IMAGERIE ET CANCÉROLOGIE CANINE
Cas clinique
Auteur(s) : Renaud Jossier*, Morgane Charbonneau**, Philippe Haudiquet***
Fonctions :
*Clinique VetRef
7, rue James Watt
49070 Angers-Beaucouzé
**Clinique VetRef
7, rue James Watt
49070 Angers-Beaucouzé
***Clinique VetRef
7, rue James Watt
49070 Angers-Beaucouzé
La radiographie reste l’examen de première intention dans l’exploration des affections respiratoires. Le scanner offre toutefois une meilleure sensibilité dans leur détection et l’évaluation du bilan d’extension lors de phénomène néoplasique.
Une chienne stérilisée doberman âgée de 6 ans est présentée pour une boiterie du membre thoracique droit ne rétrocédant pas à un traitement anti-inflammatoire non stéroïdien.
La chienne présente une boiterie du membre thoracique droit depuis 15 jours. Un premier traitement mis en place par le vétérinaire référent à base d’anti-inflammatoire non stéroïdien (méloxicam, 0,1 mg/kg/j, per os) n’a pas permis de faire régresser la boiterie.
Les propriétaires rapportent une baisse récente de l’activité.
Un abattement modéré et une tachypnée (52 mouvements par minute) sont détectés. La phase expiratoire est légèrement allongée. Le reste de l’examen clinique général est normal, notamment l’auscultation pulmonaire.
Les examens orthopédique et neurologique révèlent une atteinte neurologique de grade 2 du membre thoracique droit (tableau 1). Les réflexes de flexion, patellaires et fémoraux, sont normaux. La motricité des quatre membres est normale. Une discrète cervicalgie est mise en évidence à la flexion et à l’extension du cou.
Un diagnostic clinique d’atteinte nerveuse cervicale est établi, associé à une suspicion d’atteinte de l’appareil respiratoire profond. Les éléments cliniques étant relativement frustes, la localisation centrale (C1-C5) ou périphérique (C6-T2) de l’atteinte nerveuse n’est pas déterminée à ce stade.
Un syndrome de Wobbler (instabilité cervicale basse) est l’hypothèse principale envisagée en raison du tableau clinique et de la race du chien. L’ensemble des signes cliniques habituels ne sont néanmoins pas présents (paraparésie, voire tétraparésie, flexion rigide du cou, raideur des membres thoraciques).
Le diagnostic différentiel comprend une hernie discale, une tumeur vertébrale, médullaire ou encore du plexus brachial droit. Les signes respiratoires sont peu marqués et peuvent être seulement la conséquence d’une douleur neurogène. D’autres hypothèses ne doivent cependant pas être écartées, comme une cardiomyopathie dilatée, une pneumonie, voire une infiltration tumorale pulmonaire.
L’animal est hospitalisé pour un bilan sanguin et des examens radiographiques thoraciques et du rachis cervical.
Le bilan sanguin biochimique est dans les normes.
La numération et la formule sanguines montrent une leucocytose modérée (16 360/mm3 ; normes : 6 000 à 15 000/mm3), avec une neutrophilie (14 800/mm3 ; normes : 4 000 à 11 000/mm3). La présence d’un foyer inflammatoire, infectieux ou non, est probable.
Les clichés radiographiques du thorax mettent en évidence une opacification alvéolaire marquée du lobe pulmonaire cranial droit, associée à une opacification nodulaire alvéolaire (masse) de grande taille centrée sur la portion dorsale des lobes pulmonaires caudaux (photo 1). Sur la vue de face, le médiastin cranial apparaît légèrement élargi. En revanche, l’opacification nodulaire n’est pas retrouvée.
Une spondylose marquée de T4 (quatrième vertèbre thoracique) à T6 (sixième vertèbre thoracique) est également visible.
Ces images conduisent à suspecter une tumeur ou un abcès pulmonaire de l’un des lobes caudaux, ainsi que des foyers de bronchopneumonie centrés sur le lobe cranial droit. L’élargissement du médiastin peut être secondaire à une adénomégalie, à un thymome ou encore à un abcès médiastinal.
La confrontation des résultats radiographiques et de la clinique permet de hiérarchiser ces hypothèses. L’absence de syndrome fébrile, le caractère évolutif chronique, ainsi que la présence d’une masse de grande taille dans le parenchyme pulmonaire orientent davantage vers une tumeur pulmonaire primitive que vers un phénomène infectieux. La neutrophilie modérée observée au bilan sanguin ne permet pas d’exclure l’une des hypothèses. Un examen tomodensitométrique (scanner) du rachis cervical et du thorax est alors envisagé.
Le scanner nécessitant une anesthésie générale et compte tenu de la race de la chienne (prédisposée à la cardiomyopathie dilatée), un examen échocardiographique bidimensionnel et temps-mouvement est prévu préalablement, afin d’évaluer au mieux le risque anesthésique. La fraction de raccourcissement est normale (37 % ; normes : 27 à 45 %), les parois du ventricule gauche sont de taille normale et la cavité ventriculaire gauche n’est pas dilatée (ventricule gauche en diastole : 38,8 mm ; norme : inférieure à 47 mm) [2, 9].
En revanche, une hépatisation du lobe pulmonaire cranial droit (atélectasie du lobe pulmonaire, lui donnant un aspect échographique comparable à celui du foie) est observée (photo 2).
Un examen tomodensitométrique (scanner) du rachis des vertèbres C1 (première cervicale) à T3 est mis en œuvre. Une séquence d’acquisition supplémentaire est également effectuée pour l’exploration pulmonaire. Celle-ci est réalisée en inspiration forcée à 15 mmHg après une hyperventilation (photos 3, 4 et 5).
Une réaction périostée spiculée irrégulière est observée sur les arcs et les corps vertébraux de T1 et T2, ainsi que sur les côtes de T1 à T3 gauches. Les corticales des corps vertébraux de T1 et T2, et les têtes costales correspondantes présentent de multiples foyers d’ostéolyse ponctiforme.
Cette association de phénomènes ostéoprolifératifs et de foyers d’ostéolyse est en faveur d’une atteinte osseuse maligne (infiltration tumorale ou, moins probablement, ostéomyélite). Les ostéoproliférations sont à l’origine d’une compression des émergences rachidiennes de T1 et T2. L’examen des poumons met en évidence une opacification de type alvéolaire de la portion ventrale des lobes craniaux gauche et droit. La masse détectée à l’examen radiographique est retrouvée dans le lobe caudal gauche. Elle mesure 6 cm de diamètre, est en continuité avec la plèvre et présente une atténuation homogène, comparable à celle du tissu musculaire (30 à 35 Hounsfield Unit). Ses contours sont bien définis. Le reste du tissu pulmonaire est normal.
Une adénomégalie marquée des nœuds lymphatiques trachéobronchiques (1,8 cm d’épaisseur [norme inférieure à 1,2 cm de diamètre] ; le ratio diamètre du nœud lymphatique sur hauteur d’un corps vertébral thoracique est de 1,125 [norme : ratio inférieur à 1,05]) et médiastinaux craniaux (3,6 cm d’épaisseur), ainsi qu’une calcification du médiastin cranio-dorsal et des muscles longs du cou sont également notées [8].
Les examens d’imagerie conduisent à suspecter une tumeur pulmonaire primitive associée à des métastases lymphatiques, médiastinales, musculaires (muscles longs du cou) et osseuses (vertèbres thoraciques et côtes).
Ce sont ces métastases osseuses qui, par compression des émergences rachidiennes, voire par infiltration de la moelle épinière, sont à l’origine des signes nerveux et de la boiterie observés.
Une biopsie échoguidée de la masse pulmonaire est réalisée. L’examen histologique met en évidence une tumeur maligne de type carcinome. L’origine de la tumeur (primitive ou métastatique) n’a pas pu être déterminée à l’analyse histologique. Toutefois, en raison des résultats d’imagerie, l’hypothèse la plus probable est celle d’un carcinome pulmonaire primitif.
Étant donné les résultats histologiques, le pronostic sombre de cette tumeur et son caractère disséminé, seul un traitement palliatif à base de prednisolone (0,5 mg/kg, matin et soir, per os) et de gabapentine (5 mg/kg matin et soir, per os) a été instauré.
Deux semaines après les examens d’imagerie, la dégradation rapide de l’état général de la chienne a conduit les propriétaires à une décision d’euthanasie. Ils n’ont pas souhaité d’autopsie.
Les tumeurs primitives pulmonaires les plus fréquentes chez le chien sont les carcinomes bronchio-alvéolaires (tableau 2) [6, 12].
L’examen échocardiographique n’était pas indispensable chez ce chien. Cependant, les dobermans sont prédisposés au développement d’une cardiomyopathie dilatée et cette affection présente fréquemment une première phase occulte, asymptomatique. La réalisation d’un examen échocardiographique bidimensionnel et temps-mouvement, associé à un électrocardiogramme, a ainsi permis de mieux évaluer le risque anesthésique.
Les tumeurs pulmonaires peuvent être explorées par échographie lorsqu’elles sont périphériques et en continuité avec la plèvre. Dans ce cas, la réalisation de biopsies échoguidées est également envisageable. En revanche, lors de tumeur pulmonaire hilaire ou sans contact avec la plèvre, aucun abord échographique n’est possible, l’air contenu dans les poumons ne transmettant pas les ultrasons.
La radiographie est un examen de première intention, d’accès rapide, dans l’exploration des lésions rachidiennes et pulmonaires.
Les anomalies pulmonaires détectées dans le cas présenté ne sont pas spécifiques et peuvent être rencontrées lors de nombreuses pneumopathies, dont les tumeurs primitives ou métastatiques, les abcès pulmonaires, les hémorragies ou encore les pneumonies (pneumonie lymphoïde granulomateuse, éosinophilique). Une tumeur pulmonaire reste néanmoins la principale hypothèse.
Les tumeurs pulmonaires primitives apparaissent le plus souvent comme une masse unique bien délimitée dans les portions périphériques des poumons, le plus souvent dans les lobes caudaux [12].
Les lésions osseuses des deux premières vertèbres thoraciques ne sont pas visibles à l’examen radiographique. Cela s’explique par le faible contraste sur un cliché thoracique. En effet, l’élément technique limitant lors de la prise du cliché est le temps d’exposition. Ce dernier est choisi le plus court possible pour prévenir le flou cinétique (secondaire aux mouvements respiratoires). Un kilovoltage élevé est, en revanche, utilisé pour obtenir un cliché suffisamment exposé. Le contraste est d’autant plus faible en regard des premières vertèbres thoraciques en raison de la superposition des scapulæ.
Un scanner étant prévu dans l’exploration des lésions nerveuses chez ce chien, des clichés radiographiques du rachis cervical n’ont pas été réalisés. Dans le cas contraire, ils auraient certainement permis de détecter des lésions ostéoprolifératives et ostéolytiques centrées sur les corps vertébraux et les côtes de T1 et T2. Cela oriente alors vers une tumeur vertébrale ou une ostéomyélite.
Chez ce chien, l’intérêt du scanner est multiple :
– rechercher l’origine des troubles nerveux ;
– délimiter avec précision la masse pulmonaire détectée sur les clichés radiographiques thoraciques ;
– évaluer une éventuelle infiltration pulmonaire diffuse ou une infiltration des nœuds lymphatiques thoraciques ;
– déterminer si un retrait chirurgical de la masse est envisageable ;
– réaliser d’éventuelles biopsies ou cytoponctions guidées. Le scanner est un examen d’imagerie de coupe. Il s’affranchit donc des superpositions et présente un meilleur contraste que la radiographie thoracique. Cet examen permet la détection de nodules pulmonaires de 1 mm de diamètre [5, 8]. Il est communément admis que la radiographie décèle ces derniers à partir de 4 mm. Cependant, la plupart ne sont pas visibles s’ils font moins de 7 mm [8]. De plus, seules 9 % des masses pulmonaires détectées par un scanner sont également visibles à l’examen radiographique [8].
La masse thoracique présente une continuité importante avec l’espace pleural. Une hypothèse de tumeur primitivement pleurale n’est pas totalement exclue, mais peu probable. En effet, lors de tumeur pleurale ou, éventuellement, costale, une base pleurale large est, en général, observée. Dans ce cas, le diamètre maximal de la masse est situé dans le parenchyme pulmonaire, évoquant donc plutôt une lésion primitivement pulmonaire [3]. L’absence d’une autre lésion pleurale (épanchement pleural notamment) et la présence d’un bronchogramme en périphérie de la masse sont également en faveur d’une tumeur pulmonaire primitive.
Au scanner, les tumeurs primitivement pulmonaires apparaissent le plus souvent uniques, bien délimitées, de parenchyme hyperatténué et homogène. Dans certains cas, elles présentent un aspect hétérogène avec des plages hyper- ou hypo-atténuées liées à des foyers de nécrose, d’œdème ou encore de mucus [4, 6, 10, 11]. L’évaluation des nœuds lymphatiques trachéobronchiques est d’un intérêt pronostique majeur. En cas d’infiltration, la moyenne de survie est de 1 à 2 mois, alors qu’en l’absence d’infiltration elle est de 12 à 15 mois avec un retrait chirurgical [1, 7]. Le scanner possède une bonne sensibilité (85,7 %) et une bonne spécificité (95,2 %) dans l’évaluation de l’envahissement métastatique des nœuds lymphatiques trachéobronchiques lors de tumeur pulmonaire primitive [1].
Le scanner présente également une sensibilité nettement supérieure à celle de l’examen radiographique dans le diagnostic des anomalies rachidiennes et la mise en évidence de lésions ostéolytiques ou ostéoprolifératives.
L’imagerie médicale est une étape indispensable dans le diagnostic des tumeurs pulmonaires primitives (ou métastatiques) chez le chien. Le scanner thoracique offre une meilleure sensibilité que l’examen radiographique dans leur détection et l’évaluation du bilan d’extension local et régional. Il permet, de plus, d’affiner le pronostic et d’adapter le traitement en précisant si une intervention chirurgicale est envisageable ou non.
→ Les tumeurs pulmonaires primitives sont peu fréquentes chez le chien (environ 1 % des tumeurs) et sont de mauvais pronostic.
→ La radiographie thoracique est l’examen de première intention, mais il présente une mauvaise sensibilité dans la détection des masses pulmonaires de petite taille.
→ Le scanner est l’examen de choix pour l’exploration des masses pulmonaires et permet de réaliser un bilan d’extension locorégional précis.
→ La détection d’une infiltration des nœuds lymphatiques trachéobronchiques lors de tumeur pulmonaire est un facteur pronostique péjoratif. Cette détection est plus sensible au scanner qu’à la radiographie.
Merci au Dr Olivier Albaric (Laboratoire d’histopathologie animale, Oniris, Nantes) pour les résultats des examens histologiques.
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