La maladie valvulaire dégénérative chez le cavalier king charles : apport de l’histologie - Le Point Vétérinaire expert canin n° 375 du 01/05/2017
Le Point Vétérinaire expert canin n° 375 du 01/05/2017

HISTOLOGIE CARDIAQUE

Article de synthèse

Auteur(s) : Tracy Rocq

Fonctions : Rue Nouvelle Cossette 93,
7390 Quaregnon, Belgique

La précocité et la sur-représentation des atteintes cardiaques du cavalier king charles sont une énigme que beaucoup de chercheurs essaient de percer. La première étape consiste à explorer le niveau cellulaire.

La maladie valvulaire dégénérative (MVD) est très commune chez le chien âgé de petite race. Chez le cavalier king charles (CKC), sa prévalence est encore plus élevée, et elle se développe plus précocement avec une évolution plus rapide (photo 1) [17]. Les mâles CKC sont atteints par la MVD vers l’âge de 3 à 4 ans, alors que les femelles de cette race le sont vers 4 à 5 ans. Cinquante pour cent des CKC présentent un souffle systolique dû à la régurgitation mitrale à l’âge de 5 à 6 ans et presque 100 % à celui de 10 ans [16].

Les signes cliniques de la maladie, son évolution et son traitement sont bien connus (photos 2, 3a et 3b). En revanche, son aspect histopathologique reste assez méconnu. Quelques données ont toutefois pu être établies, prélude à une élucidation future.

ASPECTS MACROSCOPIQUES ET HISTOLOGIQUES DE LA VALVE MITRALE CANINE SAINE

1. Observations macroscopiques

La valve mitrale du chien est très similaire à celle de l’homme. Elle est constituée de deux valvules qui prennent ancrage sur une structure située entre la paroi atriale et la paroi ventriculaire, appelée anneau mitral (photo 4). L’une des valvules est en continuité avec l’aorte (valvule craniale ou aortique) et la seconde, avec l’endocarde de l’atrium gauche et la paroi ventriculaire (valvule caudale) [12]. Leurs tailles sont inégales, la valvule craniale étant la plus grande [4, 16].

Une valve saine est fine et transparente [2].

Les valvules, ou cuspides ou feuillets, sont soutenues par des cordages tendineux (tableau 1). Ceux-ci empêchent le prolapsus de la valve (à savoir le ballonnement du corps de la valve mitrale dans l’atrium gauche en fin de systole) en faisant le lien entre ses feuillets et les muscles papillaires, qui sont en continuité avec la paroi ventriculaire gauche [2, 4, 9, 12, 16].

Les cordages sont classés de différentes façons :

– des cordages primaires (s’attachant à un bord libre des feuillets) ;

– des cordages secondaires (plus épais que les précédents, qui s’attachent à la surface ventriculaire des feuillets et à leur bord libre où ils forment une zone rugueuse) et tertiaires (associés au feuillet caudal) ;

– mais aussi des cordages commissuraux (insertion aux commissures des feuillets, comme les cordages primaires), de la zone rugueuse (insertion à la surface ventriculaire des deux feuillets, tels que les cordages secondaires), de support (insertion sur le bord libre du feuillet cranial ; les cordages primaires en sont un exemple), basaux (insertion à la base du feuillet caudal et s’élevant du ventricule ou d’un petit trabécule, comme les cordages tertiaires) et de renfoncement (insertion sur le bord libre du feuillet caudal, tels que les cordages primaires) [12].

2. Observations histologiques

Les valvules sont constituées de quatre couches : atriale, spongieuse, fibreuse et ventriculaire [9].

Chez le chien sain, la couche atriale comprend des cellules endothéliales reposant sur du tissu conjonctif (constitué de collagènes I, III, IV et VI et de fibres élastiques) et des cellules musculaires lisses [3, 5, 9, 18].

La couche spongieuse renferme des fibres de collagènes IV et VI (peu de collagènes I et III), des fibres élastiques et des cellules (notamment des fibroblastes et des adipocytes dans le tiers proximal de la couche) contenues dans une matrice riche en glycosaminoglycanes (GAG) et en liquides [3, 5, 9, 18].

La couche fibreuse est formée de fibres de collagènes I, III, IV et VI qui sont en contact avec celles de l’anneau valvulaire et le tissu du cordage tendineux (composé de collagène, de fibres élastiques, de protéoglycanes et de glycoprotéines), et est dense et compacte [1, 3-5, 9, 18].

De la laminine est présente dans les trois couches précédemment citées [3].

La couche ventriculaire ressemble à la couche atriale. Elle est riche en fibres élastiques, de collagène et recouvertes d’un endothélium, mais ne possède pas de cellules musculaires lisses [9, 18]. Les couches du tiers distal de la valvule sont très peu discernables, il s’agit principalement de la couche spongieuse [3].

ASPECTS MACROSCOPIQUES ET HISTOLOGIQUES DE LA VALVE MITRALE D’UN CHIEN ATTEINT DE MVD

1. Observations macroscopiques

Comme chez l’homme, les lésions mitrales sont évolutives (tableau 2, photos 5a à 5f) [2, 16]. Macroscopiquement, des nodules sur les bords libres des valves sont observés. Les valvules sont épaissies.

Les lésions s’aggravent avec le temps : tout d’abord, un prolapsus valvulaire (qui débute la MVD chez le CKC, avant même qu’un souffle ou un remodelage cardiaque ne surviennent ; les feuillets et cordages s’affinent en raison de la perte de fibres de collagène, s’étirent et induisent le prolapsus), puis l’apparition de petits nodules marginaux qui se rejoignent en plages plus ou moins coalescentes. Les feuillets s’épaississent, se rétractent et se tordent. La rupture des cordages peut intervenir dès les premiers stades, mais elle est plus fréquente lorsque les modifications de structure sont plus avancées [12, 14]. Un remaniement mineur de la valve tricuspide est également noté [14].

Les lésions prédominent en regard du tiers distal des feuillets [9].

Des lésions dues au reflux sanguin dans l’atrium gauche (plaque fibreuse à l’endroit où la régurgitation mitrale aboutit) sont possibles : lésions de jet sur le septum, la paroi postérieure de l’atrium gauche, au niveau de la grande valve près des valves sigmoïdes aortiques, avec une hypertrophie de l’anneau mitral [9, 12, 14].

Une modification de la structure des vaisseaux sanguins (pulmonaires surtout, mais aussi coronaires, rénaux, et ceux qui irriguent les muscles papillaires) est parfois observée (en raison de l’hypertension qui y règne) [2, 7, 11, 12].

Les changements décrits sont une irrégularité et une fragmentation de la membrane élastique interne, un épaississement de l’intima avec une formation de plaques qui s’étendent dans la lumière artérielle (artériosclérose), une prolifération de cellules musculaires lisses et de fibroblastes, et un dépôt de matériel hyalin dans la paroi (jusqu’à obstruer la lumière vasculaire).

Les artères coronaires s’en trouvent rétrécies. Un lien existe entre ce rétrécissement et la fibrose ventriculaire gauche. L’artériosclérose intramurale est surtout flagrante en regard des piliers (muscles papillaires) [8].

2. Observations histologiques

Chez les CKC et en comparaison des coupes de référence des chiens sains d’une autre race, les lésions suivantes sont observées : une hypertrophie de la couche spongieuse ; des fibres de collagène désorganisées, clairsemées, en spirale ; un polymorphisme des cellules de l’endothélium et une destruction de la membrane basale ; une diminution de la différenciation des cellules stromales en fibroblastes, des fibroblastes en cellules musculaires lisses et en myofibroblastes (tableau 3, photos 6a à 6f et 7a à 7c). Une accumulation de GAG apparaît avant leur exclusion (au cours des étapes histologiques préliminaires) dans la couche spongieuse. Cela se traduit par un espace blanc dans la couche spongieuse hypertrophiée. Les lésions des cordages tendineux sont les suivantes : fibres de collagène moins parallèles et survenue de noyaux ronds à activité sécrétoire dans les couches spongieuse et fibreuse (photos 8a à 8d).

L’hypertrophie de la couche spongieuse est due à l’accumulation de GAG (chondroïtine sulfate et acide hyaluronique) et à un œdème, à l’origine de l’épaississement nodulaire observé macroscopiquement. Les fibres de collagène sont désorganisées, clairsemées et en spirale (menant à un amincissement de la couche fibreuse) [2, 9, 12-14].

Le polymorphisme des cellules de l’endothélium est bien visible à l’histologie. Les cellules endothéliales changent d’apparence [2]. Cela peut aller jusqu’à la perte de l’endothélium atrial [2, 6, 12]. Les fibres de collagène apparaissent dès lors à cet endroit, dénotant une destruction de la lame basale[2].

Une diminution de la différenciation des cellules stromales en fibroblastes, et des fibroblastes en cellules musculaires lisses et en myofibroblastes est observée conformément aux descriptions des articles publiés [7, 11]. Ces anomalies sont associées à différents phénomènes.

Les cordages tendineux sont eux aussi lésés au niveau microscopique (fibres de collagène moins parallèles) et cela peut aller jusqu’à leur rupture (macroscopique) [2, 9, 10, 12, 14]. Des noyaux ronds apparaissent également entre les fibres collagéniques des cordages, qui signent une activité sécrétoire en cours. Cette dernière observation n’est pas décrite dans les publications, quelle que soit la race de chien en question.

Les coupes histologiques de cet article représentent le stade sévère, mais il existe d’autres stades. Le stade premier de la maladie se caractérise par des lésions au sein de la couche atriale. La lame basale se dédouble à certains endroits. La substance fondamentale s’accumule en petits nodules contenant des cellules qui semblent “activées” [7, 10, 11], des petits fibroblastes, des lacunes ou des bulles vides pseudo-adipeuses, ainsi que des lobules pseudovasculaires [14]. Les fibres de collagène sont interrompues, dispersées et désorganisées [1, 10-12, 14]. Ces lésions sont constatées sur les bords libres de la valve, rendue moins souple, plus opaque et plus épaisse. Dans le stade plus avancé sont observées une augmentation de l’expression de protéoglycanes et de laminine, et une infiltration de collagène VI, ce qui a pour effet de désorganiser et de dissocier les fibres élastiques de la couche atriale. Dans les nodules, une zone centrale, constituée des quatre types de collagène, et une zone marginale, formée de collagènes I (surtout) et VI, de laminine et d’élastine, sont distinguées. La partie proximale de la valvule n’est pas touchée [12].

Les changements constatés au niveau cellulaire dans cette étude et l’aspect histopathologique des feuillets de la valve mitrale des CKC atteints de MVD sont analogues à ceux qui sont observés dans les autres races canines. La forme “CKC” de la maladie se distingue uniquement par son apparition précoce, son stade “prolapsus” (bien que des prolapsus mitraux puissent être constatés dans d’autres races) et sa vitesse de progression d’un point de vue histologique, donc également clinique [15].

Conclusion

L’examen histologique montre des lésions valvulaires aboutissant à des pertes (fibres élastiques et collagène) que l’accumulation de substance fondamentale tente de compenser (tentative de réparation). Les cordages tendineux sont également touchés. D’autres lésions, dues à la modification de fonctionnement et d’étanchéité des valves, sont mises en évidence au niveau des muscles papillaires, de l’atrium et des vaisseaux sanguins.

Si la forme clinique de la MVD du CKC n’a plus de secret pour les praticiens et que son aspect anatomopathologique est connu, il n’en va pas de même de la cause de cette spécificité. Pourquoi cette affection est-elle plus fréquente et de processus plus accéléré dans cette race ? Existe-t-il un mécanisme de vieillissement prématuré ? La génétique joue probablement un grand rôle, mais son implication réelle reste encore très méconnue. Des facteurs extrinsèques (hypersensibilité ? critères mécaniques ? biologiques ?, etc.) favorisent-ils la maladie (l’impact de l’anxiété dans la race a même été évoqué !) ? Tout cela fait l’objet de nombreuses recherches dont les résultats sont attendus avec impatience.

Références

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  • 2. Aupperle H, Disatian S. Pathology, protein expression and signaling in myxomatous mitral valve degeneration: comparison of dogs and humans. J. Vet. Cardiol. 2012;14:59-71.
  • 3. Aupperle H, März I, Thielebein J et coll. Immunohistochemical characterization of the extracellular matrix in normal mitral valves and in chroni valve disease (endocardiosis) in dogs. Res. Vet. Sci. 2009;87(2):277-283. Epub 2009 Feb 25.
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Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ La maladie valvulaire dégénérative (MVD) est fréquente chez le chien, particulièrement chez le cavalier king charles (100 % des CKC âgés de plus de 10 ans). Elle doit être envisagée chez tout individu de cette race, surtout chez les mâles.

→ Le prolapsus valvulaire, l’épaississement des valvules ainsi qu’un remodelage cardiaque sont les lésions macroscopiques observées chez un chien atteint de MVD.

→ Sur le plan microscopique, les lésions aboutissent à des pertes de fibres élastiques et de collagène, compensées par l’accumulation de substance fondamentale.

→ La forme CKC de la maladie est plus précoce et évolue plus vite comparativement à ce qui est observé dans d’autres races canines, à la fois sur les plans histopathologique et clinique.

REMERCIEMENTS

À Fabien Gabriel, Jean-Michel Vandeweerd, Charles Nicaise, Gérard Le Bobinnec et Jean-François Rousselot

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