La recherche en biomécanique du pied du cheval avance - La Semaine Vétérinaire n° 1525 du 01/02/2013
La Semaine Vétérinaire n° 1525 du 01/02/2013

Dossier

Auteur(s) : Marine Neveux

La recherche en biomécanique sur la locomotion équine a réalisé des progrès considérables au cours des dernières années. Elle s’appuie sur des appareils qui peuvent disséquer toutes les composantes des déplacements et l’influence tant des fers que des sols. Les répercussions de ces travaux sont importantes pour le vétérinaire, qui conseille et oriente son client, mais aussi pour la filière sportive équine, qui bénéficie de ces avancées. Morceaux choisis du congrès international de Genève consacré au pied du cheval, en décembre dernier.

Les sollicitations mécaniques du pied du cheval lors de l’appui sont intenses, comme l’a démontré notre confrère Henry Chateau (maître de conféren­ces à Alfort, unité 957 biomécanique et pathologie locomotrice du cheval, BPLC). Or, parmi tous les facteurs susceptibles de moduler l’intensité de ces stress mécaniques, la qualité du sol et la ferrure sont essentiels, car ce sont ceux pour lesquels l’intervention de l’homme peut être la plus déterminante.

À une vitesse d’entraînement (35 km/h), le pied subit des cycles de mise en charge d’environ une tonne, avec une fréquence de presque deux par seconde ! C’est dire si les structures internes sont impliquées pour compenser ce stress mécanique. C’est aussi ce qui rend si importants les travaux effectués aujourd’hui sur la qualité des sols afin d’améliorer les performances du cheval, mais aussi d’assurer l’intégrité des structures anatomiques du pied et du membre.

Les protocoles mis en œuvre par l’unité BPLC permettent ainsi d’évaluer de façon objective les effets des sols et de certaines techniques de maréchalerie (pied ferré ou non, par exemple) sur les sollicitations mécaniques de ces structures anatomiques. Surtout, la compréhension du fonctionnement normal du membre et du pied est un préalable pour améliorer la prévention et les traitements des lésions de l’appareil locomoteur.

UNE ÉVALUATION OBJECTIVE

Plusieurs types de matériel existent pour évaluer les sollicitations mécaniques du pied lors de l’appui, comme l’a montré notre confrère Henry Chateau. Ces instruments ont été développés en interne, au sein du laboratoire BPLC, ou adaptés au cheval. Il s’agit en particulier d’un fer dynamométrique tridimensionnel, d’un accéléromètre 3D, d’un procédé ultrasonore de mesure de la force dans le tendon fléchisseur superficiel du doigt, de centrales de mesure inertielle, de caméras haute fréquence (qui peuvent être embarquées dans un véhicule), d’un tachymètre (outil pour mesurer la vitesse). Tous ces instruments peuvent être utilisés simultanément et sont synchronisés entre eux (voir encadré).

Le fer dynamométrique 3D comporte quatre capteurs piézoélectriques pris en sandwich entre deux plaques d’aluminium usinées à la forme d’un fer. Il mesure les forces qui s’exercent sur le pied dans les trois directions (verticale, mais aussi tangentielle, longitudinale et transversale). « La cinématique et la dynamique ont permis de souligner l’importance du sabot dans les mécanismes d’amortissement », a souligné Henry Chateau.

Les sollicitations mécaniques du sabot lors de l’appui peuvent être décomposées en deux phases essentielles. La première met en jeu des décélérations violentes, mais à énergie relativement faible, car la masse déplacée reste assez légère. C’est la phase d’impact initial du pied. Durant la seconde, le pied est au contraire quasiment immobile et subit une forte contrainte verticale liée à la mise en charge du membre. Les énergies déployées sont alors considérables.

Le contact initial

Il s’effectue le plus souvent par les talons (talon latéral), surtout à vitesse rapide, ou à plat. « Les chevaux touchent le sol d’autant plus par les talons que ceux-ci sont hauts. L’emploi de talonnettes entraîne une augmentation de l’amplitude de la bascule du sabot après le contact », a détaillé notre confrère.

Juste après la bascule intervient le poser du pied. « Le sabot subit un choc, puis décélère rapidement sous l’influence des forces verticales, liées au poser, et des forces horizontales de freinage, qui réduisent sa vitesse à une valeur nulle. » Ces forces et décélérations sont mesurées à l’aide du fer instrumenté et par l’accéléromètre. Ces paramètres sont indispensables pour mieux comprendre les interactions entre le sabot et le sol.

L’impact, un phénomène de collision

La nature des matériaux qui entrent en contact est déterminante pour expliquer l’intensité de ce phénomène. Cela souligne l’importance des sols et de la ferrure pour essayer de minimiser ce choc. « L’amplitude du choc initial du pied à l’impact (mesuré par la décélération verticale maximale) varie largement selon les caractéristiques du sol et du fer, a expliqué Henry Chateau. À titre d’exemple, avec le même fer, cette décélération verticale est d’environ 80 g sur une surface considérée comme amortissante (piste en sable fibré-huilé) et peut atteindre plus de 500 g sur une surface fortement damée. »

Les conditions d’entretien de la piste et sa teneur en eau ont une importance sur l’amplitude du choc, de même que la ferrure. Des travaux ont été menés sur des pieds ferrés ou déferrés et avec une semelle synthétique. L’essai sur un terrain dur en asphalte (à 20 km/h) révèle que le choc de l’impact est diminué avec un pied déferré ou une semelle synthétique. En revanche, celui réalisé sur une piste en sable concassé à haute vitesse (40 km/h) montre que les décélérations sont identiques, que le pied soit ferré, déferré ou doté d’une semelle synthétique. Dans ces circonstances particulières, la nature de la piste a donc plus d’influence que la ferrure, le pied déferré n’entraînant pas de modification significative du choc de l’impact à haute vitesse sur le sable. En revanche, la diminution du poids du sabot permet une augmentation de la fréquence des foulées.

Le freinage et le glissement du pied

« La phase d’impact initial se poursuit par une phase active dans laquelle la mise en charge progressive du membre augmente les forces de frottement entre le pied et le sol et conduit à l’arrêt complet du pied. Sur une surface peu déformable, cette deuxième phase est essentiellement caractérisée par un glissement longitudinal du pied vers l’avant qui précède l’arrêt complet. » À cet instant, la force de freinage longitudinal atteint un maximum (aux alentours de 3 000 N, soit 300 “Kg force”). Le glissement sur une piste en sable est de 3 à 4 cm, sur une piste en terre brute de 4 à 5 cm. Sur cette dernière, une fois hersée, il peut atteindre environ 6 à 7 cm. Ce glissement est intéressant pour allonger la durée de la phase de freinage et atténuer le pic de force longitudinale lié au « blocage » du pied dans le sol. Cette atténuation est nette sur un sol plus souple (piste en sable fibré-huilé ou en herbe, par exemple).

Les vibrations

« Le choc initial et les frictions entre le pied et le sol lors de la phase de glissement génèrent des vibrations », a poursuivi Henry Chateau. Plus le terrain est dur et rugueux, plus les composantes à haute fréquence de ces vibrations sont fortement représentées.

La phase de mise en charge

La force horizontale longitudinale est positive pendant la première partie de l’appui. « Le vecteur force est alors dirigé vers l’avant et traduit une phase de freinage. » La force de ce ralentissement atteint son maximum à la fin de la phase de glissement, « mais celle-ci reste néanmoins positive (freinage) jusqu’à environ 60 % de l’appui. À ce stade, la direction de la force horizontale longitudinale s’inverse pour devenir négative. Cette force est alors dirigée vers l’arrière et devient propulsive » (voir ci-dessous).

Alors qu’elles sont faibles lors des déplacements en ligne droite, les forces transversales, quant à elles, deviennent déterminantes lors des déplacements sur le cercle. Dans cette circonstance, ces forces orientées vers l’extérieur du cercle (pour contrecarrer la force centrifuge) génèrent de fortes contraintes asymétriques sur les formations ostéo-articulaires du membre. Les travaux menés par l’unité BPLC montrent, là encore, la forte influence du sol sur ces phénomènes. Un sol souple permet ainsi de diminuer de plus de 40 % les forces transversales qui s’exercent sur le pied et les articulations (voir ci-contre).

Toutes ces études soulignent l’intérêt d’interpréter avec beaucoup de précision ces sollicitations mécaniques et leur atténuation sur un sol de meil­leure qualité. Ces résultats corroborent notamment les observations cliniques telles que la diminution de l’expression d’une boiterie distale d’origine articulaire lorsque le cheval se déplace en cercle sur un sol meuble, comparativement à un terrain dur.

LE PIED, UNE STRUCTURE ADAPTATIVE

La capacité de déformation des talons constitue un rouage essentiel dans l’amortissement des chocs. « Les barres jouent, par leur disposition et leur continuité avec la paroi, un rôle de ressort à lames qui limite cet écartement lors de l’amortissement et favorise leur rapprochement en fin d’appui », a expliqué Henry Chateau. Lors de la mise en charge, la phalange distale descend légèrement dans la boîte cornée. La plupart des forces verticales qui s’appliquent sur la phalange sont alors déviées vers la paroi par l’intermédiaire de l’engrènement des lamelles dermales du chorion et des lamelles épidermales de la paroi.

« Au cours de l’appui, au pas et sur un terrain dur, l’articulation interphalangienne distale fléchit précocement d’environ 15°, a montré Henry Chateau. En majorité, cette flexion intervient durant la phase initiale du poser du pied et participe aux phénomènes d’amortissement. » Toute modification de l’orientation longitudinale du pied a des répercussions sur les mouvements articulaires. Ainsi, l’effet d’un fer en œuf devient évident : l’augmentation de sa surface portante dans la partie postérieure du pied limite l’enfoncement des talons dans le sol au début de la phase d’appui. Ces modifications engendrent une augmentation des flexions interphalangiennes et une diminution de l’extension interphalangienne distale lors du décollement des talons. « Ce dernier est typiquement recherché dans le traitement du syndrome podotrochléaire qui se manifeste cliniquement par une intolérance à l’extension de cette articulation. Ces effets reproduisent sur un terrain meuble ceux d’une talonnette utilisée sur un sol dur. » La réponse au traitement est ainsi modulée selon la pénétrabilité du sol.

L’articulation interphalangienne distale est en outre soumise à des mouvements de latéralité et de rotation qui permettent l’adaptation du pied aux différentes irrégularités du sol. Notre confrère Henry Chateau a également étudié ces mouvements articulaires, notamment ceux générés par les déplacements sur le cercle. Les mouvements de collatéromotion et de rotation axiale des articulations interphalangiennes doivent être considérés comme physiologiques. Cependant, s’ils deviennent excessifs, ils augmentent les contraintes sur le cartilage articulaire et les formations ligamentaires. « Les voltes courtes (y compris au pas) sont donc contre-indiquées chez les chevaux qui souffrent d’arthropathies interphalangiennes. »

OUTILS DE MESURE BIOMÉCANIQUE

Plusieurs instruments de mesure, synchronisés entre eux, sont utilisés pour l’évaluation de l’effet des pistes sur la locomotion du cheval trotteur à grande vitesse :

1 > un fer dynamométrique tridimensionnel, muni de quatre capteurs de force triaxiaux, qui mesure la force de réaction au sol dans les trois directions de l’espace ;

2 > un accéléromètre triaxial, fixé sur la paroi du sabot, qui mesure les décélérations et les vibrations générées par le choc du sabot à l’impact ;

3 > un capteur ultrasonore qui évalue la force qui s’exerce dans le tendon fléchisseur superficiel du doigt ;

4 > des centrales de mesure inertielle, qui analysent la mobilité dorsale et la symétrie locomotrice ;

5 > des marqueurs cinématiques, pour analyser les mouvements articulaires, l’orientation et les glissements du sabot, grâce à une caméra haute fréquence ;

6 > une roue instrumentée permettant de mesurer la vitesse instantanée.

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