“Chaleurs silencieuses” chez une chienne - Le Point Vétérinaire n° 321 du 01/12/2011
Le Point Vétérinaire n° 321 du 01/12/2011

REPRODUCTION CANINE

Dossier

Auteur(s) : Xavier Lévy

Fonctions : Clinique vétérinaire des Poumadères
Centre de reproduction des carnivores
du Sud-Ouest (CRECS)
58, bd des Poumadères
32600 L’Isle-Jourdain
www.vetreproduction.com www.vetrepro.fr

Ce cas clinique permet de mettre en pratique les éléments de diagnostic différentiel et de traitement présentés dans ce dossier.

Une chienne de race berger belge malinois âgée de 3 ans et demi est présentée en consultation pour des “chaleurs silencieuses”. L’éleveur souhaite la mettre à la reproduction rapidement ou la vendre comme animal de compagnie.

1 Cas clinique

Commémoratifs

La chienne est née dans l’élevage. Aucun antécédent pathologique n’est rapporté, ni aucun traitement qui aurait pu interférer avec la reproduction (stéroïdes, etc.). Selon son propriétaire, l’animal est anxieux et plutôt soumis dans la meute.

La chienne a peut-être présenté des pertes vulvaires à l’âge de 10 mois, compatibles avec un épisode de chaleurs.

Elle est séparée physiquement du secteur de vie des autres chiennes depuis 12 mois.

Examen clinique

L’état général de l’animal est bon et aucune anomalie n’est visible ni palpable. L’inspection de la vulve (petite, absence d’écoulement) et le non-développement du tissu mammaire sont en accord avec un anœstrus.

Hypothèses diagnostiques

Un anœstrus primaire d’origine comportementale dû à une inhibition des chaleurs par compétition hiérarchique (fréquemment rapporté dans cette race) est suspecté. D’autres causes d’anœstrus sont à exclure (encadré 1).

Examens complémentaires

Des examens complémentaires sont effectués pour avérer cette hypothèse :

– le frottis vaginal confirme une phase d’anœstrus (peu de cellules, 100 % sont parabasales) (photo 1) ;

– les deux ovaires sont identifiés à l’échographie génitale. Ils sont homogènes et iso-échogènes, de petite taille (1,3 à 1,5 cm) sans organite ni cavité corticale visible. Les deux cornes utérines sont distinguées et leur épaisseur de petite taille (3,5 mm) est compatible avec un anœstrus prolongé. Aucune image identifiable à un testicule (ou à une prostate) n’est présente ;

– la progestérone plasmatique est inférieure à 0,8 ng/ml (production basale) ;

– le caryotype est le suivant : 78 chromosomes non sexuels ; chromosomes sexuels : XX.

Diagnostic

Les examens complémentaires confirment le diagnostic d’anœstrus primaire d’origine comportementale, ou de chaleurs silencieuses, datant de plus de 3 mois : anxiété, effort sportif, positionnement hiérarchique dans la meute.

Traitement

Une induction médicale des chaleurs hors élevage est instaurée (encadré 2) :

– la chienne est séparée de l’élevage par hospitalisation ;

– un implant sous-cutané de Suprélorin® 4,7 mg (agoniste de GnRH [gonadolibérine] à libération progressive) est mis en place ;

– un suivi des chaleurs est réalisé à la clinique à l’aide de frottis vaginaux, de dosages de progestérone plasmatique (Minividas®) et d’examens échographiques ovariens (Siemens Antares 5,0®) (photo 2) ;

– l’animal est mis à la saillie (ou à l’insémination) au cours des chaleurs, 2 à 3 jours après l’ovulation.

Évolution

La chienne présente un œdème vulvaire 48 heures après la pose de l’implant (J2), associé à un frottis de proœstrus (35 % de cellules intermédiaires, 55 % de cellules parabasales, 10 % de cellules superficielles) et à des pertes hémorragiques manifestes à J3. L’évolution des chaleurs est normale (frottis 100 % kératinisé, follicules nombreux en croissance) à J6 et la chienne ovule 11 jours après l’implantation.

L’implant est retiré le lendemain de l’ovulation observée (J12). Une insémination par voie intra-utérine (sous vidéo-vaginoscopie) est réalisée à J13 à la demande du propriétaire.

La gestation est confirmée 3 semaines après l’insémination et un frottis est pratiqué (photo 3).

Un suivi de la progestérone, une fois par semaine pendant les 40 premiers jours de gestation, est effectué (Minividas®, laboratoire du CRECS). Aucune anomalie n’est observée et la chienne met bas 63 jours après le jour d’ovulation.

2 Discussion

Les chaleurs silencieuses sont définies comme la présence d’une activité ovarienne sans manifestation extérieure de chaleurs (pertes de sang, gonflement de la vulve et attraction des mâles). Elles représentent 18 % des motifs de consultation pour trouble de la reproduction. Dans la réalité, les chaleurs sont souvent silencieuses pour le propriétaire, en attente uniquement de pertes de sang. De nombreuses chiennes aux chaleurs “fertiles” ne présentent pas ou peu de pertes de sang, mais souvent un gonflement vulvaire (masqué par les poils ou un repli de peau périnéal) et une attraction des mâles (peu présents).

La difficulté pour le vétérinaire est donc de différencier des chaleurs “non observées” d’un anœstrus primaire ou secondaire (figure 1)

Après avoir exclu la présence de chaleurs récentes et toute autre affection ovarienne ou intercurrente, le praticien peut choisir différentes options de prise en charge d’une chienne aux chaleurs silencieuses (figure 2).

Dans le cas de cette chienne, l’hypothèse de chaleurs inhibées par compétition hiérarchique est probable dès le recueil des commémoratifs. La réalisation d’un caryotype n’est pas indispensable, l’animal ne présentant aucun signe de masculinisation et l’échographie ne montrant pas de testicule (bien qu’un ovotestis ne soit pas identifiable à l’échographie).

Une chienne soumise ou anxieuse dans un élevage donné, en anœstrus permanent, déclenche souvent ses chaleurs dans les semaines qui suivent son adoption dans une nouvelle famille.

Ici, l’éleveur a séparé physiquement cette femelle des autres chiennes, mais elle est restée en contact auditif et olfactif. Cette séparation partielle est souvent insuffisante (persistance des phéromones).

L’absence de structure d’accueil provisoire dans ce cas et la nécessité d’une réponse rapide ont motivé notre conduite thérapeutique (hors autorisation de mise sur le marché).

Deux méthodes existent pour raccourcir l’intervalle interœstrus. La première, utilisant une administration répétée de cabergoline (5 µg/kg/j pendant 4 semaines au maximum), réduit la durée de l’anœstrus dans environ deux tiers des cas sans altérer les cycles œstral (ovulation spontanée) et métœstral (absence d’hypoprogestéronémie). Le traitement n’est efficace qu’en anœstrus tardif (3 à 4 mois après les chaleurs), et le délai de survenue des chaleurs dépend du stade du cycle (anœstrus précoce ou tardif) et est aléatoire (de 1 semaine à 2 mois après la première administration). La seconde technique, reposant sur la GnRH, induit des chaleurs en quelques jours. Cependant, un suivi rigoureux de celles-ci est requis avant de retirer l’implant, les chaleurs se révèlent moins fertiles (a priori) et la fonction de reproduction peut être altérée (kystes ovariens, chaleurs persistantes, etc.).

Conclusion

Les chaleurs silencieuses sont toujours un défi pour le praticien qui, à travers une démarche diagnostique précise, doit distinguer une chienne saine aux chaleurs inapparentes d’une femelle présentant une anomalie génétique, organique ou systémique, afin de proposer une stratégie thérapeutique.

ENCADRÉ 1
Diagnostic différentiel de chaleurs inapparentes (anœstrus primaire ou secondaire)

→ Kyste ovarien sécrétant et lutéome : sécrétion continue de progestérone (plus de 2 ng/ml ou 8 nmol/l).

→ Agénésie/aplasie ovarienne/ovarite à médiation immune : absence ou destruction des ovaires.

→ Ovariectomie : intervention rarement réalisée à l’insu du propriétaire, sauf en cas d’adoption.

→ Différenciation sexuelle anormale “non visible” : aspect extérieur de femelle, avec des chromosomes et/ou des gonades mâles ; caryotype : 77, XO ou 79, XXX, pseudohermaphrodisme mâle, etc.

→ Anœstrus par intoxication médicale : progestagènes, glucocorticoïdes, GnRH par implant, antimycosique (azolés).

→ Dysendocrinie : hypothyroïdie et maladie de Cushing. À suspecter uniquement si d’autres signes cliniques sont associés.

→ Maladie intercurrente : insuffisance rénale chronique, cachexie, etc.

ENCADRÉ 2
Réalisation pratique d’une induction à la GnRH

L’induction à la GnRH (gonadolibérine) peut être instaurée à n’importe quel stade de l’anœstrus, même si l’involution utérine dure de 12 à 16 semaines après la fin du métœstrus.

Nous recommandons d’attendre l’anœstrus moyen avant sa mise en place (4 mois après les chaleurs) afin de favoriser la fertilité et de limiter les complications utérines (pyomètre, hyperplasie glandulo-kystique et endométrite).

L’implant sous-cutané est positionné dans une zone facilement identifiable et accessible, en arrière de l’ombilic.

Les premiers signes de chaleurs sont recherchés 2 à 7 jours après l’implantation (gonflement vulvaire, attraction des mâles, pertes de sang, etc.).

Un suivi des chaleurs est réalisé afin de retirer l’implant en phase postovulation immédiate.

Les complications éventuelles sont une absence de chaleurs, des chaleurs persistantes ou anovulatoires et une insuffisance lutéale.

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