Hyperkératose de la truffe chez un labrador - Le Point Vétérinaire expert canin n° 350 du 01/11/2014
Le Point Vétérinaire expert canin n° 350 du 01/11/2014

DERMATOLOGIE

Article de synthèse

Auteur(s) : Jean-Loup Mathet

Fonctions : Clinique vétérinaire des Glycines,
24, rue Piedgrouille,
45100 Orléans

L’hyperkératose nasale est une dermatose incurable, d’évolution imprévisible, qu’il convient de diagnostiquer avec certitude, pour apporter un traitement topique en général.

Un labrador retriever de couleur sable est présenté pour des lésions nasales croûteuses. L’animal vit en maison avec jardin. Il a récemment déménagé de la région parisienne mais n’a jamais voyagé. Il n’a pas présenté d’autres dermatoses ou maladies notables auparavant, est parfaitement entretenu, correctement vacciné, reçoit une alimentation industrielle de qualité, et ses traitements antiparasitaires sont à jour. Il vit avec deux autres labradors retrievers, issus d’élevages différents, pour lesquels aucune dermatose n’est rapportée.

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse

Les premières lésions sont apparues dès l’âge de 8 mois. Elles ont débuté par une décoloration de la truffe, puis des fissures et des croûtes se sont progressivement installées. Une aggravation à l’humidité et au froid, en particulier en présence de neige, est signalée. Divers topiques occlusifs (vaseline), hydratants (Bio-balm®), homéopathiques (spécialité humaine, hors autorisation de mise sur le marché, Homéoplasmine®) ou des associations antibiotiques et corticoïdes ont été appliqués (Sulmidol®, Predniderm®, Cortavance Spray®), mais sans succès. La dermatose évolue par paliers, avec une aggravation progressive des lésions dans le temps et de courtes phases d’amélioration. Un confrère a alors instauré une antibiothérapie à base de céfalexine (Rilexine®) à la dose de 30 mg/kg/j en deux prises, pour une suspicion de pyodermite des jonctions cutanéo-muqueuses. Au moment de sa présentation à la clinique, l’animal reçoit ce traitement depuis 2 mois, sans résultat satisfaisant.

2. Examen clinique

Le chien est en bonne santé et l’examen général satisfaisant. La palpation de la truffe est nettement douloureuse. À distance, une atteinte nasale sévère est constatée, se traduisant par une dépigmentation érythémateuse de la truffe, avec des croûtes épaisses et des fissurations à l’origine de saignements (photos 1a et 1b).

L’examen rapproché montre des crevasses ulcérées, des érosions et des croûtes épaisses adhérentes sur le planum nasal, une hyperpigmentation du chanfrein avec de rares papules en limite de la truffe. La kératinisation est considérable, une corne kératinisée est présente en partie centrale de la truffe.

Une dépigmentation focale du philtrum et des ailes est observée, associée à un ramollissement spongieux du philtrum donnant un aspect grisâtre. Des dermatoglyphes sont plus ou moins visibles par endroits (photo 2).

Le chien présente également un squamosis du bord libre des pavillons auriculaires avec présence de manchons pilaires.

3. Bilan clinique

Il s’agit d’une dermatose nasale chronique, douloureuse, squameuse et croûteuse ulcérée atteignant la truffe, se caractérisant par une hyperkératose majeure à l’origine de fissurations et une dépigmentation partielle du philtrum avec atténuation des dermatoglyphes. Une séborrhée du bord libre des oreilles est également présente.

4. Hypothèses diagnostiques

Le diagnostic différentiel inclut diverses causes : des troubles primaires de la kératinisation (kératodermie nasale du labrador, dermatose améliorée par le zinc), des troubles auto-immuns (lupus nasal, pemphigus foliacé), des dermatoses infectieuses (pyodermite des jonctions cutanéo-muqueuses, leishmaniose) (tableau 1).

5. Examens complémentaires

Un prélèvement par cytobrosse de cellules buccales est envoyé au laboratoire Genoscoper, en Finlande, pour le test génétique de détection de l’hyperkératose nasale du labrador. Le test se révèle positif.

Des biopsies de la truffe sont envoyées au Laboratoire d’anatomie pathologique vétérinaire du Sud-Ouest pour un examen histologique, ainsi qu’à l’équipe de génétique du chien (Institut de génétique et de développement du Centre national de la recherche scientifique de Rennes) à des fins de recherche.

L’examen histologique montre une sévère dermatite hyperplasique parakératosique avec de discrètes lésions d’interface, lésions intéressant l’épiderme de la truffe. Des vésicules séro-cellulaires sont observées au sein de la couche cornée très épaissie (photos 3 et 4).

La couche granuleuse est quasi absente, et, dans les couches profondes, des corps apoptotiques, une dégénérescence ballonisante de quelques kératinocytes et des cellules lymphocytaires satellites sont présents. Dans le derme, une incontinence pigmentaire est associée à un discret infiltrat lichénoïde lymphoplasmocytaire (figure).

Un diagnostic d’hyperkératose parakératosique de la truffe du labrador est établi.

6. Traitement

Des applications d’Homéoplasmine®(1) visant à réduire les fissures sont associées à un dermocorticoïde (Dermoval®(1), avec port de gants par le propriétaire), à raison d’une fois par jour pour chacun. Une amélioration est obtenue en une semaine, avec résolution des fissurations et des ulcérations, et diminution de l’épaisseur des croûtes.

Après 15 jours d’administration quotidienne, le dermocorticoïde est appliqué à jours alternés afin d’en limiter les effets indésirables, en particulier une atrophie cutanée et des infections secondaires. Une pommade occlusive protectrice y est ensuite associée, à raison d’un massage quotidien (Winterpad®), sans succès. La réapparition de crevasses douloureuses conduit à envisager une infection bactérienne consécutive à la corticothérapie topique. Une antibiothérapie topique est donc débutée, avec une pommade à base d’acide fusidique (Forudine®) appliquée matin et soir pendant 10 jours. L’état de la truffe s’améliore sensiblement après quelques jours. Cette amélioration est cependant de courte durée et une nouvelle récidive lésionnelle apparaît un mois plus tard.

Du propylène-glycol pur est alors appliqué directement sur les lésions kératosiques de la truffe par tamponnement, deux fois par jour, en association avec l’application d’une huile minérale, de la vaseline (Vaseline Cooper®(1)), le soir après séchage du propylène-glycol.

7. Évolution

L’amélioration est enfin très satisfaisante et perdure plusieurs mois avec ce protocole. Les périodes d’aggravation sont moins prononcées, malgré le froid et l’humidité de l’hiver puis du printemps. Le retour de la chaleur du mois de juillet entraîne à nouveau une régression plus marquée des croûtes (photo 5).

DISCUSSION

1. Définition

L’hyperkératose parakératosique de la truffe du labrador est une génodermatose décrite récemment au Canada en 2000, puis observée ensuite aux États-Unis et en Europe [4, 5].

Elle appartient au groupe des kératodermies naso-plantaires, maladies caractérisées par une hyperkératose du dessus de la truffe et des coussinets plantaires, dues soit à une prolifération excessive des cornéocytes, soit à leur élimination anormale par rétention. Deux entités sont distinguées : la parakératose nasale du labrador et les kératodermies plantaires héréditaires du dogue de Bordeaux et de l’irish-terrier [2].

2. Épidémiologie et mode de transmission

L’âge d’apparition de l’hyperkératose parakératosique se situe entre 6 mois et 1 an, sans prédisposition sexuelle, ni de lien avec la couleur de la robe (sable, chocolat ou noire). Les labradors et croisés en sont atteints, mais les golden retrievers ne le sont pas. Le mode de transmission est autosomal récessif, probablement dû à une mutation unique. Un diagnostic génétique est disponible depuis 2012.

3. Signes cliniques

Lésions

Les lésions cliniques caractéristiques sont un épaississement de la truffe, des squames compactes très adhérentes en ligne le long du planum nasal, des croûtes, des érosions, voire des fissures ulcératives dans les cas sévères. Le prurit et la douleur sont habituellement absents. Une dépigmentation progressive est possible, avec disparition partielle des dermatoglyphes.

Aggravations possibles

Les signes cliniques s’aggravent au froid et à l’humidité, et une coloration grisâtre du philtrum est parfois visible chez les chiens jouant dans l’eau ou la neige. À l’inverse, l’exposition solaire ne joue aucun rôle. Selon les études, les lésions augmentent, évoluent de manière cyclique ou se stabilisent avec l’âge. L’atteinte nasale est en général exclusive, mais des cas d’atteinte des coussinets, des bords libres des oreilles ou du chanfrein, et même un squamosis généralisé ont été signalés [4]. Des squames et une alopécie du début du chanfrein ont pu être observées, ainsi qu’une séborrhée du bord libre des oreilles. En revanche, aucun signe systémique associé n’a été noté.

Dans ce cas, la gravité de l’hyperkératose est extrême, elle se traduit parfois par une projection cornée, avec des fissures et des ulcérations à l’origine d’un inconfort très net pour l’animal, qui va jusqu’à refuser le simple contact. Les dermatoglyphes ne sont globalement plus observables et la dépigmentation est étendue.

4. Diagnostic différentiel

Lorsque l’hyperkératose nasale est considérée isolément et sémiologiquement, le diagnostic différentiel inclut davantage d’hypothèses (tableau 2). C’est une évolution clinique retrouvée dans de nombreuses dermatoses.

5. Caractéristiques histologiques

Les caractéristiques histologiques de l’hyperkératose parakératosique de la truffe du labrador sont identiques à celles de notre cas [1, 6].

Épiderme

Dans l’épiderme sont observées :

– une hyperkératose parakératosique souvent sévère (jusqu’à plus d’une quinzaine de couches) ;

– une acanthose ;

– des vésicules intracornées contenant un fluide protéique (serum lakes) au-dessus de la couche épineuse ;

– une dégénérescence hydropique des kératinocytes de la couche épineuse, parfois images d’apoptose avec satellitose ;

– une spongiose modérée de la couche basale, parfois à l’origine de vésicules ;

– une exocytose de neutrophiles et de lymphocytes ;

– des colonies bactériennes de cocci dans certaines croûtes parakératosiques signant la fréquence des infections superficielles associées.

Derme

Dans le derme sont notés :

– un infiltrat lympho-plasmocytaire (de type lichénoïde), voire histiocytaire, dans le derme superficiel, associé à une incontinence pigmentaire dans les cas sévères ;

– une fibrose modérée.

L’étude histologique de 111 cas des parakératoses distingue essentiellement six entités : la dermatose améliorée par le zinc, la pyodermite mucocutanée, l’érythème nécrolytique migrant, la dermatite à Malassezia, l’intoxication au thallium et la parakératose folliculaire congénitale du rottweiler [6]. Une autre étude y inclut également la kératose actinique [4]. La présence de vésicules intracornées et de parakératose ne constitue pas un critère discriminant, même si ces deux modalités sont plus intensément exprimées lors de parakératose nasale.

6. Pathogénie

La pathogénie de cette dermatose est toujours débattue et repose sur des observations de microscopie électronique et des examens de diagnostic différentiel pratiqués sur des séries.

Il pourrait s’agir d’une médiation immune avec réaction lymphocytaire de type cytotoxique envers l’épiderme dans le cadre d’une génodermatose. Un trouble primaire de la kératinisation associé à une réaction cytotoxique a également été proposé. Enfin, il pourrait s’agir d’une maladie multifactorielle avec des composantes génétiques, inflammatoires et des anomalies de différenciation et de maturation (incomplète ou accélérée) du kératinocyte. Ces anomalies seraient consécutives à la production de signaux de prolifération libérés par des neutrophiles au contact de complexes d’adhésion de la membrane kératinocytaire.

La parakératose nasale est aussi observée dans les maladies cutanées inflammatoires, comme le psoriasis chez l’homme, et est associée au pemphigus foliacé de la truffe et au lupus cutané nasal chez le chien. La microcopie ultra-structurale confirme en effet l’anomalie de la cornification (rétention de chromatine nucléaire, absence de corps lamellaires et vacuoles intracytoplasmiques) [6].

En résumé, il s’agit soit d’un mécanisme inflammatoire primaire qui altère secondairement la maturation épidermique, soit d’un trouble primaire de la kératinisation à l’origine d’une cascade inflammatoire.

7. Évolution

Face à cette dermatose incurable, d’évolution imprévisible, l’objectif est de contrôler dans le temps les lésions de la truffe, en modulant les thérapeutiques. Plusieurs molécules ont été testées, avec plus ou moins de succès, et il en ressort que les traitements topiques sont plus efficaces que les médicaments systémiques (tableau 3).

Le traitement d’entretien fait appel à un émollient lipidique, idéalement la vaseline, et à un agent hygroscopique qui attire l’eau au sein de la couche cornée : le propylène-glycol. Ce dernier, vendu en pharmacie, peut être appliqué pur, comme ici, ou bien dilué à 60 % dans de l’eau. En cas de fissurations importantes, l’Homéoplasmine®(1) (pommade à base d’acide borique et de teintures-mères végétales) est indiquée en première intention, en une ou deux applications quotidiennes, prolongées pendant plusieurs semaines. L’emploi d’un dermocorticoïde de classe IV, le propionate de clobétasol (Dermoval®), permet des améliorations transitoires. L’acéponate d’hydrocortisone (Cortavance Spray®) en tamponnement après pulvérisation sur une compresse, une fois par jour jusqu’à amélioration, est une solution alternative intéressante. L’application est renouvelable si elle est efficace et tolérée par l’animal.

Le tacrolimus à 0,1 % (Protopic®(1)), un topique immunomodulateur macrolide proche de la ciclosporine (inhibiteur des calcineurines), est également utilisable, en deux applications par jour pendant plusieurs semaines [3]. Son usage est réservé aux formes cliniques résistantes aux traitements topiques classiques, et avant de mettre en place une corticothérapie orale prolongée.

En pratique, les topiques constituent le traitement de référence, mais sont à alterner et à associer selon l’évolution lésionnelle, en modulant leur fréquence. En cas de lésions infectées érosives ou ulcérées, une antibiothérapie systémique est justifiée en première intention avec une céphalosporine de première génération (céfalexine, 15 mg/kg deux fois par jour pendant 4 semaines au minimum). Une corticothérapie orale à base de prednisolone est envisageable en présence de cas sévères, à raison de 1 à 2 mg/kg/j pendant 5 à 7 jours, et doit être immédiatement suivie d’effet [5]. Dans le cas contraire, elle est abandonnée.

Conclusion

Ce cas présente une hyperkératose parakératosique sévère de la truffe chez un labrador, occasionnant un réel inconfort. Le préjudice est ici beaucoup plus important qu’un simple souci esthétique, lors de présentation à un concours de beauté. Cette dermatose demande des soins locaux constants, donc une forte motivation et une implication des propriétaires. À ce titre, elle peut être comparée à la gestion au long cours d’autres génodermatoses épidermiques comme l’ichtyose.

  • (1) Médicament humain.

Références

  • 1. Gilles A. L’hyperkératose parakératosique de la truffe du labrador. Thèse de doctorat vétérinaire, Lyon I, Université Claude-Bernard. 2005:107p.
  • 2. Guaguère É, Muller A, André C et coll. Actualités sur les kératodermies nasales et plantaires chez le chien. Dans : Proceedings XXVIIes journées annuelles du Gedac. Programme spécialisé : cornéogenèse et ses troubles. Paris. avril 2013:67-72.
  • 3. Miller WH, Griffin CE, Campbell KL. Congenital and hereditary defects. In: Muller and Kirk’s Small Animal Dermatology. 7th ed. Elsevier, St?Louis. 2013:573-617.
  • 4. Page N, Paradis M, Lapointe JM et coll. Hereditary nasal parakeratosis in labrador retrievers. Vet. Dermatol. 2003;14:103-110.
  • 5. Peters J, Scott DW, Herb HN et coll. Hereditary nasal parakeratosis in labrador retrievers: 11 new cases and a retrospective study on the presence of accumulations of serum (“serum lakes”) in the epidermis of parakeratotic dermatoses and inflamed nasal plana of dogs. Vet. Dermatol. 2003;14:197-203.
  • 6. Senter D, Scott DW, Miller WH et coll. Intracorneal vacuoles in skin diseases with parakeratotic hyperkeratosis in the dog: a retrospective light-microscopy study of 111 cases (1973-2000). Vet. Dermatol. 2002;13:45-49.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Les hyperkératoses nasales constituent un motif de consultation rare, de diagnostic différentiel délicat.

→ La présentation clinique est variable selon les saisons, les formes graves sont parfois douloureuses et inconfortables pour l’animal.

→ Le préjudice esthétique est important pour les animaux de concours de beauté et ne doit pas être sous-estimé, selon le souhait des propriétaires.

→ Le diagnostic de parakératose nasale est histopathologique, mais un test génétique récent est maintenant disponible chez le labrador.

→ Le traitement est essentiellement topique et permanent, le propylène-glycol apportant une solution efficace dans les formes sévères.

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