L’affairisme fleurit autour du médicament - La Semaine Vétérinaire n° 1485 du 02/03/2012
La Semaine Vétérinaire n° 1485 du 02/03/2012

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Auteur(s) : MARINE NEVEUX

Des vétérinaires dénoncent les dérives autour de la délivrance illégale et massive de médicaments. Ils réclament l’application stricte du décret prescription-délivrance.

Plus de 1 confrère sur 2 est confronté à des cas de délivrance de médicaments en grande quantité et par des moyens illégaux dans son département. Ce chiffre, issu d’un récent sondage publié sur le site WK-Vet.fr a de quoi faire frémir. D’autant que si un quart d’entre eux n’est pas concerné, 25 % ne savent pas répondre à la question.

Le décret prescription-délivrance n’est donc pas appliqué partout. L’affairisme se répand dans les régions. Y fleurissent des structures qui n’assurent pas forcément les soins réguliers et ne respectent pas les quotas, mais qui répondent à des commandes de clients, comme une société commerciale lambda d’intrants en élevage. Les confrères sont excédés par la situation de terrain au niveau du médicament.

Le malaise des vétérinaires en région

À partir de ce constat, une dynamique de protestation s’est enclenchée en Bourgogne. De nombreux vétérinaires (une dizaine de cabinets) du Charolais-Brionnais se sont regroupés, il y a quelques mois, pour protester contre la délivrance en masse de médicaments en dehors de toute légalité. Un courrier collectif a été signé par les praticiens de 3 départements bourguignons (Côte-d’Or, Nièvre, Saône-et-Loire), puis adressé au préfet de département et aux DDPP1. Cette démarche a fait tache d’huile dans d’autres départements. Elle a été initiée dans l’Yonne, en Champagne-Ardenne, ainsi que dans les régions Lorraine et Rhône-Alpes. Le 22 février dernier, 5 praticiens nivernais ont rencontré le préfet de leur département. Ce dernier « est sensible au problème de santé publique et veut sensibiliser les éleveurs à la question de l’antibiorésistance, constatent nos confrères. Il est conscient et s’inquiète du danger encouru par la filière si ces pratiques de distribution des antibiotiques étaient connues des grands médias et des consommateurs. »

Une réglementation non respectée

« Les dérives en matière d’utilisation du médicament ne font qu’empirer, car le décret prescription-délivrance n’est pas respecté », souligne le courrier adressé au préfet de la Nièvre. Le texte, censé définir un cadre autour du médicament, instaure, par exemple, un système de quotas par espèces et par productions pour les animaux confiés à un vétérinaire, justement afin de prévenir l’affairisme, sur le médicament en particulier. Mais « certaines officines dites affairistes sont passées démarcher les éleveurs en proposant des médicaments vétérinaires sous le couvert de bilans et de protocoles de soins standards transformés en argumentaires de démarchage, dénonce le courrier. L’arrêt de la loi Galland et le jeu de dupes des laboratoires ont permis à ces commerçants de médicaments de gagner de très importantes parts de marché. Le médicament vétérinaire en général et les antibiotiques en particulier devenant un intrant banalisé en élevage. »

La place de l’automédication par les éleveurs intègre également la problématique de l’antibiorésistance. Nos confrères bourguignons en témoignent : « On est dans le “les antibiotiques, c’est magique”, plutôt que dans le “ce n’est pas systématique”. De 1963 à 2007, en raison d’une loi inappliquée et inapplicable, les éleveurs ont pris de mauvaises habitudes. Ils ont appris à seringuer et à réfléchir après. Or le traitement doit suivre un diagnostic ! » Les protocoles de soins ont pour but, en effet, de cibler les affections répétitives de l’élevage avec un traitement adapté, et non de lister toutes les maladies possibles avec des protocoles comprenant tous les médicaments possibles. « La notion de soins réguliers et les quotas sont la base de ce décret. La visite annuelle, fût-elle régulière, n’a rien à voir avec les soins réguliers. Beaucoup de bilans sanitaires d’élevage d’affairistes sont donc illégaux », poursuivent nos confrères.

Conflit d’intérêts et fragilisation du maillage

Tout cela n’est pas sans rappeler l’importance du médicament dans l’équilibre économique des cliniques et leur maintien sur l’ensemble de l’Hexagone, en vue d’une continuité des soins et d’une prise en charge des urgences. « Avec la perte du médicament au profit de sociétés purement mercantiles colisant des médicaments dans toute la France et ne respectant ni la notion de soins réguliers ni les quotas, nos structures sont mises en péril », martèle le courrier. Le conflit d’intérêts de ces entreprises (dont le chiffre d’affaires dépend des ventes et qui mettent la profession « en porte-à-faux vis-à-vis des médias et de l’opinion ») est également pointé du doigt.

L’enjeu, de taille, consiste à maintenir le maillage vétérinaire, mais aussi à permettre aux vétérinaires d’embaucher, d’assurer la continuité des soins, de se faire remplacer pour assister aux formations, etc. « Quand plusieurs confrères exercent au sein d’une clinique, il est possible de se spécialiser. Quand les vétérinaires sont peu nombreux, il devient plus difficile de dégager du temps pour la formation ! (…) Ces évolutions insidieuses ne sont pas sans répercussions sur la situation sanitaire : soit au niveau du dépistage, l’éleveur réalisant l’automédication de ses animaux sans diagnostic, soit au niveau de la présence vétérinaire. Les déserts médicaux vétérinaires apparaissent en Bourgogne et dans la Nièvre », poursuit le courrier.

Des contrôles insuffisants ?

La problématique est majorée par le manque d’effectifs de l’administration pour effectuer des contrôles. L’application stricte du décret prescription-délivrance, assortie de véritables contrôles et de sanctions lourdes pour les contrevenants, est donc une étape indispensable. « Il en va de l’avenir de notre profession, mais surtout de la santé publique et du contrôle des crises sanitaires », concluent nos confrères.

  • 1 Direction départementale de la protection des populations. Voir aussi La Semaine Vétérinaire n° 1483 du 17/2/2012 en pages 14 et 15, ainsi qu’en page 12 de ce numéro.

Extraits du courrier adressé à François Patriat, président du conseil régional de Bourgogne

Les vétérinaires s’alarment de la délivrance en quantité impressionnante de médicaments par des moyens illégaux, la délivrance de médicaments interdits ou destinés à permettre, voire favoriser l’exercice illégal de la médecine vétérinaire. Ils insistent sur les graves menaces que font peser ces dérives sur la santé publique, le bien-être animal, l’image de l’élevage bovin en particulier, et toute l’agriculture en général. Ils regrettent la faiblesse des moyens mis en œuvre par l’administration pour faire respecter la loi, tant en effectifs qu’en motivation, la faiblesse des peines encourues par les contrevenants, au regard des bénéfices colossaux qu’ils engrangent (26 millions d’euros de chiffre d’affaires annoncé par un vétérinaire de la Côte-d’Or). Ils réclament l’application stricte du décret prescription-délivrance, à savoir la délivrance hors examen clinique des médicaments par le vétérinaire assurant les soins réguliers dans l’exploitation, après un bilan sanitaire et un protocole de soins, et le respect des quotas d’animaux par prescripteur. Ils insistent sur l’effet désastreux sur la qualité du maillage sanitaire et sur la précarisation de l’exercice des vétérinaires ruraux. Ils demandent enfin une meilleure efficacité des contrôles en fermes, la traque des circuits de distribution illégaux de médicaments et de l’exercice illégal de la médecine et de la chirurgie vétérinaires.

Les vétérinaires ruraux sont appréciés pour leur travail quotidien, pour leur présence 24 heures sur 24 sur le terrain pour assumer, entre autres, les urgences et la veille sanitaire à bas coût (…). Il est anormal que la qualité du travail de cette profession soit mise à mal par le biais de mauvaises pratiques dans le circuit des médicaments vétérinaires. À l’heure où le problème de l’antibiorésistance et le conflit d’intérêts pour la prescription du médicament sont devenus des sujets très médiatiques, ce respect strict de la législation sur le médicament pour sa délivrance et une utilisation raisonnée dans les élevages sont d’autant plus d’actualité.

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