Diagnostic radiographique des masses abdominales - Le Point Vétérinaire expert canin n° 320 du 01/11/2011
Le Point Vétérinaire expert canin n° 320 du 01/11/2011

IMAGERIE MÉDICALE

Article de synthèse

Auteur(s) : Aurélie Laborde*, Marion Fusellier**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire de Merville
22, rue de Kerjulaude
56100 Lorient
**Oniris, École nationale vétérinaire,
agroalimentaire et de l’alimentation, Nantes
Atlantique, Atlanpôle La Chantrerie,
BP 40706, 44307 Nantes Cedex 03

Lors de la découverte d’une masse sur un cliché radiographique de l’abdomen, il n’est pas toujours aisé d’en reconnaître l’origine. Une analyse rigoureuse de l’image est alors requise pour y parvenir.

L’échographie a largement supplanté la radiographie dans l’exploration des masses abdominales. Cependant, il n’est pas rare d’en découvrir sur un cliché radiographique et il est alors utile d’en déterminer l’origine afin de décider de poursuivre ou non les investigations. Cela passe par une démarche diagnostique rigoureuse décrite ci-après et par l’observation de l’influence des lésions sur leur environnement proche.

MÉTHODE D’EXPLORATION

Deux incidences orthogonales sont nécessaires : une vue latérale et un cliché ventro-dorsal. Si nécessaire, il est possible de compléter l’examen par d’autres incidences (horizontale ou obliques).

La réalisation de deux incidences permet de différencier des masses superficielles (cutanées par exemple) de masses intra-abdominales.

La masse en elle-même apparaît comme une zone d’opacité augmentée, de densité liquidienne (tissulaire) et visible sur les deux incidences.

L’identification d’une masse abdominale repose sur plusieurs éléments :

– sa localisation ;

– le déplacement et/ou la compression des organes adjacents, qui varie selon la taille de la masse, sa gravité, le caractère fixe ou mobile de l’organe incriminé ;

– l’absence de reconnaissance des organes normaux.

En cas d’ascite associée, la présence ou non d’une masse peut être équivoque et seul le déplacement des autres organes en permet le diagnostic.

LOCALISATION DES MASSES ABDOMINALES

La division en cinq régions sur la vue de profil et en quatre régions sur la vue de face permet de limiter le diagnostic différentiel d’une masse en se fondant sur la localisation de l’organe d’origine (photos 1 et 2, tableau 1) [3].

PSEUDO-MASSES

L’estomac, la vessie et l’utérus (avant 45 jours de gestation) peuvent augmenter de taille de façon considérable mais physiologique. Cependant, ce phénomène peut aussi être pathologique.

1. Estomac

L’estomac apparaît différemment selon la nature des ingesta et la quantité de gaz. Que ce soit en période postprandiale ou lors de contexte pathologique, une augmentation de sa taille entraîne un déplacement caudal du côlon transverse, des intestins et de la rate. La présence de gaz intragastrique souligne parfois des contours internes irréguliers lors de masse pariétale, qui ne doivent cependant pas être confondus avec des contractions physiologiques.

2. Vessie

Une distension urinaire engendre une masse de densité tissulaire/liquidienne dans l’abdomen caudo-ventral. Sur une vue de profil, elle entraîne un déplacement cranial des anses intestinales et un déplacement dorsal du côlon descendant. Sur une vue de face, le côlon peut être déplacé à droite comme à gauche (photo 3).

3. Utérus

L’utérus n’est visible que si le diamètre des cornes excède celui des anses intestinales adjacentes. La masse utérine, si elle est de taille importante, entraîne un déplacement cranio-dorsal des intestins, et il est souvent possible de la suivre entre le côlon et la vessie sur une vue de profil. Sur un cliché de face, les intestins sont repoussés cranialement et plus ou moins médialement. Le plus souvent, il s’agit d’une dilatation utérine plus que d’une masse et des éléments tubulaires tortueux homogènes, d’opacité liquidienne, dans l’abdomen caudo-ventral peuvent être observés (photo 4). En cas de gestation de plus de 45 jours, la minéralisation des fœtus est visible.

4. Autres pseudo-masses

La graisse intra-abdominale, notamment chez les chats obèses, peut aussi mimer une masse d’opacité graisseuse, en repoussant latéralement et/ou ventralement les intestins [1].

Le côlon, parfois plus long physiologiquement (côlon “redondant”), peut apparaître plus tortueux et ventral, et simuler la présence d’une masse dorsale.

Enfin, chez certaines femelles, les mamelles ressemblent à des masses : un cliché orthogonal permet de conclure.

ÉTUDE DÉTAILLÉE PAR ORGANES

Pour toute masse, il convient d’établir un diagnostic différentiel selon sa nature : origine physiologique (dont hyperplasie), néoplasie, infection, hématome, kyste ou torsion/obstruction.

1. Foie

Deux catégories d’affections augmentant le volume du foie sont à distinguer : les hépatomégalies diffuses, qui concernent toute la masse du foie, et les masses hépatiques, qui sont localisées (tableau 2).

2. Rate

Splénomégalie diffuse

Une splénomégalie modérée n’est pas décelable radiographiquement. Si elle est plus marquée, des contours spléniques arrondis et un déplacement des organes proches sont observés.

Masses spléniques

Les masses localisées à l’extrémité craniale de la rate entraînent un déplacement caudo-dorsal des intestins adjacents, avec parfois un déplacement cranial de la grande courbure de l’estomac et une distorsion de la silhouette aérique du fundus sur une vue de profil. Les intestins sont déplacés caudalement et à droite sur une vue de face.

Les masses du corps ou de l’extrémité caudale de la rate apparaissent en position ventrale dans l’abdomen moyen. Généralement, l’intestin grêle est déporté dorsalement sur une vue de profil, tandis que, sur un cliché de face, le déplacement est variable. La posture de l’animal et notamment la durée du décubitus influencent aussi sa position.

Torsion splénique

La torsion splénique peut être primitive ou secondaire à une torsion gastrique, et est parfois difficile à identifier en cas d’ascite. Lors de torsion chronique, une splénomégalie mal délimitée est visible. Lors de torsion récente, le fundus gastrique est déplacé caudalement, la rate est nettement hypertrophiée et en forme de C. Un déplacement médial du duodénum descendant et du côlon ascendant est souvent associé.

3. Intestins et mésentère

La localisation d’une masse provenant du mésentère ou des intestins est variable et souvent instable. Si elle est située à la racine mésentérique, elle entraîne un déplacement périphérique des anses, évocateur sur une vue de face, et un déplacement caudal sur une vue de profil, à ne pas confondre avec une masse splénique. La présence du signe du gravier ou de gaz aide au diagnostic différentiel avec une lésion digestive(1). Les masses sur le nœud lymphatique iléocolique provoquent un déplacement ventral et vers la droite du côlon ascendant.

4. Pancréas

Les masses pancréatiques sont souvent mal définies et leur visualisation varie selon leur emplacement. De plus, cette région est peu contrastée, donc difficile à évaluer à la radiographie. La présence de gaz dans le tube digestif voisin (estomac et duodénum) aide à reconnaître les effets de ces masses. En cas de masse du lobe droit, le duodénum descendant est repoussé ventralement sur une vue de profil [4]. Sur une vue de face, il est déplacé latéralement et est souvent rempli de gaz (comme lors de pancréatite). Le pylore est repoussé vers la gauche et le côlon transverse est parfois déporté caudalement.

Les masses du lobe gauche peuvent entraîner un déplacement caudal du côlon transverse sur une vue de profil et latéral sur une vue de face, avec parfois un aspect indenté du corps de l’estomac.

5. Reins

Les reins sont parfois difficiles à identifier sur une radiographie. Étant en position rétropéritonéale, ils apparaissent toujours dans la région dorsale dans l’abdomen, même lors de néphromégalie sévère (photo 5).

Une néphromégalie à droite entraîne un déplacement médial et ventral du duodénum descendant et du côlon ascendant, souvent associé à un déplacement ventral et vers la gauche des intestins adjacents. Une masse rénale gauche déporte le côlon descendant et les anses intestinales ventralement et médialement.

6. Surrénales

Normalement non visibles à la radiographie, les surrénales sont parfois décelables lors de minéralisation. En position rétropéritonéale, les masses surrénaliennes sont cranio-dorsales, et entraînent un déplacement caudal et latéral et parfois ventral du rein ipsilatéral, notamment sur un cliché de face.

7. Ovaires

Contrairement aux reins, les ovaires ne sont pas en position rétropéritonéale et peuvent se déplacer ventralement dans la cavité péritonéale. Une masse ovarienne droite se présente comme bien délimitée, de densité liquidienne homogène et caudale au rein droit, plus ou moins ventrale selon sa taille. Elle entraîne un déplacement médial (mais non ventral) du duodénum descendant et du côlon ascendant, et, parfois, une migration ventrale du pôle caudal du rein. Une masse ovarienne gauche se présente sous la même forme de ce côté, entraînant un déplacement médial du côlon descendant et des intestins adjacents, et, dans certains cas, une migration ventrale du pôle caudal du rein gauche. Une ascite ou une densité hétérogène de la cavité péritonéale, qui peut gêner la visualisation de la masse, est parfois présente lors de carcinose péritonéale associée à certaines tumeurs ovariennes.

8. Testicules ectopiques

Les masses des testicules ectopiques peuvent correspondre à une tumeur, mais aussi à un hématome ou un abcès. La position est variable entre le pôle caudal du rein ipsilatéral et la région inguinale, et conditionne le déplacement des organes adjacents.

9. Prostate

Une prostatomégalie généralisée et symétrique apparaît comme une masse de densité liquidenne (avec parfois des minéralisations dystrophiques peu organisées) dans l’abdomen caudo-ventral, repoussant cranialement la vessie et souvent dorsalement le rectum (photo 6). Sur une vue de face, le côlon est déplacé à droite ou à gauche. La présence de selles dans le côlon (liée à la constipation) peut aussi être visible en cas de douleur ou de compression.

Lors de kyste ou de tumeur prostatique, les mouvements des autres organes sont variables, la vessie pouvant être déplacée cranio-ventralement ou dorsalement selon les cas. En cas de doute, (risque de confondre avec la vessie), il est possible de procéder à un marquage vésical avec un produit de contraste (air ou produit iodé).

10. Masses sous-lombaires

La plupart des masses sous-lombaires sont liées à une adénomégalie iliaque médiale (photo 7). Elles peuvent être dues moins fréquemment à des masses musculaires, à des granulomes inflammatoires ou à des abcès [2]. Elles se présentent sous forme de masses homogènes dans l’espace caudal rétropéritonéal et entraînent un déplacement ventral du côlon sur une vue de profil. Le cliché de face ne montre pas de modifications caractéristiques.

Conclusion

La radiographie abdominale permet parfois d’identifier la présence de masses abdominales. Grâce à une analyse rigoureuse du cliché et en se référant à l’anatomie topographique, il est possible de restreindre le diagnostic différentiel et, dans certains cas, d’établir formellement leur origine. Néanmoins, le recours à un marquage ou à d’autres techniques d’imagerie médicale comme l’échographie, voire l’imagerie en coupe (scanner et imagerie par résonance magnétique) est souvent indispensable pour établir le diagnostic de certitude de la nature de la masse et son bilan d’extension local ou régional en vue d’un éventuel traitement chirurgical.

(1) Voir l’article “Aspect radiographique de quelques anomalies du tube digestif”, du même auteur, Point Vét. 2011;319:13-18.

Références

  • 1. Dennis R et coll. Handbook of Small Animal Radiology and Ultrasound. 2nd ed. Ed. Churchill Livingstone Elsevier. 2010:255-259.
  • 2. Hayward N. Abdominal masses. In: BSAVA Canine and Feline Abdominal Imaging, Ed. BSAVA. 2009:76-86.
  • 3. Maï W. Guide pratique de radiographie canine et féline. Ed. Med’Com. 2003;29-35.
  • 4. Root CR. Abdominal Masses. In: Thrall DE ed: Textbook of Veterinary Diagnostic Radiology, 4th ed. WB Saunders, Philadelphia. 2002;493-515, 758pp.

Points forts

→ Le diagnostic différentiel des masses abdominales nécessite de maîtriser l’anatomie radiographique de l’abdomen : la subdivision en régions permet de localiser l’origine des lésions.

→ Les masses peuvent avoir pour origine des organes bien visibles sur le cliché abdominal, mais aussi des structures habituellement occultes (nœuds lymphatiques, surrénales, ovaires, etc.).

→ Chez le chat obèse, la graisse abdominale repousse fréquemment les intestins ventro-latéralement (à droite) et ne doit pas être confondue avec une masse abdominale.

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