosages de progestérone et d’hormone lutéinisante (LH) sont réalisés (photo 2). Elle est confirmée et un taux basal de LH est mis en évidence (tableau 1).

→ Une échographie abdominale est réalisée à la recherche de l’origine de la sécrétion d’œstrogènes (reliquat ovarien visible ou autres structures anormales pouvant sécréter des œstrogènes). Un reliquat ovarien est suspecté sur les coupes de gauche (photo 3).

TRAITEMENT

Une laparotomie exploratrice pour rechercher un reliquat ovarien a été entreprise. Un nodule évoquant un kyste ou un reliquat ovarien en regard du pédicule ovarien gauche est retiré par laparotomie (photo 4). Une hystérectomie ainsi qu’une résection du pédicule droit sont également réalisées. L’analyse histologique est refusée par les propriétaires pour des raisons financières.

ÉVOLUTION

À la suite de l’intervention chirurgicale, cette chienne n’a plus montré de signes de chaleur.

Seconde chienne

COMMÉMORATIFS ET ANAMNÈSE

Une chienne cavalier king charles stérilisée de 6 ans et demi est présentée pour des signes évocateurs de chaleur depuis quelques mois, se caractérisant par une vulve gonflée associée à des pertes vulvaires séro-hémorragiques.

Une stérilisation (technique inconnue) a été réalisée à l’âge de 1 an.

Elle est également suivie hors du CHUVA pour une alopécie unilatérale du flanc droit (probable alopécie X), des troubles cardiaques et une agénésie du rein gauche. Elle aurait également subi une intervention chirurgicale pour le retrait de “kystes utérins”, sans autre information sur cette opération ou d’éventuelles analyses associées.

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL

Les signes cliniques sont également en faveur d’une période de prœstrus chez une chienne stérilisée depuis plusieurs années. Un syndrome de rémanence ovarienne est fortement suspecté.

La présentation clinique étant similaire à celle de la première femelle, les hypothèses diagnostiques sont les mêmes.

EXAMENS COMPLÉMENTAIRES

→ Les dosages de progestérone et de LH confirment la présence d’œstrogènes et montrent un taux de LH non basal (tableau 2).

→ Comme dans le premier cas, une échographie abdominale est réalisée, à la recherche de l’origine de la sécrétion des œstrogènes. Elle n’a pas mis en évidence de structure ovarienne. Lors de recherche de reliquat ovarien, cet examen ne permet pas de l’exclure de façon certaine (manque de sensibilité).

Un interrogatoire plus détaillé de la propriétaire à la recherche d’une origine iatrogène a été décidé, après exclusion des autres causes possibles, en raison de la délicatesse du sujet abordé.

La propriétaire rapporte l’utilisation quotidienne d’une crème à base d’œstrogènes (Estreva gel®, traitement hormonal substitutif des symptômes de déficit en œstrogènes chez les femmes ménopausées), avec laquelle le chien est en contact.

Le résumé des caractéristiques du produit précise l’existence d’un transfert du principe actif par contact avec la personne traitée. Cela explique la possible transmission d’œstrogènes à cet animal.

TRAITEMENT

Il convient de limiter autant que possible l’accès du chien au traitement de sa propriétaire. Celle-ci ne doit plus le prendre dans les bras (ou bien porter des manches) et ne pas le caresser sans s’être lavé les mains avant. Il convient aussi d’éviter les léchages de l’animal.

Les consignes à appliquer par la propriétaire lors de la prise de son traitement sont valables tant pour la protection de l’animal que pour celle des personnes environnantes. Elles sont indiquées sur la notice du médicament.

Nous n’avons pas pu suivre l’évolution de ce cas, la propriétaire ne s’étant pas présentée aux rendez-vous de contrôle. Néanmoins, le pronostic est excellent si les consignes sont respectées.

2 DISCUSSION

Étiopathogénie

Les deux cas illustrent les multiples causes possibles du syndrome de rémanence ovarienne chez la chienne. La plus fréquente, de loin, est le reliquat ovarien. Lequel se présente lui-même sous plusieurs formes (morceau resté ou dissémination). Les autres causes, assez nombreuses, doivent être systématiquement envisagées(1) et peuvent ainsi éviter une laparotomie exploratrice infructueuse. Cela aurait été le cas avec la seconde chienne.

Présentation clinique

Elle est presque toujours la même : le retour en chaleur comme dans ces deux cas avec les signes de prœstrus. Mais il en existe d’autres plus rares (lactation, comportement, hyperplasie mammaire, etc.).

Diagnostic

Si le pronostic est excellent, il est en revanche impératif de suivre une démarche diagnostique rigoureuse afin de traiter l’animal. En effet, les conséquences en cas d’absence de traitement peuvent être délétères et mettre en jeu le pronostic vital de l’animal : pyomètre, tumeur ovarienne ou encore formation de masses mammaires(1) [5].

PREMIÈRE ÉTAPE : CONFIRMATION D’UNE IMPRÉGNATION ŒSTROGÉNIQUE

La première étape se fait par la réalisation d’un frottis vaginal (si la femelle est en période de chaleurs, soit plus de 80 % de cellules superficielles) et d’un dosage de LH (en particulier lorsque le frottis ne signe pas une imprégnation œstrogénique). Dans le cas de la seconde femelle, il peut cependant paraître étonnant que, malgré une imprégnation œstrogénique, le résultat du dosage semi-quantitatif de la LH soit supérieur à 1 ng/ml. Cela peut s’expliquer par le fonctionnement des noyaux kisspeptines(1). Lors de traitement par œstrogènes de la propriétaire de l’animal, celui-ci est en contact permanent avec le principe actif. Son taux d’œstrogènes circulants est donc probablement toujours au-dessus du seuil activateur des neurones KiSS, d’où une LH supérieure à 1 ng/ml malgré la présence d’œstrogènes [1].

SECONDE ÉTAPE : RECHERCHE DE LA SOURCE D’ŒSTROGÈNES

La seconde étape comporte la recherche de la source d’œstrogènes afin de la supprimer. Dans le cas de la seconde femelle, la prise des commémoratifs a permis de trouver l’origine des œstrogènes. Si ce sujet est souvent délicat à aborder avec les propriétaires, il est pourtant primordial de poser les bonnes questions. Cependant, même si les maîtres prennent des traitements hormonaux, la réalisation d’une échographie abdominale reste obligatoire (plusieurs sources d’œstrogènes étant possibles).

L’échographie abdominale est un examen peu sensible dans la recherche de reliquat ovarien. Pour augmenter cette sensibilité, il est intéressant de le réaliser lors d’un épisode de chaleurs. Dans certains cas de rémanence ovarienne, les femelles sont cyclées et ne sont pas en chaleurs en permanence. Il est alors important de réaliser l’échographie pendant les chaleurs (confirmées par un frottis vaginal) pour avoir plus de chance d’observer des structures actives (follicules ou corps jaune en toute fin de chaleurs qui peuvent apparaître comme des structures circulaires à contenu anéchogène plus simple à visualiser).

La laparotomie exploratrice est un moyen de diagnostic et de traitement. Lorsque aucune structure n’est visible à l’échographie (et que les surrénales semblent normales) et que l’animal n’a accès à aucun traitement hormonal, elle se révèle nécessaire pour réséquer les deux pédicules ovariens et réaliser une hystérectomie. L’ensemble des prélèvements est envoyé au laboratoire pour une analyse histologique afin de déceler des reliquats de tissus ovarien macroscopiquement non visibles. Parfois, cette étape ne peut pas être réalisée, comme pour la première femelle. C’est l’évolution de l’animal qui permet alors de conclure. En effet, si aucun retour en chaleur n’est observé dans les années suivant l’intervention (comme pour la première femelle), il est possible d’affirmer que les résidus de tissu ovarien ont bien été retirés. Si la femelle revient en chaleur, d’autres sources doivent être recherchées : examen des glandes surrénales ou ovaire surnuméraire, par exemple [4].

Traitement

Le traitement consiste en la suppression de la source des hormones incriminées. La plupart du temps, une intervention est décidée, qui vise la résection des structures résiduelles responsables, avec, autant que faire se peut, une analyse histologique. Puis, le cas échéant, une nouvelle démarche diagnostique plus poussée ou plus ciblée est entreprise avec la certitude d’avoir exclu l’origine ovarienne.

Dans le cas d’une origine iatrogène, il est important de rappeler les règles de bonne utilisation du médicament qui se trouvent dans le résumé des caractéristiques du produit. Ainsi, dans le cas de la seconde femelle, chez laquelle le transfert se faisait probablement par voie topique, les règles d’application du gel sont les suivantes : la propriétaire doit se laver les mains avec du savon après avoir appliqué le gel, couvrir la zone d’application avec un vêtement une fois que le gel a séché et se doucher avant toute situation où le contact est possible. En ce qui concerne l’animal, si un contact a lieu, il convient de laver à l’eau et au savon la surface de peau susceptible d’avoir été en contact avec l’œstradiol. Ces règles doivent être strictes et les gynécologues obstétriciens racontent à ce propos qu’un transfert vers le mari peut même se produire (avec perte de la libido et gynécomastie).

Pronostic

Le pronostic est excellent dès l’instant où le traitement a été adapté. En fonction des éléments qui nous ont été rapportés, la première chienne a été guérie et il est possible de le supposer pour la seconde puisque les propriétaires ne sont pas revenus.

Conclusion

Ces deux cas montrent l’importance de la démarche diagnostique dans la prise en charge de la rémanence ovarienne. En raison de la variabilité des causes possibles et du malaise ressenti par les cliniciens, qui peuvent se sentir responsables de prime abord, il est primordial de suivre, étape par étape, cette approche. Cela permet d’aboutir au bon traitement sans négliger l’hypothèse d’une origine iatrogène ou autre.

  • (1) Voir l’article “Le syndrome de rémanence ovarienne chez la chienne : mécanismes, clinique et diagnostic” des mêmes auteurs, dans ce numéro.

Références

  • 1. Caraty A, Franceschini I, Hoffman GE. Kisspeptin and the preovulatory gonadotrophin-releasing hormone/luteinising hormone surge in the ewe: basic aspects and potential applications in the control of ovulation. J. Neuroendocrinol. 2010;22 (7):710-715.
  • 2. Concannon PW. Reproductive cycles of the domestic bitch. Anim. Reprod. Sci. 2011;124 (3-4):200-210.
  • 3. England G, Heimendahl A von. BSAVA manual of canine and feline reproduction and neonatology. Wiley and Sons. 2011:240p.
  • 4. Miller DM. Ovarian remnant syndrome in dogs and cats: 46 cases (1988-1992). J. Vet. Diagn. Invest. 1995;7(4):572-574.
  • 5. Sangster C. Ovarian remnant syndrome in a 5-year-old bitch. Can. Vet. J. 2005;46(1):62-64.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à notre Newsletter

Découvrez en avant-première chaque mois le sommaire du Point Vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr