Hémostase et thrombo-embolies chez le chien et le chat - Le Point Vétérinaire n° 342 du 01/01/2014
Le Point Vétérinaire n° 342 du 01/01/2014

MÉDECINE INTERNE

Dossier

Auteur(s) : Caroline Léger

Fonctions : Clinique vétérinaire Alliancevet
73, avenue Jean-Kiffer
94420 Le Plessis-Trévise
www.alliancevet.fr
contact@alliancevet.fr

Différents facteurs peuvent favoriser le déséquilibre de l’hémostase, entraînant alors la formation d’un thrombus dans une cavité vasculaire.

L’hémostase regroupe l’ensemble des mécanismes qui concourent à maintenir le sang à l’état fluide à l’intérieur de l’appareil circulatoire (cœur et vaisseaux sanguins). Son rôle est d’arrêter les hémorragies et de prévenir la formation de thrombus (figure 1). Pour cela, un équilibre constant entre coagulation et fibrinolyse, ou plutôt entre facteurs pro- et antiagrégants, pro- et anticoagulants, pro- et antifibrinolytiques, est requis.

Lorsque cet équilibre n’est pas respecté, une thrombose peut survenir. Elle résulte de la coagulation pathologique du sang au sein de l’appareil circulatoire. Une thrombo-embolie (TE), qui signifie le détachement, le cheminement et l’arrêt dans l’appareil circulatoire d’un fragment de thrombus, peut alors avoir lieu.

1 Physiologie de l’hémostase

Hémostase primaire

L’hémostase primaire ferme la brèche vasculaire par un “thrombus blanc” (clou plaquettaire) (figure 2).

Elle fait intervenir les plaquettes, l’endothélium vasculaire et, notamment, deux des éléments plasmatiques de l’hémostase (fibrinogène et facteur de von Willebrand).

Deux temps sont distingués :

– un temps vasculaire qui consiste en une vasoconstriction localisée. Celle-ci favorise le processus d’hémostase en réduisant le flux sanguin et en permettant de concentrer les substances favorables à la coagulation ;

– un temps plaquettaire qui débute par l’adhésion des plaquettes au tissu sous-endothélial grâce, notamment, au facteur de von Willebrand. Le contact avec le collagène active les plaquettes, leur permet de synthétiser et de libérer le thromboxane A2 (TXA2), ainsi que le contenu de leurs granules (adénosine diphosphate [ADP], facteurs de coagulation, dont le calcium et le fibrinogène). L’ADP et le TXA2 sont de puissants activateurs plaquettaires. C’est aussi le cas de la thrombine dont la formation débute simultanément. Enfin, le fibrinogène permet l’agrégation des plaquettes entre elles (pontage).

Coagulation plasmatique

La coagulation plasmatique commence simultanément. Elle consolide l’agrégat plaquettaire en formant un réseau de fibrine qui emprisonne les globules rouges : le caillot (figure 3).

MOLÉCULES IMPLIQUÉES

La coagulation fait intervenir des protéines plasmatiques (facteurs et inhibiteurs de la coagulation), une protéine tissulaire (facteur tissulaire, FT), les phospholipides plaquettaires et les ions calcium. Les facteurs de coagulation désignés par un chiffre romain sont principalement synthétisés par le foie et certains sont vitamines K-dépendants. Ils circulent sous forme de proenzymes, nécessitant une activation. La coagulation consiste donc en un ensemble de réactions enzymatiques déclenchées par deux voies d’activation.

DEUX VOIES D’ACTIVATION

In vitro, il est question de “voie exogène, ou extrinsèque” : exposition du sang au contact du FT, et de “voie endogène, ou intrinsèque” : exposition du sang au contact d’une surface chargée négativement.

In vivo, la coagulation est initiée par l’exposition du FT localisé dans la matrice sous-endothéliale (voie exogène). Cette dernière, mise à nue, permet donc le contact entre le plasma et le FT. Un complexe facteur VII-FT se forme.

Les deux voies d’activation sont alors possibles, mais la voie exogène est la principale. Elles aboutissent toutes les deux à la voie commune responsable de l’activation du facteur X, nécessaire à la génération de thrombine (facteur IIa).

AMPLIFICATION

Ce phénomène est capable d’amplification. La faible quantité de thrombine générée active certains facteurs de la coagulation, dont les cofacteurs V, VIII, XI, et permet l’amplification de la synthèse de thrombine. Celle-ci est responsable du clivage du fibrinogène en monomères de fibrine soluble. Ces monomères se polymérisent par la suite en polymères insolubles. Le réseau de fibrine ainsi formé emprisonne les hématies : le thrombus rouge définitif est formé.

Des “inhibiteurs” comme les prostacyclines (PGI2), l’inhibiteur de la voie du facteur tissulaire (TFPI), les protéines C et S, ainsi que l’antithrombine (AT) sont, quant à eux, capables de freiner la coagulation afin de prévenir la survenue de thrombus.

Fibrinolyse

La fibrinolyse rétablit la circulation sanguine après la cicatrisation de la lésion vasculaire (figure 4). La fibrine est lysée par l’intermédiaire de la plasmine. Les produits de dégradation de la fibrine sont ceux issus de cette lyse de la fibrine et du fibrinogène. Les D-dimères représentent une partie des fragments issus de la dégradation de la fibrine uniquement.

Les trois temps de l’hémostase sont initiés simultanément dès que le processus d’hémostase est enclenché.

Les processus d’hémostase primaire et de coagulation aboutissent à la formation d’un caillot, tandis que la fibrinolyse tend à le détruire. Il y a donc un équilibre permanent entre, d’un côté, l’hémostase primaire et la coagulation, et, de l’autre, la fibrinolyse. Il s’agit de la balance coagulolytique, ou balance de l’hémostase. Elle est dépendante des cellules endothéliales des vaisseaux sanguins, des plaquettes et des facteurs de coagulation.

2 Pathogénie de la thrombo-embolie

Une TE résulte d’une obstruction, partielle ou totale, d’un ou de plusieurs vaisseaux par un thrombus ou un embole. Plus précisément, la thrombose est la coagulation pathologique du sang au sein de l’appareil circulatoire du vivant de l’individu. La TE est le détachement, le cheminement et l’arrêt dans l’appareil circulatoire d’un fragment de thrombus. Quelle que soit l’espèce, les TE sont des complications souvent fatales de nombreuses affections intercurrentes [11]. L’identification des animaux à risque représente donc un enjeu médical majeur.

Définitions

Un thrombus, ou caillot sanguin, est le produit final de la coagulation (photo 1). Il se forme à l’intérieur d’une cavité vasculaire (artère, veine ou cœur). Ce phénomène résulte d’un déséquilibre des mécanismes de l’hémostase.

Un embole est un fragment de thrombus ou peut être constitué de tout autre matériel (bactéries, agrégats de cellules, corps étranger, parasites, air, amas lipidiques ou fibrine) qui est délogé de sa position initiale et déplacé dans un site plus distal par le flux sanguin. Les conséquences locales de l’embole sont les mêmes quelle que soit son origine (thrombus ou autre) et la distinction n’est pas toujours facile à établir. C’est pourquoi le terme de thrombo-embolie est utilisé qu’il soit question d’un caillot de sang ou d’un embole d’une autre origine [2]. Une TE peut être artérielle ou veineuse (thrombo-phlébite).

Thrombo-embolie artérielle

L’embole formé dans une artère est constitué en priorité de plaquettes [4]. La TE artérielle provoque une ischémie (privation de sang oxygéné) dans la région que cette artère irrigue. Une ischémie grave aboutit à la mort des tissus concernés : l’infarctus (photo 2). Le site de formation du thrombus, sa taille et la rapidité de sa formation et de sa dissolution déterminent son impact sur la perfusion tissulaire, donc sa gravité. Ainsi, un thrombus de grande taille est en général de moins bon pronostic, de même qu’un thrombus se formant rapidement, car la circulation collatérale n’a alors pas le temps de se développer.

Thrombo-embolie veineuse

L’embole veineux est plutôt constitué de fibrine et de globules rouges [4]. L’obstruction d’une veine est souvent moins grave. La gravité d’une thrombophlébite tient à la possibilité pour un caillot de se détacher de la paroi et d’être emporté par le sang veineux jusqu’au cœur, puis dans l’artère pulmonaire, provoquant alors une embolie pulmonaire. Le pronostic dépend également de l’affection favorisante associée.

3 Triade de Virchow

Trois facteurs favorisent la formation d’un thrombus en déséquilibrant la balance de l’hémostase. Ils sont connus chez l’homme depuis plus d’un siècle sous le nom de triade de Virchow [2].

Celle-ci désigne l’association de trois éléments qui contribuent à la formation d’un thrombus : la stase sanguine, l’altération de l’endothélium vasculaire ou de l’endocarde, et l’état d’hypercoagulabilité [11]. La pathogénie de la TE implique donc l’existence d’une ou de plusieurs de ces conditions spécifiques. Elles sont observées au cours de l’évolution de nombreuses affections (tableau) [12].

Lésions des parois vasculaires

À l’état normal, l’endothélium vasculaire possède des propriétés antithrombotiques (antiagrégantes plaquettaires, anticoagulantes et fibrinolytiques), et agit comme une barrière entre le sang et le tissu sous-endothélial. L’apparition d’une lésion, qu’elle soit directe par traumatisme ou secondaire à l’évolution d’une affection, active les cellules endothéliales et leurs propriétés prothrombotiques. L’adhésion, l’activation et l’agrégation plaquettaire sont favorisées [3].

État d’hypercoagulabilité

L’état d’hypercoagulabilité met en jeu, notamment, les activateurs et les inhibiteurs de la formation de thrombine (défaut en antithrombine [AT], protéines C et S).

Un équilibre s’exerce normalement entre génération de thrombine et inhibition de la génération de thrombine. La balance penche du côté de la génération de thrombine en cas d’activation de la coagulation, de déficit en protéines inhibitrices et/ou de défaut de fibrinolyse. Cela conduit ainsi au concept d’hypercoagulabilité.

Les défauts de fibrinolyse documentés chez l’homme existent aussi chez les carnivores domestiques.

Enfin, une activation plaquettaire anormale définit également un état d’hypercoagulabilité [10].

L’hypercoagulabilité, état le plus promoteur de TE, est majoritairement d’origine secondaire et multifactorielle chez le chien et le chat [3].

Modification du flux sanguin

Les zones de stase et de turbulence favorisent le contact entre les plaquettes, les facteurs de la coagulation plasmatique et l’endothélium, et constituent ainsi des sites favorables à la thrombose. Ainsi, les cardio­myopathies et les syndromes d’hyperviscosité sont promoteurs de TE.

4 Affections responsables de thrombo-embolie

Hypercorticisme

Le risque de TE pulmonaire chez les chiens atteints d’un syndrome de Cushing résulte d’une élévation de certains facteurs de coagulation (II, V, IX, X, XII, fibrinogène) et d’une diminution d’AT [4].

Glomérulopathies et entéropathies exsudatives

Les glomérulopathies et les entéropathies exsudatives sont responsables de pertes protéiques et favorisent la survenue de TE (photos 3a et 3b). En effet, lorsque le taux d’albumine chute en dessous de 2 g/dl, l’activité de l’AT devient inférieure à 75 %. L’état d’hypercoagulabilité en est la conséquence. Une hyperréactivité plaquettaire et une élévation de facteurs de coagulation (V, VII, VIII, X) ont également été décrites [6].

Maladie inflammatoire systémique et sepsis

Les lésions endothéliales initient l’activation plaquettaire. Les concentrations et l’activité des inhibiteurs de la coagulation (protéines C et S, AT) diminuent. À l’inverse, les concentrations en facteurs procoagulants (facteur tissulaire) et antifibrinolytiques (inhibiteur de l’activateur du plasminogène) augmentent [3].

Pancréatite

Lors de pancréatite aiguë, un déficit en α-macroglobulines (inhibitrices de la plasmine) conduit à un défaut de fibrinolyse [3]. De plus, les enzymes protéolytiques activent la coagulation.

Anémie hémolytique à médiation immune

Les anémies hémolytiques à médiation immune (AHMI) favorisent la survenue de TE notamment pulmonaires, mais aussi de la veine cave craniale chez le chien. La maladie thrombo-embolique est de plus le facteur prédominant qui minore la survie à court et à long terme chez les animaux atteint d’AHMI.

Les données montrent que l’hémolyse est responsable d’un état d’hypercoagulabilité générale chez les chiens présentés en phase aiguë d’AHMI [5]. Des concentrations élevées en fibrinogène et en plaquettes activées circulantes sont notées [6].

Cardiomyopahies

Dans les cas de cardiomyopathie, la triade de Virchow est retrouvée. Les turbulences intracardiaques qui altèrent l’endocarde, les dilatations cavitaires (et les potentiels troubles du rythme) qui favorisent la stase sanguine et la forte capacité des plaquettes à s’agréger conduisent à la formation de thrombus [10]. Enfin, la fibrose myocardique contribue à l’activation de la coagulation. Les caillots sont retrouvés particulièrement en région iliaque.

Dirofilariose

Lors de dirofilariose, l’arrivée et la mort de parasites immatures dans les artères pulmonaires distales sont responsables d’une sévère réaction inflammatoire à la fois vasculaire et parenchymateuse. La formation de thrombose est donc favorisée.

Les morts subites et les dyspnées aiguës sont attribuées à l’embolisation des parasites adultes morts [1, 7, 8].

Tumeurs malignes

La majorité des processus néoplasiques cancéreux génèrent des états d’hypercoagulabilité (photo 4). Une agrégation plaquettaire augmentée, une activation du facteur X et une inhibition de la fibrinolyse sont des facteurs favorisants de TE, reconnus en médecine vétérinaire en cas d’affections tumorales [3].

Diabète

De même, chez les animaux diabétiques, des états d’hyperagrégation plaquettaire sont décrits, tout comme les défauts de fibrinolyse [3].

Coagulation intravasculaire

La coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) se caractérise par une activation anormale excessive de la coagulation. C’est une manifestation possible de nombreuses affections primitives : coup de chaleur, chirurgie, état de choc, cancer, pancréatite, inflammations non septiques (anémie hémolytique à médiation immune, polyarthrite, encéphalite) ou septiques (pyomètre). Des microcaillots se forment par génération excessive de thrombine, tandis que le fibrinogène, les facteurs de la coagulation et les plaquettes sont consommés. Au stade de la CIVD compensée, les facteurs de coagulation, notamment le fibrinogène, sont encore normaux.

Une fibrinolyse secondaire réactionnelle survient ensuite. De plus, les facteurs de coagulation et les plaquettes ont été consommés. Un syndrome hémorragique est observé et il s’agit alors de CIVD décompensée.

Les conséquences de la CIVD dépendent de la gravité des déséquilibres hémostatiques et organiques engendrés, ainsi que de la maladie préexistante.

Conclusion

L’hémostase est un processus physiologique très ­complexe qui fait intervenir de nombreux paramètres.

Un défaut dans la chaîne de la coagulation peut donc être responsable d’accidents hémorragiques et/ou thrombotiques.

La connaissance de la physiologie de l’hémostase et des mécanismes physiopathogéniques des thromboses est nécessaire au clinicien pour suspecter, diagnostiquer, prévenir et traiter ces accidents emboliques.

Références

  • 1. Dvorak LD. Veterinary medicine today. What is your diagnosis. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2000;217(2):180-181.
  • 2. Goggs R et coll. Pulmonary thromboembolism. J. Vet. Emerg. Crit. Care. 2009;19(1):30-52.
  • 3. Good LI. Thromboembolic disease: Predispositions and clinical management. Compend. 2003;25(9):660-674.
  • 4. Hohenhaus AE. Thrombosis and embolism in the dog and cat. Proceedings of the NAVC North American Veterinary Conference, Orlando, Florida. 2005:385-387.
  • 5. Kidd L, Mackman N. Prothrombotic mechanisms and anticoagulant therapy in dogs with immune-mediated hemolytic anemia. J. Vet. Emerg. Crit. Care. 2013;23(1):3-13.
  • 6. Laforcade A. Topical review. Diseases associated with thrombosis. Top. Comp. Anim. Med. 2012;27:59-64.
  • 7. Lee AC, Atkins CE. Understanding feline heartworm infection: disease, diagnosis, and treatment. Top. Rev. 2010;25(4):225-230.
  • 8. Litster A-L, Atwell R-B. Journal of feline medicine and surgery. Feline heartworm disease: a clinical review. J. Feline Med. Surg. 2008;10:137-144.
  • 9. Norris CR et coll. Pulmonary thromboembolism in cats: 29 cases (1987-1997). J. Am. Vet. Med. Assoc. 1999;215(11):1650-1654.
  • 10. Pouchelon J-L et coll. Diagnosis of pulmonary thrombo-embolism in a cat using echocardiography and pulmonary scintigraphy. J. Small Anim. Pract. 1997;38:306-310.
  • 11. Schermerhorn T et coll. Pulmonary thromboembolism in cats. J. Vet. Intern. Med. 2004;18:533-535.
  • 12. Whitley NDT, Stepien RL. Defaecation syncope and pulmonary thromboembolism in a cat. Aust. Vet. J. 2001;79(6):403-405.

Conflit d’intérêts

Aucun.

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