Bicuspidie valvulaire aortique chez un chiot berger de brie - Le Point Vétérinaire expert canin n° 342 du 01/01/2014
Le Point Vétérinaire expert canin n° 342 du 01/01/2014

CARDIOLOGIE CANINE

Cas clinique

Auteur(s) : Renaud Jossier

Fonctions : VetRef, Clinique de référés
7, rue James-Watt
49070 Angers-Beaucouzé
clinique@vetref.fr

La bicuspidie valvulaire aortique est fréquente chez l’homme, rarissime chez le chien.

Un chiot berger de brie mâle âgé de 2 mois est référé en consultation d’échocardiographie afin d’explorer un souffle cardiaque découvert lors de la consultation vaccinale.

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse

Aucun signe clinique n’est rapporté par les propriétaires. L’animal est de format normal et son comportement est habituel. Les 7 autres chiots de la portée ne présentent pas d’anomalie.

2. Examen clinique

L’examen clinique général est normal. L’examen cardio­respiratoire révèle un souffle diastolique gauche de grade III/VI, plus marqué en région basale et irradiant de manière modérée à droite. Une tachycardie est également notée (fréquence cardiaque = 180 bpm), certainement favorisée par l’agitation du chiot. La fréquence et l’auscultation respiratoires sont normales. Aucune autre anomalie n’est mise en évidence, notamment au niveau des muqueuses ou du pouls fémoral.

3. Examen échocardiographique

L’examen échocardiographique en mode bidimensionnel révèle une malformation de la valve aortique, qui n’est formée que de deux valvules au lieu de trois. Ces deux valvules sont modérément épaissies et de taille comparable. Cette anomalie est particulièrement visible en coupe parasternale droite, petit axe transaortique (photos 1 et 2). Un défaut de coaptation valvulaire est observé. Sur une vue parasternale droite, grand axe cinq cavités, la zone de contact entre les valvules apparaît anormalement craniale, au sein de l’aorte ascendante. Un reflux aortique, de cartographie 2 à 3, de haute vélocité (Vmax = 5,13 m/s) et de temps de demi-pression long (TDP = 476 ms) est mis en évidence à la suite de la malformation de la valve aortique (photos 3 et 4). Afin de mieux évaluer la sévérité de ce reflux, son diamètre en regard de la valve aortique, également dénommé “vena contracta”, est mesuré. Sa valeur est de 3,3 mm. Le rapport entre la portion proximale du reflux et le diamètre de la chambre de chasse du ventricule gauche est de 30 à 35 % selon les coupes.

Le flux aortique est de vélocité normale (Vmax = 1,51 m/s). Un épaississement modéré des valvules pulmonaires associé à une ouverture incomplète de celles-ci et une accélération du flux pulmonaire sont également notés (Vmax = 2,6 m/s, correspondant à un gradient de pression = 27 mmHg).

L’étude temps-mouvement ventriculaire ne montre pas d’anomalie. En particulier, aucune dilatation ventriculaire n’est mise en évidence et la contractilité myocardique est normale.

Les autres mesures échographiques (rapport de l’atrium gauche sur l’aorte, flux mitral et tricuspidien) sont normales.

4. Diagnostic

L’examen échocardiographique conclut à une bicuspidie valvulaire aortique, entraînant un reflux aortique modéré par défaut de coaptation lors de la diastole. Les turbulences sanguines dues à cette insuffisance valvulaire, ainsi que la vitesse de cette dernière provoquent le souffle diastolique. La bicuspidie valvulaire aortique est associée à une dysplasie des valvules pulmonaires, à l’origine d’une sténose pulmonaire d’intensité modérée.

5. Traitement

Aucun traitement n’est mis en place. Un suivi échographique est conseillé 1 mois après le premier examen et régulièrement jusqu’à la fin de la croissance de l’animal. Cette surveillance est notamment conseillée pour juger de la nécessité de l’instauration ultérieure d’un traitement médical. À ce jour, seul un suivi téléphonique a été réalisé un mois et demi après le premier examen. L’animal était toujours asymptomatique.

DISCUSSION

1. Définition de l’affection

La bicuspidie valvulaire aortique est une affection rare chez le chien, non décrite chez le chat. Chez l’homme, il s’agit de la malformation congénitale la plus fréquente, avec une prévalence rapportée de 0,5 à 2 % [1, 10]. Elle est souvent associée à d’autres anomalies, comme une coarctation de l’aorte (rétrécissement aortique situé juste proximalement au départ de l’artère subclavière gauche), une persistance du canal artériel, une sténose aortique supravalvulaire, une communication interventriculaire et interatriale, ou encore des malformations coronaires.

2. Données disponibles

Les données disponibles chez le chien sont limitées. Dans un cas décrit chez un bouledogue anglais âgé de 1 an, une sténose aortique modérée et une dysplasie pulmonaire sont associées à l’anomalie [12]. Dans une étude portant sur 976 chiens atteints de cardiopathie congénitale, seuls deux cas sont rapportés. Tous deux sont associés à une sténose aortique, sous-valvulaire dans un cas, valvulaire dans l’autre [5]. L’anomalie est également rapportée chez un caniche de 8 ans présentant un persistent truncus arteriosus. Cette malformation congénitale rare correspond à la présence d’une seule artère à la base du cœur, en communication avec les deux ventricules et donnant naissance aux systèmes artériels pulmonaire, systémique et coronaire [7].

Dans notre cas, la bicuspidie valvulaire aortique se caractérise par une insuffisance aortique sans sténose. Une dysplasie pulmonaire est, en revanche, présente et à l’origine d’une accélération modérée du flux pulmonaire. Cette anomalie est sans conséquence sur la fonction cardiaque.

3. Évolution chez l’homme

Chez l’homme, l’évolution clinique de l’affection est variable, et dépend du degré de sténose et d’insuffisance valvulaire associé à l’anomalie. Généralement, aucun symptôme n’est présent avant l’âge adulte. Une dégradation du fonctionnement cardiaque fait le plus souvent suite à des complications (calcification aortique, anévrisme aortique, endocardite). Les décès sont rares [11]. Environ 25 % des cas de bicuspidie valvulaire aortique nécessitent une prise en charge chirurgicale (valvuloplastie principalement).

4. Critères pronostiques de l’insuffisance aortique

Physiopathologie de l’insuffisance aortique

Dans notre cas, seule l’insuffisance aortique est susceptible de réduire sensiblement le débit sanguin.

Lors d’insuffisance aortique, à chaque diastole, du sang reflue depuis l’aorte vers le ventricule gauche. Il en découle une diminution de pression au sein du tronc aortique (pouvant affecter la vascularisation coronaire) et une surcharge en volume au sein du ventricule gauche.

À chaque systole, le ventricule gauche a ainsi un volume anormalement élevé de sang à éjecter. Il en résulte une augmentation de la pression ventriculaire gauche, et, éventuellement, une hypertrophie concentrique de ce ventricule et une élévation de la pression atriale gauche. Un remaniement fibrotique myocardique ventriculaire gauche, voire un œdème pulmonaire (rare) sont parfois présents dans les cas les plus sévères.

La gravité d’une insuffisance aortique peut être évaluée de plusieurs manières, mais aucun consensus n’existe actuellement en médecine vétérinaire.

Cartographie

La cartographie, c’est-à-dire l’étude de l’extension du reflux au sein de la chambre de chasse du ventricule gauche, a longtemps été utilisée. Plus la région occupée par le reflux est importante, plus ce dernier était considéré comme grave. Cependant, la taille du reflux est directement influencée par celle de l’orifice valvulaire, le volume et la compliance ventriculaires gauches, et le gradient de pression entre l’aorte et le ventricule gauche. Sa corrélation avec la gravité de l’affection est finalement faible et ce critère a été abandonné chez l’homme.

En médecine vétérinaire, d’autres critères sont alors préférés. La vena contracta, le diamètre proximal du reflux aortique et le diamètre de la chambre de chasse du ventricule gauche, le spectre Doppler du reflux aortique, le temps de demi-pression du reflux aortique et la présence ou non de remaniements myocardiques gauches en font partie [2, 3].

Vena contracta

La vena contracta correspond à la plus petite mesure du diamètre du reflux au niveau de la valve aortique (tableau). Plus ce diamètre est élevé, plus l’insuffisance est considérée comme grave. Dans notre cas, elle est relativement faible (3,3 mm).

Rapport entre le diamètre proximal du reflux et celui de la chambre de chasse

Plus ce rapport (en pourcentage) est élevé, plus le reflux est considéré comme grave (figure 1, tableau). Une valeur de 30 à 35 % a été calculée dans notre cas, classant le reflux comme d’importance modérée.

Spectre Doppler du reflux aortique et temps de demi-pression du reflux aortique

L’aspect du spectre Doppler du reflux aortique et le temps de demi-pression du reflux aortique dépendent du temps nécessaire à l’équilibre des pressions entre l’aorte et le ventricule gauche au cours de la phase diastolique (figure 2).

Le temps de demi-pression est le temps requis par la pression pour diminuer de moitié. Cette mesure peut être effectuée avec la grande majorité des appareils échographiques disponibles en médecine vétérinaire. En cas de reflux avec un orifice large, les pressions s’équilibrent rapidement. Le spectre Doppler prend alors une forme pentue et le temps de demi-pression est cours. En cas d’insuffisance modérée, le temps de demi-pression est long et le spectre Doppler est en plateau. En médecine humaine, un temps de demi-pression inférieur à 300 ms est plutôt corrélé à une insuffisance aortique grave. Un temps de demi-pression supérieur à 500 ms est, quant à lui, associé à des insuffisances aortiques minimes. Néanmoins, ces deux paramètres sont aussi dépendants de nombreux facteurs [2, 3].

Dans notre cas, le spectre Doppler présente une pente très modérée et un temps de demi-pression relativement long, n’orientant pas vers une atteinte grave.

Remaniement myocardique du ventricule gauche

En cas d’insuffisance aortique significative, le reflux sanguin dans le ventricule gauche peut conduire à une dilatation ventriculaire, en particulier diastolique. Cette dernière peut s’accompagner d’une augmentation compensatrice de la contractilité.

Dans notre cas, aucune anomalie de ce type n’est notée. L’ensemble de ces critères a été évalué ici, conduisant à considérer l’insuffisance aortique comme modérée.

5. Différents types de bicuspidie valvulaire aortique

Chez l’homme, plusieurs types de bicuspidie valvulaire aortique sont rapportés (figure 3) [6]. Ils dépendent des valvules considérées comme fusionnées et de la présence ou non d’un raphé en regard de la région fusionnée.

Le type I (fusion des valvules coronaires gauche et droite) est le plus fréquent chez l’homme alors que le type III est très rare (fusion des valvules coronaire gauche et non coronaire). Chez ce chiot, la morphologie des valvules se rapproche de la description d’un type III, tout comme un cas rapporté récemment chez un bouledogue anglais [12].

6. Quadricuspidie valvulaire aortique

Des cas de quadricuspidie valvulaire aortique (présence de quatre valvules aortiques) sont plus fréquemment rapportés chez le chien [4, 8, 9]. Une insuffisance aortique a été mise en évidence à chaque fois. Dans une étude rétrospective portant sur six cas, 2 chiens présentaient une persistance du canal artériel et 1 chien avait également une communication interventriculaire. Aucun signe clinique significatif n’était présent chez ces animaux.

7. Suivi à effectuer

L’incertitude sur l’évolution de l’affection chez ce chiot conduit à conseiller un suivi échocardiographique régulier. Il aurait été utile de connaître le devenir des anomalies avec la croissance de l’animal. Ce suivi a été décliné par les propriétaires.

Conclusion

La bicuspidie valvulaire aortique est une affection rare chez le chien. Elle peut être associée à d’autres malformations, telle une sténose pulmonaire dans le cas présent. Son incidence sur la fonction cardiaque est variable. Elle s’est révélée faible chez ce chiot.

Références

  • 1. Basso C, Boschello M, Perrone C et coll. An echocardiographic survey of primary school children for bicuspid aortic valve. Am. J. Cardiol . 2004 ; 93 : 661-663.
  • 2. Boon J. Acquired valvular disease. In : Boon J ed. Veterinary Echocardiography. 2nd ed. Ed. Wiley Blackwell, Oxford. 2011 : 309-313.
  • 3. Boon J. Evaluation of size, function and Hemodynamics. In : Boon J ed. Veterinary Echocardiography. 2nd ed. Ed. Wiley Blackwell, Oxford. 2011 : 234-236.
  • 4. Kettner F, Côté E, Kirberger RM. Quadricuspid aortic valve and associated abnormalities in a dog. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2005 ; 41 : 406-412.
  • 5. Oliveira P, Domenech O, Silva J et coll. Retrospective review of congenital heart disease in 976 dogs. J. Vet. Intern. Med. 2011 ; 25 : 477-483.
  • 6. Schaefer B, Lewin M, Stout K et coll. The bicuspid aortic valve : an integrated phenotypic classification of leaflet morphology and aortic root shape. Hea rt. 2008 ; 94 : 1634-1638.
  • 7. Serres F, Chetboul V, Sampedrano C et coll. Ante-mortem diagnosis of persistent truncus arteriosus in an 8-year-old asymptomatic dog. Vet. Cardiol . 2009 ; 11 : 59-65.
  • 8. Serres F, Chetboul V, Sampedrano CC et coll. Quadricuspid aortic valve and associated abnormalities in the dog : report of six cases. J. Vet. Cardiol . 2008 ; 10 : 25-31.
  • 9. Sisson D, Riepe R. Congenital quadricuspid aortic valve anomaly in two dogs. J. Vet. Cardiol . 2000 ; 2(2): 23-26.
  • 10. Tuta E, Ekici F, Atalay S et coll. The prevalence for bicuspid aortic valve in newborns by echocardiographic screening. Am. Heart J. 2005 ; 150 : 513-515.
  • 11. Tzemos N, Therrien J, Yip J et coll. Outcomes in adults with bicuspid aortic valves. J. Am. Med. Assoc. 2008 ; 300 : 1317-1325.
  • 12. Visser LC, Scansen BA. Congenital bicuspid aortic valve in an English Bulldog. J. Vet. Cardiol . 2013 ; 15 : 87-92.

Conflit d’intérêts

    Points forts

    → La bicuspidie aortique est une malformation rare chez le chien, fréquente chez l’homme.

    → D’autres malformations cardiaques sont souvent présentes conjointement.

    → Un souffle cardiaque systolique (en cas de sténose aortique associée) et/ou diastolique (en cas d’insuffisance aortique associée) est possible.

    → L’échocardiographie est l’examen de choix pour diagnostiquer une bicuspidie valvulaire aortique et en caractériser les conséquences.

    REMERCIEMENTS

    Merci au docteur Sabine Gagnet pour nous avoir référé ce cas.

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