Corinne Jaureguy : « Une filière qui mérite d’être mieux connue » - La Semaine Vétérinaire n° 1729 du 02/09/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1729 du 02/09/2017

ENTRETIEN

PRATIQUE MIXTE

Formation

Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR HÉLÈNE ROSE 

Peu connue, la filière veaux de boucherie est un secteur dynamique. Notre consœur Corinne Jaureguy, intervenue plusieurs fois lors du symposium international qui s’est tenu à La Baule (Loire-Atlantique) fin avril 1, partage avec nous les évolutions et les enjeux sanitaires de cette filière. Seulement une quarantaine de vétérinaires libéraux y exercent spécifiquement, mais tout confrère intervenant en élevage bovin a un rôle à jouer.

Le bien-être des veaux était l’un des grands thèmes du symposium. Cela reflète-t-il l’état d’esprit de la filière ?

L’élevage des veaux a beaucoup évolué depuis les années noires du “veau aux hormones” ! Les normes sur le bien-être animal, adoptées en 1994 et 1997, ont au départ suscité des craintes chez les éleveurs, mais aujourd’hui, aucun ne voudrait revenir en arrière ! Les bâtiments ont été modernisés, les animaux peuvent jouer entre eux, ils ont des contacts quotidiens avec les éleveurs, qui les suivent individuellement.

La consommation d’aliments solides et l’incorporation de fibres ont permis un meilleur confort digestif pour les veaux. Les ulcères de la caillette, les syndromes entérotoxémiques sont devenus beaucoup plus rares. L’investissement fort de la filière du cuir de veau, depuis 2010, a aussi été déterminant. Cette filière, vitrine du luxe français, a encouragé financièrement la vaccination des jeunes veaux contre la teigne et mené des campagnes de sensibilisation dans les élevages aux risques de blessure que représentent tous les boulons, clous et autres petits objets coupants qui passent souvent inaperçus. Les actions continuent auprès des éleveurs, mais aussi dans les lycées agricoles et les abattoirs. Ces différentes actions ont renforcé le bien-être des animaux.

Existe-t-il de fortes disparités dans les pratiques ?

Par rapport à d’autres filières d’élevage, les pratiques sont assez homogènes, notamment grâce au rôle des intégrateurs. Ce système lisse les difficultés pour les éleveurs et leur assure une rémunération plus stable. Les intégrateurs se chargent de la maîtrise des coûts, mais les variables d’ajustement sont peu nombreuses : le prix d’achat du jeune veau, l’aliment, les frais de santé et le prix de vente du kilo de viande. Une grande partie de la régulation dépend donc de la consommation de viande de veau, elle-même fortement liée à la perception sociétale de l’élevage. C’est un enjeu important pour la filière.

Comment sont gérés les frais de santé ?

La gestion des frais de santé varie en fonction de la stratégie suivie par chaque intégrateur pour la prévention et la thérapeutique. Cela dépend aussi du type de veaux pris en charge, laitier ou croisé allaitant par exemple. Chaque bâtiment d’élevage abrite en moyenne 200 veaux, issus de quasiment autant d’élevages différents : un intégrateur peut ainsi suivre 30 000 à 40 000 veaux sur 6 mois, d’où la nécessité d’encadrer les pratiques. Le suivi vétérinaire à proprement parler est un suivi d’élevage classique, facturé aux intégrateurs ou aux éleveurs qui ne sont pas intégrés : nous effectuons en général une première visite après l’arrivée des veaux, puis des visites régulières en cours d’élevage, en fonction des pathologies rencontrées. Nous réalisons également une visite de bilan sanitaire d’élevage.

Comment évolue la consommation d’antibiotiques ?

La consommation d’antibiotiques chez les veaux de boucherie a été pointée du doigt par le rapport de suivi des ventes d’antibiotiques de l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) de 2012, paru en 2013. C’est devenu une préoccupation majeure, même si les hypothèses retenues pour les calculs ne reflétaient pas réellement les usages. Face au besoin de mieux connaître la situation et de suivre les prescriptions, la filière a réagi immédiatement et rédigé une charte des bonnes pratiques. Lors du symposium, Émilie Gay a présenté les résultats de son étude, effectuée en 2014 à partir de données collectées en 2013, sur l’antibiorésistance dans la filière. La situation a probablement évolué depuis. La filière Interveau a créé l’année dernière, en partenariat avec l’Institut de l’élevage (Idele) et l’ANMV, au sein de l’Observatoire de l’élevage, un nouvel outil de suivi des usages des antibiotiques, dont nous aurons les résultats l’année prochaine. Ils sont très attendus, car le pool d’éleveurs constitué est très représentatif de la filière, puisqu’il regroupe une quarantaine d’élevages, répartis entre plusieurs intégrateurs et sur différentes régions.

Quelle est la situation vis-à-vis des antibiotiques critiques ?

L’usage des antibiotiques critiques a très fortement diminué depuis la signature de la charte sanitaire. Nous avons substituéà ces molécules d’autres, des macrolides récents ou des molécules plus anciennes. Certains écueils sont cependant incontournables : la majorité des prescriptions antibiotiques sont liées à des troubles respiratoires, causés entre autres par Mycoplasma bovis. Face à ce pathogène, les fluoroquinolones sont les antibiotiques les plus efficaces, mais nous ne pouvons quasiment plus les utiliser. En effet, si l’identification du pathogène est facile, les antibiogrammes réalisables dans les laboratoires d’analyses vétérinaires, demandés par la loi, ne sont pas adaptés. Il est nécessaire de déterminer les CMI2 dans un laboratoire d’analyses extérieur, après la mise en place du traitement, ce qui est long et coûteux. À moins que ce ne soit intégré au financement d’un protocole de recherche, cela représente un surcoût important pour les intégrateurs. Quand la science rencontre la loi, il nous reste le bon sens : nos prescriptions s’appuient sur les autorisations de mise sur le marché, sur les connaissances en pharmacodynamie et en pharmacocinétique. Une autre problématique reste, bien sûr, l’éventuelle nécessité d’un traitement antibiotique en fin d’engraissement. En effet, ces spécialités ont un temps d’attente court, voire très court. Dans certains cas, l’analyse n’est pas réalisable.

Nous suivons aussi attentivement les récentes discussions européennes sur l’usage des antiparasitaires. Les poux et les tiques sont fréquents chez les veaux, les traitements systématiques à l’ivermectine sont efficaces quand ils sont bien faits, mais qu’adviendra-t-il s’ils sont interdits ? La filière cuir suit ces débats, car son avenir est également en jeu.

Quelles sont les alternatives ?

Nous aimerions disposer de plus de vaccins, notamment contre les mycoplasmes. Nous avons besoin de travaux de recherche sur les traitements alternatifs, pour disposer de références scientifiques et pouvoir déterminer à qui faire confiance, parmi les sociétés qui proposent des produits dans ces domaines. Cela va dans le sens du plan ÉcoAntibio 2. Il faudrait aussi y former les étudiants dans les écoles, et mettre en place des certifications pour la formation continue. Actuellement, un groupe de travail sur les médecines complémentaires, au sein de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV), dispense des formations, en phytothérapie par exemple. Il existe aussi des formations universitaires ouvertes aux vétérinaires désireux de se former.

Y a-t-il des pratiques à encourager dans les élevages de naissance ?

La majorité des veaux proviennent d’élevages laitiers, où les éleveurs font face à de réelles difficultés économiques. Par manque de personnel, par manque de temps, et face au prix d’achat très bas des petits veaux mâles, les soins qui leur sont apportés sont souvent minimaux. Or la santé des jeunes veaux est fortement conditionnée par les soins qui leur sont apportés dans les fermes de naissance, où ils passent leurs 14 premiers jours. Nous avons besoin que nos confrères insistent auprès des éleveurs sur deux points capitaux : la buvée du colostrum, essentielle pour leur immunité, et la désinfection du nombril, porte d’entrée majeure des septicémies.

Faire attention au devenir des animaux est aussi un réflexe important. Un exemple simple de difficulté pour la filière veau : le temps d’attente de la gentamicine injectable est passé de 60 à 214 jours. Cet antibiotique, très efficace sur les septicémies colibacillaires, n’est pas un antibiotique critique. L’allongement du temps d’attente ne pose pas de problème pour une génisse laitière en stabulation. C’en est un, en revanche, pour un futur veau de boucherie, qui ne reste que 22 à 26 semaines en élevage (154 à 182 jours). La présentation buvable est alors plus adaptée, ou la prescription d’une autre molécule ayant un temps d’attente plus court !

1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1720 du 19/5/2017, page 28.

2 CMI : concentration minimale inhibitrice.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr