La listériose chez les petits ruminants - La Semaine Vétérinaire n° 1540 du 17/05/2013
La Semaine Vétérinaire n° 1540 du 17/05/2013

Formation

PRODUCTIONS ANIMALES/OVINS

Auteur(s) : KARIM ADJOU

Listeria monocytogenes est une bactérie flagellée Gram positif, aérobie ou anaérobie facultative, très répandue en zone tempérée dans le sol, sur les végétaux, et même dans le tube digestif d’animaux porteurs et excréteurs asymptomatiques (rongeurs, oiseaux, ruminants, etc.). Elle est résistante à la congélation, au froid (elle est mobile et prolifère à 4 °C), à une forte chaleur, voire à une courte pasteurisation (75 °C pendant 15 secondes). La bactérie peut survivre deux ans dans un sol sec, et se multiplier dans des végétaux en décomposition au pH de 5,4 (et jusqu’à 9,6). En revanche, elle est détruite en deux semaines dans un ensilage de bonne qualité (anaérobie et de pH inférieur à 4,5).

Seize sérotypes majeurs sont dénombrés pour L. monocytogenes. La plupart des infections à expression clinique sont provoquées par les types 1/2a, 1/2b, 4a, 4b et 5. Le type 5 est responsable d’avortements chez la brebis, le sous-type 1/2a est toujours en cause lors d’encéphalite et le sous-type 4b est le plus souvent impliqué dans les contaminations humaines.

SOURCES DE CONTAMINATION

La source de contamination la plus importante pour les ruminants est la consommation d’un ensilage ou d’un fourrage enrubanné de mauvaise qualité. La prévalence de la maladie est alors de 1 % dans les troupeaux qui en consomment. La bactérie se développe si le fourrage est souillé par des boues (fond de silo en terre, écoulements ou terre relâchée par les roues du tracteur lors du tassage). Une contamination fécale par des animaux peut également intervenir, parfois via le troupeau lui-même, si le front du silo est accessible. En outre, le milieu doit être aérobie et peu acide, avec un pH supérieur à 5,5, ce qui se produit lorsque l’ensilage est mal tassé, s’il y a des trous dans les bâches en bordure de silo, ou si le front d’attaque avance trop lentement.

La contamination des animaux emprunte généralement la voie digestive, mais passe parfois par la voie respiratoire ou muqueuse en cas de plaie. L’incubation dure entre deux et trois semaines. La maladie peut toucher presque tous les animaux, mais ne se déclare que chez les plus faibles. La mortalité est alors de 100 % sans traitement.

Toutefois, dans le cas d’une contamination massive du fourrage, la listériose peut prendre une allure pseudo-épizootique chez les adultes, tandis que seules des apparitions sporadiques sont observées chez les agneaux (4 à 32 jours après le sevrage).

SYMPTÔMES

La maladie est polymorphe, mais chez les ovins, les formes nerveuse puis abortive sont les plus fréquentes. La forme septicémique frappe parfois (surtout les agneaux) et les formes oculaires, pulmonaires, cardiaques ou mammaires sont beaucoup plus rares.

→ La forme nerveuse, une méningo-encéphalomyélite à l’évolution subaiguë, est mortelle en trois à cinq jours sans traitement. Elle commence par une forte fièvre (40 à 41 °C) qui chute ensuite, l’animal s’isole du troupeau, devient ataxique, apathique, porte la tête basse et parfois penchée d’un côté, une hyperréflexivité des membres est notée contro-latéralement et une hémiparalysie faciale apparaît ipsilatéralement. Cette atteinte des nerfs craniaux est caractéristique, surtout lorsqu’elle est unilatérale, et varie selon les nerfs touchés (voir tableau).

Dans la phase d’état, l’abattement profond de l’animal est entrecoupé de périodes d’excitation : il pousse au mur et tourne en cercle (la circling disease des Anglo-Saxons). Les crises convulsives et le pédalage sont rares.

→ La forme abortive touche les brebis en fin de gestation (dernier mois). Elle se traduit parfois par un antécédent d’épisode fiévreux et diarrhéique, suivi d’une complication de métrite et/ou de mammite qui peut aboutir à une septicémie. Toutefois c’est surtout la septicémie fœtale qui est à l’origine de l’avortement.

→ La forme septicémique affecte principalement ? les agneaux à la naissance et au moment du sevrage (âgés de six à douze semaines), voire les adultes (mort subite). L’évolution est foudroyante ou subaiguë, entraînant alors une hyperthermie, parfois un abattement associé à une anorexie, parfois non. Les signes neurologiques se cantonnent à l’atteinte médullaire : l’hémiplégie, la paraplégie ou la tétraplégie aboutit au décubitus.

DIAGNOSTIC

Ante mortem

Cliniquement, dans la forme nerveuse, l’atteinte unilatérale des nerfs crâniens, accompagnée d’une forte fièvre (les premiers jours), est assez pathognomonique. Mais la température peut chuter après deux ou trois jours d’évolution.

L’analyse du liquide céphalo-rachidien montre une turbidité (taux protéique supérieur à 40 mg/dl) et la présence de globules rouges, ainsi que de nombreux lymphocytes (leucocytes mononucléaires). En revanche, en raison du portage asymptomatique de la bactérie, une sérologie positive ou l’isolement de Listeria dans les matières fécales n’est nullement significatif. L’analyse bactériologique est beaucoup plus décisive dans la forme abortive si la bactérie est isolée des écoulements utérins, du placenta ou encore du fœtus (à partir de sa caillette).

Post-mortem

Dans la forme nerveuse, l’autopsie montre une congestion des vaisseaux méningés, un liquide céphalo-rachidien teinté de sang et des foyers de nécrose cérébrale. Histologiquement, ces foyers révèlent des listériomes (micro-abcès riches en neutrophiles et en macrophages) et des infiltrations lymphocytaires périvasculaires typiques.

Une placentite et des avortons œdématiés, avec une caillette érodée et du méconium jaune orange, sont les lésions retrouvées dans la forme génitale.

Dans la forme septicémique, de nombreux foyers de nécrose et de multiples micro-abcès sur les viscères (en particulier le foie, la rate, l’endocarde et le myocarde) sont constatés.

TRAITEMENT

Il convient de supprimer le fourrage “listériogène” et de choisir des antibiotiques injectables susceptibles de passer la barrière hémato-encéphalique et de se concentrer dans les macrophages (Listeria étant facultativement intracellulaire), et cela le plus précocement possible et longtemps (jusqu’à la reprise de l’appétit). Il est possible d’utiliser, par ordre d’activité sur la bactérie : l’oxytétracycline, le florfénicol, la streptomycine, l’ampicilline, le triméthoprime. Des études montrent une bonne activité de l’association β-lactamines et gentamicine. Il convient d’y adjoindre un apport en vitamine B1, des anti-inflammatoires et un traitement palliatif de la dénutrition et de la déshydratation découlant de la dysphagie.

La bactérie est résistante aux céphalosporines.

PROPHYLAXIE

Sanitaire

L’objectif est d’obtenir des ensilages ou des fourrages enrubannés de la meilleure qualité possible en préfanant (pour réduire l’humidité), en tassant bien avec un engin propre, en entretenant les bâches garantes de l’absence d’oxygène, en supprimant les zones de reprise de fermentation, en protégeant le front de coupe des contaminations (dératiser, bannir les volailles, proscrire l’accès direct au silo) et en adaptant celui-ci à la consommation journalière du troupeau.

Médicale

Un vaccin homologue atténué existe, mais son usage est controversé et il n’est pas disponible en France.

La métaphylaxie préconisée habituellement pour la forme abortive repose sur l’administration de tétracyclines ou d’ampicilline longue action. Elle doit cependant être discutée, car cela peut favoriser les phénomènes d’antibiorésistance.

Il est également possible de supplémenter la ration avec des probiotiques : ces bactéries lactiques vivantes produisent des bactériocines, qui constituent des antidotes naturels.

LES RISQUES POUR L’HOMME

La listériose est une zoonose grave dont les cas humains sont soumis à une déclaration obligatoire auprès des autorités sanitaires. Rare en France, elle provoque 250 à 300 cas par an dont la moitié sont déclarés dans quatre régions (Ile-de-France, Rhône-Alpes, Aquitaine et Provence-Alpes-Côte d’Azur).

La maladie peut entraîner des méningites, des pleuropneumonies et des kérato-conjonctivites chez les individus faibles ou immunodéprimés : personnes âgées, jeunes enfants, malades chroniques, femmes enceintes (risque d’avortement).

Les cas humains d’origine ovine sont rarement dus à une contamination directe (manipulation d’un animal malade), mais plutôt liés à la consommation de denrées alimentaires d’origine animale (fromage au lait cru) issues de porteurs asymptomatiques, ou de végétaux eux-mêmes souillés par des déjections animales (cultures maraîchères enrichies en fumier et mal lavées avant consommation). Il est démontré que les brebis excrètent des Listeria dans leurs fèces et même dans leur lait, à la suite d’un stress et autour de la période de l’agnelage. Le lait et les produits laitiers sont des vecteurs d’autant plus importants qu’ils peuvent être contaminés à la source (excrétion directe) ou bien lors de la traite, du fait de mauvaises conditions d’hygiène (contamination fécale).

Pour en savoir plus

→ Cooper J., Walker R.D. (1998) Listeriosis. Vet. Clin. Food Anim., 14 : 113-125.

→ George L.W., Smith M.O. (2002) Diseases of the nervous system. In : Smith B.P., ed. Large Animal Internal Medicine. 3rd ed. St Louis, Mosby:873-1018.

→ Petit S., Bouquet B., Laval A., Blain S., Poncelet J.-L. (2004) Guide thérapeutique vétérinaire, animaux de rente. 2e ed. Maisons-Alfort, éditions du Point vétérinaire, 555 p.

→ Braun U., Stehle C., Ehrensperger F. (2002) Clinical findings and treatment of listeriosis in 67 sheep and goats. Vet. Rec., 150:38-42.

→ Brugère-Picoux J. (2004) Maladies des moutons. 2e ed. Paris, éditions France agricole, 285 p.

→ Machen M.R., Waldridge B.M., Cebra C. et coll. (2002) Diseases of the neurologic system. In : Saunders W.B., ed. Sheep and goat medicine. Philadelphia:277-293.

→ Morin D.E. (2004) Brainstem and cranial nerve abnormalities : listeriosis, otitis media/interna, and pitituary abcess syndrome. Vet. Clin. Food Anim., 20:243-273.

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