Quand le droit ne peut plus ignorer la science - La Semaine Vétérinaire n° 1513 du 26/10/2012
La Semaine Vétérinaire n° 1513 du 26/10/2012

Bien-être animal

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Auteur(s) : MARINE NEVEUX

« La souffrance animale, de la science au droit » était le thème du colloque organisé par la Fondation droit animal (LFDA) et le Groupe de Recherche international en droit animal (Grida) les 18 et 19 octobre derniers au siège de l’OIE à Paris.

L’approche de ce colloque se voulait à la fois scientifique et juridique. La session du premier jour a permis d’aborder la question de la sensation de douleur sous l’œil du biologiste : quelles preuves a-t-il d’une épreuve douloureuse ? Le second jour a traité de la souffrance de l’animal dans la balance de la justice, avec les différentes sensibilités du droit dans le monde.

Des lois non appliquées

« Les avancées scientifiques n’offrent pas une évolution juridique similaire. Le droit s’essouffle à accompagner le progrès scientifique », a estimé Jean-Marie Coulon, 1er président honoraire à la cour d’appel de Paris. En France, les tentatives de réforme sont nombreuses et tendent à rendre l’animal autonome dans le Code civil.

Autre problématique récurrente et soulignée par plusieurs intervenants : « Encore faut-il que les textes soient mis en œuvre : le mal juridique français consiste à voter des lois qui ne sont pas appliquées. »

Le Pr Jean-Claude Nouet, vice-doyen de la faculté de médecine de La Salpêtrière et président d’honneur de la LFDA, a retracé les évolutions au cours des siècles du droit de l’animal. Selon lui, « il est important que des liens étroits s’instaurent entre scientifiques et juristes ». Le droit, s’il veut être légitime et indépendant, ne peut ignorer le fait scientifique. En outre, « une fois reconnu, ce fait doit éviter toute exception ».

Agir sur le différentiel de compétitivité

Bernard Vallat, directeur de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), a déploré que le bien-être animal ne soit pas encore du ressort de l’Organisation mondiale du commerce : « C’est un problème, car l’OMC a un pouvoir de sanction sur les pays. »

Notre confrère a rappelé qu’avant l’an 2000, « les pays membres de l’OIE ne voulaient pas intégrer le bien-être animal dans leurs travaux, arguant que leur priorité était de nourrir leurs populations ». En 2000, cette préoccupation est intégrée dans le 3e plan stratégique de l’OIE (2001-2005). En 2003, l’assemblée de l’OIE adopte des normes générales de bien-être animal et, en 2012, de nouvelles règles régissent le transport et la recherche sur les animaux. « Nous ne nous contentons pas d’éditer des normes, nous développons des actions pour que nos pays les appliquent. Seule la science nous permet d’avoir des positions communes, face aux multiples différences culturelles, religieuses, etc., entre tous les États. » Il existe aussi « des écarts entre certains pays et le reste du monde, ce qui entraîne un différentiel considérable de compétitivité sur les marchés. C’est pour cela que l’OIE est saluée, car elle apportera des contraintes qui auront un effet sur cet important différentiel ».

Des approches variées selon les pays

« Le droit a besoin d’avoir des preuves scientifiques, mais elles ne se traduisent pas de la même manière selon les pays », constate Muriel Falaise, maître de conférences en droit privé (université de Lyon). L’animal est intégré à des niveaux différents du droit, d’un État à l’autre (voir encadré). Martine Lachance, professeur de droit (université du Québec) et directrice du Grida, a exposé la souffrance animale dans le droit pénal canadien. Pour Taimie L. Bryant, professeur de droit à l’université de Californie, « les textes juridiques américains se réfèrent rarement à la souffrance animale. En matière de procédure, les animaux sont aussi désavantagés. Leurs défenseurs se sont donc tournés vers l’utilisation d’accords juridiques privés qui imposent des devoirs de protection à l’égard des animaux ».

Selon Steven White, professeur de droit à l’université Griffith, « en Australie, alors que chaque juridiction prétend protéger les animaux contre la douleur, l’engagement envers l’absence de souffrance est incohérent et porte un regard subjectif sur la science du bien-être animal, souvent compromis par des valeurs économiques et culturelles en compétition ».

Abordant l’Amérique du Sud, David Cassuto, professeur de droit et directeur de l’Institut brésilo-américain pour le droit et l’environnement, a expliqué les évolutions juridiques en Amérique latine, où « un grand nombre de législations de protection des animaux sont entravées par une application inefficace et par des amendes minimes lors de violation ».

Un fossé en France entre les prétentions textuelles et la réalité judiciaire

En droit français, « l’animal est une chose, un bien, la plupart du temps un bien meuble », a précisé Sonia Canselien (CNRS, université Paris I Panthéon-Sorbonne). Si la sensibilité animale y est reconnue, « des textes aux faits, la marge est considérable. Il y a un fossé entre les prétentions textuelles et la réalité judiciaire. On constate un déni de la sensibilité animale dans la culture administrativo-judiciaire française. » Et Sonia Canselien de citer en exemple l’insuffisance des services de l’État chargés de contrôler le respect des textes, et une absence de politique pénale cohérente et volontaire au sein des juridictions.

Allemagne

→ Constitution : l’État protège les fondements naturels de la vie et les animaux. À l’échelle des länder, de nombreux textes intègrent des dispositions dans ce sens.

→ Statut juridique : les animaux ne sont pas des choses.

→ Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie : adhésion en 1992.

→ Législation : loi générale pour la protection de tous les animaux.

→ Situations spécifiques : interdiction du gavage et de l’élevage des poules en batterie. Les länder prennent aussi des dispositions, par exemple l’interdiction de la pêche au vif.

Autriche

→ Constitution : il n’existe toujours pas de référence explicite à la protection des animaux, malgré divers projets de réforme.

→ Statut juridique : les animaux ne sont pas des choses.

→ Convention européenne : adhésion en 2000.

→ Législation : fédérale pour la protection des animaux.

→ Situations spécifiques : par exemple, interdiction de vendre des chiots et des chatons dans des magasins ou des animaleries, de maintenir un chien attaché, d’élever des animaux pour la fourrure ou des poules en batterie, etc. La détention d’animaux sauvages dans les cirques est interdite. L’ombudsman exerce la fonction d’avocat des animaux au sein de chaque land.

Royaume-Uni

→ Droit coutumier : il existe une multitude de règles. En 2006, la Grande-Bretagne s’est dotée de l’Animal Welfare Act qui est venu conférer un véritable statut juridique à l’animal. Il est différencié des autres objets de droit. Une obligation de diligence s’applique vis-à-vis des animaux.

→ Situations spécifiques : par exemple, dans le cas du gavage, la production et la vente sont interdites par diverses municipalités et enseignes commerciales. Les tests sur les animaux sont prohibés pour la fabrication de produits cosmétiques. La chasse à courre est interdite, de même que l’élevage d’animaux pour la fourrure. Un texte législatif est en préparation afin d’interdire l’exploitation des animaux dans les cirques. De nombreuses juridictions, municipalités et comtés ont proscrit les spectacles qui utilisent les espèces sauvages.

Italie

→ Constitution : rien d’explicite sur les animaux et leur protection, malgré de nombreux projets de réforme.

→ Statut juridique : le Codice civile maintient les animaux dans la catégorie des choses. Plusieurs régions possèdent leurs propres statuts.

→ Convention européenne : adoptée en 2011.

→ Législation : lois générales de protection animale contre les mauvais traitements.

→ Situations spécifiques : droit à l’objection de conscience lors d’expérimentation animale.

Luxembourg

→ Constitution : le bien-être animal et la protection animale y sont inscrits.

→ Convention européenne : adoptée en 1992.

→ Législation : loi générale sur la protection de la vie et du bien-être.

→ Situations spécifiques : interdiction totale des combats d’animaux, du gavage, etc.

Suède

→ Constitution : aucune disposition.

→ Statut juridique : l’animal est dans la catégorie des biens meubles.

→ Convention européenne : adoptée en 1992.

→ Législation générale : depuis 1988, elle reconnaît une dignité intrinsèque à l’animal.

→ Situations spécifiques : interdiction du gavage, etc.

Suisse

→ Constitution : notion de dignité de créature.

→ Statut juridique : les animaux ne sont pas des choses.

→ Convention européenne : adoptée en 1994.

→ Législation : elle précise la notion de dignité de l’animal.

→ Situations spécifiques : par exemple, les Suisses doivent détenir un permis pour posséder un chien. Le bien-être de l’animal est ainsi pris en compte.

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