Interactions entre virus et pesticides : exemple de la paralysie chronique et du thiaméthoxam

Depuis quelques années, la recherche sur les causes de mortalité des abeilles s’oriente vers l’étude des interactions entre différents facteurs de stress, et non sur la description isolée de chaque danger. Ainsi, une équipe italienne¹a démontré une interaction entre le virus des ailes déformées et la clothianidine, insecticide néonicotinoïde, et identifié le support moléculaire de cette interaction.

Cette étude a inspiré les travaux sur l’interaction entre le virus de la paralysie chronique (CBPV pour Chronic bee paralysis virus) et le thiaméthoxam conduits au laboratoire de Sophia Antipolis, dans le cadre de la thèse de 3^e cycle de Marianne Coulon, en collaboration avec l’Institut national de la recherche agronomique (Inra).

Protocole de l’étude

Les chercheurs ont sélectionné des lots d’abeilles émergentes les plus saines possibles, isolées en captivité, pour limiter toute autre source de stress. Selon les lots (contrôle, CBPV seul, insecticide seul à deux doses, CBPV + insecticide à deux doses), elles ont été exposées de manière chronique (18 jours) à des doses sublétales de thiaméthoxam de 2,5 ou 5 ng/ abeille/jour. La transmission du virus a été effectuée par contact avec des abeilles auxquelles le virus a été inoculé (pour éviter le risque de biais causé par le stress d’une injection).

Le taux de survie en fonction du nombre de jours d’exposition au thiaméthoxam a été mesuré.

Une action synergique

Le taux de survie a été peu affecté par une exposition à la plus faible dose de pesticide seul ou au virus seul. En revanche, celui des abeilles soumis à la dose de 5 ng/abeille/jour (pourtant considérée comme sublétale) de pesticide seul a été nettement affecté. Pour les individus exposés au virus et à une dose de 5 ng/abeille/jour de thiaméthoxam, le taux de survie à 10 jours est d’à peine 5 %, la mortalité se détachant nettement au bout de 6 jours. Ces effets sont supérieurs à la simple addition de l’effet du virus et de l’insecticide : les résultats montrent une synergie lors de l’exposition conjointe.

Le thiaméthoxam est métabolisé en clothianidine, toxique chez l’abeille, mais celle-ci s’est accumulée dans l’ampoule rectale, qui ne permet pas de réabsorption : c’est donc bien l’effet de thiaméthoxam lui-même qui a été mis en évidence.

La quantification de la charge virale sur les survivantes n’a pas montré de différence significative avec celles exposées uniquement au virus. En revanche, l’analyse plus récente de la charge virale des abeilles mortes montre une différence significative, ce qui confirme cette interaction. Une modification de la tolérance par rapport au virus ou au pesticide est supposée, et le mécanisme génétique impliqué va être exploré.

Les virus de la paralysie chronique et des ailes déformées appartiennent à deux familles différentes. Pourtant, des mécanismes proches semblent impliqués lors de l’exposition simultanée à un néonicotinoïde. Cette étude pointe également l’importance du statut sanitaire des abeilles utilisées pour l’évaluation de la toxicité des pesticides. Dans la nature, la coexposition à de multiples facteurs de stress est permanente.
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¹ Di Prisco G. et coll. Neonicotinoid clothianidin adversely affects insect immunity and promotes replication of a viral pathogen in honey bees. PNAS. 2013;110(46):18466-18471.