Hernie diaphragmatique chronique chez un chat européen de 7 ans - Le Point Vétérinaire expert canin n° 368 du 01/09/2016
Le Point Vétérinaire expert canin n° 368 du 01/09/2016

CHIRURGIE THORACIQUE

Cas clinique

Auteur(s) : Mathieu Harel*, Véronique Livet**, Paul Pillard***, Juliette Sonet****, Anthony Barthélemy*****, Éric Viguier******

Fonctions :
*VetAgro Sup
Campus vétérinaire de Lyon
1, avenue Bourgelat 69280 Marcy-l’Étoile
**VetAgro Sup
Campus vétérinaire de Lyon
1, avenue Bourgelat 69280 Marcy-l’Étoile
***VetAgro Sup
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La prise en charge d’une hernie diaphragmatique chronique, passée inaperçue lors du traumatisme initial, diff ère de celle d’une hernie aiguë. Sa réduction en particulier nécessite fréquemment des résections d’organes, et le suivi postopératoire doit être particulièrement attentif.

Les hernies diaphragmatiques sont fréquentes chez le chat et surviennent le plus souvent à la suite d’un traumatisme (85 % des cas) [6]. Leur diagnostic est le plus souvent précoce grâce à une prise en charge de plus en plus standardisée des animaux polytraumatisés, notamment par la réalisation de radiographies thoraciques. Cependant, un nombre non négligeable (15 à 25 %) de ces hernies ne sont pas diagnostiquées et peuvent alors devenir chroniques [3]. Leur prise en charge est bien décrite et diffère de celle des hernies aiguës, essentiellement par le fait que des résections d’organes sont plus souvent nécessaires en raison des adhérences qui se sont formées [6].

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse et commémoratifs

Un chat européen mâle castré et âgé de 7 ans est présenté en urgence pour une dyspnée mixte, une hyperthermie et une anorexie évoluant depuis 1 semaine et qui se sont aggravées dans les heures précédentes. Aucune amélioration clinique n’est observée à la suite de l’antibiothérapie et de la corticothérapie (molécules et doses non connues) instaurées par le vétérinaire traitant quelques jours plus tôt. Deux épisodes similaires, respectivement 3 et 2 ans auparavant, traités de la même manière, sont rapportés par les propriétaires.

Le chat a pour antécédent un accident de la voie publique survenu 4 ans plus tôt. Lors de ce dernier, aucun examen complémentaire n’a été effectué ni aucun traitement prescrit par le vétérinaire car l’animal ne présentait alors aucun signe clinique secondaire au traumatisme.

Au vu de l’aggravation des symptômes ces derniers jours, le vétérinaire traitant décide de référer le cas.

2. Examen clinique

À son admission, l’animal est en hyperthermie (39,6 °C). L’examen de l’appareil respiratoire met en évidence une tachypnée associée à une discordance (ou respiration paradoxale). Le choc précordial semble anormalement fort à gauche et l’auscultation thoracique détecte une absence de bruits cardiaques et pulmonaires dans l’hémithorax droit. Un souffle cardiaque holosystolique parasternal gauche est également noté (grade non évaluable en raison des bruits cardiaques inaudibles à droite).

3. Hypothèses diagnostiques

Les hypothèses diagnostiques sont fondées sur la détresse respiratoire caractérisée par une discordance, signant en priorité une atteinte de la plèvre ou de la paroi thoracique : épanchement pleural de nature liquidienne ou aérique (pneumothorax), processus néoplasique ou hernie diaphragmatique, plutôt chronique dans le cas de ce chat étant donné l’antécédent d’accident survenu 4 ans auparavant et l’absence de traumatisme récent.

4. Examens complémentaires

Après une stabilisation de l’animal (disparition progressive de la discordance) sur 24 heures par une oxygénothérapie (au débit de 150 ml/kg/min à l’aide d’une sonde nasale) et des injections de butorphanol toutes les 2 heures selon la courbe et la fréquence respiratoires (0,1 à 0,2 mg/kg, par voie sous-cutanée [SC]), des examens complémentaires sanguins et d’imagerie médicale sont réalisés.

Examens sanguins

Un examen biochimique sanguin ne révèle aucune anomalie (tableau). La mesure du taux de micro-hématocrite est normale (35 %, pour des valeurs usuelles comprises entre 24 et 40 %).

Examens d’imagerie

L’examen radiographique thoracique montre un effacement des contours du diaphragme en région dorsale à droite, la présence d’une volumineuse structure d’opacité graisseuse et liquidienne dans l’hémithorax droit, ainsi qu’une diminution conséquente marquée du volume pulmonaire (photos 1 et 2). Ces images sont compatibles avec une hernie diaphragmatique latéralisée à droite, avec un passage de graisse abdominale et d’organes d’opacité liquidienne. L’échographie thoracique permet de visualiser la présence de graisse abdominale et d’un segment d’intestin grêle au sein de la cavité thoracique par abord droit, confirmant ainsi le diagnostic de hernie diaphragmatique (photo 3).

5. Diagnostic

Ces examens complémentaires permettent d’établir le diagnostic de hernie diaphragmatique probablement chronique, secondaire au traumatisme rapporté 4 ans auparavant.

6. Traitement chirurgical

Un traitement chirurgical, consistant en une réduction des organes herniés et en une herniorraphie, est alors proposé et réalisé le lendemain de la consultation.

Prise en charge périopératoire

L’animal est anesthésié au moyen du protocole suivant : prémédication à la méthadone (0,2 mg/kg, par voie intraveineuse [IV]) et au midazolam (0,2 mg/kg, IV), induction au propofol (4 mg/kg, IV), entretien à l’isoflurane avec 100 % d’oxygène. La surveillance est réalisée à l’aide d’une capnographie, d’un électrocardiogramme, de la pression artérielle non invasive, et du suivi de la température et de l’oxymétrie de pouls. L’analgésie peropératoire est obtenue grâce à une injection de fentanyl en bolus IV (2 µg/kg, quatre bolus au total), et une antibioprophylaxie est commencée 30 minutes avant l’intervention à l’aide d’amoxicilline-acide clavulanique (30 mg/kg IV lente toutes les 1 h 30). La dose d’antibiotique employée est volontairement plus élevée que la dose prescrite conventionnellement. En effet, l’amoxicilline est une molécule hydrophile. Or, chez ce chat, le volume de fluide présent dans les espaces vasculaire et surtout interstitiel est considérablement augmenté par la fluidothérapie. De plus, l’effet bactéricide de l’amoxicilline est temps-dépendant. Cet antibiotique est donc administré plusieurs fois dans l’espoir de maintenir la concentration plasmatique au-dessus de la concentration minimale inhibitrice.

Description de l’intervention chirurgicale

L’animal est placé en décubitus dorsal et une laparotomie xypho-pubienne sur la ligne blanche est effectuée, qui permet de visualiser une hernie diaphragmatique circonférentielle dorsale droite de 2 cm de longueur. Aucune réduction des organes herniés n’est possible à ce stade en raison de nombreuses adhérences intrathoraciques. L’ouverture de la hernie diaphragmatique est étendue par une incision radiale en direction du centre du diaphragme, permettant d’observer la cavité thoracique (photo 4). Le duodénum, une partie du jéjunum, la rate, le lobe pancréatique droit et l’épiploon sont retrouvés en position herniée. Des lésions sous forme de plaques blanches sont mises en évidence sur l’ensemble des structures herniées (photo 5). Des prélèvements de ces lésions sont réalisés en vue d’un examen histologique.

De nombreuses adhérences entre les organes herniés et la plèvre thoracique sont observées. Elles sont libérées par une dissection mousse à la compresse.

Après réduction des organes herniés, les lobes pulmonaires sont visualisés. Les lobes pulmonaires droits dans leur ensemble sont collabés. Aucune brèche pulmonaire n’est observée après réalisation d’un test d’étanchéité. Afin de permettre la réexpansion progressive des lobes pulmonaires et de prévenir des lésions de reperfusion, un drain thoracique est mis en place. Ce dernier est relié à un système de récolte clos avec une poire aspirative à pression négative, permettant une aspiration progressive du contenu de la cavité pleurale. Seuls quelques millilitres d’air sont obtenus par ce système, assurant un vide pleural satisfaisant.

Un parage à la lame froide des bords de l’ancienne hernie et des rinçages abondants avec une solution saline stérile sont réalisés, avant fermeture de la brèche diaphragmatique en quatre surjets simples à l’aide d’un fil monofilament résorbable de polydioxanone décimale 2 (photo 6).

En raison de l’aspect nécrotique de la majeure partie de l’épiploon et des difficultés à refermer la cavité abdominale après réduction des organes herniés, une résection partielle de l’épiploon (omentectomie) est alors réalisée (quantité nécessaire pour permettre une fermeture aisée de la cavité abdominale). Une fermeture standard plan par plan après des rinçages abdominaux abondants est ensuite effectuée. Elle semble n’induire aucune tension. Aucune radiographie thoracique postopératoire n’est réalisée en raison de l’absence de tension à la fermeture du diaphragme, d’un vide pleural jugé satisfaisant et d’une saturation en oxygène optimale (100 %).

7. Analyse histopathologique

L’examen histopathologique de l’épiploon révèle des lésions de cytostéatonécrose potentiellement secondaires à une ischémie ou à une pancréatite chronique.

8. Suivi

Le réveil anesthésique du chat est calme avec un retour rapide à une respiration spontanée. L’oxygénothérapie est maintenue pour optimiser la distribution tissulaire en oxygène. L’analgésie postopératoire est gérée par une perfusion continue de fentanyl (1 µg/kg/h) et de lidocaïne (10 µg/kg/min). Malgré ce plan analgésique, les manipulations de l’animal restent inconfortables et induisent une tachypnée sans modification de la courbe respiratoire. La production aérique du drain thoracique est nulle. La production liquidienne est faible durant les premières heures suivant le réveil anesthésique (inférieure à 1 ml/kg/h).

Le lendemain de l’opération, une gazométrie veineuse révèle une acidémie (pH = 7,22 ; valeurs usuelles entre 7,32 et 7,38) secondaire à une acidose métabolique (bicarbonate [HCO3-] = 12,8 mmol/l ; valeurs usuelles entre 18 et 24 mmol/l), non compensée sur le plan respiratoire (pression partielle en dioxyde de carbone [pCO2] = 34 mmHg ; valeurs usuelles entre 28 et 40 mmHg). Une hyperlactatémie discrète (2,9 mmol/l ; valeur usuelle < 2,5 mmol/l, certaines études suggérant que, chez le chat, cette valeur atteindrait 2,8 mmol/l ; selon le consensus actuel, seule une hyperlactatémie > 4 mmol/l peut être qualifiée de significative chez le chien et le chat) secondaire à une hypoxie cellulaire par hypoperfusion tissulaire expliquerait cette acidémie. Une baisse du taux de microhématocrite est également observée (24 %).

Malgré un état postopératoire stationnaire, un arrêt cardio-respiratoire, sans autre prodrome associé, est observé environ 24 heures après l’intervention chirurgicale. Il conduit à la mort de l’animal en dépit des mesures de réanimation mises en place : massage cardiaque, intubation endotrachéale et ventilation mécanique, injections d’atropine (0,04 mg/kg, IV) et d’adrénaline (0,01 mg/kg, IV). L’autopsie est refusée par les propriétaires.

DISCUSSION

1. Hernies diaphragmatiques

Dans l’espèce féline, les hernies diaphragmatiques sont fréquentes et surviennent le plus souvent à la suite d’un traumatisme (85 % des cas) [4]. Elles sont circonférentielles dans 59 % des cas, comme chez ce chat [6].

La précocité du diagnostic permet un traitement chirurgical rapide. En effet, la réalisation de radiographies thoraciques chez les animaux polytraumatisés est désormais couramment recommandée, après qu’une stabilisation médicale a été obtenue [9]. Cependant, une proportion non négligeable de hernies échappe à cette détection précoce. Certains auteurs rapportent jusqu’à 20 % de hernies chroniques parmi les hernies diaphragmatiques prises en charge (sur 250 animaux) [8]. Les raisons de cette absence de détection initiale sont l’ignorance de la survenue d’un traumatisme par les propriétaires, l’absence de signes radiographiques évocateurs ou encore la nonréalisation d’un examen radiographique lors du traumatisme, comme c’est le cas ici.

Signes cliniques

Les hernies diaphragmatiques chroniques peuvent être des découvertes fortuites et les signes cliniques engendrés sont souvent frustes. Lorsque ceux-ci sont présents, il s’agit de symptômes respiratoires comme une dyspnée ou une intolérance à l’effort. Des manifestations digestives sont parfois rapportées, notamment lors de hernie de l’estomac ou de portions intestinales. Un abattement peut également être le seul motif de consultation [3]. Dans le cas ici rapporté, aucun signe digestif n’était présent malgré la position intrathoracique d’une partie du duodénum et les seuls symptômes étaient respiratoires. L’apparition de signes cliniques près de 4 ans après la probable survenue de la hernie pourrait s’expliquer par une décompensation soudaine de la fonction respiratoire, secondaire au collapsus des lobes pulmonaires et à l’épanchement thoracique associé.

Intérêt de l’imagerie médicale pour le diagnostic

L’examen radiographique est l’outil le plus utile pour mettre en évidence les hernies diaphragmatiques. En effet, certaines images comme la présence d’anses intestinales dans la cavité thoracique, une discontinuité des lignes diaphragmatiques ou encore un déplacement de la silhouette cardiaque sont très évocatrices. Cependant, le diagnostic est parfois ardu à établir, et l’étude la plus importante ayant recensé les hernies diaphragmatiques chroniques dans une population de 50 animaux rapporte que seulement 70 % d’entre eux présentent des signes radiographiques en faveur [8]. Le diagnostic est d’autant plus difficile qu’un épanchement pleural est souvent associé. Certains signes, comme le déplacement dorsal de la trachée, semblent néanmoins être de bons indices diagnostiques dans un contexte évocateur (traumatisme) et en l’absence de signes radiographiques évidents [7]. L’échographie thoracique est un autre outil précieux et semble offrir une bonne sensibilité, en permettant d’établir un diagnostic dans environ 90 % des cas (étude réalisée chez 21 chats) [8, 11]. Elle est notamment très intéressante lors d’épanchement pleural majeur, puisque les liquides sont de très bons milieux de transmission des ultrasons. Les signes échographiques évocateurs d’une hernie diaphragmatique sont un bord hépatique cranial asymétrique ou irrégulier, et la visualisation d’organes abdominaux latéralement au coeur [11]. Dans le cas exposé, les radiographies étant déjà fortement évocatrices d’une hernie diaphragmatique, l’échographie thoracique avait pour objectif de confirmer ce diagnostic et surtout d’identifier les organes herniés. De plus, cet examen présente l’avantage de pouvoir être réalisé au chevet du malade, ce qui est très utile lorsqu’un animal est particulièrement débilité et qu’il présente un risque majeur de décompensation lors des manipulations (notamment pour la réalisation de clichés radiographiques). En cas de forte suspicion clinique et en l’absence d’images radiographique et échographique univoques, un transit baryté peut être utile au diagnostic si des anses intestinales sont herniées et si le transit n’est pas compromis [8]. Néanmoins, le risque de fausse déglutition est important chez un animal dyspnéique.

Enfin, un examen tomodensitométrique est envisageable, bien qu’il soit plus coûteux, lorsque les examens radiographiques et échographiques ne permettent pas de trancher.

Traitement

Le traitement de la hernie diaphragmatique est chirurgical et consiste en une réduction des organes herniés, ainsi qu’en la reconstruction du diaphragme par herniorraphie. Les principales indications pour une chirurgie d’urgence sont une détresse respiratoire sévère ne répondant pas à la réanimation médicale (oxygénothérapie, fluidothérapie et analgésie), la présence de l’estomac dans la cavité thoracique (risque de dilatation et/ou de torsion) ou une obstruction digestive [8]. Dans tous les cas, il convient de réaliser une stabilisation médicale, même de courte durée [8]. Dans le cas décrit, 24 heures de stabilisation ont été requises avant qu’une anesthésie générale de l’animal soit possible.

2. Traitement chirurgical

Réduction de la hernie et herniorraphie

Les hernies diaphragmatiques chroniques sont généralement plus difficiles à réduire et à réparer que les hernies aiguës [4]. Le plus souvent, une laparotomie médiane standard s’étendant caudalement au processus xyphoïde est suffisante pour réduire la hernie. Cependant, il est parfois nécessaire de lui associer une sternotomie, notamment lorsque de fortes adhésions existent entre les organes herniés et la cavité thoracique, afin de les visualiser et de les disséquer efficacement. Une sternotomie a été requise dans 28 % des cas dans une étude sur 50 réductions de hernies diaphragmatiques chroniques [8].

Les résections d’organes (poumons, foie, épiploon et/ou intestins) sont souvent nécessaires pour réduire la hernie (jusqu’à 28 % des animaux) [8]. Lors de lésions majeures du parenchyme pulmonaire, une lobectomie adjuvante est parfois indiquée. Dans le cas rapporté, l’épiploon présentait des adhérences avec l’anneau herniaire diaphragmatique et la plèvre thoracique, qui ont pu être facilement libérées par dissection des tissus à la compresse. La résection partielle de l’épiploon a été réalisée afin de prévenir un syndrome de compartiment. Elle a permis une analyse histologique des lésions blanchâtres visualisées sur l’ensemble des organes abdominaux. La cytostéatonécrose diagnostiquée, aussi connue en médecine humaine sous le nom de “taches de bougie”, peut être la conséquence d’une pancréatite chronique. Chez ce chat, la herniation du lobe pancréatique droit peut aisément expliquer une pancréatite à l’origine de ces lésions diffuses, sans signe clinique digestif. Les lobes pulmonaires avaient, quant à eux, un aspect satisfaisant.

Soins postopératoires

La gestion postopératoire est primordiale pour le bon rétablissement de l’animal. Une surveillance constante du statut respiratoire et cardiaque de ce dernier est indispensable (électrocardiogramme, pulsoxymétrie, mesures de la pression artérielle et des gaz sanguins artériels) afin de prévenir et de traiter au plus vite une hypoventilation, une hypoxie ou une acidose respiratoire secondaires à l’anesthésie, un pneumothorax, un hémothorax ou un défaut de perfusion tissulaire. La prise en charge de la douleur est un point clé de la gestion postopératoire, car elle peut être à l’origine d’une hypoventilation et d’une augmentation importante de la demande tissulaire en oxygène [6]. Aucun consensus n’existe quant au choix optimal de l’opiacé à utiliser. Néanmoins, d’après l’expérience des auteurs, si le tableau clinique postopératoire de l’animal est dominé par une altération de la fonction respiratoire (tachypnée et/ou dyspnée), l’opiacé de choix est le butorphanol en raison de sa valence sédative (agoniste des récepteurs κ). Il produit également une analgésie satisfaisante lors de douleur faible à modérée, surtout d’origine viscérale. Chez le chat, il s’emploie à la dose de 0,1 à 0,5 mg/kg IV, SC ou par voie intramusculaire (IM) toutes les 2 heures, ou en perfusion continue à la dose de 0,1 à 0,3 mg/kg/h. Lors de douleur sévère, le choix se porte préférentiellement sur le fentanyl (dose de charge de 2 à 3 µg/kg IV, suivie d’une perfusion continue à la dose de 1 à 4 µg/kg/h).

Le drain thoracique, indispensable lors de hernie diaphragmatique chronique pour contrer l’accumulation d’air ou de liquide dans la cavité thoracique, doit être soigneusement entretenu. Nous utilisons des drains thoraciques à usage humain (Pneumocath(r) ou Neo-Pneumocath(r), Intra Special Catheters GmbH, Rehlingen-Siersburg) avec une longueur de trocart de 85 mm et un diamètre de 8 à 10 F (soit 2,7 à 3,2 mm). Une vidange régulière (aussi souvent que nécessaire selon la vitesse de collection, au minimum toutes les 4 heures) permet le rétablissement du vide pleural. Une absence de production d’air et une quantité de liquide inférieure à 2 à 3 ml/ kg/j autorisent un retrait du drain [6]. Un soin particulier doit être apporté à la gestion de la plaie de ce dernier : nettoyage et désinfection régulière (deux fois par jour), pansement et bandage avec mise en place de compresses imbibées de solution désinfectante au contact de la plaie. Lors de la phase de réveil, l’animal est de préférence positionné en décubitus sternal ou latéral, du côté du drain, pour optimiser la fonction ventilatoire du poumon non collabé.

Complications

Les principales complications postopératoires sont l’oedème de réexpansion pulmonaire, l’augmentation de la pression intrapéritonéale à l’origine d’un syndrome compartimental abdominal et les lésions de reperfusion des organes herniés après réduction.

L’oedème de réexpansion pulmonaire est un syndrome bien connu en médecine humaine, qui a également été décrit chez l’animal [10]. Il s’agit d’un oedème pulmonaire par augmentation de la perméabilité du lit capillaire des poumons, secondaire à une réexpansion trop rapide. Les poumons doivent, en effet, être réinsufflés lentement et progressivement sur une période de 12 à 24 heures afin de prévenir cette complication [6]. Cette dernière n’a pas été décrite dans une étude sur 50 cas de hernies diaphragmatiques chroniques. Cependant, une insufflation sous une pression de plus de 35 mmHg a induit la création d’une bulle pulmonaire et la mort d’un animal [8]. Certains auteurs préconisent de laisser volontairement un peu d’air dans la cavité pleurale afin de diminuer ce risque d’oedème de réexpansion [6]. La mise en place d’un drain thoracique associé à une poire d’aspiration peut permettre une réexpansion lente par drainage progressif de l’air restant. Malgré une valeur normale de la pCO2 le lendemain de l’intervention chirurgicale, suggérant une activité ventilatoire normale, l’installation d’un oedème de réexpansion pulmonaire ne peut être exclue chez le chat du cas décrit. De plus, une diminution du volume de la cavité abdominale est fréquemment rencontrée lors de hernie chronique. Elle est secondaire à la rétraction des muscles de la sangle abdominale en raison de la réduction de la pression exercée par les organes abdominaux, du fait de leur passage dans le thorax. Une fois la hernie réduite, les muscles ne pouvant se relâcher que progressivement, une augmentation majeure de la pression intra-abdominale peut être observée et aboutir à un syndrome du compartiment. Le diagnostic de syndrome du compartiment abdominal est émis chez tout animal présentant une pression intra-abdominale supérieure à 20 mmHg associée au développement d’une défaillance ou d’une insuffisance organique [5]. Les conséquences de ce syndrome sont une détérioration de la fonction rénale, une hypotension par baisse de la postcharge cardiaque à l’origine d’une diminution du débit cardiaque, une hypoxie par défaut de ventilation et compliance pulmonaire, une hypoperfusion viscérale, une acidose et une augmentation de la pression intracrânienne [5]. Des cas de hernie hiatale secondaire sont décrits [6]. Pour prévenir l’installation de ce syndrome, une résection d’organes peut être réalisée au cours de l’intervention chirurgicale (omentectomie, splénectomie). Le contenu intraluminal digestif peut également être vidangé. Si ce syndrome persiste malgré ces mesures, un traitement médical doit être instauré. Il vise à optimiser la compliance thoracoabdominale (notamment au moyen d’une analgésie adaptée) et la réanimation hydrique. Dans le cas de ce chat, la fermeture a semblé se faire sans tension.

Les lésions de reperfusion sont une complication possible lors de hernie chronique en raison de l’ischémie des tissus herniés. En effet, lors du retour de ces derniers dans la cavité abdominale, la reperfusion peut conduire à la libération de toxiques produits par le métabolisme anaérobie qui s’était mis en place (radicaux libres, potassium, enzymes lysosomiales, etc.). L’installation de ce mécanisme physiopathologique ne peut être évitée. La prévention de ces lésions reste une gageure thérapeutique. L’administration prophylactique de molécules possédant une action antioxydante (telle la lidocaïne) avant l’apparition de lésions d’ischémie-reperfusion ne semble pas, pour le moment, apporter de bénéfices significatifs [2]. Les premières manifestations cliniques de ces lésions sont le plus souvent cardiaques (arythmies). Ce syndrome “ischémie-reperfusion”, associé à l’insuffisance respiratoire et à la perte sanguine pourrait être responsable de la mort de l’animal dans le cas présenté.

3. Pronostic

Le taux de survie postopératoire des hernies diaphragmatiques chroniques est plutôt bon, de 62,5 à 86 %, et semble identique à celui des hernies diaphragmatiques aiguës [1, 6, 8].

Les complications postopératoires pouvant conduire à la mort de l’animal se divisent en deux groupes. Si la mort survient dans les 24 premières heures postopératoires, elle est le plus souvent la conséquence d’un hémothorax, d’un pneumothorax, d’un oedème pulmonaire, d’un épanchement pleural ou d’un arrêt cardiaque. Si elle se produit plus longtemps après l’intervention chirurgicale, il convient de suspecter une rupture, une obstruction ou une strangulation de l’appareil digestif [6]. La durée optimale de surveillance n’est pas connue. Un suivi postopératoire de 3 jours nous paraît un minimum. D’après une étude, le taux de récidive d’une hernie diaphragmatique traumatique après réparation est de 5 % chez le chat [12]. À la connaissance des auteurs, aucun autre essai n’a établi de prévalence de récidives des hernies diaphragmatiques traumatiques chez le chien ou le chat.

Conclusion

Ce cas clinique illustre la nécessité de réaliser des radiographies thoraciques chez un animal traumatisé (après la stabilisation médicale), même en l’absence de signes respiratoires après l’accident. Cependant, la proportion non négligeable de faux négatifs lors de cet examen pour la détection des hernies diaphragmatiques doit inciter à toujours inclure cette maladie dans le diagnostic différentiel des affections respiratoires chroniques, notamment lorsqu’un épisode de traumatisme est rapporté par le propriétaire, aussi ancien soit-il. Dans ce cas, il convient de réaliser des examens d’imagerie alternatifs à la radiographie thoracique si celle-ci ne permet pas de trancher, et notamment l’échographie thoracique. Le traitement chirurgical reste la prise en charge de choix des hernies diaphragmatiques chroniques, malgré les complications connues que sont l’oedème de réexpansion pulmonaire et les lésions d’ischémie-reperfusion.

Références

  • 1. Boudrieau RJ. Pathophysiology of traumatic diaphragmatic hernia. In Bojrab MJ, ed. Disease mechanisms in small animal surgery. 2nd ed. Lea & Febiger, Malvern, Pennsylvania. 1993:103-108.
  • 2. Bruchim Y, Itay S, Shira BH et coll. Evaluation of lidocaine treatment on frequency of cardiac arrhythmias, acute kidney injury, and hospitalization time in dogs with gastric dilatation volvulus. J. Vet. Emerg. Crit. Care. 2012;22(4):419-427.
  • 3. Fossum TW. Surgery of the lower respiratory system: pleural cavity and diaphragm. In: Fossum TW, Duprey L, O’Connor D, eds. Small Animal Surgery. 3rd ed. Elsevier Saunders, Saint Louis, Missouri. 2007:903-906.
  • 4. Garson HL, Dodman NH, Baker GJ. Diaphragmatic hernia. Analysis of fifty-six cases in dogs and cats. J. Small Anim. Pract. 1980;21(9):469-481.
  • 5. Hoareau G. Pression intraabdominale, hypertension intraabdominale et syndrome de compartimentation abdominale. Rev. Vet. Clin. 2014;49(2):57-62.
  • 6. Hunt G, Johnson K. Diaphragmatic hernias. In: Tobias KM, Johnston SA, eds. Veterinary surgery small animal. Elsevier Saunders, Saint Louis, Missouri. 2012;2:1380-1390.
  • 7. Hyun C. Radiographic diagnosis of diaphragmatic hernia: review of 60 cases in dogs and cats. J. Vet. Sci. 2004;5(2):157-162.
  • 8. Minihan AC, Berg J, Evans KL. Chronic diaphragmatic hernia in 34 dogs and 16 cats. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2004;40(1):51-63.
  • 9. Simpson SA, Syring R, Otto CM. Severe blunt trauma in dogs: 235 cases (1997-2003). J. Vet. Emerg. Crit. Care. 2009;19(6):588-602.
  • 10. Soderstrom MJ, Gilson SD, Gulbas N. Fatal reexpansion pulmonary edema in a kitten following surgical correction of pectus excavatum. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 1995;31(2):133-136.
  • 11. Spattini G, Rossi F, Vignoli M, Lamb CR. Use of ultrasound to diagnose diaphragmatic rupture in dogs and cats. Vet. Radiol. Ultrasound. 2003;44(2):226-230.
  • 12. Stokoff A. Diagnosis and treatment of acquired diaphragmatic hernia by thoracotomy in 49 dogs and 72 cats. Vet. Q. 1986;8(3):177-183.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ La hernie diaphragmatique est à inclure dans le diagnostic différentiel de la détresse respiratoire, même en l’absence de traumatisme récent.

→ Le diagnostic est à confirmer par imagerie médicale avant d’entreprendre un traitement chirurgical.

→ La prise en charge chirurgicale d’une hernie diaphragmatique chronique est différente de celle d’une hernie aiguë, et les particularités sont à connaître.

→ Les complications per- et postopératoires peuvent être fatales. Il importe donc de savoir les reconnaître et de les traiter.

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