Exérèse d’un abcès dentaire chez un lapin

PRÉSENTATION DU CAS

Un lapin mâle âgé de 1 an est présenté en consultation pour anorexie et amaigrissement. Il pèse 1,6 kg. Son alimentation est composée de foin et de gra­nulés (ces derniers sont consommés préférentiellement). L’examen clinique met en évidence la présence d’une masse mandibulaire dure et indolore (^{voir photo 1a}). L’examen dentaire, réalisé sous anes­thésie flash à l’isoflurane, révèle une malocclusion jugale, caractérisée par une déviation et une hyperélongation coronaire des 2 prémolaires et de la 1^re molaire inférieures droites. Cette malocclusion est responsable d’une ulcération palatine et d’un décalage anormal des mâchoires à l’origine d’un prognathisme assorti d’une malocclusion incisive secondaire (^{voir photos 2a} et ³). L’examen radiographique montre la présence d’un abcès dentaire à coque ossifiée, situé en regard des racines de ces 3 dents (^{voir photo 4}).

TRAITEMENT

Mesures préopératoires

L’animal reçoit une prémédication antibiotique (enrofloxacine, 10 mg/kg), anti-inflammatoire (méloxicam, 0,3 mg/kg) et antalgique (morphine, 3 mg/kg) par voie sous-cutanée 20 minutes avant l’intervention chirurgicale. L’induction anesthésique est effectuée par inhalation au masque d’un mélange d’oxygène et d’isoflurane à 4 %, et l’entretien par le même mélange à 3 %. La région mandibulaire est préparée chirurgicalement.

Chirurgie

Les 3 dents atteintes sont extraites par voie buccale. En raison de l’abcédation de leurs racines, une simple traction à l’aide d’un davier suffit à les retirer (^{voir photo 5}). Les incisives sont coupées et limées jusqu’à une longueur normale. La peau est incisée en regard de l’abcès, les tissus sous-cutanés disséqués et la coque de l’abcès découpée au maximum. Le pus est ensuite cureté dans sa totalité (^{voir photo 6}). Un écouvillon est réalisé en vue d’un examen microbiologique. La cavité est rincée à l’aide de chlorhexidine diluée. Une marsupialisation est effectuée : la peau et les tissus sous-cutanés sont suturés partiellement, de part et d’autre d’un orifice de drainage central formé par la partie restante non suturée.

Mesures postopératoires

L’animal est hospitalisé jusqu’au lendemain. Son appétit revient le soir même. Le traitement antibiotique et anti-inflammatoire se prolonge pendant 15 jours. Il s’accompagne d’un nettoyage local quotidien de l’orifice de drainage à l’aide de compresses imbibées de Dakin(r) par les propriétaires. Des contrôles dentaires réguliers sont ensuite réalisés.

SUIVI

→ À T + 15 jours, l’appétit est normal et le poids de 1,8 kg. Les points de suture sont retirés. Un écoulement purulent et la malocclusion incisive sont toujours présents. L’examen bactériologique permet d’identifier 3 bactéries : Proteus mirabilis, Streptococcus intermedius et Fusobacterium necrophorum, toutes sensibles à l’enrofloxacine. L’antibiothérapie et les soins locaux sont prolongés à l’identique.

→ De T + 1 mois à T + 5 mois, la prise de poids se poursuit jusqu’à atteindre 2 kg. Un examen dentaire est effectué sous anesthésie flash. Sur les 2 molaires inférieures droites restantes, l’une est normale et la seconde a arrêté de pousser : il ne reste donc que 1 dent inférieure pour 6 supérieures. Les dents jugales gauches sont normales. Le prognathisme régresse progressivement jusqu’à disparaître à T + 3 mois. Il ne nécessitera qu’un seul limage des incisives au cours de cette période. La présence de pus diminue progressivement, tandis que la fistule est comblée par un tissu fibreux (^{voir photo 7a}). L’antibiothérapie est arrêtée à T + 4 mois.

→ De T + 5 mois à T + 10 mois, le poids se stabilise entre 2 et 2,2 kg. Les contrôles mensuels sont corrects : étonnamment, le lapin arrive à user correctement ses dents jugales droites malgré la perte de 4 dents inférieures. À une seule occasion, la dent restante présentera une légère élongation nécessitant un limage.

→ À T + 18 mois, un contrôle réalisé pendant la consultation vaccinale met en évidence que la molaire inférieure droite restante s’est mise à pousser à l’horizontale, rétablissant un plan d’occlusion qui assure l’usure correcte des 6 dents supérieures (^{voir photos 8} et ⁹). Le lapin vit et se nourrit normalement.

→ À T + 24 mois, un contrôle montre que cette dent pousse toujours à l’horizontale, pour sortir par le trou de drainage (^{voir photo 10}). Une coupe régulière sans anesthésie est nécessaire depuis, mais limitée à cette dent. L’usure dentaire des 6 dents opposées demeure correcte.

DISCUSSION

Les abcès dentaires peuvent être mentonniers (lors d’atteinte incisive), maxillaires, mandibulaires ou rétrobulbaires (lors d’atteinte jugale). Généralement indolores, leur forme et leur taille sont variables. Ils sont le plus souvent la conséquence d’une malocclusion dentaire, caractérisée par une croissance radiculaire anormale, entraînant une lyse alvéolaire et une pénétration de la corticale osseuse, avec une infection bactérienne secondaire. Ils sont habituellement constitués d’une coque dure et épaisse, parfois ossifiée, qui prend naissance au niveau de l’os de la mâchoire, et qui contient un pus épais et blanchâtre. Les bactéries incriminées peuvent être aérobies (Pasteurella sp., Staphylococcus sp., Streptococcus sp., etc.) ou anaérobies (Actinomyces sp., Fusobacterium sp., Peptostreptococcus sp., etc.). Le recours à l’imagerie médicale est indispensable pour évaluer l’abcès, les lésions dentaires et osseu­ses associées, et identifier les racines atteintes. Le traitement requiert l’extraction des dents atteintes, le retrait de la coque de l’abcès, et le curetage du pus et des tissus osseux. Un examen bactériologique avec un antibiogramme est indiqué pour déterminer les germes en cause et mettre en place une antibiothérapie adaptée. La cavité de l’abcès est à remplir avec une mèche iodoformée, comblée par un ciment de polymétacrylate imprégné d’antibiotique (gentamicine, par exemple), ou marsupialisée, afin de favoriser la guérison locale. Lors d’abcès rétrobulbaire, l’énucléation est souvent indispensable. Les interventions chirurgicales des abcès dentaires sont fréquemment délabrantes. Il importe d’informer préalablement le propriétaire du pronostic réservé de ce type d’affection et de s’assurer de sa motivation en raison des contrôles réguliers à prévoir.