Anaplasmose granulocytaire chez un chien - Le Point Vétérinaire expert canin n° 315 du 01/05/2011
Le Point Vétérinaire expert canin n° 315 du 01/05/2011

BACTÉRIOLOGIE ET PARASITOLOGIE

Cas clinique

Auteur(s) : Noémie Caron*, Juan Hernandez**

Fonctions :
*CHV Frégis,
43, avenue Aristide-Briand,
94110 Arcueil
**CHV Frégis,
43, avenue Aristide-Briand,
94110 Arcueil

L’infection à Anaplasma phagocytophilum est peu connue en France et son diagnostic est difficile, mais ses principales caractéristiques sont bien décrites. Cet article en présente un exemple et rappelle quelques principes de précaution de l’usage des corticoïdes.

L’anaplasmose est une infection due à une bactérie intracellulaire transmise par Ixodes ricinus. Elle peut toucher de nombreuses espèces animales et doit notamment être suspectée en cas de thrombocytopénie avec hyperthermie chez le chien.

CAS CLINIQUE

Un chien beauceron âgé de 15 mois est présenté en consultation pour un abattement marqué depuis 24 heures.

1. Anamnèse et commémoratifs

L’animal a été présenté chez son vétérinaire traitant 3 jours auparavant pour un gonflement brutal de la face à la suite d’une promenade en forêt. Un œdème de Quincke a été diagnostiqué et traité efficacement (méthylprednisolone, 3 mg/kg par voie intraveineuse), sans que l’élément déclenchant ait clairement pu être identifié (morsure de serpent suspectée par les propriétaires). L’état général de l’animal s’est ensuite subitement dégradé, 48 heures après la première visite. Il nous est alors référé.

2. Examen clinique

L’animal est prostré, en tachypnée, et présente une hyperthermie à 40,2 °C. Il rechigne à se déplacer et ne supporte pas la station debout. Cependant, l’examen orthopédique ne détecte aucune douleur articulaire ou osseuse. L’examen neurologique est normal. Le jeune chien présente encore un gonflement modéré de la face, en cours d’amélioration d’après les propriétaires. Aucune trace de piqûre ou de morsure n’a pu être mise en évidence. À ce stade, un processus infectieux (piroplasmose, abcès, etc.), dysimmunitaire (polyarthrite, méningite, etc.), ou la conséquence d’une éventuelle envenimation ophidienne (coagulation intravasculaire disséminée [CIVD]) sont principalement suspectés.

3. Examens complémentaires

En raison de l’anamnèse (forte suspicion d’envenimation), les éventuelles conséquences d’une CIVD, comme une insuffisance rénale et des troubles de la coagulation, sont explorées en premier lieu par un bilan sanguin complet et une évaluation des temps de coagulation. La biochimie ne montre aucune anomalie des paramètres rénaux, mais révèle une augmentation des alanines aminotransférases (Alat) et des phosphatases alcalines (PAL). Les numération et formule sanguines révèlent une thrombocytopénie marquée et une leucocytose neutrophilique modérée (tableau 1).

Les temps de coagulation (temps de Quick, de céphaline activée et de prothrombine), ainsi que le taux de fibrinogène sanguin se situent dans les limites usuelles.

Un frottis sanguin est alors réalisé, afin de confirmer la thrombocytopénie et de rechercher la présence de parasites sanguins. Le comptage plaquettaire est cohérent avec les résultats de l’automate. Des morulas sont observées au sein de plusieurs granulocytes neutrophiles (photo 1).

Un dosage d’anticorps sanguins d’Ehrlichia canis et d’Anaplasma phagocytophilum est également entrepris. La sérologie est négative pour l’ehrlichiose (immunofluorescence indirecte [IFI], < 1 : 80) et fortement positive pour l’anaplasmose (IFI, 1 : 3 200, valeurs usuelles < 1 : 50). La présence de bactéries du genre Anaplasma dans le sang de l’animal est ensuite confirmée par polymerase chain reaction (PCR).

4. Diagnostic et pronostic

Le jeune beauceron est atteint d’anaplasmose granulocytaire à Anaplasma phagocytophilum. Le pronostic est très favorable.

5. Traitement et évolution

Un traitement à base de doxycycline (Ronaxan®, 10 mg/kg/j) est mis en place 24 heures après l’admission. Le comptage plaquettaire est alors de 12 x 109/l, sans signes cliniques associés (absence de pétéchies, notamment). L’état général de l’animal s’améliore rapidement et il sort du centre hospitalier après 48 heures d’observation. Sa numération plaquettaire est alors de 33 x 109/l (tableau 2). Le traitement est poursuivi à domicile pendant 3 semaines et le chien retrouve rapidement son entrain habituel.

Des numération et formule sanguines réalisées 2 semaines après la fin du traitement montre une thrombocytopénie moins sévère mais toujours préoccupante (55 x 109/l). En revanche, aucune morula n’est observée sur le frottis sanguin. L’animal n’a pas pu être de nouveau contrôlé, les propriétaires étant peu motivés au vu de son très bon état clinique.

DISCUSSION

Anaplasma phagocytophilum est une bactérie intracellulaire obligatoire infectant la lignée myéloïde et préférentiellement les granulocytes neutrophiles circulants. D’abord identifiée chez les ovins, elle a été retrouvée chez de nombreuses espèces au cours du XXe siècle : les chevaux, les bovins, les rongeurs, les cervidés, et même l’homme. C’est une affection récemment étudiée en médecine des animaux de compagnie. Le premier cas canin a été décrit dans les années 1990 et le premier cas félin une dizaine d’années plus tard [3, 6, 7].

A. phagocytophilum, qui regroupe les entités anciennement nommées Ehrlichia phagocytophila, Ehrlichia equi et l’agent de l’ehrlichiose granulocytaire humaine, est inoculée en France par la morsure d’une tique dure, Ixodes ricinus (photo 2). La répartition géographique et saisonnière de la maladie dépend de celle de son vecteur : elle est présente sur l’ensemble du territoire, et connaît des pics épidémiologiques au printemps et à l’automne [10]. Le cas présenté ici est épidémiologiquement atypique puisqu’il a été diagnostiqué fin juillet.

1. Un diagnostic complexe

Les signes cliniques de l’anaplasmose granulocytaire canine sont souvent frustes et peu spécifiques : un abattement, une anorexie, une hyperthermie, un refus de se déplacer. Des troubles gastro-intestinaux, respiratoires ou nerveux sont plus rarement observés. L’anomalie hématologique la plus constante est la thrombocytopénie, parfois très marquée (12 x 109/l pour ce cas), présente chez 80 à 100 % des chiens atteints [5 -8].

Elle est parfois associée à une anémie modérée souvent arégénérative et à une lymphopénie (tableau 3). Pour le cas présenté ci-dessus, l’hématocrite et le taux de lymphocytes se trouvent dans les valeurs usuelles, ce qui confirme que le comptage globulaire a un intérêt limité dans la démarche diagnostique lors d’anaplasmose.

L’analyse biochimique montre souvent une hypoalbuminémie et une élévation des phosphatases alcalines, et l’examen urinaire peut révéler une protéinurie, ce qui est peu spécifique [6 -8].

L’analyse du frottis sanguin était le seul examen permettant de diagnostiquer avec certitude une anaplasmose avant l’apparition de la PCR et elle reste un examen de choix. Elle est simple, disponible, peu coûteuse et souvent univoque. Lors d’infection, des morulas (amas de bactéries, qui se multiplient par division binaire) peuvent être observées au sein des granulocytes neutrophiles circulants, ce qui est pathognomonique. L’examen doit être réalisé par une personne expérimentée car le taux de granulocytes présentant des morulas est parfois très faible, et il convient de ne pas les confondre avec des artefacts de coloration, des plaquettes ou des morulas d’Ehrlichia canis (présentes dans la lignée monocytaire) [7]. Le risque de faux négatif n’est pas négligeable car les morulas sont observables seulement pendant 1 à 9 jours après le début des signes cliniques, et parfois en très faible quantité. L’absence de morula visible ne permet donc pas d’écarter la maladie.

La sérologie fait partie de l’arsenal diagnostique, mais elle doit être interprétée avec prudence. Les faux négatifs ne sont pas rares en phase clinique précoce et un résultat positif prouve que l’animal a été en contact avec l’agent pathogène, mais pas que celui-ci est responsable des signes cliniques [5 -7]. Néanmoins, la prévalence de l’anaplasmose semble assez faible en France, donc une sérologie fortement positive associée aux signes cliniques évoqués ci-dessus est très évocatrice d’une anaplasmose granulocytaire [9]. Chez le chien décrit ici, les signes cliniques, la thrombocytopénie, la présence de morulas sur le frottis et la sérologie permettent d’établir le diagnostic de façon certaine. La PCR n’était pas indispensable, mais elle a été entreprise concomitamment aux sérologies afin de gagner du temps en cas de résultats sérologiques équivoques.

En effet, la PCR est un examen de choix lors de résultats douteux ou non cohérents. Elle est spécifique et plus sensible que l’examen du frottis sanguin en phase clinique aiguë [5, 8]. Elle n’est néanmoins pas souvent utilisée en première intention en raison du délai d’analyse et de son coût.

2. Un très bon pronostic et un traitement simple

Le taux de mortalité est très faible lors d’infection à A. phagocytophilum, malgré une trombocytopénie parfois très marquée, comme observée pour ce cas [6, 8, 10]. Celle-ci serait la conséquence de plusieurs mécanismes : une destruction à médiation immune, une séquestration splénique, une surconsommation et un défaut de production. Néanmoins, la physiopathologie exacte est encore mal connue [2, 6, 8]. Comme cela a pu être constaté dans ce cas, il est rare d’observer des pétéchies ou des saignements chez les chiens atteints, en dépit d’un taux plaquettaire parfois très inquiétant.

Le traitement classique fait appel à la doxycycline à la dose de 10 mg/kg/j, en une ou deux prises par jour, sur une durée généralement admise de 10 à 15 jours. Les signes cliniques se résolvent généralement en 24 à 48 heures et le taux plaquettaire se normalise en 1 à 2 semaines, ce qui incite à une prise en charge de courte durée. En cas de suspicion d’une affection à médiation immune associée (thrombocytopénie, polyarthrite) qui ne rétrocède pas au traitement étiologique, une corticothérapie de quelques jours peut être mise en place (1 mg/kg matin et soir) [8].

L’infection chronique, bien connue pour Ehrlichia canis, a été encore peu étudiée pour A. phagocytophilum.

Il a été démontré expérimentalement que les corticoïdes à dose immunosuppressive peuvent réactiver une infection 6 mois après la négativation du frottis et de la PCR [7]. Pour ce cas, les signes cliniques sont apparus 3 jours après une injection de corticoïdes à forte dose, qui ont sans doute réveillé une infection chronique ou amplifié une infection subclinique. Au vu de ces éléments, l’animal a été traité pendant 3 semaines, afin de minimiser les risques de persistance de l’agent infectieux. L’amélioration clinique a été rapide, en revanche, le comptage plaquettaire ne s’est normalisé que très progressivement. Ici, une surveillance régulière aurait été nécessaire, afin de détecter précocement tout signe de rechute ou d’infection chronique.

3. L’anaplasmose canine, une maladie émergente ?

L’anaplasmose a fait l’objet d’études de prévalence en Europe et aux États-Unis, qui ont montré sa présence dans de nombreux pays. Elle touche les animaux domestiques comme la faune sauvage [1, 4]. Un essai français récent a permis de calculer le taux de prévalence d’Anaplasma phagocytophilum chez le chien, ainsi que sa répartition géographique [9]. La sérologie réalisée sur 919 chiens a mis en évidence que 2,72 % d’entre eux possèdent des anticorps dirigés contre Anaplasma phagocytophilum. Les animaux séropositifs proviennent de 22 départements différents répartis sur l’ensemble du territoire (figure). La co-infection avec Borrelia burgdorferi,agent également transmis par Ixodes ricinus, est présente chez 2 chiens sur les 22 ayant été en contact avec Anaplasma phagocytophilum.

L’anaplasmose granulocytaire canine est donc une maladie bien présente sur le sol français, et son taux de prévalence non négligeable doit amener les vétérinaires à la rechercher de manière systématique lors d’un abattement brutal avec une hyperthermie et/ou de thrombocytopénie. En cas de diagnostic d’anaplasmose, il peut être intéressant de rechercher la présence de Borrelia burgdorferi afin d’adapter le traitement lors de co-infection.

La prévention de cette maladie passe surtout par la lutte contre les tiques, qui comprend un traitement régulier contre les parasites externes, mais aussi une surveillance rapprochée de la part des propriétaires. En effet, plus de 24 heures sont nécessaires à la tique pour transmettre la bactérie, ce qui laisse le temps à un maître attentif de détecter sa présence et de la retirer [5, 7].

Conclusion

L’anaplasmose granulocytaire canine, encore inconnue des vétérinaires français il y a une vingtaine d’années, est délicate à diagnostiquer pour un clinicien non averti. Néanmoins, sa prévalence et sa répartition sur l’ensemble du territoire doivent motiver sa recherche systématique en présence de symptômes évocateurs.

Références

  • 1. Beugnet F, Marie J. Emerging arthropod-borne diseases of companion animals in Europe. Vet. Parasitol. 2009;163:298-305.
  • 2. Bexfield N et coll. Immune-mediated haemolytic anaemia and thrombocytopenia associated with Anaplasma phagocytophilum in a dog. J. Small Anim. Pract. 2005;46:543-548.
  • 3. Billeter S et coll. Prevalence of Anaplasma phagocytophilum in domestic felines in the United States. Vet. Parasitol. 2007;147:194-198.
  • 4. Bowman D et coll. Prevalence and geographic distribution of Dirofilaria immitis, Borrelia burgdorferi, Ehrlichia canis, and Anaplasma phagocytophilum in dogs in the United States: results of a national clinic-based serologic survey. Vet. Parasitol. 2009;160:138-148.
  • 5. Carrade D et coll. Canine granulocytic anaplasmosis: a review. J. Vet. Intern. Med. 2009;23:1129-1141.
  • 6. Granick J et coll. Anaplasma phagocytophilum infection in dogs: 34 cases (2000-2007). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2009;234:1559-1565.
  • 7. Greene C. Infectious diseases of the dog and the cat. Greig B, Amstrong PJ (eds). Canine granulocytotrophic anaplasmosis (A. phagocytophilum infection). Ed. Saunders Elsevier, Philadelphia. 2006:219-224.
  • 8. Kohn B et coll. Clinical features of canine granulocytic anaplasmosis in 18 naturally infected dogs. J. Vet. Intern. Med. 2008;22:1289-1295.
  • 9. Pantchev N et coll. Occurrence of Dirofilaria immitis and tick-borne infections caused by Anaplasma phagocytophilum, Borrelia burgdorferi sensu lato and Ehrlichia canis in domestic dogs in France: results of a contrywide serologic survey. Parasitol. Res. 2009;105:S101-S113.
  • 10. Trombini G. L’anaplasmose canine à Anaplasma phagocytophilum: présentation de cas cliniques et infection expérimentale. Thèse de médecine vétérinaire, VetAgro Sup. 2008.

Points forts

→ Anaplasma phagocytophilum infecte les granulocytes neutrophiles. Elle est transmise par la morsure d’Ixodes ricinus, présente sur l’ensemble du territoire français.

→ Les signes cliniques sont frustes et non spécifiques. La thrombocytopénie est l’anomalie la plus constante et la plus remarquable lors d’anaplasmose.

→ La recherche de morula sur le frottis sanguin et la PCR sont les outils diagnostiques les plus fiables. L’examen sérologique doit être interprété avec prudence.

→ Le pronostic est très favorable et le traitement consiste en l’administration de doxycycline (10 mg/kg/j).

→ Une corticothérapie à forte dose peut amplifier une infection subclinique et réveiller une infection chronique.

REMERCIEMENTS

au Dr Goffart-Peyronnet de nous avoir référé ce cas, et au Laboratoire Vébiotel pour les analyses hématologiques et les illustrations.

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