Traitement de l’anémie hémolytique à médiation immune par l’héparine - Le Point Vétérinaire expert canin n° 317 du 01/07/2011
Le Point Vétérinaire expert canin n° 317 du 01/07/2011

HÉMATOLOGIE CANINE

Analyse d’article

Auteur(s) : Mathieu Faucher

Fonctions : Clinique vétérinaire Alliance
8, boulevard Godard
33300 Bordeaux

L’anémie hémolytique à médiation immune (AHMI) est une affection grave dont le pronostic est toujours réservé.

AHMI ET HYPER-COAGULABILITÉ

Parmi les causes de mort pour les chiens atteints d’AHMI, les thrombo-embolies (TE) sont fréquemment rapportées : jusqu’à 80 % des animaux autopsiés dans une étude [3].

Les facteurs de risque de TE sont notamment la thrombopénie, l’hypo-albuminémie et l’hyperbilirubinémie [3, 6]. Les temps d’hémostase sont rarement raccourcis, mais une augmentation de la fibrinogénémie, des D-dimères et des produits de dégradation de la fibrine et une diminution de l’activité de l’antithrombine sont rapportées [1, 6, 11]. Cependant, ces modifications sont non spécifiques d’un état d’hypercoagulabilité [5, 6].

La thrombo-élastographie est une technique qui permet d’évaluer la coagulation dans son ensemble. Une étude récente l’a utilisée chez des chiens atteints d’AHMI et évalués avant l’administration de tout traitement pouvant influer sur les résultats, en particulier les corticostéroïdes [5, 10]. Tous les animaux testés présentent des paramètres thrombo-élastographiques révélant une hypercoagulabilité par rapport aux individus sains [5].

Le mécanisme de l’hypercoagulabilité accompagnant l’AHMI n’est pas bien connu. Le relargage de la thromboplastine des hématies lysées, l’activation des plaquettes, l’hypoxie, des lésions endothéliales, la libération de facteurs inflammatoires ou une viscosité sanguine altérée ont été proposés comme des facteurs contributifs potentiels [5].

AGENTS DISPONIBLES POUR LA THROMBOPROPHYLAXIE

L’aspirine est un agent antiplaquettaire souvent utilisé chez les chiens atteints d’AHMI. Un essai rapporte une survie prolongée à moyen et à long terme chez les animaux recevant de l’aspirine à faible dose en plus du traitement immunosuppresseur [13]. L’efficacité de la dose recommandée (0,5 mg/kg/j) a cependant été remise en question dans une étude récente qui a porté sur des chiens sains [12].

Le clopidogrel(1) est un autre produit antiplaquettaire dont la supériorité par rapport à l’aspirine a été démontrée chez l’homme. Son emploi chez le chien semble sûr [7]. Un essai prospectif a comparé le clopidogrel à l’aspirine chez des chiens atteints d’AHMI et aucune différence de survie n’a été observée entre les deux groupes [9].

L’héparine non fractionnée est une mixture hétérogène de molécules qui lient l’antithrombine, facilitant notamment l’inhibition des facteurs IIa, Xa et XIa. Une étude a comparé l’aspirine à faible dose à l’héparine à 75 à 125 UI/kg toutes les 6 à 8 heures, associées à la prednisone et à l’azathioprine dans le traitement de l’AHMI. Le groupe recevant l’héparine présente la survie la plus brève [13]. Le monitoring individualisé de l’héparinothérapie a d’ores et déjà été rapporté chez le chien. Dans un essai non contrôlé, 11 chiens sur 18 sont en vie à 1 an [1].

QUELLE DOSE D’HÉPARINE ?

Chez le chien sain, une administration sous-cutanée d’héparine à 200 à 300 UI/kg toutes les 6 à 8 heures est en général suffisante pour obtenir une concentration plasmatique thérapeutique [4, 8]. Dans cette étude, les doses nécessaires à une activité anti-facteur XA (anti-Xa) thérapeutique sont plus élevées que celles habituellement recommandées. Dans un précédent essai, une dose de 300 UI/kg toutes les 6 heures s’est révélée souvent insuffisante pour atteindre une activité anti-Xa supérieure à 0,35 U/ml [1]. Cela suggère qu’une baisse de la biodisponibilité de l’héparine existe lors d’AHMI. En effet, l’héparine se lie aux protéines de la phase aiguë de l’inflammation, dont le niveau est augmenté en cas d’AHMI [1, 14]. Ici, les premières mesures à T + 2 h au troisième jour montrent qu’un seul chien présente une activité anti-Xa supérieure à 0,35 U/ml. Une dose initiale plus élevée paraît justifiée.

1. Quel monitoring ?

Le monitoring de l’héparinothérapie le plus souvent utilisé est la mesure du temps de céphaline activée (TCA). Une valeur de 1,5 à 2 fois celle de référence est généralement visée. Cependant, cette mesure n’est pas spécifique de l’effet de l’héparine, notamment dans les états inflam-matoires. Enfin, les différents réactifs qui existent pour mesurer le TCA présentent une affinité variable pour l’héparine, ce qui rend difficile l’établissement de recommandations ou la comparaison des données de travaux différents [1].

Le monitoring mis en place dans cette étude est celui le plus couramment utilisé en médecine humaine : la mesure de l’activité anti-Xa. Le moment du pic a été extrapolé de données établies chez le chien sain [4]. La pharmacocinétique de l’héparine en cas d’AHMI n’étant pas connue, le moment idéal pour mesurer l’activité anti-Xa n’est pas déterminé.

2. Limites de l’étude

La dose d’héparine administrée dans le groupe HDC est inférieure aux doses les plus souvent utilisées et la biodisponibilité de l’héparine est diminuée lors d’AHMI. Il est donc possible de se poser la question de savoir si ces résultats traduisent un bénéfice de l’administration de l’héparine à dose ajustée ou bien une dose constante d’héparine insuffisante.

Le faible nombre de chiens inclus est également une limite de ce travail. Les auteurs signalent que les calculs statistiques initiaux ont conduit à un nombre prévu de cas de 40 animaux, contre 15 au final.

Conclusion

Cette étude suggère un bénéfice important de l’HDA sur l’HDC concernant la survie des chiens atteints d’AHMI. D’autres essais sont nécessaires afin de connaître, notamment, la pharmacocinétique de l’héparine chez les animaux malades. Des travaux comparant cette modalité de prévention des thromboses à d’autres anticoagulants (héparine de bas poids moléculaire) ou aux agents antiplaquettaires sont requis.

(1) Médicament à usage humain.

Références

  • 1. Breuhl EL, Moore G, Brooks MB et coll. A prospective study of unfractionated heparin therapy in dogs with primary immune-mediated hemolytic anemia. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2009;45:125-133.
  • 2. Brooks MB. Evaluation of a chromogenic assay to measure the factor Xa inhibitory activity of unfractionated heparin in canine plasma. Vet. Clin. Pathol. 2004;33:208-214.
  • 3. Carr AP, Panciera DL, Kidd L. Prognostic factors for mortality and thromboembolism in canine immune-mediated hemolytic anemia: a retrospective study of 72 dogs. J. Vet. Intern. Med. 2002;16:504-509.
  • 4. Diquélou A, Barbaste C, Gabaig AM et coll. Pharmacokinetics and pharmacodynamics of a therapeutic dose of unfractionated heparin (200 U/kg) administered subcutaneously or intravenously to healthy dogs. Vet. Clin. Pathol. 2004;34:237-242.
  • 5. Fenty RK, Delaforcade AM, Shaw SE et coll. Identification of hypercoagulability in dogs with primary immune-mediated hemolytic anemia by means of thromboelastography. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2011;238(4):463-467.
  • 6. Hackner SG, Dallap Schaer B. Thrombotic disorders. In: Weiss DJ, Wardrop KJ. Schalm’s Veterinary Haematology. Blackwell Publishing, Ames. 2010:672.
  • 7. Haviland RL, Paciico N, Bianco D. Clopidogrel therapy in dogs with immune-mediated hemolytic anemia (abstr). J. Vet. Intern. Med. 2009;23:745.
  • 8. Kellerman DL, Lewis DC, Bruyette DS et coll. Determination of and monitoring of a therapeutic heparin dosage in the dog (abstr). J. Vet. Intern. Med. 1995;9:187.
  • 9. Mellet AM, Nakamura RK, Bianco D. A prospective study of clopidogrel therapy in dogs with primary immune-mediated hemolytic anemia. J. Vet. Intern. Med. 2011;25:71-75.
  • 10. Rose L, Be’dard C, Dunn M. Effect of prednisone administration on thromelastograph parameters in healthy Beagles (abstr). J. Vet. Intern. Med. 2008;22:738-739.
  • 11. Scott-Montcrief JC, Treadwell NG, McCullough SM et coll. Hemostatic abnormalities in dogs with primary immune-mediated hemolytic anemia. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2001;37:220-227.
  • 12. Shearer L, Kruth SA, Wood D. Effects of aspirin and clopidogrel on platelet function in healthy dogs (abstr). J. Vet. Intern. Med. 2009;23:745.
  • 13. Weinkle TK, Center SA, Randolph JF et coll. Evaluation of prognostic factors, survival rates, and treatment protocols for immune-mediated hemolytic anemia in dogs: 151 cases (1993-2002). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2005;226:1869-1880.
  • 14. Young E, Podor TJ, Venner T et coll. Induction of the acute-phase reaction increases heparin-binding proteins in plasma. Arterioscler. Thromb. Vasc. Biol. 1997;17:1568-1574.

RÉSUMÉ

OBJECTIF

Évaluer l’impact sur la survie de l’ajustement individuel des doses d’héparine chez les chiens présentant une anémie hémolytique à médiation immune (AHMI).

MÉTHODE

• Les chiens présentant une AHMI selon les critères diagnostiques habituels sont inclus [13].

• Les animaux sont randomisés pour recevoir de l’héparine non fractionnée à dose constante (HDC) ou à dose ajustée (HDA). Les deux groupes reçoivent l’héparine par voie sous-cutanée toutes les 6 heures pendant 7 jours, toutes les 8 heures jusqu’au 28e jour, puis à doses dégressives jusqu’au 35e jour. Les chiens du groupe HDC reçoivent 150 UI/kg. Les individus du groupe HDA sont traités à l’aide de la même dose pendant 3 jours, puis le protocole est ajusté individuellement en suivant une table afin d’obtenir une concentration plasmatique thérapeutique comprise entre 0,35 et 0,7 U/ml.

• L’activité anti-Xa de l’héparine est dosée pour chaque chien au moment du pic (T2 h) et du plancher (T6 h) à l’aide d’un kit validé chez le chien [2].

RÉSULTATS

• Huit chiens sont inclus dans le groupe HDA et 7 dans le groupe HDC. Aucune différence significative des indicateurs de sévérité de l’AHMI ou des paramètres de coagulation n’est notée entre les deux groupes.

• La médiane de survie est supérieure à 180 jours pour le groupe HDA et de 68 jours pour le groupe HDC. Des thrombo-embolies sont observées chez 5 chiens HDC et chez 1 chien HDA.

• Après le troisième jour, 35 % des animaux du groupe HDA présentent une activité anti-Xa dans l’intervalle thérapeutique à T2 h et 5 % à T6 h. Dans le groupe HDC, un seul chien développe une activité anti-Xa approchant la concentration thérapeutique à T2 h.

• Les doses d’héparine associées à une activité anti-Xa thérapeutique vont de 150 à 566 UI/kg, avec une médiane de 360 UI/kg.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à notre Newsletter

Découvrez en avant-première chaque mois le sommaire du Point Vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné au Point Vétérinaire, retrouvez votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr