Essai clinique sur les échecs thérapeutiques respiratoires - Le Point Vétérinaire n° 300 du 01/11/2009
Le Point Vétérinaire n° 300 du 01/11/2009

Maladies des jeunes bovins laitiers

Mise à jour

ESSAI CLINIQUE

Auteur(s) : Ellen Schmitt-van de Leemput*, Henri Fréret**, Nicolas Gaudout***, Freek de Meijer****, Olivier Samson*****, Frédérique Matignon******

Fonctions :
*Clinique vétérinaire 1, rue Pasteur 53700 Villaines-la-Juhel
**Clinique vétérinaire 1, rue Pasteur 53700 Villaines-la-Juhel
***Clinique vétérinaire 1, rue Pasteur 53700 Villaines-la-Juhel
****Clinique vétérinaire 1, rue Pasteur 53700 Villaines-la-Juhel
*****Clinique vétérinaire 1, rue Pasteur 53700 Villaines-la-Juhel
******Clinique vétérinaire 1, rue Pasteur 53700 Villaines-la-Juhel

Dans un essai clinique réalisé en clientèle dans la Mayenne, les lots atteints de pasteurellose ont souvent rechuté, malgré un traitement antibiotique administré simultanément à tous les animaux du bâtiment.

Les maladies respiratoires sont omniprésentes dans les ateliers de veaux laitiers. Dans notre clientèle située en Mayenne, nous avons estimé l’incidence de cette pathologie dans les cheptels laitiers à environ 40 %. Les moyens de lutte sont multiples. En prévention, il existe des vaccins efficaces contre les virus et certaines bactéries. Au stade curatif, une large gamme d’antibiotiques est disponible. Malgré ces moyens, les échecs thérapeutiques sont nombreux : mortalité, non-guérisons et nombreuses récidives pendant toute la période à risque. Il n’est pas facile pour le praticien de les expliquer.

Le premier réflexe est de mettre en cause l’efficacité des vaccins et des antibiotiques utilisés. Les animaux sont-ils vaccinés correctement ? Les antibiotiques utilisés sont-ils efficaces ? La posologie est-elle respectée ? Mais, aussi, l’intervention n’est-elle pas trop tardive ? Le traitement est-il suffisamment long ? Aurions-nous dû traiter tout le lot ou uniquement les malades ?

Existe-il encore d’autres explications possibles ?

Nous avons mis en place un essai clinique dans notre clientèle ayant comme objectif de mieux compren-dre l’étiologie et l’épidémiologie des maladies respiratoires (incluant une étude des facteurs de risque), ainsi que l’efficacité des traitements.

Matériel et méthode

Le jour d’inclusion est celui où l’éleveur décide de faire intervenir le vétérinaire en raison de troubles respiratoires enzootiques. 37 lots de veaux laitiers ont ainsi été inclus entre septembre 2008 et février 2009. Les élevages inclus étaient indemnes d’IBR.

1. Jour de l’inclusion

À J0, tous les veaux sont examinés. Des écouvillonnages nasaux profonds (ENP) pour recherche de pasteurelles et de virus syncytial respiratoire (RSV) et des prises de sang pour sérologies sont mis en œuvre chez 10 veaux vis-à-vis des virus RS, Parainfluenza 3 (PI3), diarrhée virale bovine (BVD), et de la bactérie Mycoplasma bovis. Ces animaux sont ensuite suivis pendant le reste de l’étude (J2, J7 et J21), pour un nombre total de veaux s’élevant à 364. Les analyses bactériologiques sont effectuées au cabinet vétérinaire [5]. Les lots sont considérés comme positifs quand au moins 3 animaux sur 10 présentent des cultures bactériologiques dominées par les pasteurelles (pour éviter des faux positifs liés au portage sain). Un antibiogramme est réalisé et les souches de pasteurelles sont conservées au laboratoire. Des identifications par PCR sont effectuées pour confirmer l’identité des pasteurelles puis un génotypage de leur ADN par la méthode RAPD (pour random-amplified polymorphic DNA) (en collaboration avec Ruth Zadoks, au Moredun Research Institute, Ecosse) [2].

À J0, tous les animaux présents dans le bâtiment reçoivent aussi un traitement antibiotique dont le protocole prévoit une seule injection (type “one-shot”) :

– un macrolide longue action, en métaphylaxie, pour les animaux qualifiés de “non malades” (selon le critère “température rectale inférieure à 39 °C”) ;

– une fluoroquinolone (dose unique) et un anti-inflammatoire non stéroïdien longue action pour les animaux dont la température est supérieure à 39 °C.

Une analyse des facteurs de risque est de plus réalisée (encadré, photo).

2. Examens à J2, J7 et J21

Les animaux qui rechutent à J2, J7 ou J21 (signes cliniques) sont examinés cliniquement et traités à nouveau avec des antibiotiques et/ou des anti-inflammatoires selon le jugement du vétérinaire.

Dans les lots pour lesquels une pasteurelle a été identifiée à J0, l’ADN isolé le jour de l’inclusion est comparé à celui des pasteurelles retrouvées lors des rechutes, pour déterminer s’il s’agit d’une infection persistante ou d’une nouvelle.

Les prises de sang pour sérologie sont répétées à J21 pour pouvoir faire une cinétique (PI3, RSV, BVDV, Mycoplasma bovis).

Résultats

1. Agents pathogènes

• Au moment où l’éleveur appelle son vétérinaire, 60 % des veaux du lot présentent déjà des signes cliniques (température supérieure à 39 °C). Les critères comme la dyspnée, la toux et la baisse d’appétit sont difficiles à interpréter objectivement sur le terrain, même en essais contrôlés (et absence d’indépendance entre critères). Les analyses sérologiques indiquent que peu de lots ont subi une séroconversion vis-à-vis des agents viraux et des mycoplasmes pendant les 3 semaines d’étude. En revanche, les taux d’anticorps étaient élevés contre le RS et le PI3 sur 75 % et 95 % des lots non vaccinés respectivement. Ceci indique des circulations virales avant le jour ou l’éleveur a considéré ses veaux « malades ». Les agent pathogènes isolés le plus souvent sont des pasteurelles (25 lots sur 37, figure 1). L’identification effectuée au cabinet a été confirmée par PCR, ou polymerase chain reaction (aucune erreur par excès n’a été mise en évidence). Les antibiogrammes effectués sur 60 souches confirment les données de notre précédente étude : les pasteurelles identifiées sont sensibles à tous les antibiotiques commercialement disponibles en France contre les bronchopneumonies bovines (tableau) [5].

• Le typage d’ADN des souches de Pasteurella multocida, un génotype ressort dominant : le profil 4 (figure 2). Dix élevages n’ont qu’un seul profil d’ADN de Pasteurella multocida, deux élevages en ont deux, sept élevages en ont trois et un seul élevage en a quatre. Une tendance est notée, mais aucune corrélation significative (p = 0,46) n’est observée entre l’achat des veaux et le fait de trouver plusieurs profils d’ADN dans un lot. Aucune relation n’a été trouvée entre le fait que les mères des veaux sont en contact avec des vaches d’autres cheptels et la présence de plusieurs profils. Les prélèvements des veaux qui ont rechuté (n = 9) montrent que, dans la moitié des cas, le profil détecté est le même que celui de la première infection et que, dans l’autre moitié, un autre génotype est détecté.

2. Facteurs de risque

• Les facteurs de risque présents dans ces élevages de veaux laitiers en nurserie sont nombreux (figure 3). En règle générale, nos conseils de vaccination sont bien respectés, mais les éleveurs arrêtent vite de les suivre en l’absence de survenue répétée de bronchopneumonies.

Concernant le logement, pour les nurseries neuves, les plans de base des bâtiments (surface disponible) sont respectés. Un paillage insuffisant n’est jamais dû à un défaut de paille ou de volonté, mais à un manque de commodité. Des densités élevées d’animaux sont souvent rencontrées.

Un facteur de risque supplémentaire a été identifié, qui n’était pas inclus dans le mini-audit : l’écart entre les températures minimale et maximale dans le bâtiment. Dans 15 % des élevages, des différentiels jour-nuit conséquents (jusqu’à 21 °C pendant la journée et – 8 °C la nuit) ont été observés.

• Des erreurs alimentaires sont souvent mises en évidence dans cette étude, extrêmement diverses (aliment lacté ou mode d’administration inadéquats, rations déficitaires en azote, trop de sucres fermentescibles, digestibilité inadaptée à l’âge des veaux, carences en minéraux et en oligo-éléments). Malgré le manque de références précises sur ce point dans l’espèce bovine, ces défauts paraissent a priori peu favorables à la mise en place de défenses immunitaires optimales chez le veau, déjà handicapé par son âge et sa croissance.

3. Efficacité de la thérapie mise en place

La thérapie mise en place a été évaluée à deux niveaux :

– l’étude des guérisons (pourcentage de veaux dont la température baisse de plus de 39 °C à moins de 39 °C), qui porte ici uniquement sur les animaux traités avec une fluoroquinolone et un anti-inflammatoire, car ceux qui ont reçu un macrolide longue action n’étaient pas considérés comme malades le jour de l’inclusion ;

– les rechutes, qui concernent en revanche les deux groupes de traitement (individus dont la température augmente de moins de 39 °C à plus de 39 °C).

La température des veaux de lots sans pasteurelle diminue lentement (14 jours après l’instauration de la thérapeutique, la température de certains animaux est encore supérieure à 39 °C, mais aucun résultat bactériologigque n’est associé), alors que les veaux porteurs de pasteurelles réagissent dès les premières 48 heures (68 % de guérisons), avec un taux atteignant 95 % à J21 (figure 4).

Concernant les rechutes, une différence d’incidence est observée, non entre les deux types d’antibiotiques utilisés, mais entre les lots atteints ou non de pasteurellose (figure 5). Les veaux dans les lots sans pasteurelle mettent plus de temps à guérir (cela peut-être associé à une circulation virale, mais aucune séroconversion n’est mise en évidence), mais guérissent définitivement, alors que les lots atteints de pasteurellose rechutent souvent malgré un traitement antibiotique administré simultanément à tous les animaux présents dans le bâtiment (figure 6). La population des pasteurelles dans le lot n’a donc pas disparu. Les pasteurelles pourraient disposer de mécanismes de survie dans les cavités nasales, voire dans les poumons. Des études récentes montrent l’existence de biofilms produits par Histophilus somni dans lesquels les pasteurelles peuvent aussi se cacher [3].

Rôle des facteurs de risque lors de pasteurellose

• Notre étude concerne les veaux laitiers et les pasteurelles sont les agents pathogènes respiratoires le plus souvent mis en évidence. Le fait que les veaux ont des taux d’anticorps élèves vis à vis du RS et du PI3 (analyse sur les veaux non vaccinés) montre que les passages viraux sont fréquents dans les ateliers de veaux laitiers. En revanche, les séroconversions virales et mycoplasmiques faibles pendant les trois semaines de l’étude ne nous permettent pas de conclure sur ces autres agents pathogènes. Des rechutes ont été observées dans les lots où les pasteurelles étaient présentes, non seulement pendant les 21 jours de l’étude, mais aussi après, et ce malgré de multiples traitements. Les lots atteints de pasteurellose ont connu des épisodes de rechutes pendant toute la période où les facteurs de risque sont restés présents (avec mise en évidence de pasteurelles en abondance lors de chaque rechute). Dans cinq élevages qui ont mis en place sans délai des changements rigoureux d’alimentation ou dans le logement, les épizooties se sont arrêtées avant la fin de l’hiver. Si les facteurs de risque tels que le logement ou l’alimentation ne sont pas maîtrisés, les troubles respiratoires se reproduisent, malgré des vaccinations adaptées et des antibiothérapies efficaces.

• De fait, les pasteurelles sont considérées comme peu pathogènes : leur introduction expérimentale dans les narines de veaux sains ne provoque pas d’infection pulmonaire, contrairement au virus BRS [4]. Pour qu’une pasteurelle entraîne une bronchopneumonie, des facteurs prédisposants sont nécessaires, qui peuvent être classés en trois catégories :

– les facteurs qui fragilisent l’immunité des animaux (alimentation, vaccination, passages viraux) ;

– ceux qui rendent l’environnement trop hostile (ventilation, densité d’animaux, hétérogénéité d’âge, achats) ;

– ceux liés à la bactérie, qui devient plus pathogène [4].

Pour un traitement efficace de la pasteurellose, il est important d’identifier ces facteurs de risque et d’adapter en conséquence les stratégies thérapeutiques.

• Le mini-audit s’est révélé pratique, rapide à exécuter et très apprécié par les éleveurs. Le taux d’acceptation de la démarche et de ses conclusions descriptives a été de 100 %. Le mini-audit a permis d’identifier les erreurs grossières et s’est révélé essentiel pour attirer l’attention de l’éleveur sur une difficulté suspectée. De multiples adaptations du logement ont été réalisées avec succès par la suite. Pour des modifications plus importantes, un audit plus large reste indiqué en deuxième intention.

La ventilation des bâtiments reste le point critique le plus difficile à améliorer. En effet, le chargement d’une nurserie change en permanence (nombre, âge, poids). De plus, les conditions météorologiques varient considérablement dans cette zone au climat tempéré océanique. Un système de ventilation modulable semble être souvent recommandable. Diverses solutions peuvent être envisagées : mise en place d’igloos collectifs avec une aire d’exercice, utilisation de parois amovibles ou, encore, mise en place d’un extracteur d’air mécanique.

Un diagnostic complet est indispensable car l’épidémiologie d’une maladie respiratoire d’un lot atteint ou non de pasteurellose diffère. Le diagnostic bactériologique de pasteurellose au cabinet est facile à réaliser, fiable et rapide, et satisfait l’éleveur [5]. En cas de pasteurellose, le choix des modalités de traitement est primordial et doit être adapté aux facteurs de risque mis en évidence. Il est important que l’éleveur comprenne et accepte que des antibiotiques seuls ne font que rééquilibrer la pression bactérienne. Des moyens qui permettent aux veaux de mieux se défendre, comme des vaccinations (préférablement avant la saison à risque), des anti-inflammatoires et des corrections alimentaires, incluant des supplémentations en vitamines et en oligo-éléments, nous semblent essentiels, même si ces pistes n’ont pas été évaluées dans cette étude.

En présence de pasteurelles, si l’éleveur décide de ne pas prendre en compte les facteurs de risque ou que cela est impossible, il convient d’insister sur la nécessité de répéter les traitements pour prévenir la mortalité (chez l’homme, chez qui les pasteurelles ne se retrouvent pas néanmoins, les traitements initiaux durent de 5 à 10 jours). Anticiper et expliciter la possibilité de rechute améliore dans tous les cas la motivation de l’éleveur à mettre en place un traitement.

Références

  • 1 – Assié S, Bareille N, Fanuel P et coll. Agents pathogènes et facteurs de risque de troubles respiratoires des jeunes bovins mis en lots en Pays de la Loire. Journées Bovines Nantaises. 2007:36-40
  • 2 – Hotchkiss EJ, Hodgson JC, Van de Leemput E et coll. Heterogeneity of P. multocida in Scottish and French calves at animal, farm and regional levels. Abstract ISVEE. In press.
  • 3 – Sandal I, Shao JQ, Annadata S et coll. Histophilus somni biofilm formation in cardiopulmonary tissue of the bovine host following respiratory challenge. Microbes Infect. 2009;11(2):254-263.
  • 4 – Schelcher F, Cassard H, Corbière F et coll. Physiopathologie des infections bactériennes respiratoires. Nouv. Prat. Vét. 2009;11:11-15.
  • 5 – Schmitt E, Van Duijkeren E. Identification des pasteurelles en clientèle. Point Vét. 2007;275:66-67.

Encadré : Mini-audit “facteurs de risque”

En plus des facteurs liés aux animaux (travaux d’Assié et coll.), nous nous sommes intéressés au logement [1]. Pour cela, un audit de bâtiment a été effectué, mais sous forme de mini-audit, qui nous est apparu plus facile à proposer sur le terrain en élevage de veaux laitiers. Seuls trois critères ont été pris en compte :

– la surface disponible : 3 m2 d’aire paillée par veau (un peu moins en présevrage, un peu plus en postsevrage) ;

– la quantité de paille apportée pour le couchage (2 kg par veau et par jour) ;

– l’appréciation globale de la ventilation à l’aide d’un fumigène (évacuation progressive, sans stagnation par les sorties d’air).

POINTS FORTS

• Sensibiliser les éleveurs pour qu’ils interviennent le plus tôt possible est essentiel afin d’obtenir de meilleurs résultats thérapeutiques.

• En présence de pasteurelles, l’administration d’antibiotiques n’éradique pas totalement des bactéries pathogènes, même en traitant tous les veaux d’un bâtiment.

• Une bonne stratégie vaccinale, une alimentation équilibrée, une gestion des lots cohérente, une ventilation réglable et le respect de la surface disponible par animal sont essentiels.

• Un facteur de risque a été identifié, qui n’était pas inclus dans le mini-audit mis en place : l’écart entre les températures minimale et maximale dans le bâtiment.

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