Léiomyome utérin chez une panthère de Chine (Panthera pardus orientalis) - Le Point Vétérinaire expert canin n° 359 du 01/10/2015
Le Point Vétérinaire expert canin n° 359 du 01/10/2015

CHIRURGIE

Cas clinique

Auteur(s) : Norin Chai*, Muriel Kohl**, Aude Bourgeois***, Charly Pignon****, Edouard Reyes-Gomez*****, Valérie Chetboul******

Fonctions :
*Ménagerie du Jardin des plantes
Muséum national d’Histoire naturelle
57, rue Cuvier
75005 Paris
**Ménagerie du Jardin des plantes
Muséum national d’Histoire naturelle
57, rue Cuvier
75005 Paris
***Ménagerie du Jardin des plantes
Muséum national d’Histoire naturelle
57, rue Cuvier
75005 Paris
****CHUV d’Alfort
*****Université Paris-Est,
Unité d’embryologie, d’histologie et d’anatomie
pathologique, ENV d’Alfort
******UP médecine, unité de cardiologie,
UMR Inserm-ENV d’Alfort U955 (cardiologie)
7, av. du Général-de-Gaulle
94704 Maisons-Alfort Cedex

Un léiomyome utérin, tumeur utérine relativement fréquente dans les espèces félines sauvages, est traité de manière chirurgicale chez une panthère de Chine présentée initialement pour une constipation et une distension abdominale.

L’anatomie et la physiologie des félidés sauvages sont comparables à celles du chat domestique et les rendent sujets aux mêmes maladies. Ce cas montre la gestion d’une tumeur du système génital, un léiomyome utérin, pour laquelle une constipation a été l’un des principaux motifs de consultation. À la vue de la bibliographie, une constipation due à une tumeur utérine et traitée chirurgicalement avec succès n’a pas encore été décrite chez les félidés sauvages.

CAS CLINIQUE

1. Commémoratifs et anamnèse

Une femelle panthère de Chine (Panthera pardus orientalis) nullipare âgée de 13 ans est présentée pour une constipation intermittente accompagnée de sang dans les fèces et de vomissements sporadiques évoluant depuis 6 mois. Elle est vaccinée et régulièrement vermifugée, elle n’a pas d’historique de traitement contraceptif ni de mise à la reproduction avant son arrivée dans notre parc, où des accouplements ont été observés avec notre mâle. Les coproscopies et coprocultures sont toujours restées négatives. Un traitement symptomatique à base de phosphate magnésium (Phosphalugel®), d’huile végétale et de graines de psyllium (utilisées comme un régulateur de la fonction intestinale, en phytothérapies animale et humaine, pour traiter la constipation) a été mis en place, sans aucune amélioration.

2. Première intervention

L’examen à distance révèle un animal en bon état général présentant un comportement normal. Pour un examen rapproché, la panthère est téléanesthésiée.

Modalités de l’anesthésie

La téléanesthésie est pratiquée avec un mélange constitué de 80 µg/kg de médétomidine (Zalopine®, non commercialisé en France) et de 5 mg/kg de kétamine (Imalgène®), administrée par voie intramusculaire. Ce mélange apporte une anesthésie de stade chirurgical de 50 minutes. Au-delà, l’anesthésie est maintenue avec des injections intramusculaires de kétamine (3 mg/kg) à 20 minutes d’intervalle. La surveillance de l’anesthésie est effectuée avec un moniteur Life Scope multiparamétrique (électrocardiogramme [ECG], saturation pulsée en oxygène [SpO2], capnographie).

Examens clinique et complémentaires

L’examen clinique, l’auscultation et la palpation ne révèlent aucune anomalie. La numération globulaire, la formule leucocytaire et la biochimie sanguine sont dans les normes pour cette espèce. Le test Elisa pour la recherche d’anticorps contre le virus de la leucose féline est négatif. L’examen échocardiographique met en évidence des insuffisances mitrale et aortique sans remaniement tissulaire des valvules. L’ECG est dans les normes pour cette espèce. Les radiographies thoraciques sont normales. Ces différents examens cardiologiques ont été effectués dans le cadre d’un programme de recherche sur les cardiopathies des félins sauvages mené par l’unité de cardiologie de l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA) et la Ménagerie du Jardin des plantes. Les radiographies abdominales montrent une structure tubulaire distendue de densité tissulaire, qui s’étend du bassin jusqu’au milieu de l’abdomen. L’échographie abdominale permet de visualiser une masse sphérique entre l’utérus et le côlon, dont l’origine semble utérine. L’utérus est distendu et contient au moins deux bulles foetales. La gestation est estimée à 15 jours environ. L’anesthésie est antagonisée par une injection intramusculaire d’atipamézole (Antisédan®) à raison de 0,35 mg/kg. Toute intervention supplémentaire est repoussée à la fin de la gestation et le traitement symptomatique est maintenu.

3. Seconde intervention

Deux mois après la réalisation des examens complémentaires, la panthère présente des signes d’oestrus suggérant une interruption de la gestation. La constipation s’aggrave et l’animal semble avoir l’abdomen distendu. Une laparotomie exploratrice est programmée.

Laparotomie exploratrice

La panthère est anesthésiée suivant le même protocole anesthésique. Un analgésique morphinique (butorphanol à la dose de 0,2 mg/kg, Torbugésic®), un anti-inflammatoire non stéroïdien (méloxicam à 0,4 mg/kg, Métacam ®) et un antibiotique (pénicilline procaïne à 300 mg, Duphapen LA®) sont administrés en phase périopératoire. L’animal est intubé et perfusé avec du NaCl 0,9 %. L’anesthésie est maintenue à un stade chirurgical par un relais gazeux à l’isoflurane à 3 % pour 2 l/min d’oxygène (Vetflurane ®). La laparotomie exploratrice est effectuée exactement selon les mêmes principes chirurgicaux appliqués chez le chat (photo 1). Elle met en évidence deux cornes utérines distendues et remplies d’hydromètre (collection de liquide séreux dans l’utérus). La paroi du corps de l’utérus est indurée. La ponction permet de recueillir 150 ml d’un liquide jaunâtre trouble (photo 2). Les séreuses sont macroscopiquement normales. Les ovaires sont inactifs et d’apparence macroscopique normale.

Traitement chirurgical

Une ovariohystérectomie est entreprise selon la même technique chirurgicale que celle utilisée chez les chats domestiques. La suture s’effectue en quatre plans : membrane péritonéale, plans musculaire, sous-cutané, cutané. Le réveil est déclenché avec une injection d’atipamézole. Il est calme et sans complication. L’animal est placé dans une loge d’hospitalisation adaptée pour grands félins sauvages et reçoit une injection intramusculaire unique de 0,4 mg/kg de méloxicam. Aucun autre traitement en phase postopératoire n’est instauré. Les pièces opératoires (les ovaires, le corps utérin et les cornes utérines) sont placées dans une solution de formol tamponnée à 10 % et envoyées au service d’anatomie pathologique de l’ENVA. L’analyse bactériologique du liquide intra-utérin donne un résultat négatif, celui-ci est stérile.

4. Suivi

Douze jours après l’intervention chirurgicale, l’animal est anesthésié de nouveau pour un transfert de loge. La plaie chirurgicale est en cours de cicatrisation et l’état général de la panthère est satisfaisant. Une vaginoscopie de contrôle révèle trois protrusions de la taille d’un petit pois sur la muqueuse vaginale (photos 3a et 3b). Deux de ces masses se situent au niveau du col de l’utérus et la troisième est logée dans la paroi latérale du vagin. Ces formations ont une surface lisse et sont entourées d’une muqueuse hyperémique. Des biopsies sont effectuées et transmises au service d’anatomie pathologique de l’ENVA (photo 3c). Les protrusions sont ensuite cautérisées avec un bistouri électrique (photo 3d).

Les analyses histopathologiques de l’utérus concluent à un léiomyome utérin et à une adénomyose (photos 4 et 5). Les protrusions vaginales sont décrites comme des lésions kystiques de la muqueuse vaginale, superficielles, ne présentant pas de signes de malignité. Il pourrait aussi s’agir, comme chez le chat, de glandes vestibulaires (ou glandes de Bartholin).

DISCUSSION

1. La constipation, un symptôme peu spécifique

La pathogénie de la constipation chez les félins domestiques et non domestiques est similaire [1]. Cette maladie est d’origine alimentaire, environnementale, algique, neurologique, métabolique ou mécanique (obstructions) [7]. Les constipations félines dont la cause est une masse impliquant le tractus urogénital sont rares [5, 9].

La démarche diagnostique lors de constipation comporte, dans un premier temps, des analyses hématologiques et biochimiques sanguines, des examens d’imagerie (radiographie, échographie, imagerie par résonance magnétique [IRM]). Une laparoscopie et une biopsie tissulaire peuvent être réalisées avant d’envisager une laparotomie exploratrice. Celle-ci permet au besoin d’effectuer directement une intervention chirurgicale curative.

2. Comparaison des tumeurs utérines chez le chat et les félidés sauvages

Prévalence chez les félins

Les tumeurs utérines décrites chez le chat comprennent des adénocarcinomes, des adénomes, des léiomyomes, des léiomyosarcomes, des carcinosarcomes, des lipomes et des fibromes [8, 9, 11]. Les adénocarcinomes sont les plus fréquents. Dans une étude de 19 cas de tumeurs utérines chez 4 espèces de félins sauvages, tigres (Panthera tigris), jaguars (Panthera onca), léopards (Panthera pardus) et lions (Panthera leo), il s’agissait d’un adénocarcinome pour 15 d’entre eux [10].

Les léiomyomes du tractus génital femelle apparaissent dans différents taxons et sont fréquents chez les félidés sauvages en captivité âgés de plus de 10 ans (24 % des 219 félins sauvages appartenant à 23 espèces différentes) [2]. Cependant, il semble que la prévalence des tumeurs utérines chez les grands félidés ne soit pas corrélée avec l’administration systématique d’acétate de mégestrol, une hypothèse longtemps proposée (encadré) [6].

L’adénomyose correspond à la présence de tissu endométrial formant des structures kystiques au sein du myomètre lors de l’analyse histologique (lésions à différencier d’un artefact de coupe). Asymptomatique, elle est souvent associée à une hyperplasie de l’endomètre. Dans une étude portant sur 79 chattes, 5 se sont révélées atteintes d’une adénomyose [12]. Une atteinte sévère peut entraîner un épaississement du corps utérin. Dans notre cas, la lésion était ponctuelle.

Symptômes associés

Les tumeurs utérines peuvent être asymptomatiques et représenter des découvertes post-mortem fortuites [3]. Les symptômes liés aux léiomyomes utérins sont nombreux. Une anorexie intermittente, des vomissements, une strangurie, une constipation, des écoulements vulvaires et un abdomen tendu sont les signes cliniques les plus souvent rencontrés chez le chat domestique [9, 13]. La panthère de la Ménagerie du Jardin des plantes a présenté au moins trois de ces symptômes, probablement plutôt en raison d’une composante algique qu’en lien avec une contrainte mécanique sur le tractus digestif.

Traitement chirurgical et devenir de l’animal

L’ovariohystérectomie est indiquée et, dans la plupart des cas, curative. Une intervention unilatérale peut être tentée, mais le pronostic reproducteur reste compromis. La carrière reproductrice de la femelle concernée étant terminée, son avenir dans la population captive dépend, entre autres, de l’espèce et des capacités logistiques des parcs zoologiques en question.

Conclusion

Ce cas montre que la constipation peut être le signe d’appel d’une tumeur génitale chez les femelles de félins sauvages en captivité âgées de plus de 10 ans.

  • (1) Médicament humain.

  • 1. Bunch SE, Grauer GF, Hawkins EC et coll. Clinical manifestations of gastrointestinal disorders. In: Nelson RW, Couto CG, eds. Small animal internal medicine. Mosby, Inc., St. Louis, Missouri. 1998;360-361.
  • 2. Chassy LM, Gardner IA, Plotka ED et coll. Genital tract smooth muscle tumors are common in zoo felids but are not associated with melengestrol acetate contraceptive treatment. Vet. Pathol. 2002;39 (3):379-385.
  • 3. Grooters AM. Diseases of the ovaries and uterus. In: Birchard SJ, Sherding RG, eds. Saunders manual of small animal practice. WB Saunders Co., Philadelphia, Pennsylvania. 2000:1016-1028.
  • 4. Kazensky CA, Munson L, Seal US. The effects of melengestrol acetate on the ovaries of captive wild felids. J. Zoo Wildl. Med. 1998;29 (1):1-5.
  • 5. Kollias GV, Bellah JR, Calderwoo MB et coll. Vaginal myxoma causing urethral and colonic obstruction in a tiger. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1985;187 (11):1261-1262.
  • 6. Linnehan RM, Edwards JL. Endometrial adenocarcinoma in a Bengal tiger (Panthera tigris bengalensis) implanted with melengestrol acetate. J. Zoo Wildl. Med. 1991;22 (1):130-134.
  • 7. Lorenz MD. Constipation. In: Lorenz MD, Cornelius LM, eds. Small animal medical diagnosis. 2nd ed. Lippincott, Williams & Wilkins, New York. 1993:285-287.
  • 8. McEntee MC. Reproductive oncology. Clin. Tech. Small Anim. Pract. 2002;17 (3):133-149.
  • 9. Miller MA, Ramos-Vera JA, Dickerson MF et coll. Uterine neoplasia in 13 cats. J. Vet. Diagn. Invest. 2003;15 (6):515-522.
  • 10. Munson L, Stokes JE, Harrenstien LA. 1995. Uterine cancer in zoo felids on progestin contraceptives. Vet. Pathol. 1995;32:578 (Abstr.).
  • 11. Ogilvie GK, Moore AS. Tumors of the reproductive tract. In: Feline Oncology: A comprehensive guide to compassionate care. Veterinary Learning Systems, Trenton, New Jersey. 2001:351-354.
  • 12. Potter K, Hancock DH, Gallina AM. Clinical and pathological features of endometrial hyperplasia, pyometra and endometritis in cats: 79 cases (1980-1985). J. Am. Vet. Med. Assoc. 1991;198 (8):1427-1431.
  • 13. Walzer C, Kübber-Heiss A, Bauder B. Spontaneous uterine fibroleiomyoma in a captive cheetah. J. Vet. Med. A Physiol. Pathol. Clin. Med. 2003;50 (7):363-365.

Conflit d’intérêts

Aucun

Points forts

→ La médecine et la chirurgie des félins sauvages sont très proches de celles du chat domestique.

→ L’approche de l’animal et l’examen clinique approfondi sont contraignants car ils nécessitent une anesthésie systématique.

→ La constipation peut être le signe d’appel d’une tumeur génitale chez les femelles de félins sauvages en captivité âgées de plus de 10 ans.

→ La chirurgie est le traitement de choix des tumeurs utérines, mais elle termine la carrière reproductrice de l’animal, dont l’avenir dépend alors des capacités logistiques du parc zoologique qui le détient.

ENCADRÉ
La gestion de la reproduction des populations captives de félidés sauvages

La gestion de la reproduction des populations captives de félidés sauvages passe souvent par une castration chimique temporaire. La surreprésentation d’une lignée génétique dans une population captive régionale, comme beaucoup d’autres facteurs zootechniques ou médicaux, justifie l’emploi de molécules contraceptives chez les espèces sauvages. Actuellement, la desloréline, sous forme d’un implant sous-cutané (Suprelorin®), remplace les injections d’acétate de mégestrol. La facilité d’emploi de l’implant, ainsi que sa durée limitée d’action sont plus adaptées aux besoins des vétérinaires de parc zoologique. Cependant, l’acétate de mégestrol est resté la molécule la plus utilisée au cours des 10 dernières années et les effets indésirables pourraient se manifester actuellement chez les félidés sauvages âgés [4].

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