CARDIOLOGIE FÉLINE
Dossier
Auteur(s) : Jean-Louis Philippe*, Una Kelly**
Fonctions :
*Clinique V24,
108, rue Rivay, 92300 Levallois-Perret
echophil@yahoo.fr
Le pronostic des cardiomyopathies chez le chat reste réservé. Une prise en charge est néanmoins possible. Le traitement des affections subcliniques n’a pas prouvé son efficacité, mais il semble être justifié lors de modifications échographiques significatives.
La prise en charge optimale des cardiomyopathies (CM) repose sur une évaluation clinique attentive et répétée de l’animal, une appréciation radiographique d’éventuels signes d’insuffisance cardiaque congestive (ICC) et sur une description échographique rigoureuse des lésions myocardiques. Elle vise ainsi à mieux appréhender l’état clinique de l’animal et à mieux comprendre les mécanismes physiopathogéniques sous-jacents, afin de sélectionner la thérapeutique la plus appropriée et d’apporter la meilleure qualité de soins.
La prise en charge des CM apparaît multiple (figure). Différentes molécules sont disponibles (tableau).
L’objectif de la prise en charge d’un animal présentant des symptômes d’insuffisance cardiaque congestive est de rétablir une oxygénation correcte et de permettre une levée de la congestion. La meilleure évaluation clinique de l’efficacité du traitement est le retour à une courbe et à une fréquence respiratoires normales. La gestion clinique d’un chat en dyspnée aiguë comprend un contrôle du stress, éventuellement au moyen d’une sédation légère, une oxygénothérapie, l’injection de diurétiques et une thoracocentèse, si un épanchement pleural abondant est présent [2, 4, 7].
Les traitements antiplaquettaires et anticoagulants ont pour objectifs de limiter l’extension d’un thrombus existant et de prévenir d’éventuels accidents thrombotiques. Ils ne présentent pas d’action fibrinolytique. L’expérience des thérapeutiques thrombolytiques (streptokinase) demeure limitée en raison de leurs lourdes et imprécises mises en place, de leurs complications graves et fréquentes et de leur coût élevé. De plus, leur bénéfice sur la survie des animaux par rapport à des traitements plus conventionnels n’est pas démontré. Les antiplaquettaires (aspirine ou clopidogrel) sont plus communément utilisés chez des individus atteints d’une thromboembolie artérielle (TEA) ou présentant un risque élevé de TEA (dilatation atriale marquée, volutes de préthrombose au sein des cavités cardiaques, accidents précédents) [4, 18]. Leur efficacité clinique, comme celle de l’héparine non fractionnée ou des héparines de bas poids moléculaire, reste néanmoins incertaine [17]. La gestion d’une TEA aiguë inclut également une nécessaire analgésie (notamment au cours des 24 à 36 premières heures), et le traitement concomitant du choc (perfusion, réchauffement) et de l’éventuelle ICC. En revanche, l’administration de tranquillisants comme l’acépromazine lors de TEA est contre-indiquée car elle peut aggraver le choc et l’hypoperfusion [18].
À ce jour, aucune publication ne démontre l’efficacité de la prise en charge médicamenteuse d’un animal asymptomatique (le plus souvent, il s’agit de cas de cardiomyopathie hypertrophique [CMH]) pour ralentir l’évolution de la maladie ou allonger l’espérance de vie du chat. Cependant, la connaissance du mode d’action des molécules justifie une prise en charge des individus jugés sans symptômes, notamment lorsque les modifications échocardiographiques apparaissent significatives. Les études des prochaines années permettront certainement de proposer des solutions inspirées de l’evidence-based medecine.
L’utilisation d’inhibiteurs des canaux calciques pour traiter un animal atteint de CMH vise une amélioration de la relaxation du myocarde et lutte contre l’état hyperdynamique qui peut être observé en systole [7]. Ils agissent en inhibant les canaux calciques qui permettent l’entrée du calcium dans les myocytes, et donc la contraction. En raison de son effet lusitrope positif et de ses propriétés vasodilatatrices coronariennes, le diltiazem est depuis longtemps considéré comme une molécule bénéfique pour améliorer le remplissage diastolique du ventricule gauche (VG) et diminuer la fréquence cardiaque (FC) lors de CMH. Son efficacité pour accroître l’espérance de survie et/ou améliorer la qualité de vie reste néanmoins à démontrer chez les chats symptomatiques ou non. La principale contrainte du diltiazem est que sa pharmacocinétique requiert une administration toutes les 8 heures. L’administration de formules à libération prolongée est rapportée dans des publications, mais demande un reconditionnement en pharmacie [20].
L’emploi de furosémide doit être souvent poursuivi chez un chat ayant présenté un épisode d’ICC, notamment lorsque les modifications échographiques (dilatation atriale gauche) sont notables. Il est administré per os à la dose minimale efficace pour limiter le plus possible les effets secondaires [2, 4, 7].
La spironolactone est un antagoniste de l’aldostérone. Elle présente un effet faiblement diurétique, sans la fuite potassique observée avec les diurétiques thiazidiques, et limite chez l’homme le remodelage cardiaque secondaire à la vasoconstriction. Cependant, son efficacité clinique n’a pas encore été mise en évidence chez le chat. De plus, des effets secondaires cutanés sévères (dermatite ulcérative de la face) ont été rapportés pour un tiers d’un effectif de maine coons atteints de CMH, en moyenne deux mois et demi après le début de son administration [9]. Actuellement, son utilisation est plutôt déconseillée.
L’utilisation des β-bloquants lors de CM vise à améliorer le contrôle de la FC et des dysrythmies, à réduire l’obstruction dynamique de la chambre de chasse du ventricule gauche (ODVG) et à diminuer les besoins en oxygène du myocarde. L’aténolol, un β1-agoniste, est en général privilégié car il est davantage cardiosélectif et ne nécessite qu’une ou deux prises quotidiennes [14]. Les publications offrant un recul suffisant sur l’emploi à long terme de cette molécule chez le chat manquent encore [3, 5].
L’action des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) sur le système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) est à l’origine d’un effet vasodilatateur, et limite les rétentions hydrosodées et l’activation sympathique. Ces molécules sont bien supportées chez les chats atteints de CM symptomatique ou non, même lors de CMH obstructive [1, 10, 15, 19]. Les études concernant leur efficacité clinique restent néanmoins peu nombreuses et n’ont pas objectivé de bénéfice significatif lors de CMH asymptomatique. L’intérêt théorique des IECA limitant les mécanismes de compensation délétères lors d’affection myocardique, leur relative innocuité et leur facilité d’administration font de cette famille de vasodilatateurs un choix intéressant : en première intention lors de CM asymptomatique et en association avec d’autres molécules lors de CM décompensée.
Si un dysfonctionnement systolique est mis en évidence à l’échographie, l’utilisation de molécules inotropes positives semble se justifier. La digoxine a été employée de nombreuses années malgré son risque élevé de toxicité. L’administration de pimobendane semble bien tolérée chez le chat et apporterait, selon les premières observations, une amélioration significative de l’état général et de l’appétit des animaux [4]. En plus de ses propriétés inotropes positives, cette spécialité possède une action vasodilatatrice et lusitrope positive possiblement bénéfique dans plusieurs formes de cardiomyopathies (restrictive, intermédiaire et même hyperthrophique). Des observations rapportent son intérêt, notamment lors d’insuffisance cardiaque congestive marquée et/ou rebelle aux thérapeutiques classiques, bien que des données chiffrées fiables manquent encore sur l’augmentation de l’espérance de vie des chats [11].
Les lésions myocardiques observées lors de cardiomyopathie sont susceptibles de servir de support à l’apparition de tachycardies ventriculaires ou de tachydysrythmies ventriculaires préjudiciables. L’utilisation de β-bloquants est alors préconisée. Les tachydysrythmies atriales, constatées notamment lors de dilatation atriale marquée, peuvent également justifier l’administration de digoxine ou de diltiazem [5].
Les chats atteints d’une CM dilatée (CMD) liée à un déficit en taurine doivent bénéficier d’une supplémentation. Une amélioration échographique de la fonction systolique est généralement constatée dans les 6 semaines qui suivent l’initiation du traitement [13]. Il convient de prendre en charge d’abord l’hyperthyroïdie et l’hypertension artérielle systémique lorsque les modifications myocardiques semblent en découler.
La médiane de survie des chats cardiomyopathes varie beaucoup en fonction du type de CM : 11 jours pour les dilatées (moins d’un quart des animaux sont vivants 30 jours après le diagnostic), 132 jours pour les restrictives, 925 jours pour les CM intermédiaires, 596 à 1 276 jours pour les CM hypertrophiques [3, 12, 16]. Certains critères sont reconnus comme assombrissant le pronostic : la présence et la sévérité d’une ICC au moment du diagnostic, une dilatation de l’atrium gauche et l’appartenance à la race ragdoll [3, 12, 16]. L’observation d’un mouvement antérieur du feuillet septal mitral en systole semble associée plus fréquemment aux formes asymptomatiques et à une espérance de vie plus longue [12].
Les TEA sont d’un pronostic très réservé. Seulement 1 chat sur 3 survit à un premier accident [8, 18]. Certains facteurs améliorent modérément le pronostic : l’atteinte d’un seul membre, une motricité conservée, et, surtout, lors du diagnostic, une température rectale normale et l’absence d’ICC. Dans une étude rétrospective de 127 chats atteints de TEA, près de la moitié présentaient une ICC. Leur médiane de survie était de 77 jours, contre 223 jours pour les individus sans ICC. Aucun chat présentant une TEA et une ICC n’a survécu plus de 254 jours [18]. D’autres critères pénalisent le pronostic : une hyperphosphatémie, une hyperkaliémie, une dilatation atriale sévère, et la visualisation d’un thrombus ou de volutes de préthrombose intracardiaques.
L’utilisation de biomarqueurs, notamment le NT-proBNP ou la troponine I, pourrait à l’avenir autoriser une évaluation de la sévérité des lésions myocardiques et affiner le pronostic. Bien qu’une corrélation semble établie entre la teneur en troponine I et les signes cliniques, d’une part, et le taux de NT-proBNP et la taille de l’atrium gauche, d’autre part, il n’existe pas actuellement de seuils précis permettant d’apprécier la souffrance myocardique de façon fiable [3, 6].
La prise en charge des CM chez le chat requiert un diagnostic clinique et échographique rigoureux, ainsi qu’un suivi rapproché. Une meilleure compréhension de leur physiopathogénie serait très utile pour développer d’autres applications diagnostiques, thérapeutiques et préventives.
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