Prise en charge thérapeutique d’une intoxication au fer chez un chien - Le Point Vétérinaire expert canin n° 361 du 01/12/2015
Le Point Vétérinaire expert canin n° 361 du 01/12/2015

TOXICOLOGIE

Cas clinique

Auteur(s) : Élodie Adamczyk*, Sandrine Cailleau**, Florence Roque***, Laurence Tavernier****, Xavier Pineau*****, Stéphane Queffélec******

Fonctions :
*Centre national d’informations
toxicologiques vétérinaires (CNITV),
VetAgro Sup, campus vétérinaire,
1, avenue Bourgelat, 69280 Marcy-L’Étoile
**Clinique vétérinaire,
route de Tours, Saint-Jean, 37500 Chinon
***Centre national d’informations
toxicologiques vétérinaires (CNITV),
VetAgro Sup, campus vétérinaire,
1, avenue Bourgelat, 69280 Marcy-L’Étoile
****Centre national d’informations
toxicologiques vétérinaires (CNITV),
VetAgro Sup, campus vétérinaire,
1, avenue Bourgelat, 69280 Marcy-L’Étoile
*****Centre national d’informations
toxicologiques vétérinaires (CNITV),
VetAgro Sup, campus vétérinaire,
1, avenue Bourgelat, 69280 Marcy-L’Étoile
******Centre national d’informations
toxicologiques vétérinaires (CNITV),
VetAgro Sup, campus vétérinaire,
1, avenue Bourgelat, 69280 Marcy-L’Étoile

Après avoir déterminé la dose de fer ingérée lors de suspicion d’intoxication, différentes mesures sont à mettre en œuvre, dont l’induction de vomissements, le traitement préventif des troubles digestifs, le suivi de la concentration sérique en fer et, au besoin, l’administration d’un agent chélateur.

L’intoxication par le fer doit toujours être prise au sérieux chez les carnivores domestiques car elle peut aboutir à des lésions digestives graves et persistantes, ainsi qu’à une atteinte générale éventuellement mortelle. Les doses de fer ingérées sont parfois massives, surtout lorsque l’animal a eu accès à des médicaments humains destinés, par exemple, au traitement de l’anémie ferriprive. La prise en charge de ce type d’intoxication comporte quelques spécificités qu’il convient de connaître, comme l’illustre ce cas clinique.

CAS CLINIQUE

1. Motif de l’appel

Nous avons reçu l’appel d’une consœur à la suite de l’ingestion, par une jeune chienne croisée spitz âgée de 6 mois et pesant 2,5 kg, de cinq comprimés de Tardyferon®(1) 80 mg et de cinq comprimés de Nomégestrol®(1) 5 mg (photo 1). L’ingestion, qui s’était produite en l’absence du propriétaire, remontait à 2 heures tout au plus. La chienne ne présentait aucun signe clinique en dehors d’un vomissement survenu 30 minutes avant l’appel et contenant, selon le propriétaire, un ou deux comprimés de Tardyferon®(1).

2. Réponse du CNITV

Le Nomégestrol®(1) est une pilule contraceptive progestative destinée à la femme. Chaque comprimé contient 5 mg d’acétate de nomégestrol. Comme ce médicament ne contient pas d’œstrogène (dont la toxicité est complexe à évaluer), la toxicité associée à l’ingestion de cinq comprimés de cette spécialité est négligeable [1].

Le Tardyferon®(1) est un médicament humain destiné à la prévention ou au traitement des carences en fer. Chaque comprimé contient 256,30 mg de sulfate ferreux sesquihydraté, soit 80 mg d’élément fer. La chienne a donc ingéré au maximum 160 mg/kg d’élément fer, c’est-à-dire une dose potentiellement létale [1] (encadré). Étant donné le délai raisonnable séparant l’ingestion de l’appel au Centre national d’informations toxicologiques vétérinaires (CNITV) (moins de 2 heures), une prise en charge immédiate et complète a été conseillée, comprenant :

– une décontamination digestive grâce à une induction de vomissements (apomorphine(1) à 0,1 mg/kg par voie sous-cutanée), éventuellement suivie de l’administration d’un antivomitif, pour arrêter des vomissements non productifs, trop fréquents ou trop importants, et de charbon végétal activé ;

– un traitement préventif des troubles digestifs, avec l’administration conjointe d’un pansement gastrique et d’un antiacide ;

– un suivi de la concentration sérique en fer et de la capacité totale de fixation du fer, motivé par le fait que la dose ingérée est supérieure à 60 mg/kg d’élément fer (même en considérant que la chienne a pu vomir précocement deux comprimés, la dose, qui serait alors de 96 mg/kg, reste supérieure à ce seuil). La concentration sérique en fer pouvant être modifiée dès les premières heures qui suivent l’ingestion d’une quantité unique et élevée en fer, un dosage immédiat a été réalisé, répété ensuite toutes les 4 à 6 heures après l’initiation du traitement. Ce dosage s’effectue sur le sérum (ne pas utiliser d’EDTA qui chélate le fer) et ne nécessite pas de conditions particulières d’acheminement (pour le délai ou la température de stockage). Il peut être demandé dans des laboratoires de biologie vétérinaire ou humaine à un coût raisonnable (10 € environ en laboratoire de biologie humaine dans le cas présent). Si la concentration sérique en fer est supérieure à la capacité totale de fixation du fer (cette capacité totale de la transferrine à fixer le fer est une mesure indirecte de la concentration sanguine en transferrine) ou que la concentration sérique en fer est supérieure à 500 µg/dl, un traitement chélateur est à entreprendre selon le protocole suivant : déféroxamine(1) à 15 mg/kg/h, par voie intraveineuse, jusqu’à atteindre une concentration sérique en fer inférieure à 300 µg/dl (photo 2) [2].

3. Prise en charge et suivi par le vétérinaire

Sur ces recommandations, la vétérinaire a induit des vomissements par une injection d’apomorphine (0,1 mg/kg par voie sous-cutanée) immédiatement après l’appel au CNITV. Les vomissements ne contenaient pas de comprimés identifiables, mais dégageaient une odeur ferrique. Un traitement comportant un antivomitif (métoclopramide), un pansement gastrique (phosphate d’aluminium) et un antiacide (ranitidine(1)) a été instauré dans la foulée et une fluidothérapie, initiée.

Le lendemain matin (J1), soit moins de 24 heures après l’ingestion des comprimés de Tardyferon®(1), l’analyse sanguine effectuée dans un laboratoire extérieur a révélé une concentration en fer sérique de 191 µg/dl (valeurs normales : de 94 à 122 µg/dl) [6]. De plus, l’examen clinique de l’animal n’a montré aucune anomalie. Étant donné ces éléments et vu l’impossibilité de suivre l’évolution de la concentration en fer sérique pendant les 24 heures suivantes (J2 étant un dimanche), la chienne a été rendue à ses propriétaires avec la prescription d’un pansement gastrique (phosphate d’aluminium) et d’un antiacide (cimétidine, 5 mg/kg, per os, toutes les 8 heures).

À J3, la concentration en fer sérique s’élevait à 295 µg/dl. Elle a décru les jours suivants (tableau 1). À aucun moment, l’examen clinique de l’animal n’a révélé une anomalie.

DISCUSSION

1. Circonstances d’exposition

Chez l’animal, l’intoxication par le fer fait souvent suite à l’ingestion accidentelle de traitements humains préventifs ou curatifs de l’anémie ferriprive (grossesse), d’engrais (associé à un antimousse), de chaufferettes, d’absorbeurs d’oxygène (conditionnements sous une atmosphère protectrice des denrées alimentaires), etc. [3]. Plus rarement, l’intoxication a pour origine une injection de fer.

Le fer métallique (élément) et le fer oxydé (rouille) ne sont pas responsables d’une intoxication car le fer n’est résorbé que sous forme ionisée [5].

2. Toxicité

La teneur en fer dépend du sel dont il est question (tableau 2). Il convient donc de raisonner sur la teneur en élément fer afin de statuer sur la toxicité des sels. De plus, le fer ferreux (Fe2+) est mieux résorbé que le fer ferrique (Fe3+).

La formule générale de calcul de la dose d’élément fer ingérée est la suivante :

nombre de comprimés × dosage par comprimé × teneur en élément fer du sel concerné (en %)/100.

3. Signes cliniques et lésionnels

Lors d’intoxication, quatre stades peuvent être observés (tableau 3) [2].

La gravité du tableau clinique est positivement corrélée à la dose d’élément fer ingérée ou administrée. L’excrétion du fer résorbé (urine, selles) est quasi nulle, y compris en cas d’intoxication suraiguë ou aiguë.

4. Diagnostic

Le diagnostic repose en premier lieu sur les commémoratifs et l’anamnèse, mais aussi sur le dosage du fer sérique (comprenant le fer lié aux protéines plasmatiques et le fer libre) et la mesure de la capacité totale de fixation du fer. Ces deux paramètres varient d’un animal à l’autre, et, dans la mesure du possible, il convient de les mesurer conjointement. Des effets systémiques sévères sont à attendre lorsque [2] :

– la concentration sérique en fer est supérieure à la capacité totale de fixation du fer ;

– ou que la concentration sérique en fer est supérieure à 500 µg/dl.

La saturation des capacités de fixation du fer (correspondant au rapport du fer sérique sur la capacité de fixation du fer) est physiologiquement comprise entre 25 et 30 % (une augmentation de ce rapport traduit une surcharge en fer).

5. Traitement

La prise en charge dépend du délai écoulé depuis l’exposition, et de la dose ingérée ou administrée. Lors d’ingestion d’une dose d’élément fer supérieure à 20 mg/kg, il convient de procéder à une décontamination digestive et d’administrer précocement des protecteurs digestifs (phosphate d’aluminium, sucralfate, etc.). L’efficacité du charbon végétal activé semble discutable, selon les auteurs [1, 5]. Cependant, une étude récente montre qu’il pourrait, in vitro, adsorber le sulfate ferreux à un pH proche de celui du duodénum. L’administration orale de bicarbonate de sodium, d’hydroxyde de magnésium ou de phosphate de sodium diminuerait la résorption orale du fer en le complexant, mais ces mesures restent d’une efficacité incertaine [2].

Lorsque des signes cliniques apparaissent ou que la dose ingérée d’élément fer est supérieure à 60 mg/kg, il convient de mettre en place un traitement symptomatique, et de déterminer la concentration sérique en fer et la capacité totale de fixation du fer.

Si la concentration sérique en fer est supérieure à la capacité totale de fixation du fer ou qu’elle dépasse 500 µg/dl (voire 350 µg/dl), un traitement chélateur est indiqué [6]. La déféroxamine(1) (achetée sur ordonnance en pharmacie) est alors utilisée à la dose de 15 mg/kg/h par voie intraveineuse jusqu’à obtenir une concentration sérique en fer inférieure à 300 µg/dl [2, 7]. Atteindre cet objectif peut nécessiter 2 à 3 jours de traitement chélateur. Si la concentration sérique en fer ne peut être suivie, il est recommandé de poursuivre le traitement chélateur jusqu’à l’obtention soit d’une recoloration normale des urines, soit d’une régression des signes cliniques [5]. Idéalement, ce traitement doit être initié dans les 24 heures suivant l’ingestion [5]. Le fer chélaté par la déféroxamine(1) (agent chélateur des cations trivalents, ce qui est le cas de la forme circulante du fer, Fe3+, le fer complexé aux hématies étant, quant à lui, sous la forme Fe2+) est éliminé par voie urinaire, conférant une couleur rouge aux urines. La surveillance clinique de l’animal doit ensuite se poursuivre jusqu’à 6 semaines après l’intoxication aiguë en raison des complications digestives susceptibles de survenir (risques de fibrose et de sténose digestive, etc.).

Dans le cas rapporté, l’animal a bénéficié d’une prise en charge précoce incluant l’induction de vomissements et, bien qu’aucun comprimé n’ait pu être identifié, l’odeur métallique qui s’en dégageait laisse à penser qu’une partie du fer ingéré a pu être évacuée avant d’être absorbée. Les prélèvements sanguins réalisés ont révélé une concentration sérique en fer supérieure à la normale dès le lendemain de l’ingestion des comprimés. La mesure n’ayant pu être effectuée à J2, il est impossible de connaître la concentration sérique en fer maximale atteinte chez ce chien, vraisemblablement entre J1 et J3. Quoi qu’il en soit, l’absence de développement de signes cliniques tend à prouver que la prise en charge initiée, incluant l’administration d’un pansement gastrique et d’un antiacide, s’est révélée suffisante et/ou que la quantité de fer réellement ingérée était inférieure à celle annoncée par le propriétaire.

6. Pronostic

Le pronostic dépend de la dose ingérée et de la rapidité de la prise en charge. Lorsque, comme dans le cas présent, aucun signe clinique ne se développe dans les 6 premières heures et/ou que la prise en charge est précoce, le pronostic est bon. Il est réservé lorsque des troubles apparaissent. Il est sombre lorsque la concentration sérique en fer est supérieure à 500 µg/dl.

Conclusion

En raison des répercussions cliniques potentiellement mortelles, il convient de sensibiliser les propriétaires d’animaux sur la nécessité de mettre hors de portée de leur animal toute source d’intoxication par le fer. Cela est particulièrement vrai pour les traitements de l’anémie ferriprive chez l’homme puisque le conditionnement permet souvent à l’animal d’absorber une grande quantité de fer. Lorsque le praticien est contacté à la suite de l’ingestion de fer en quantité toxique par un animal, il est recommandé d’insister auprès de son propriétaire sur l’importance de mettre en œuvre rapidement un suivi sanguin afin d’apprécier la nécessité ou non de recourir à un chélateur.

  • (1) Médicament humain.

Références

  • 1. Adamczyk É. Fer. Dans: Berny P, Queffélec S, eds. Guide pratique de toxicologie vétérinaire. Éd. Med’com. 2015:179-181.
  • 2. Albretsen J. The toxicity of iron, an essential element. Vet. Med. 2006;101:82-90.
  • 3. Brutlag AG, Flint CT, Puschner B. Iron intoxication in a dog consequent to the ingestion of oxygen absorber sachets in pet treat packaging. J. Med. Toxicol. 2012;8(1):76-79.
  • 4. Buhl KJ, Berman FW, Stone DL. Reports of metaldehyde and iron phosphate exposures in animals and characterization of suspected iron toxicosis in dogs. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2013;242(9):1244-1248.
  • 5. Freed E. Toxicology brief - Iron toxicosis. Vet. Tech. 2008;29(7):4p.
  • 6. Hall JO. Iron. In: Blackwell’s five-minute veterinary consult clinical companion: Small animal toxicology. Ed. Wiley-Blackwell, Ames. 2011:647-656.
  • 7. Plumb DC. Plumb’s veterinary drug handbook. 7th ed. Ed. Wiley-Blackwell, Ames. 2011:1567p.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Toxicité du fer

→ L’intoxication par le fer procède de deux types d’effets :

– une action corrosive directe sur le tube digestif ;

– la production de radicaux libres, responsables de dommages cellulaires affectant le foie, le cœur et l’encéphale. Cette production est induite par la présence d’éléments fer non liés aux protéines plasmatiques, par saturation des mécanismes de transport du fer [4].

→ Chez le chien, la toxicité du fer par voie orale peut être résumée de la façon suivante [2] :

– signes cliniques à partir de 20 mg/kg d’élément fer ;

– de 20 à 60 mg/kg d’élément fer : répercussions cliniques modérées ;

– plus de 60 mg/kg d’élément fer : atteinte clinique pouvant être grave ;

– plus de 100 à 200 mg/kg : pronostic vital engagé.

Points forts

→ La toxicité doit toujours être raisonnée en fonction de la teneur en élément fer, dépendante de la nature du sel présent.

→ Lors d’intoxication, quatre phases peuvent être observées. Elles sont essentiellement dominées par des troubles digestifs parfois sévères, susceptibles d’entraîner des séquelles.

→ La prise en charge doit être précoce et complète.

→ Lorsque la dose ingérée en élément fer est supérieure à 60 mg/kg, un suivi de la concentration sérique en fer et de la capacité totale de fixation du fer est nécessaire.

→ La formule générale de calcul de la dose d’élément fer ingérée est la suivante :

nombre de comprimés × dosage par comprimé × teneur en élément fer du sel concerné (en %)/100.

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