La fracture de Monteggia - Le Point Vétérinaire expert canin n° 332 du 01/01/2013
Le Point Vétérinaire expert canin n° 332 du 01/01/2013

ORTHOPÉDIE

Article de synthèse

Auteur(s) : Bertrand Vedrine*, Jean-Louis Trouillet**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire de la Douzillère,
1, rue de la Douzillère, 37300 Joué-lès-Tours
bvedrine@yahoo.fr
**Clinique vétérinaire de Lameilhé,
36, rue François-Couperin, 81100 Castres
jltvetch@free.fr

La fracture de Monteggia, qui associe fracture de l’ulna, luxation de la tête radiale et disjonction radio-ulnaire proximale est rarement rencontrée chez les carnivores domestiques.

La fracture de Monteggia a été décrite au xixe siècle par le chirurgien Maldaigne. Le nom de “fracture de Monteggia” a été conservé car ce dernier avait décrit avant Maldaigne une fracture isolée de l’ulna, mais sans constater la luxation de la tête radiale associée.

DÉFINITION ET CLASSIFICATION

La fracture de Monteggia associe trois lésions distinctes : une fracture de l’ulna, une luxation de la tête radiale et une disjonction radio-ulnaire proximale (figure 1, encadré) [1].

La fracture de l’ulna peut être observée sur toute la longueur de l’os.

Selon la direction de la luxation de la tête radiale et des fractures associées de l’ulna et du radius, Bado a proposé, en 1967, quatre types de fractures de Monteggia chez l’homme. Ces descriptions peuvent être transposées sans difficulté à ce qui est rencontré chez les animaux de compagnie (tableau, figure 2) [1-3, 6, 13, 14].

PHYSIOPATHOLOGIE

Lors de sa luxation, la tête radiale se fracture dans 39 % des cas, d’après Schwarz et Schrader [12].

La disjonction radio-ulnaire proximale est secondaire à une rupture du ligament annulaire et de la membrane interosseuse. Selon certains auteurs, cette lésion n’est pas obligatoire pour considérer qu’il s’agit d’une fracture de Monteggia. Ainsi, selon Piermattei ou Egger, celle-ci peut exister sans lésion du ligament annulaire.

La fracture de l’ulna est alors située en regard de la tête radiale ou au niveau de l’incisure trochléaire, les rapports entre la tête radiale et la diaphyse ulnaire demeurant normaux (photos 1 et 2) [4, 8].

Les ligaments collatéraux du coude peuvent être atteints lors de fracture de Monteggia [13].

ÉTIOLOGIE

Le recueil des commémoratifs lors de fracture de Monteggia chez le chien ou le chat montre une forte proportion d’accidents de la voie publique, de morsures (surtout chez le chat) et de chutes. La forte prédominance des fractures de type 1 s’explique par un traumatisme infligé sur l’arrière du coude tenu en extension lors de l’appui [1]. En raison du choc violent nécessaire, d’autres traumatismes sont souvent observés chez les animaux qui présentent une fracture de Monteggia. De façon anecdotique, d’autres causes, comme des fractures par arme à feu, sont parfois rencontrées.

FRÉQUENCE

Les fractures de Monteggia sont suffisamment rares chez les carnivores pour qu’il n’existe pas encore d’étude rétrospective estimant leur fréquence.

DIAGNOSTIC

1. Diagnostic clinique

L’animal présente une suppression d’appui du membre affecté, avec le coude maintenu fléchi en abduction et l’avant-bras en rotation externe. La mobilisation du coude est douloureuse et cette région est déformée. Il est parfois possible de palper la tête du radius luxé cranialement ou latéralement (la luxation caudale est plus difficile à diagnostiquer en raison de la présence de l’ulna). Un œdème marqué peut néanmoins gêner la palpation.

Un examen neurologique doit être entrepris, à la recherche d’une lésion du nerf radial. Celui-ci peut être lésé lors du déplacement de la tête radiale, ou bien coincé entre le radius et l’ulna à la suite de la fracture. Une réduction manuelle de la luxation est donc à proscrire au risque de provoquer un écrasement du nerf.

2. Diagnostic radiologique

Deux incidences orthogonales du membre sont nécessaires car, le plus souvent, les lésions ne sont pas toutes visibles sur un seul cliché. La fracture de l’ulna et la luxation de la tête radiale sont généralement faciles à voir. La disjonction radio-ulnaire doit être recherchée car elle n’est pas toujours présente. Un fragment osseux de petite taille en regard de la tête radiale est évocateur d’une fracture partielle de cette dernière [12]. L’évaluation des ligaments collatéraux est délicate tant que la luxation de la tête radiale n’est pas réduite. Un interligne articulaire fortement augmenté sur l’incidence antéro-postérieure peut cependant faire suspecter une rupture ligamentaire (photos 3 et 4).

TRAITEMENT

Le traitement est chirurgical et vise à réparer les trois lésions. Un abord unique est réalisé par voie latérale, ce qui permet de réduire la fracture ulnaire (abord entre les muscles extenseur commun des doigts et extenseur latéral des doigts, ou entre les muscles extenseur latéral des doigts et ulnaire latéral, selon la localisation de la fracture). La réduction de la luxation de la tête radiale est ensuite vérifiée par un abord entre les muscles extenseur radial du carpe et extenseur commun des doigts. Certains chirurgiens préfèrent un double abord (caudal pour la fracture ulnaire et cranio-latéral pour la luxation de la tête radiale).

1. Fracture de l’ulna

La fracture de l’ulna nécessite une fixation stable [4, 5, 7, 8, 10, 11]. L’utilisation d’une plaque vissée est la technique la plus employée [6, 13, 14]. Bien que, sur le plan biomécanique, la face caudale de l’ulna soit idéale pour la pose d’une plaque, son application sur la face latérale est plus aisée, avec des résultats satisfaisants (photos 5 et 6). Il est également possible de réaliser un enclouage centro-médullaire ou d’utiliser un hauban (photos 7 et 8) [3].

2. Disjonction radio-ulnaire

La disjonction radio-ulnaire doit être stabilisée. La membrane interosseuse n’est pas réparable. En revanche, le ligament annulaire déchiré lors de la disjonction peut être suturé ou remplacé par une prothèse synthétique [5, 7]. Une autre solution est de transfixer définitivement le radius et l’ulna en région proximale à l’aide de vis, de broches ou avec une prothèse synthétique passée au travers des deux os et maintenue sous tension par des ancrages [2, 3, 9, 13, 14]. Cette solution permet une contention de meilleure qualité (les sutures ligamentaires peuvent lâcher) avec une diminution des risques d’instabilité (32 % de récidives de luxation de la tête radiale après suture du ligament annulaire dans l’étude de Schwarz et Schrader). Cependant, la transfixation du radius et de l’ulna retire à l’animal les possibilités de pronation-supination de l’avant-bras [12]. Ces mouvements sont davantage limités chez les carnivores que chez l’homme, bien que le chat utilise fréquemment une supination pouvant atteindre 90° (pour jouer avec une balle, par exemple). Pour cette raison, il est conseillé de retirer les vis transfixantes entre 4 et 6 semaines après l’intervention chirurgicale [9, 14]. De plus, chez les jeunes animaux, cette technique est à proscrire afin de prévenir les troubles de la croissance.

Dans certains cas, la stabilisation radio-ulnaire suffit à restaurer l’anatomie du coude lors de fracture basse de l’ulna. Cette dernière peut alors être laissée en l’état sans stabilisation chirurgicale.

3. Luxation de la tête du radius

La luxation de la tête du radius ne nécessite pas, normalement, de traitement spécifique. La réparation de la disjonction radio-ulnaire s’accompagne spontanément d’une réduction de la luxation.

En considérant qu’une fracture de Monteggia peut survenir sans rupture du ligament annulaire, la simple réduction de la fracture de l’ulna doit suffire à réduire la luxation de la tête radiale [4, 8].

En cas de rupture des ligaments collatéraux du coude (surtout lors de fracture de type 3), ils doivent être suturés, si possible, ou remplacés par des prothèses [13].

Un pansement de Robert-Jones peut être appliqué pendant quelques jours en période postopératoire afin de limiter l’œdème. Cependant, il convient de le laisser le moins longtemps possible afin de prévenir une ankylose articulaire.

PRONOSTIC ET COMPLICATIONS

Ces 28 dernières années, seules deux études ont publié des séries de plus de 2 cas. En 1984, Schwarz et Schrader ont rapporté le suivi de 16 cas, dont 10 avec un résultat excellent et 6, un résultat correct à décevant. 81 % des animaux présentaient une ankylose plus ou moins importante et/ou une arthrose. Cependant, la technique utilisée était une suture du ligament annulaire, connue pour être moins efficace que les autres méthodes décrites [12]. En 2005, une thèse vétérinaire a rapporté le suivi de 42 cas de fracture de Monteggia, avec 43 % de boiteries (dont 26 % de boiteries légères), 7 % d’instabilités résiduelles, 4 cas d’incongruence articulaire, 29 % d’arthrose et 3 cas d’ostéomyélite [2]. Durant les 6 dernières années, 4 cas de fracture de Monteggia ont été décrits [6, 13, 14]. La fracture de l’ulna a toujours été traitée à l’aide d’une plaque vissée, mais la stabilisation radio-ulnaire a été obtenue par différentes méthodes : vissage radio-ulnaire chez un chien, prothèse synthétique transfixante chez un autre et récupération du ligament annulaire qui avait été épargné lors d’une fracture chez un chat [6, 13, 14]. Les résultats ont été très satisfaisants (absence de boiterie ou boiterie légère).

Une fracture de l’ulna associée à une disjonction épiphysaire du radius proximal a été décrite deux fois [3, 9]. Cette association ressemble à une fracture de Monteggia-, mais sans atteinte de l’articulation huméro-radiale ni du ligament annulaire. Les résultats obtenus ont été excellents.

Les fractures de Monteggia qui s’accompagnent d’une fracture partielle de la tête radiale ont un pronostic plus réservé, comme toute fracture articulaire. Une réduction anatomique stable est requise pour limiter la dégradation arthrosique. Il est préférable de retirer les fragments trop petits pour être refixés.

Le statut neurologique est également à suivre car le nerf radial peut être endommagé lors de la fracture, mais également au moment de la réduction de la disjonction radio-ulnaire s’il est écrasé entre les deux os.

Conclusion

La fracture de Monteggia est rarement rencontrée en pratique courante. Les deux seules études rétrospectives publiées à ce jour ne comportent que 28 et 59 cas, et rapportent un taux élevé de complications [2, 12]. Le point clé du traitement semble être la stabilisation de la disjonction radio-ulnaire. Le vissage radio-ulnaire s’accompagnerait d’un taux d’instabilité postopératoire inférieur à celui qui est observé avec les sutures du ligament annulaire.

Références

  • 1. Bado JL. The Monteggia lesion. Clin. Orthop. Relat. Res. 1967;50:71-86.
  • 2. Blieux V. Des fractures de Monteggia chez le chien et le chat : études anatomiques, clinique et rétrospective de 59 cas de fractures de l’ulna avec luxation de la tête radiale. Thèse vétérinaire, Lyon. 2005.
  • 3. Bush M, Owen M. Type-IV variant Monteggia fracture with concurrent proximal radial physeal fracture in a domestic shorthaired cat. Vet. Comp. Orthop. Traumatol. 2009;22(3):225-228.
  • 4. Fox DJ. Radius and ulna. In: Tobias KM, Johnston SA. Veterinary Surgery: small animal. Ed. Saunders Elsevier, St Louis. 2012:782-783.
  • 5. Harrison JW. Monteggia fractures. In: Manual of internal fixation in small animals. Ed. Springer-Verlag, Berlin Heidelberg, Allemagne. 1984:147-149.
  • 6. Irubetagoyena I, Lopez T, Autefage A. Type IV Monteggia fracture in a cat. Vet. Comp. Orthop. Traumatol. 2011;24:483-486.
  • 7. Latte Y. Fractures du radius et de l’ulna. Dans : Encyclopédie vétérinaire, Orthopédie, Paris. 1994;4200.
  • 8. Piermattei DL et coll. Manuel d’orthopédie et traitement des fractures des animaux de compagnie, 4e ed. Ed. Med’com, Paris, 2004.
  • 9. Prassinos NN. Fractures combination of the proximal antebrachium in an immature dog that resembles Monteggia fracture. Vet. Comp. Orthop. Traumatol. 2006;19:184-186.
  • 10. Probst CW. Stabilization of fractures of the radius and ulna. In: Current techniques in small animal surgery. Ed. Williams & Wilkins, Baltimore. 1998:1021-1031.
  • 11. Roush JK. Management of fractures in small animals. Review Article. Vet. Clin. North Am. Small Anim. Pract. 2005;35(5):1137-1154.
  • 12. Schwarz PD, Schrader SC. Ulnar fracture and dislocation of the proximal radial epiphysis (Monteggia lesion) in the dog and cat: a review of 28 cases. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1984;185:190-194.
  • 13. Singh A, Moens NM, Nykamp S et coll. What is your diagnosis? Type 1 Monteggia fracture. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2007;231:1345-1346.
  • 14. Vallone L, Schulz K. Repair of Monteggia fractures using an arthrex tightrope system and ulnar plating. Vet. Surg. 2011;40:734-737.

ENCADRÉ
Fractures de Monteggia chez l’homme

Les fractures de Monteggia ont fait l’objet de davantage de communications chez l’homme que chez les carnivores domestiques. Les caractéristiques suivantes ont été notées :

– ces fractures sont peu fréquentes chez l’homme (1 à 2 % des fractures du bras) [1] ;

– la fracture de l’ulna concerne généralement le premier tiers proximal de l’os ;

– la répartition des fractures de Monteggia est la suivante : 60 % de type Bado 1, 15 % de type Bado 2, 20 % de type Bado 3 et 5 % de type Bado 4 ;

– des fractures du processus coronoïde à la suite de la luxation de la tête radiale sont décrites ;

– les fractures de Monteggia sont fréquemment associées à des chutes avec un membre en pronation forcée. Selon le degré de flexion-extension du coude, la tête radiale se luxe dans différentes directions [1] ;

– le traitement orthopédique est déconseillé. Les résultats en sont souvent désastreux pour l’articulation. Chez l’enfant, toutefois, les fractures sont souvent stables après une réduction manuelle et la pose d’un plâtre maintenant l’avant-bras en supination ;

– selon les publications, il existerait entre 20 et 40 % de complications essentiellement dues à une instabilité résiduelle ou à des pseudarthroses de l’ulna.

Points forts

→ La fracture de Monteggia est une association de trois lésions : une fracture de l’ulna, une luxation de la tête radiale et une disjonction radio-ulnaire proximale.

→ La fracture de Monteggia est rarement rencontrée chez les carnivores, et fait suite à des accidents de la voie publique, à des chutes et à des morsures.

→ Un examen clinique et radiographique complet permet de rechercher d’éventuelles lésions associées pouvant aggraver le pronostic.

→ Le traitement est chirurgical, avec la réduction de la disjonction radio-ulnaire et la stabilisation de la fracture de l’ulna dans la majorité des cas. La luxation de la tête radiale se réduit d’elle-même, sans mesure supplémentaire.

→ Les principales complications sont l’ankylose, le développement de l’arthrose et la récidive de la luxation de la tête radiale.

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