MÉDECINE INTERNE
Cas clinique
Auteur(s) : Élisabeth Robin*, Henri-Jean Boulouis**, Christelle Maurey***
Fonctions :
*Service de médecine interne, CHUV d’Alfort, ENV d’Alfort,
7, av. du Général-de-Gaulle,
94704 Maisons-Alfort
**Biopôle et UMR Bipar, ENV d’Alfort,
94700 Maisons Alfort.
***Service de médecine interne, CHUV d’Alfort, ENV d’Alfort,
7, av. du Général-de-Gaulle,
94704 Maisons-Alfort
Bien que peu fréquente, la yersiniose digestive est à envisager lors de diarrhée aiguë chez le chat. L’analyse cytologique et la mise en culture de tout nœud lymphatique hypertrophié peut apporter des résultats utiles à la prise en charge de l’animal.
Les diarrhées primitives d’origine bactérienne sont peu fréquentes chez le chat et leur diagnostic étiologique est parfois un réel défi [11]. Parmi les bactéries reconnues comme responsables (campylobacter spp., salmonella SPP., clostridium SPP., etc.), yersinia spp. peut provoquer des diarrhées aiguës d’intensité variable.
Ce cas rapporte une diarrhée aiguë liée à Yersinia pseudotuberculosis et revient sur cette infection relativement peu fréquente.
Un chat européen mâle entier âgé de 7 ans est présenté pour un abattement et une anorexie qui durent depuis 3 ours, associés à une diarrhée aiguë. Les selles sont nauséabondes, liquides et jaunâtres.
L’animal présente une hernie phrénopéricardique et un pectus excavatum, diagnostiqués à l’âge de 3 mois.
Il a accès à l’extérieur à volonté. La vaccination et la vermifugation ne sont pas à jour. Le statut du chat vis-à-vis de la leucose féline (FeLV) et du virus de l’immunodéficience féline (FIV) est négatif. L’alimentation qu’il reçoit est achetée en grande surface.
À l’examen clinique, une hyperthermie (40,3 °C) est mise en évidence. L’animal est déshydraté à 7 %. La palpation abdominale est souple et non douloureuse, le contenu des anses intestinales est liquidien.
Il s’agit d’un cas d’entérocolite d’apparition aiguë chez un chat adulte, qui présente également un syndrome fébrile. Le diagnostic différentiel inclut des causes digestives, envisagées en priorité, telles qu’une entérite infectieuse (d’origine virale, parasitaire ou bactérienne) et un processus néoplasique. Une origine extradigestive de la diarrhée est également évoquée (en particulier une pancréatite ou une cholangite). Un foyer infectieux de localisation extradigestive permettant d’expliquer l’hyperthermie est aussi envisagé (complication infectieuse en lien avec la hernie phrénopéricardique notamment : péricardite, péritonite, etc.).
Un hémogramme révèle la présence de neutrophiles toxiques, ainsi qu’une lymphopénie modérée, anomalies en faveur d’un syndrome inflammatoire (tableau 1).
L’examen biochimique est en faveur d’une insuffisance rénale prérénale modérée (urée 1,04 g/l, valeurs usuelles entre 0,21 et 0,71 g/l ; créatinine 14 mg/l, valeurs usuelles entre 0 et 20 mg/l) (tableau 2). L’ionogramme est dans les valeurs usuelles. Le test FeLV/FIV est négatif.
Cet examen est réalisé afin d’objectiver la présence d’un foyer infectieux. La radiographie thoracique révèle une persistance de la hernie, à un degré similaire (photo 1).
L’échographie abdominale confirme la hernie phrénopéricardique précédemment décrite, avec un engagement du foie et de la vésicule biliaire. Une hépatomégalie est aussi présente, avec un foie d’aspect homogène, normoéchogène. La vésicule biliaire, engagée dans le sac péricardique, est modérément distendue, avec une paroi fine (1 mm). Le pancréas est de taille et d’échostructure normales. Des lésions rénales en faveur d’une néphropathie chronique sont mises en évidence : cortex hyperéchogène, avec un aspect strié, et atténuation de la jonction cortico-médullaire.
Concernant le tube digestif, des signes en faveur d’une entérocolite sont identifiés, avec un iléus généralisé (baisse du péristaltisme) et une hyperéchogénicité multifocale en plages au sein de la muqueuse intestinale (photo 2). Dans ce cas, aucun épaississement de la paroi digestive n’est noté. Une adénopathie d’un nœud lymphatique mésentérique droit isolé (1,2 cm de longueur, aspect hypoéchogène et hétérogène, norme échographique : 5 mm d’épaisseur) est présente, compatible avec un processus inflammatoire, néoplasique, ou infectieux (photo 3). Ce nœud lymphatique est ponctionné sous contrôle échographique, à l’aide d’une aiguille fine.
Un examen cytologique du nŒhatique mésentérique est réalisé, qui révèle de très nombreux neutrophiles dégénérés empaquetés dans des filaments de fibrine, en faveur d’une lésion suppurée. Aucun agent pathogène figuré n’est remarqué (photo 4).
Le prélèvement du nœud lymphatique est mis en culture (milieu de Columbia au sang de mouton). La bactérie Yersinia pseudotuberculosis est mise en évidence. Un antibiogramme révèle qu’elle est sensible à l’amoxicilline-acide clavulanique, à la céfalexine et aux quinolones de dernière génération.
De plus, un examen coproscopique des selles ne montre pas d’éléments parasitaires.
Une recherche de coronavirose féline est réalisée par sérologie et PCR (polymerase chain reaction) sur sang. Elle est négative.
Ce chat présente donc une entérocolite à Y. pseudotuberculosis, compliquée d’une discrète insuffisance rénale prérénale.
Le traitement mis en place consiste en une antibiothérapie (amoxicilline et acide clavulanique, 20 mg/kg, par voie intraveineuse, deux fois par jour, pendant 48 heures, puis relais per os pendant 20 jours) associée à une fluidothérapie (NaCl 0,9 % à un débit de 3 ml/kg/h, pendant 48 heures) et à un traitement symptomatique de la diarrhée (smectite, Smecta(r)(1), un demi-sachet deux fois par jour pendant 48 heures). Une vermifugation est également entreprise (fenbendazole, Panacur(r), 50 mg/kg/j, pendant 3 jours).
L’hyperthermie est résolue 24 heures après l’instauration de l’antibiotique et le chat recouvre un appétit normal. L’animal est rendu à ses propriétaires 24 heures plus tard, avec une prescription de smectite et d’amoxicilline-acide clavulanique. La diarrhée persiste pendant 3 jours après sa sortie.
Lors d’un suivi téléphonique 1 mois après l’hospitalisation, l’état général du chat est très bon et les troubles digestifs ont disparu. Un an après, l’animal est asymptomatique.
Ce cas illustre l’importance de réaliser une échographie abdominale dans un contexte d’hyperthermie et de diarrhée. Dans le cas présenté, l’adénomégalie mésentérique isolée et l’adénite suppurée détectée par l’examen cytologique sont des éléments clés dans la démarche diagnostique. Le diagnostic différentiel doit inclure une infection bactérienne comme une salmonellose, un abcès, une lésion néoplasique ou une hyperplasie réactionnelle.
L’hétérogénéité échographique d’un nœud lymphatique abdominal n’est pas spécifique chez le chat, contrairement au chien, chez lequel elle est plutôt en faveur d’un processus malin [9].
Une cytoponction du nœud lymphatique doit alors être réalisée. C’est un acte facile et rapide, et, les cellules rondes s’exfoliant facilement, l’adénogramme apporte souvent des réponses sur la nature du processus pathologique en cours [5].
Dans ce cas, la cytoponction du nœud lymphatique mésentérique a mis en évidence une adénite neutrophilique, en faveur d’une inflammation suppurée. Le prélèvement n’a pas retrouvé d’agents figurés. Parmi les résultats des examens cytologiques réalisés dans cinq cas cliniques publiés, seuls deux prélèvements révèlent des bactéries de type coccobacilles (liées à une atteinte hépatique) [2, 8, 12, 13, 15]. Ici, la présence d’une hernie phrénico-péricardique a contre-indiqué la réalisation d’une cytoponction hépatique, qui aurait pu être intéressante.
Une culture bactériologique du prélèvement doit systématiquement être envisagée. Chez ce chat, la culture du suc ganglionnaire a permis d’isoler Y. pseudotuberculosis.
La yersiniose due à Y. pseudotuberculosis est une affection peu fréquente chez le chat [14].
Cette bactérie a été décrite pour la première fois dans l’espèce féline en 1902 et le premier cas clinique de yersiniose à Y. pseudotuberculosis l’a été en 1979 chez un chat persan, en Amérique du Nord [10, 15]. Une atteinte systémique (hépatique) a été rapportée plus récemment chez un puma (felis concolor) détenu en captivité [12].
Y. pseudotuberculosis est une bactérie Gram négative de la famille des enterobacteriaceae. Parmi les 19 espèces qui composent le genre Yersinia, Y. pestis, agent de la peste, Y. pseudotuberculosis et Y. enterocolitica sont bien connues pour être pathogènes.
Chez le chat, la contamination aurait lieu après l’ingestion de rongeurs ou d’oiseaux contaminés. Les aliments contaminés par des fèces sont aussi incriminés [7, 8].
Dans le cas d’une contamination par voie orale, les bactéries atteignent l’iléon terminal et une transcytose a lieu à travers les cellules épithéliales. La bactérie chemine à travers les plaques de Peyer vers le tissu lymphoïde et les nœuds lymphatiques mésentériques (souvent dans l’angle iléo-cæcal).
Une extension à d’autres organes depuis le tube digestif peut se produire. Ainsi, les autres cas félins rapportés décrivent des yersinioses systémiques avec une atteinte hépatique [8, 10, 12, 14, 15].
Ici, une atteinte hépatique a été explorée initialement. La mesure des concentrations sanguines en enzymes hépatiques est dans les normes. Néanmoins, la sensibilité des phosphatases alcalines (PAL) et des alanines aminotransférases (Alat) est imparfaite [3, 4].
Chez le chat, les cas décrits dans les publications relèvent comme principaux signes cliniques une anorexie, un abattement et un inconfort abdominal [2, 8, 10, 12, 14, 15].
Des vomissements, une diarrhée, un ictère parfois associé à un épanchement abdominal en cas d’atteinte hépatique et une anémie sont aussi rapportés. À l’autopsie, des lésions hépatiques, avec une présence macroscopique de nodules de quelques millimètres de diamètre, jaunâtres et caséeux, sont décrites dans quatre cas [8, 10, 12, 15].
Dans un autre cas, une adénomégalie périphérique isolée du nœud lymphatique mandibulaire est mise en évidence [2]. Enfin, une néphromégalie est décrite dans un dernier cas [12]. Celui-ci, atypique dans sa présentation extradigestive, concerne un chat de race burmese âgé de 8 mois. Les lésions retrouvées sont singulières : une anémie, associée à un ictère sans atteinte hépatique, un épanchement abdominal de type exsudat non caractérisé, une néphromégalie, la présence de lésions sous la forme de multiples nodules miliaires, constitués de macrophages et de neutrophiles, dans le cortex rénal et le tissu pulmonaire. Elles peuvent évoquer des lésions de péritonite infectieuse féline. Néanmoins, la bactérie a été isolée dans les prélèvements pulmonaires et rénaux.
En ce qui concerne le cas clinique décrit, l’expression de la maladie semble modérée, avec une atteinte intestinale et une adénopathie isolée. L’échographie abdominale n’a pas révélé de lésions hépatiques. Il est possible que la maladie ait été prise en charge précocement.
Le diagnostic de yersiniose est fondé sur la mise en culture de selles ou de tissus présentant des lésions. La bactérie pouvant être retrouvée chez des porteurs sains, son seul isolement dans le tube digestif ne garantit pas son caractère pathogène. Néanmoins, sa présence dans des tissus tels que le sang, l’urine, les nœuds lymphatiques et les abcès est plus significative [7].
Comme Yersinia spp. n’est pas toujours correctement isolée sur les milieux de culture classique (formation de colonies de petite taille), la suspicion doit être signalée au laboratoire, afin qu’il utilise un milieu enrichi en cefsulodine, en triclosan et en novobiocine [1, 7].
Certaines sous-espèces de Yersinia, dont Y. enterolitica, bactérie le plus souvent non pathogène et commensale du tube digestif, présentent une résistance intrinsèque, d’origine chromosomique, aux Β-lactamines (synthèse de pénicillinases et de céphalosporinases) [1].
Ce n’est pas le cas de Y. pseudotuberculosis, qui ne présente pas cette résistance d’origine chromosomique. Ainsi, chez le chat comme chez l’homme, le traitement antibiotique recommandé est à choisir parmi les molécules suivantes : la gentamicine, les tétracyclines, les triméthoprime-sulfamides, les fluoroquinolones et les céphalosporines. Les pénicillines sont actives, mais nécessitent souvent des doses plus importantes [7]. À notre connaissance, le seul cas clinique mentionnant l’antibiothérapie choisie est celui de Spearman et coll., qui indique un traitement de 20 jours à base d’hétacilline (pénicilline) [15]. En raison de la bonne réponse clinique obtenue rapidement ici, la prescription d’amoxicilline-acide clavulanique a été maintenue.
Chez l’homme, la contamination par Y. pseudotuberculosis se fait par l’ingestion d’aliments contaminés ou par contact avec un animal infecté. La transmission interhumaine est rapportée (par contact manuel). Des cas d’épidémies, familiales notamment, sont décrits (Europe du Nord, Japon, États-Unis) [1].
La yersiniose n’est pas une maladie à déclaration obligatoire. Néanmoins, les animaux affectés devraient être isolés et des mesures particulières pour le nettoyage des litières, instaurées (nettoyage puis désinfection avec de l’eau de Javel ou un ammonium quaternaire). Ces mesures concernent surtout la protection des enfants en bas âge, des femmes enceintes, des personnes âgées ou immunodéprimées [15]. En effet, des cas d’infections familiales à partir de l’environnement contaminé par un chat porteur sont rapportés dans les publications [6]. Dans le cas présent, les propriétaires ont été informés et ont reçu des conseils concernant les mesures hygiéniques à prendre.
Bien que Y. pseudotuberculosis soit un agent pathogène commensal de l’environnement, son implication pathogénique reste rare. Les cas humains font état de présentations cliniques qui miment une appendicite ou un processus tumoral abdominal. La yersiniose est peu décrite en médecine féline, et son diagnostic nécessite l’isolement de la bactérie hors du tractus digestif, sur des tissus tels que les nŒphatiques de drainage ou des lésions histologiques.
Aucun.
→ Les signes cliniques de yersiniose digestive les plus fréquents sont une anorexie, un abattement, un inconfort abdominal, parfois des troubles digestifs et un ictère consécutif à une atteinte hépatique.
→ La culture bactériologique est fondamentale et la suspicion clinique doit être précisée au laboratoire.
→ Lorsque la prise en charge est précoce, l’affection est de bon pronostic.
→ Le caractère zoonotique doit être notifié au propriétaire.
à Corinne Bouillin et Christelle Gandoin, Biopôle Alfort, pour leur assistance technique.
Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »
L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.
En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire
Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.
Découvrez en avant-première chaque mois le sommaire du Point Vétérinaire.
Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire