Luxation du tendon du muscle fléchisseur superficiel des doigts - Le Point Vétérinaire expert canin n° 375 du 01/05/2017 Echec de la connexion : Too many connections
Le Point Vétérinaire expert canin n° 375 du 01/05/2017

CHIRURGIE ORTHOPÉDIQUE

Cas clinique

Auteur(s) : Tiare Delaune*, Delphine Martin**, Fabrice Bernard***

Fonctions :
*CHV Saint-Martin, 275, route Impériale,
74370 Saint-Martin-Bellevue
chirurgie@chvsm.com
**Clinique des Mondoux,
51, rue Gabriel-Lacueille,
24000 Périgueux
***CHV Saint-Martin, 275, route Impériale,
74370 Saint-Martin-Bellevue
chirurgie@chvsm.com

La luxation du tendon du muscle fléchisseur superficiel des doigts est une affection peu fréquente, traitée par chirurgie reconstructrice. Le pronostic de récupération est en général excellent.

Une chienne colley pesant 20 kg et âgée de un an et demi est présentée en consultation pour l’exploration d’une boiterie du membre pelvien droit d’apparition brutale, ne rétrocédant pas sous traitement anti-inflammatoire.

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse et examen clinique

La chienne est référée pour une boiterie avec appui du membre pelvien droit apparue 5 jours avant la consultation à la suite d’exercices de course avec des changements de direction rapide. Initialement permanente, cette boiterie est intermittente au moment de la consultation. Aucune anomalie n’est détectée lors de l’examen clinique général.

2. Examens orthopédique et radiographique

Lors de l’évaluation de la démarche, une boiterie modérée du membre postérieur droit de grade 2 est constatée avec une aggravation aiguë intermittente (encadré).

L’examen orthopédique rapproché met en évidence un gonflement modéré des tissus mous en regard de la bourse synoviale du tarse droit. Une pronation associée à une flexion du tarse entraîne une luxation latérale du tendon du muscle fléchisseur superficiel des doigts (MFSD) en regard de la tubérosité du calcanéum (vidéo 1 complémentaire sur https://www.lepointveterinaire.fr). Lors de la manipulation, la luxation peut être induite et réduite manuellement par flexion puis extension du tarse.

Des radiographies centrées sur le tarse (photos 1a et 1b) sont réalisées afin d’évaluer le calcanéum et d’écarter la possibilité d’une autre lésion ostéo-articulaire (fracture du calcanéum par exemple). Elles sont complétées de radiographies incluant l’ensemble du muscle fléchisseur superficiel des doigts et la majorité du tendon, ce qui permet d’exclure une lésion de type arrachement osseux du point d’insertion proximal du tendon.

Elles mettent en évidence un gonflement discret des tissus mous en regard de l’extrémité proximale du calcanéum, ainsi qu’une gouttière de la tubérosité calcanéenne peu profonde. Aucune autre anomalie ostéo-articulaire n’est notée (photos 2a et 2b). L’examen clinique et les examens d’imagerie permettent donc de mettre en évidence une luxation latérale du tendon du MFSD.

3. Traitement chirurgical

Anesthésie générale

La prémédication du chien est réalisée par une administration lente intraveineuse (IV) de morphine (0,3 mg/kg), de diazépam (Valium® 0,2 mg/kg) et de kétamine (5 µg/kg) comme agent coanalgésique, afin de diminuer les besoins en isoflurane. Après induction à l’aide de propofol (titré au besoin) par voie IV et intubation endotrachéale, l’anesthésie est entretenue par un mélange d’isoflurane et d’oxygène pur, en circuit de type réinhalatoire. Une antibioprophylaxie à l’amoxicilline-acide clavulanique (Augmentin®(1) 12,5 mg/kg, IV lente) est instaurée.

Un électrocardiogramme continu, ainsi qu’un monitorage de la pression partielle en oxygène, de la température corporelle, de la capnométrie et de la pression artérielle sont mis en œuvre. Une perfusion de lactate de Ringer au débit de 5 ml/kg/h est instaurée pendant toute la durée de l’intervention chirurgicale.

Technique chirurgicale

Un abord médial du calcanéum s’étendant de la partie distale du tendon calcanéen commun jusqu’au quart proximal du calcanéum est réalisé, et les tissus sous-cutanés sont disséqués puis écartés à l’aide d’écarteurs Gelpi (photo 3). Le tissu fibreux délimitant la bourse synoviale en portion médiale est identifié et une incision parallèle à la limite médiale du tendon MFSD est pratiquée en prenant garde de ne pas l’endommager et de ne pas léser le tendon calcanéen situé plus proximalement. Après ouverture de la bourse articulaire distendue, une faible quantité de liquide sérosanguinolant s’en écoule. La pseudo-articulation est irriguée (photo 4). Le tendon est réduit. Des mouvements de flexion-extension du tarse permettent de vérifier la bonne réduction et de jauger la tension nécessaire pour maintenir le tendon en place, et l’excès de rétinacle est ainsi réséqué. Le rétinacle médial est alors mis sous légère tension par apposition de sept sutures simples interrompues avec un fil monofilament non résorbable en nylon (Ethilon® 2-0) entre le rétinacle médial et le tendon du MFSD, avec une aiguille triangulaire (photos 5a et 5b). Une pression digitée réalisée de part et d’autre du tendon permet de s’assurer qu’il est bien réduit, stable, centré sur l’extrémité proximale du calcanéum, et qu’aucune luxation médiale ou latérale du tendon n’est possible.

Les plans sous-cutanés puis cutanés sont ensuite refermés à l’aide d’un fil résorbable monofilament (Biosyn® 3-0) et d’un fil non résorbable monofilament (Monosof® 4-0).

Un pansement de type Robert Jones modifié avec une attelle en résine positionnée latéralement est mis en place.

4. Soins postopératoires

Des injections sous-cutanées de morphine sont effectuées toutes les 4 heures pendant les 12 premières heures post­opératoires. Un traitement anti-inflammatoire à base de cimicoxib à la dose de 2 mg/kg est instauré au cours de l’hospitalisation et poursuivi pendant 4 jours. L’animal est rendu à ses propriétaires 24 heures après l’intervention chirurgicale et un repos strict de 4 semaines au minimum avec un changement hebdomadaire du pansement avec attelle est préconisé.

5. Évolution

Au retrait de l’attelle à 4 semaines postopératoires, la bourse calcanéenne est stable et la chienne ne boite que très légèrement. Lors du suivi à 8 semaines après l’intervention chirurgicale, la boiterie a disparu et une reprise progressive de l’exercice est instaurée (vidéos 2 et 3 ­complémentaires sur https://www.lepointveterinaire.fr).

DISCUSSION

1. Épidémiologie

La luxation du tendon du MFSD est une anomalie peu fréquente chez le chien. Elle a également été décrite chez les chevaux, les bovins et 1 chat [1, 3, 4, 6-8]. Chez le chien, elle touche généralement des animaux jeunes ou d’âge moyen. Les individus atteints sont en grande majorité de race shetland ou colley (ces deux races représentent 65  % des cas décrits dans les publications) [3]. Plusieurs travaux rétrospectifs rapportent que la luxation du MFSD est légèrement plus fréquente chez les femelles shetland que chez les mâles, et cela de façon significative dans une étude portant sur 89 cas [8, 9]. Sur l’ensemble des 114 cas rapportés dans les articles publiés, 69 femelles, 35 mâles et 10 animaux de sexe indéterminé ont été atteints [1, 345-6, 8, 9].

2. Anatomie

Le MFSD prend origine avec le chef latéral du gastrocnémien sur la tubérosité supracondylienne fémorale et l’os sésamoïde latéral (figure). À mi-hauteur du tibia, son tendon s’enroule autour de celui du gastrocnémien et s’élargit pour coiffer la tubérosité calcanéenne. Ce ­tendon compose donc la partie la plus superficielle du tendon calcanéen, devenant un tendon plat au niveau de la tubérosité calcanéenne. Des rétinacles s’insérant médialement et latéralement stabilisent le tendon sur l’extrémité du calcanéum. Une bourse synoviale est présente entre le tendon et la tubérosité calcanéenne. Le tendon continue ensuite distalement et se divise en quatre branches s’insérant chacune sur un doigt [2]. Une rupture du rétinacle médial entraîne une luxation latérale du tendon et inversement pour une rupture du rétinacle latéral.

3. Causes de la luxation du MFSD

Les mécanismes physiopathologiques à l’origine de la luxation du tendon du MFSD ne sont actuellement pas encore complètement élucidés. Cependant, une étude chez le shetland suggère un caractère autosomique récessif de cette affection [9]. Une anomalie de conformation de la tubérosité calcanéenne pourrait également contribuer à son apparition [8]. En effet, la tubérosité calcanéenne du membre atteint présente en général un sillon peu profond (quand il n’est pas absent) et une pente orientée disto-latéralement par rapport au membre controlatéral lors d’affection unilatérale [3, 6, 8]. Ainsi, comme dans le cas présenté ici, cette dysplasie de la tubérosité calcanéenne contribue à rendre le tendon instable [3]. L’insertion du rétinacle du tendon du MFSP est également plus importante du côté latéral que du côté médial [6]. Cela pourrait expliquer pourquoi la luxation du MFSP est latérale par déchirement du rétinacle médial dans la grande majorité des cas : sur les 114 cas de luxation du tendon du MFSD rapportés dans les publications, seuls 2 d’entre eux présentaient une luxation médiale (soit plus de 98  % de cas de luxation latérale). Enfin, des facteurs biomécaniques prédisposants tels que la rotation de l’articulation avec le tarse en position fléchie, un traumatisme ou un animal obèse ont été avancés [1, 6, 8].

4. Signes cliniques et diagnostic

Les animaux atteints sont en général présentés pour une boiterie d’apparition aiguë, le plus souvent intermittente (car, comme pour les luxations de rotule, il s’agit d’une boiterie d’origine mécanique). Tel était le cas de notre chien. La boiterie peut également être permanente, de grade 1 à 5. Un épanchement de synovie de la bourse calcanéenne est présent dans tous les cas [1, 3-9]. La luxation peut souvent être induite et réduite manuellement par flexion puis extension du tarse. Lors d’atteinte chronique, le tendon est parfois luxé en permanence, un gonflement des tissus mous en regard du calcanéum étant alors la seule anomalie détectable.

Il est recommandé de réaliser des radiographies du membre atteint et du membre controlatéral, avec des images de l’entièreté du tendon afin d’écarter un possible arrachement osseux de son attache proximale, mais aussi d’autres clichés centrés sur l’articulation en question, afin d’exclure toute autre cause de boiterie (fracture du calcanéum, infection ostéo-articulaire, etc.) et d’évaluer l’anatomie des tubérosités calcanéennes.

Un examen échographique présente un intérêt lorsque la luxation ne peut pas être facilement mise en évidence par l’examen orthopédique, ou pour exclure la présence d’un déchirement supplémentaire du tendon (par exemple un déchirement longitudinal) [3].

5. Traitement

Le traitement conservateur par mise au repos et gestion temporaire de la douleur est en général inefficace sur le plan fonctionnel.

Le traitement chirurgical, s’il est réalisé avant le développement d’un tissu fibreux abondant, donne d’excellents résultats (plus de 92  % de réussite dans une étude) [8]. Dans le cas décrit ici, l’intervention chirurgicale ayant été réalisée 5 jours après l’apparition des premiers signes cliniques, la réduction du tendon a été aisée.

En première intention, le tendon est suturé aux tissus situés sur la zone d’insertion du rétinacle lésé (base du rétinacle ou périoste) par le biais de huit à dix sutures simples d’apposition à l’aide d’un fil monofilament non résorbable. Si le rétinacle présente une élongation, il peut être réséqué ou imbriqué. Les principes de base d’une suture tendineuse doivent être respectés, en utilisant du matériel de suture non résorbable, peu inflammatoire, de gros diamètre, et des aiguilles triangulaires ou tapercut afin de faciliter la pénétration dans le tendon et de limiter ainsi le risque d’endommager le tendon.

Si peu de tissus mous de bonne qualité sont à disposition (tissu fibreux trop abondant ou reprise de la chirurgie à la suite d’une mauvaise contention postopératoire), une ou deux vis peuvent être insérées à proximité du tendon au niveau du calcanéum et être utilisées comme ancrages pour les sutures [5]. De la même manière, deux trous peuvent être forés à travers la tubérosité pour faciliter le placement des sutures entre le tendon et le calcanéum [3, 6].

En cas d’échec du traitement, il est possible de renforcer le rétinacle avec une maille en polypropylène [5]. Il s’agit de la technique recommandée pour le traitement des luxations du tendon du MFSD chez les chevaux.

La contention du membre opéré pendant la période post­opératoire est essentielle pendant 2 à 4 semaines, avec une restriction de l’effort 2 à 4 semaines de plus. Une mauvaise contention ou un effort non réduit augmentent le risque de récidive [1, 3-6, 8].

6. Pronostic

Le pronostic de récupération est excellent à la suite de l’intervention chirurgicale [1, 3-9]. Selon les publications, seules 6  % de récidives nécessitent une seconde opérations (généralement à la suite d’une mauvaise contention du membre).

Dans plus de 90  % des cas rapportés, la boiterie est unilatérale. Une luxation bilatérale des tendons du MFSD n’a été décrite que chez 3 animaux, avec un intervalle variant de 3 à 12 mois entre chaque épisode [1, 3, 6].

Conclusion

La luxation du tendon du MFSD est une affection rare des chiens, touchant en grande majorité les races shetland et colley. Un examen clinique permet de confirmer le diagnostic. Un examen radiographique est néanmoins nécessaire pour exclure d’autres affections. Le traitement est chirurgical, avec un résultat excellent lors de prise en charge précoce, à condition qu’une contention adéquate du membre en phase postopératoire soit mise en place.

Cependant, le pronostic s’assombrit lorsque la maladie est chronique. Des techniques chirurgicales employant des moyens de renforcement du rétinacle doivent alors être envisagées.

  • (1) Médicament humain.

Références

  • 1. Bernard MA. Superficial digital flexor tendon injury in the dog. Can. Vet. J. 1977;18:105-107.
  • 2. Evans HE. Miller’s anatomy of the dog. 3rd ed. Saunders, Philadelphia, Pennsylvania, USA. 1993:369-370.
  • 3. Gatineau M, Dupuis J. Longitudinal tendon tear concurrent with bilateral medial luxation of the superficial digital flexor muscle tendon in a dog. Vet. Comp. Orthop. Trauma. 2010;4:289-293.
  • 4. Hoscheit LP. Luxation of the tendon of the superficial digital flexor tendon in two dogs. Can. Vet. J. 1994;35:120-121.
  • 5. Houlton JEF, Dyce J. The use of polypropylene mesh for revision of failed repair of superficial digital flexor tendon luxation in three dogs. Vet. Comp. Orthop. Trauma. 1993;6:129-130.
  • 6. Mautorer JV, Prata RJ, Carberry CA, Schrader SC. Displacement of the tendon of the superficial digital flexor muscle in dogs: 10 cases (1983-1991). J. Am. Vet. Med. Assoc. 1993;203:1162-1165.
  • 7. McNicholas WT Jr, Wilkens BE, Barstad RD. Luxation of the superficial digital flexor tendon in a cat. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2000;36:174-176.
  • 8. Reinke JD, Mughannam AJ. Lateral luxation of the superficial digital flexor tendon in 12 dogs. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1993;29:303-309.
  • 9. Solanti S, Laitinen O, Atroshi F. Hereditary and clinical characteristics of lateral luxation of the superficial digital flexor tendon in Shetland sheepdogs. Vet. Ther. 2002;3:97-103.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Grades de boiterie (appliqués séparément au pas et au trot)

→ 0 : normal.

→ 1 : boiterie légère, intermittente.

→ 2 : boiterie avec appui, marquée.

→ 3 : boiterie avec appui, sévère.

→ 4 : boiterie sans appui, intermittente.

→ 5 : boiterie sans appui, continue.

Points forts

→ La luxation du tendon du muscle fléchisseur superficiel des doigts est une lésion peu fréquente, touchant des animaux jeunes ou d’âge moyen. Le shetland et le colley font partie des races les plus souvent atteintes.

→ Cette luxation se fait dans la majorité des cas par un déchirement du rétinacle médial pour les luxations latérales et, moins fréquemment, par un déchirement du rétinacle latéral pour les luxations médiales.

→ Le diagnostic est fondé sur l’examen clinique et le traitement est chirurgical.

→ La réparation chirurgicale se fait par suture du rétinacle rompu et du tendon.

→ Une immobilisation postopératoire est primordiale.

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