Des anti-inflammatoires s’imposent-ils lors de toute mammite ? - Le Point Vétérinaire expert rural n° 331 du 01/12/2012
Le Point Vétérinaire expert rural n° 331 du 01/12/2012

Thérapeutique des affections mammaires en élevage laitier

Avis d’experts

Auteur(s) : Mark Bryan

Fonctions : Vet South Po Box 12,
Winton 9720, Nouvelle-Zélande

Dans une étude sur l’emploi de Metacam® en première intention lors de mammite, la guérison n’est pas meilleure, mais la mammite est moins pénalisante pour l’éleveur, y compris à long terme.

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) font actuellement une percée en médecine bovine, mais plutôt comme des molécules antipyrétiques ou anti-algiques. Dans les États où, culturellement, la douleur est refusée par le consommateur, les changements de pratiques sont manifestes en amont de la filière chez les éleveurs et les prescripteurs. Dans les pays de tradition plus “technico-économico-centrée” en élevage et dans une filière où la demande du consommateur reste relativement détachée de l’offre des éleveurs, les AINS sont encore considérés comme un luxe.

Les études scientifiques se multiplient sur le sujet. Et l’opinion selon laquelle l’inflammation est bénéfique commence à être remise en cause. Par exemple, un anti-inflammatoire prévient ou traite un état de coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) latent lors de volvulus de la caillette, qui détériore le pronostic [1].

Avec la montée des préoccupations sur l’antibiorésistance, les approches innovantes du traitement des mammites ont voix au chapitre. Côté prévention, la vaccination a fait ses premiers pas en Europe (elle est attendue en Nouvelle-Zélande). De nouveaux antibactériens sont essayés à titre purement expérimental (lactoferrine, etc.) [4].

Reste la piste du “retour aux sources” de l’inflammation mammaire. L’idée simple prônée par Marc Bryan et coll. est de traiter une inflammation par un anti-inflammatoire. Ce praticien néo-zélandais l’a testée sur un millier de vaches, avec l’aide d’un partenaire privé (Boehringer Ingelheim) [5]. Avec quels résultats ? Sont-ils transposables en France(1) ?

POURQUOI AVOIR TESTÉ LES ANTI-INFLAMMATOIRES EN PREMIÈRE INTENTION LORS DE MAMMITE ?

Des AINS sont utilisés depuis presque 30 ans pour le traiter les mammites à forte répercussion clinique ou endotoxinique, avec beaucoup de succès. Ils ont sauvé la vie de nombreuses vaches, mais les agents pathogènes mammaires évoluent partout dans le monde. En particulier, Streptococcus uberis et d’autres bactéries à Gram positif sont un sujet de préoccupation croissant. Nous avons voulu déterminer si les AINS avaient un quelconque effet positif dans la prise en charge de ce que nous qualifions de mammites “peu graves” ou “de routine”, c’est-à-dire celles que l’éleveur traiterait lui-même en temps normal, sans en référer au vétérinaire (photo 1). La vache est peu affectée cliniquement dans ce cas et guérit le plus souvent à l’aide d’antibiotiques. Notre étude a été réalisée conjointement avec deux autres chercheurs expérimentés en Nouvelle-Zélande : Scott McDougall et Richard Tiddy [5].

QUELS ÉTAIENT LES OBJECTIFS DE L’ESSAI QUE VOUS AVEZ CONDUIT ?

Quatre critères ont été étudiés, tous faciles à mesurer :

– l’évolution de la production de lait après traitement ;

– l’évolution des comptages de cellules somatiques (CCS) ;

– la proportion de vaches qui ont nécessité une seconde administration d’AINS ;

– la proportion de vaches qui ont été réformées par la suite, pendant cette même lactation.

POURQUOI DES ANTIBIOTIQUES INTRAMAMMAIRES N’ONT-ILS PAS ÉTÉ ADMINISTRÉS CONJOINTEMENT ?

En Nouvelle-Zélande, il n’est pas fréquent d’utiliser concomitamment les voies intramammaire et injectable d’administration du traitement antibiotique. Nous avons réalisé des études démontrant un petit bénéfice à cette pratique, mais, dans l’ensemble, l’éleveur laitier néo-zélandais choisit entre les deux options (antibiotiques intramammaires ou injectables). La voie injectable a ici été utilisée seule pour mimer une pratique de terrain.

LES RÉSULTATS SUR LA RÉDUCTION DE L’INFLAMMATION ONT-ILS RÉPONDU AUX ATTENTES ?

Concernant l’effet anti-inflammatoire, les résultats ont été meilleurs que prévu. Si la réponse inflammatoire est évaluée sur la base de l’activité et du nombre de cellules somatiques dans le lait, un bénéfice a bien été observé (baisse de CCS). Celui-ci a persisté jusqu’à 3 semaines après le traitement (figure). Nous ne nous attendions pas à cet effet sur le long terme, et c’est pourquoi il a été décidé d’arrêter l’étude moins d’un mois après la mammite.

LES AINS GUÉRISSENT-ILS LES MAMMITES ?

Non, mais ce n’est pas non plus la question à laquelle nous avons cherché à répondre. Nos conclusions sont strictement que Metacam® à base de méloxicam a significativement fait diminuer les CCS (en moyenne de 160 000 cellules/ml) et les taux de réforme chez les vaches du groupe traité. Notre travail a porté sur une nouvelle approche thérapeutique dans la gestion zootechnique des mammites.

QUE DIRE DU BÉNÉFICE “COLLATÉRAL” DES AINS SUR LES TAUX DE RÉFORME ?

Dans le groupe des vaches qui ont reçu Metacam® (en aveugle contre un placebo), les taux de réforme ont baissé d’environ 42 %, par rapport au groupe témoin non traité avec un AINS. Ces résultats sont surprenants. De nombreuses explications peuvent être avancées. Il apparaît que 2,5 fois plus de vaches ont été réformées parce qu’elles n’étaient pas gestantes dans le groupe témoin, comparativement aux animaux traités. L’effet “réforme” de Metacam® pourrait donc être lié à la fertilité.

La réduction des CCS peut avoir eu un effet positif améliorateur en reproduction. Il est connu que les animaux à comptage cellulaire élevé avant et pendant l’insémination ont des résultats de reproduction qui se détériorent et la plupart de nos vaches ont été traitées dans les 100 premiers jours après le vêlage. De même, les vaches à mammites durant cette période ont des résultats de reproduction dégradés. Il est possible que nous ayons observé sur ce point un effet positif de l’administration d’AINS par diminution de l’impact des mammites.

Le plus important pour les vaches laitières en conditions modernes de production est de « les maintenir et de les soutenir » en début de lactation. En administrant du méloxicam à cette période, nous avons peut-être favorisé l’ingestion dans le groupe traité par rapport aux témoins. Cela suffit en soi à améliorer les performances.

Il conviendrait de renouveler ce type d’étude en suivant les paramètres de reproduction et peut-être aussi en enregistrant la prise alimentaire. Ce serait un projet d’envergure, extrêmement intéressant.

L’ADMINISTRATION D’AINS EST UN SURCOÛT, EST-ELLE RENTABLE ?

Tous les calculs que nous avons réalisés dans de nombreux pays (Nouvelle-Zélande, Australie, Royaume-Uni, Irlande, Afrique du Sud, France) ont démontré un effet économique positif (tableau). Ce dernier est observé en traitant toutes les vaches du troupeau atteintes de mammite. En ciblant les vaches en début de lactation et peut-être même les plus jeunes d’entre elles, l’intérêt économique pourrait être encore plus conséquent.

VOS RÉSULTATS SONT-ILS TRANSPOSABLES EN PRATIQUE RURALE EN FRANCE ?

Nous n’avons recruté que des vaches élevées en Nouvelle-Zélande (photo 2). Celles-ci produisent moins de lait que leurs homologues européennes et ont une meilleure espérance de vie. Nos résultats sont facilement transposables à d’autres zones de production dans le monde, y compris celles où les vaches endurent une plus forte production et une politique de réforme plus drastique. Ces vaches sont plus affectées par le stress et la réforme engendre de plus lourdes pertes économiques.

TOUS LES AINS SE VALENT-ILS ? COMMENT PRATIQUEZ-VOUS ?

Au fil de l’avancée des connaissances sur les AINS, il apparaît qu’ils sont extrêmement distincts par leurs propriétés.

Il est désormais admis que les antibiotiques agissent différemment à l’égard d’agents pathogènes variés dans des organes et des espèces qui diffèrent considérablement. Or il en est de même pour les AINS. Ils ont des durées d’activité distinctes, différents ratios d’inhibition Cox-1/Cox-2 et des cibles disparates.

Par exemple, le méloxicam (Metacam® dans notre étude) possède une longue durée d’action. Ce critère est important pour expliquer les résultats obtenus. C’est aussi un AINS préférentiel Cox-2. Quantité d’autres données sont disponibles dans l’espèce bovine. Elles sont susceptibles de renforcer notre credo que les propriétés analgésiques et anti-inflammatoires de ce médicament sont adaptées au traitement de première intention de la mammite.

Nous n’utilisons que le méloxicam, en l’absence de données d’efficacité publiées pour les autres AINS dans l’indication du traitement de première intention des mammites.

Aucune contre-indication n’existe, à notre connaissance, à son emploi dans cette indication de mammites à faibles répercutions cliniques. Le méloxicam possède une grande marge de sécurité, sans doute en lien avec sa sélectivité Cox-2.

Conclusion

Cette étude était une première au regard de son envergure et des objectifs poursuivis. Elle a répondu à autant de questions qu’elle en a posé. Il a été découvert que Metacam® à base de méloxicam permet de réduire les comptages de cellules somatiques dans le lait et le taux de réforme lors de mammites protéiformes susceptibles d’être traitées en première intention par les éleveurs. Nous recommandons désormais ce traitement en association avec des antibiotiques dans nos protocoles hors examen clinique. Si le mécanisme d’action vis-à-vis des taux cellulaires est limpide puisqu’il reflète strictement les propriétés anti-inflammatoires de cet AINS, en revanche, celui qui concerne le taux de réforme reste hypothétique. Nombreuses sont les vaches qui présentent divers foyers d’infection et d’inflammation autour du vêlage (mammite, mais aussi endométrite, plaies vaginales, etc.). Ces animaux sont moins productifs et leurs performances de reproduction sont moindres que celles des autres. Ici se trouve peut-être un embryon d’explication de la baisse du taux de réforme lors d’administration de méloxicam pour traiter une mammite “tout-venant”.

Le recours aux AINS tels que le méloxicam dans le traitement d’autres affections inflammatoires du péripartum ou lors de repeat-breeding pourrait se révéler pertinent, mais nous n’avons pas encore travaillé scientifiquement sur ce sujet [2].

  • (1) L’introduction a été rédigée par la rédaction du Point Vétérinaire.

Références

  • 1. Bouquet B. Lors de déplacement de caillette, des anti-inflammatoires sont indiqués. Point Vét. 2012 ; 329 : 8-9.
  • 2. Constant F. Les AINS sont-ils pertinents lors de repeat-breeding ? Point Vét. 2007 ; 276 : 15.
  • 3. Hagnestam-Nielsen C et coll. Relationship between somatic cell count and milk yield in different stages of lactation. J. Dairy Sci. 2009 ; 92 : 3124-3133.
  • 4. Lacasse P et coll. Nouvelles approches pour combattre les mammites. Symposium sur les bovins laitiers. CRAAQ. 2001. Disponible en ligne http://www.agrireseau.qc.ca/bovinslaitiers/Documents/2001_Pierre_Lacasse.pdf.
  • 5. McDougall S, Bryan MA et Tiddy RM. Effect of treatment with the nonsteroidal antiinflammatory meloxicam on milk production, somatic cell count, probability of re-treatment, and culling of dairy cows with mild mastitis. J. Dairy Sci. 2009 ; 92 : 4421-4431.

Points forts

→ L’antibiothérapie par voie injectable a été utilisée seule pour mimer une pratique de terrain.

→ En ciblant les vaches en début de lactation et peut-être même les plus jeunes d’entre elles, l’intérêt économique de l’administration de méloxicam en première intention lors de mammite pourrait être encore plus conséquent.

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