Strongyloïdose canine : une maladie émergente ? - Le Point Vétérinaire expert canin n° 372 du 01/01/2017
Le Point Vétérinaire expert canin n° 372 du 01/01/2017

PARASITOLOGIE CLINIQUE

Cas clinique

Auteur(s) : Maud Ménard*, Valérie Freiche**, Bruno Polack***

Fonctions :
* Service de médecine interne, CHUVA
** Service de médecine interne, CHUVA
***Service de parasitologie,
BioPôle AlfortÉcole nationale vétérinaire d’Alfort,
7, avenue du Général-de-Gaulle, 94704
Maisons-Alfort

La diarrhée est un signe clinique fréquent chez un chiot, son origine parasitaire aussi. Certains agents apparaissent, comme Strongyloides stercoralis, il convient désormais d’y penser.

La strongyloïdose est une parasitose souvent méconnue. Plusieurs cas ont été diagnostiqués par le laboratoire de parasitologie de l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA) cette année, chez des chiots n’ayant pas quitté la France métropolitaine. Cette affection ne doit donc pas être considérée comme une maladie exotique. Les signes cliniques sont non spécifiques et leur expression est variable d’un animal à l’autre. Comme l’illustre ce cas, une diarrhée chronique cachectisante chez un jeune chien doit être considérée comme un signe d’appel.

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse et commémoratifs

Un chiot boxer mâle non castré de 11 mois est référé pour une diarrhée chronique, une cachexie et un retard de croissance évoluant au moins depuis son acquisition en élevage à l’âge de 3 mois (photos 1a et 1b). Les selles sont liquides à bouseuses, avec des traces de sang en nature ou du mucus de manière intermittente. Aucune anorexie, ni ténesme ni dyschésie ni stéatorrhée ne sont rapportés par les propriétaires et la fréquence de défécation est modérément augmentée (environ trois fois par jour). Ces éléments sont en faveur d’une diarrhée d’origine mixte.

Les analyses biochimiques sanguines déjà réalisées par le vétérinaire traitant ont permis d’exclure les affections extradigestives responsables d’une diarrhée chronique et d’une cachexie chez un chiot (insuffisance pancréatique exocrine, insuffisance hépatique et affection hépatobiliaire, insuffisance rénale). Une panhypoprotéinémie, ainsi qu’une hypocobalaminémie ont été identifiées (tableau 1). L’hémogramme, l’analyse d’urine, la calcémie totale et la cholestérolémie étaient dans les valeurs usuelles. Des signes de colite ont été visualisés à l’échographie, l’exploration du reste de la cavité abdominale ne révélant pas d’anomalie.

Un examen coproscopique a été prescrit et a mis en évidence Giardia duodenalis et Cryptosporidium sp. (recherches par technique Elisa), aucun élément parasitaire n’a été visualisé à l’analyse par flottation. Un traitement antiparasitaire (fenbendazole, 50 mg/kg, une fois par jour, par voie orale [PO], pendant 3 jours en association avec du métronidazole pendant 3 semaines) a alors été instauré, sans amélioration clinique. L’analyse bactériologique des selles n’a pas mis en évidence de germes entéropathogènes et l’analyse mycologique s’est révélée négative. Un nouvel examen coproscopique a été réalisé par le vétérinaire traitant et a montré de nombreuses “larves de nématodes non identifiées”.

Plusieurs traitements ont été instaurés successivement ou en association : un antiparasitaire interne (deux cures de fenbendazole à la dose de 50 mg/kg/j, PO, pendant 3 à 5 jours), un traitement symptomatique de la diarrhée, une transition vers une alimentation hyperdigestible, une antibiothérapie (sulfaguanidine, framycétine ou métronidazole pendant 1 mois), une complémentation en cobalamine, puis un anti-inflammatoire stéroïdien à dose anti-inflammatoire (prednisolone, 1 mg/kg/j, PO, à dose dégressive pendant plusieurs semaines). Aucun traitement n’a entraîné d’amélioration notable.

L’animal est alors référé au service de gastro-entérologie. Le chiot a perdu 5 kg en un mois et demi et une aggravation a été constatée juste avant la consultation : il est anorexique depuis 2 jours alors qu’il présentait jusqu’ici un appétit normal. Deux épisodes de vomissements sont également rapportés.

2. Examen clinique

À l’examen clinique d’admission, le chiot est abattu, cachectique et présente un retard de croissance avec une note d’état corporel de 1,5 sur 5 (poids vif de 17,5 kg). Les muqueuses sont roses et humides. La palpation abdominale et l’auscultation cardio-respiratoire sont sans anomalie. Le toucher rectal est inconfortable. Ni trace de sang ni méléna ne sont observés. Les constantes vitales sont dans les valeurs usuelles (température rectale de 38,2 °C, fréquence cardiaque de 88 mouvements par minutes, fréquence respiratoire de 24 mouvements par minute). L’état d’hydratation de l’animal est jugé normal.

3. Hypothèses diagnostiques

La présence de larves de nématodes non identifiées lors de la coproscopie réalisée antérieurement attire l’attention. En effet, elles peuvent soit correspondre à une contamination par des larves de nématodes non parasites présentes dans l’environnement (contamination lors du ramassage au sol des matières fécales) ou à des larves d’un nématode parasite non identifié (le liquide dense utilisé pour la technique de flottation abîme les larves et ne permet pas toujours leur identification).

Aucune alimentation hypoallergénique n’a été administrée, cependant une entéropathie répondant au changement alimentaire est très peu probable compte tenu de la gravité des signes cliniques. De la même manière, une entéropathie répondant aux immunomodulateurs est peu plausible en raison de l’âge de l’animal et d’une telle altération de l’état général. L’hypothèse d’une parasitose atypique est ainsi privilégiée.

4. Examens complémentaires

Analyse parasitologique des selles

La consistance des selles étant très liquide, un examen direct de selles prélevées par lavage rectal est privilégié : il met en évidence de nombreuses larves mobiles de nématodes. La diagnose de ces éléments parasitaires permet d’identifier des larves de Strongyloides stercoralis (photos 2a et 2b). En ce qui concerne la recherche de Cryptospidium sp. et de Giardia duodenalis par technique Elisa ou PCR (polymerase chain reaction), ces techniques sont très sensibles si bien que ces tests sont souvent positifs sans que le ou les parasites identifiés n’entraînent de conséquences cliniques. Pour Giardia duodenalis, il est d’ailleurs conseillé pour porter un diagnostic de giardiose d’observer les kystes à la coproscopie soit par flottation soit par sédimentation. Pour Cryptosporidium sp., les cryptosporidioses cliniques sont très rares chez le chien. En revanche, une faible excrétion d’oocystes, qui peut être objectivée que par une technique très sensible comme une technique Elisa, est assez fréquente et ne doit pas conduire à un traitement. Pour ce chiot, malgré plusieurs traitements de la giardiose, aucune amélioration n’a été observée et, à l’ENVA, la coproscopie (technique de sédimentation) n’avait pas permis la mise en évidence de kystes.

Analyses sanguines

Une analyse biochimique est réalisée afin d’évaluer les conséquences de la diarrhée chronique : une panhypoprotéinémie persistante est identifiée (albumine = 28 g/l, valeurs physiologiques [VP] : 32 à 47 g/l ; globuline = 18 g/l, VP : 25 à 45 g/l ; protéines totales = 46 g/l, VP : 54 à 71 g/l). L’hématocrite (43 %, VP : 33 à 54 g/l) et l’ionogramme sont sans anomalie (Na+ = 149 mEq/l, VP : 140 à 155 mEq/L ; K+ = 4,2 mEq/l, VP : 3,6 à 5,8 mEq/l ; Cl- = 111 mEq/l, VP : 93 à 113 mEq/l).

5. Diagnostic

Le chiot présente une forme grave de strongyloïdose à Strongyloides stercoralis. Cette parasitose sévère permet d’expliquer la diarrhée chronique, la cachexie, ainsi que les vomissements et l’atteinte de l’état général récemment constatés.

6. Traitement et évolution au cours de l’hospitalisation

Compte tenu de la gravité des symptômes et de l’absence de réponse clinique satisfaisante au fenbendazole, un protocole thérapeutique particulier est instauré avec l’administration d’ivermectine (Ivomec®, solution injectable pour bovin) à la dose de 500 µg/kg, une fois par jour, PO, pendant 7 jours. Ce traitement ne dispose pas d’AMM chez le chien dans cette indication, mais est habituellement utilisé par le service de parasitologie pour les cas graves de strongyloïdose. Un traitement symptomatique des troubles digestifs est administré en association tout au long de l’hospitalisation : fluidothérapie (Ringer lactate, à un débit variable en fonction des pertes hydriques), diosmectite (3 g, trois fois par jour, PO), maropitant (1 mg/kg, une fois par jour, par voie sous-cutanée [SC]), ranitidine (2 mg/kg, trois fois par jour, SC), sucralfate (1 g, trois fois par jour, PO), métronidazole (12,5 mg/kg, deux fois par jour, PO), ainsi qu’une alimentation hyperdigestible. La complémentation en cobalamine est poursuivie (100 µg/kg, une fois par semaine, SC).

Le chiot retrouve un appétit normal après 48 heures, aucun vomissement n’est observé et les selles initialement très liquides deviennent bouseuses. Une analyse directe des selles est réalisée une ou deux fois par jour afin de vérifier l’efficacité du traitement par la réalisation d’une courbe d’excrétion parasitaire (figure 1).

Douze heures après la première administration d’ivermectine, environ 123 000 adultes sont retrouvés dans les matières fécales ainsi que quelques œufs et larves ; l’ensemble des parasites visualisés sont morts. Plus aucun parasite n’est observé après 48 heures de traitement. Au total, environ 136 800 adultes ont été expulsés dans les selles.

Compte tenu du risque zoonotique, le chiot est hospitalisé dans un secteur spécifique (zone contagieuse) jusqu’à ce que l’excrétion parasitaire soit nulle, soit pendant 48 heures. Le personnel est protégé par le port de gants, d’une blouse spécifique, d’un masque et d’une charlotte. L’administration de diosmectite et d’une alimentation hyperdigestible est poursuivie à la sortie d’hospitalisation.

En ce qui concerne le risque pour les propriétaires, après questionnement, aucune personne de l’entourage du chien ne présente de trouble digestif. Ils reçoivent pour consigne de consulter un médecin en cas de symptômes.

7. Suivi

Le chiot est revu en consultation de contrôle 16 jours après sa sortie (soit 12 jours après l’arrêt du traitement antiparasitaire). L’animal est beaucoup plus vif et présente un bon appétit. Cependant, les selles restent bouseuses et une dyschésie est désormais rapportée par les propriétaires. L’examen clinique est sans anomalie et permet de constater une prise de poids de 5 kg (note d’état corporel de 2,5 sur 5) (photos 3a et 3b).

Un prélèvement de fèces est analysé par techniques de flottation quantitative et qualitative, de sédimentation (formol, éther) et de Baermann : aucun élément parasitaire n’est identifié. Une composante inflammatoire et une pullulation bactérienne chronique de l’intestin grêle sont suspectées comme de possibles complications de l’helminthose pour expliquer la persistance d’une diarrhée minime. Le traitement suivant est instauré : du métronidazole (12,5 mg/kg, une fois par jour, PO, pendant 6 semaines), de la prednisolone à dose anti-inflammatoire (0,25 mg/kg, deux fois par jour, PO, pendant 10 jours, puis une fois par jour pendant 10 jours) et de l’argile (3 g, deux fois par jour, PO, pendant 10 jours). La complémentation en cobalamine (100 µg/kg, une fois par semaine, SC) et l’alimentation hyperdigestible sont poursuivies.

Une amélioration clinique est constatée par la suite avec une normalisation des selles et de la note d’état corporel. Une nouvelle coproscopie de contrôle (selon les mêmes techniques que précédemment) est réalisée 7,5 mois après l’instauration du traitement antiparasitaire : elle ne révèle pas d’agent parasitaire et le chien est asymptomatique.

DISCUSSION

La strongyloïdose est une maladie de diagnostic et de traitement complexes. Le cas décrit est typique : il illustre à la fois la gravité de cette affection, mais aussi les difficultés inhérentes au diagnostic. Cette parasitose peu connue devrait désormais être intégrée au diagnostic différentiel des diarrhées chroniques chez le chiot.

1. Strongyloides stercoralis : présentation du parasite

Strongyloides stercoralis est un nématode parasitant l’intestin grêle des chiens et des primates (dont l’homme). Le chat est considéré par certains auteurs comme un hôte possible bien que cela soit contesté par d’autres [10]. Cet agent parasitaire est responsable de la strongyloïdose ou de l’anguillulose. Il s’agit d’un parasite atypique sous plusieurs aspects [10].

Cycle évolutif

Le cycle comprend deux phases : une phase libre se déroulant dans le milieu extérieur et une phase parasite se déroulant chez l’hôte (figure 2) [10].

Formes cliniques

Chez l’hôte, le parasite est capable d’effectuer un cycle complet pouvant entraîner une augmentation considérable de la charge parasitaire. Chez l’homme, quatre formes cliniques sont distinguées :

- la forme aiguë : se manifestant peu après la contamination de l’hôte et caractérisée par des symptômes cutanés, larva migrans, respiratoires (toux) et/ou digestifs(1) ;

- la forme chronique : généralement asymptomatique ou subclinique(1) ;

- l’hyperinfection : caractérisée par une auto-infection conduisant, comme pour le cas rapporté, à une infection massive et incontrôlée. Cette forme est essentiellement décrite chez le jeune, elle est exceptionnelle chez l’adulte sauf lors d’immunodéficience concomitante d’origine pathologique ou thérapeutique (utilisation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens à dose immunomodulatrice notamment [elle a été l’une des causes de mortalité humaine lors des premières années du sida]) [3, 5, 10, 13] ;

- la forme disséminée, comme dans ce cas, où une dissémination du parasite est observée. Les larves ne sont plus confinées au tube digestif et aux poumons mais sont également retrouvées dans d’autres organes(1).

2. Signes d’appel

Il existe peu de descriptions cliniques de strongyloïdose canine [2, 6, 16]. La gravité des signes cliniques est très variable (encadré 1). Comme pour le cas décrit, une diarrhée chronique est observée dans la majorité des cas, associée à une atteinte marquée de l’état général notamment chez le jeune [2, 5, 6, 10, 12, 16]. L’état général peut toutefois être conservé [6]. Des signes respiratoires sont également possibles [10, 12, 16].

Des lésions cutanées prurigineuses sont rapportées même si elles ne sont généralement pas un signe d’appel. En revanche, le syndrome de larva currens bien connu chez l’homme (dermatite serpigineuse fugace) n’a jamais été décrit chez le chien.

3. Épidémiologie

Aucune étude ne s’est intéressée à la prévalence de la strongyloïdose canine. Cette maladie semble être en émergence en France, aucun cas n’avait été observé avant 2006 par le laboratoire de parasitologie de l’ENVA [19]. Depuis, environ 25 cas autochtones ont été diagnostiqués.

Répartition géographique

La répartition géographique de la maladie chez le chien est comparable à celle de l’homme. La strongyloïdose est une affection cosmopolite, fréquente en Afrique, aux Antilles, en Amérique centrale et du Sud, au sud de l’Asie et en Océanie. La bonne tolérance thermique du parasite permet une aire d’extension plus large que les régions chaudes et humides du globe [2].

Sensibilité

La maladie touche principalement les chiots issus d’animalerie et d’élevage. Cette prédisposition des jeunes est probablement consécutive à une dysimmunité et à leur condition de vie en collectivité (surpopulation, manque d’hygiène, parasitisme intercurrent) [6].

Chez les chiens adultes, l’infection est le plus souvent asymptomatique et devient occulte en 8 à 12 semaines. Des femelles adultes pourraient survivre cachées dans la muqueuse intestinale pendant plusieurs mois après que l’excrétion de larves L1 est nulle [10]. Ce type d’infection peut être réactivé lors d’immunosuppression, voire lors de la gestation ou de lactation [10, 13].

Source d’infection et mode de transmission

Les sources de parasites sont les matières fécales des animaux et des hommes infectés, ou l’environnement (sol, eau, denrées alimentaires souillées). Chez le chien, la transmission se fait majoritairement par voie transcutanée [10]. Il a été démontré que les larves pouvaient être transmises via le lait maternel lorsque l’infection a lieu en début de gestation [14]. Pour le cas décrit, la contamination a ainsi pu se faire par voie galactogène ou transcutanée. La mère et les autres chiots de la portée devraient faire l’objet d’une recherche de strongyloïdose.

4. Démarche diagnostique

Analyse parasitologique des selles

L’examen coproscopique est l’étape clé du diagnostic. Pour rappel, différentes techniques existent (tableau 2).

Pour le cas rapporté, des larves de nématodes n’ont été visualisées qu’au terme de la seconde coproscopie et elles n’ont pas pu être identifiées, leur morphologie ayant été altérée par le liquide dense utilisé pour la technique de flottation.

La mise en évidence des larves de Strongyloides stercoralis peut être rendue complexe par le fait que l’excrétion est intermittente ou très faible, voire inexistante [10]. La sensibilité peut être améliorée par l’utilisation d’une technique de concentration des larves de nématodes (technique de Baermann notamment) qui permet uniquement la recherche des larves de nématodes, et qui est habituellement employée pour le diagnostic des parasitoses respiratoires (à Angiostrongylus vasorum par exemple). Ces techniques ne sont pas utilisées en routine pour les affections digestives et doivent faire l’objet d’une demande particulière auprès des laboratoires.

Quelle que soit la technique choisie, il est préconisé de réaliser trois prélèvements sur 3 jours consécutifs. Dans une étude réalisée chez l’homme, la sensibilité varie de 50 % pour trois examens successifs à quelques jours d’intervalle et à près de 100 % sur une série de sept examens parasitologiques (recherche de larves après traitement antiparasitaire) [9]. Lors de cas grave, le nombre de larves est généralement important, ce qui facilite le diagnostic.

Enfin, les larves de Strongyloides stercoralis peuvent être difficiles à distinguer de celles des nématodes libres de l’environnement [10]. Il est donc recommandé de réaliser l’analyse sur des selles fraîches prélevées directement chez l’animal, ou ramassées sur une feuille de papier journal ou d’aluminium, afin d’éviter tout contact avec la terre ou le sol. À défaut, il est possible de réaliser un lavage rectal à l’aide de sérum physiologique et de procéder à un examen du liquide de lavage. Pour le cas rapporté, des larves de nématodes non identifiées avaient été visualisées lors de la seconde analyse par technique de flottation et avaient probablement été attribuées à une contamination environnementale. Ce cas illustre la nécessité d’une bonne collaboration entre le clinicien et le parasitologue.

Hémogramme et éosinophilie

Une éosinophilie durable et fluctuante constitue un signe biologique majeur chez l’homme. Elle est présente dans 70 % des cas, et les taux rapportés oscillent parfois jusqu’à 60 % de la formule leucocytaire [8]. Une éosinophilie peut également être observée lors de parasitisme chez le chien, cependant la prévalence de cette anomalie hématologique lors de strongyloïdose canine n’est pas connue. Pour le cas rapporté, l’hémogramme réalisé par le vétérinaire traitant était sans anomalie. Il en est de même pour le cas décrit par Stancampiano et coll. [16]. Une absence d’éosinophilie ne doit donc surtout pas conduire à l’exclusion d’une parasitose sévère.

Analyse biochimique

Les anomalies de l’analyse biochimique sont non spécifiques. Comme pour le cas rapporté, une panhypoprotéinémie est souvent observée (données non publiées). Elle est probablement multifactorielle et consécutive à des pertes protéiques (secondaires aux lésions intestinales) et, dans une moindre mesure, à un syndrome de malabsorption (pouvant être évalué par le dosage de la folatémie et de la cobalaminémie) et à un défaut d’apport lors d’anorexie prolongée.

Lors de panhypoprotéinémie chez un chiot, il est fondamental d’intégrer au diagnostic différentiel la strongyloïdose. Cette parasitose doit impérativement être envisagée avant de mettre en œuvre des biopsies étagées pour l’exploration d’une entéropathie exsudative (encadré 2).

5. Traitement

Aucun médicament vétérinaire ne dispose actuellement d’une autorisation de mise sur le marché pour le traitement de cette parasitose chez le chien. L’utilisation de fenbendazole ou d’ivermectine doit être privilégiée (tableau 3) [2, 6, 7]. Aucune étude n’a, à notre connaissance, comparé l’efficacité de ces deux molécules.

Pour le cas rapporté, l’administration de fenbendazole avait été réitérée à plusieurs reprises (cures de 3 à 5 jours sans amélioration clinique notable). Notre choix s’est donc porté sur l’ivermectine. Cette molécule a été administrée selon un protocole différent de ce qui est généralement décrit dans les publications scientifiques (Ivomec® Bovin, ivermectine à la dose de 500 µg/kg, une fois par jour, par voie orale pendant 7 jours) [2, 7]. L’unité de parasitologie de l’ENVA a en effet souvent utilisé ce protocole avec succès [19]. De plus, lors d’hyperinfections expérimentales cortico-induites, il est démontré que l’ivermectine est efficace à 100 % contre les vers adultes et à 99,95 % contre les larves localisées dans le tube digestif, même si elle n’a aucune action sur les larves L3 auto-infectantes en migration dans les tissus [7]. La durée de vie de ces larves en migration est inconnue et probablement dépendante de la réponse immunitaire de l’hôte [10]. Il semble donc préférable de réitérer l’administration de l’antiparasitaire pendant plusieurs jours de suite, mais aussi de confirmer l’efficacité du traitement par la réalisation régulière d’examen coproscopique de contrôle.

Un test génétique de dépistage de la mutation du gène MDR1 doit être réalisé dans les races prédisposées avant l’instauration du traitement. Dans le cas ici décrit, l’état clinique du chiot et sa race ont incité à instaurer immédiatement le traitement antiparasitaire [17]. Une nette amélioration clinique a été constatée par la suite, et les recherches de larves sur fèces ont toujours été négatives. Il est probable que la persistance de selles molles et d’une dyschésie durant quelques semaines après le traitement antiparasitaire soit attribuable à des lésions inflammatoires secondaires. Une pullulation bactérienne chronique de l’intestin grêle est une complication fréquemment observée lors de strongyloïdose chez l’homme. Cependant la sémiologie était en faveur d’une colite pour le cas rapporté [17].

La prescription d’immunomodulateur est contre-indiquée dans ce contexte, pouvant favoriser la survenue d’une hyperinfection souvent fatale [5, 7, 13].

6. Santé pu*blique

Risque zoonotique

L’homme est l’hôte principal de Strongyloides stercoralis. Le rôle du chien dans l’épidémiologie de la maladie reste mal défini. Dans certains foyers, l’infection pourrait se transmettre d’une espèce à l’autre par le sol contaminé [8]. Takano et coll. ont réalisé une étude au Japon dont l’objectif était de déterminer l’importance de la transmission de l’homme à l’animal et vice versa. Des coproscopies ont été réalisées chez des chiens apparemment sains appartenant à des patients infectés (19 cas), et chez d’autres apparemment sains possédant des chiens infectés (5 cas). Aucun parasite n’a été identifié ni chez les chiens ni chez les éleveurs sains. Cette étude suggère que le risque de contamination du chien à l’homme et de l’homme au chien est faible [19]. À notre connaissance, un seul cas de transmission avéré du chien à l’homme a été observé, chez un sexagénaire n’ayant pas séjourné en zone d’endémie et travaillant en contact avec des chiens fortement infectés [4]. En dépit d’un faible risque zoonotique, des mesures préventives doivent toujours être prises afin de limiter le risque de contamination.

L’infection de l’homme peut conduire à des signes cliniques minimes à graves selon la charge parasitaire (symptômes cutanés et digestifs notamment). Chez les immunodéprimés ou les enfants, elle peut conduire à une infection disséminée gravissime et souvent fatale appelée anguillose maligne [12].

Mesures préventives

La transmission peut être prévenue par des mesures simples. L’homme se contamine généralement en marchant pieds nus, en ramassant des fèces parasitées ou en travaillant sur des terrains souillés (jardinage, etc.), ou plus rarement par l’ingestion de fruits ou de légumes contaminés [8].

La mesure préventive la plus importante consiste à réduire la source d’infection en traitant les animaux parasités et en ramassant systématiquement les fèces à l’aide de gants rapidement après leur émission [8, 11]. Les larves sont sensibles à la dessiccation, il convient donc de maintenir un environnement propre et sec [11]. La prophylaxie individuelle repose également sur le port de chaussures et de gants (notamment lors du ramassage des matières fécales, de jardinage, etc.). Les légumes et les fruits cultivés sur des terrains souillés ne doivent pas être consommés. Les chiens doivent être écartés des lieux publics, et en particulier des plages, des piscines et des bassins [8, 11].

Conclusion

La strongyloïdose doit systématiquement être intégrée au diagnostic différentiel des diarrhées chroniques chez le chiot, notamment lors d’altération de l’état général et de panhypoprotéinémie. Lors de suspicion, l’examen coproscopique doit faire appel à des techniques spécifiques, celle de Baermann étant actuellement la technique de référence chez le chien. Le pronostic est favorable lorsque le traitement est instauré à temps. Le risque zoonotique, bien que limité, doit toujours être pris en considération.

    Références

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    Conflit d’intérêts

    Aucun.

    ENCADRÉ 1
    Signes d’appel d’une strongyloïdose chez le chiot

    Signes digestifs

    → Diarrhée chronique : selles molles à aqueuses, mucus, sang et dyschésie possibles, pouvant conduire à une panhypoprotéinémie.

    → Vomissements (moins fréquents).

    Et/ou atteinte de l’état général

    → Abattement.

    → Dysorexie, anorexie.

    → Amaigrissement important voire cachexie (malgré un appétit parfois conservé ou augmenté).

    → Retard de croissance.

    → Poil terne.

    Et/ou signes respiratoires

    Toux, tachypnée, dyspnée, jetage.

    D’après [2, 5, 6, 10, 12, 16].

    ENCADRÉ 2
    Causes d’entéropathies exsudatives chroniques chez le chien

    → Maladie inflammatoire chronique de l’intestin (entérite lymphoplasmocytaire, entérite éosinophilique, etc.).

    → Néoplasie (lymphome, adénocarcinome).

    → Strongyloïdose, (giardiose).

    → Lymphangiectasie primaire (congénitale, idiopathique).

    → Lymphangiectasie secondaire.

    → Corps étranger chronique.

    → Intussusception chronique.

    → Maladie des cryptes.

    → Entéropathie immunoproliférative du Basenji.

    → Syndrome entéropathie exsudative et glomérulonéphrite du soft coated wheaten terrier.

    Points forts

    → Un chiot souffrant de diarrhée chronique cachectisante présente une strongyloïdose rare, mise en évidence par examen des selles avec lavage rectal. L’administration d’ivermectine PER OS [PO] permet sa guérison.

    → La strongyloïdose canine touche majoritairement les chiots issus d’élevage ou d’animalerie, le début de l’expression clinique s’observe généralement entre 2 et 6 mois.

    → Elle doit systématiquement être intégrée au diagnostic différentiel des diarrhées chroniques du chiot notamment lors de panhypoprotéinémie et d’altération de l’état général associée.

    → La technique de Baermann, réalisée sur trois prélèvements sur 3 jours consécutifs, est la méthode diagnostique de référence.

    → Aucune étude n’a encore permis de déterminer le traitement de choix. Pour le cas rapporté, l’utilisation d’ivermectine (500 µg/kg, une fois par jour, PO, pendant 7 jours) a permis une guérison parasitaire et une amélioration clinique.

    → Des précautions particulières doivent être prises afin de limiter tout risque zoonotique, en particulier lorsque des personnes immunodéprimées ou des enfants sont présents dans l’environnement de l’animal.

    Remerciements

    À l’ensemble des étudiants, internes et assistants ayant participé à la prise de charge de cas.

    Au Dr Maxime David (Clinique vétérinaire du Centre, Anovet), à Radia Guechi et à Camille Valty.

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