Un cas d’insulinome chez un berger allemand - La Semaine Vétérinaire n° 1708 du 24/02/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1708 du 24/02/2017

CAS CLINIQUE

PRATIQUE CANINE

Formation

Auteur(s) : ALEXIS LECOINDRE 

Description du cas

Commémoratifs et examen clinique

Un chien berger allemand mâle entier de 7 ans, correctement vacciné et vermifugé, est présenté en consultation d’urgence pour des crises convulsives généralisées, tonico-cloniques. Un mois auparavant, lors de l’apparition des premières crises, les examens hématologiques et biochimiques effectués par le vétérinaire référant n’avaient révélé aucune anomalie. Un traitement au phénobarbital (2 mg/kg deux fois par jour) avait alors été mis en place. Depuis, la fréquence des crises avait augmenté, celles-ci pouvant apparaître plusieurs fois par jour. Le matin de la consultation, le chien avait présenté un épisode de crises partielles simples sous la forme de trémulations de la face, justifiant sa présentation en urgence. Les examens clinique et neurologique ne révèlent pas d’anomalie.

Hypothèses diagnostiques

Face à des crises épileptiformes focales et généralisées réfractaires au phénobarbital, les hypothèses diagnostiques envisagées sont une épilepsie symptomatique (secondaire) impliquant la présence d’une lésion cérébrale sous-jacente (inflammatoire, tumorale), une épilepsie réactionnelle (toxiques et causes métaboliques) et enfin, moins probablement, une épilepsie essentielle ou primaire idiopathique.

Examens complémentaires

L’examen hématologique ne révèle pas d’anomalie. L’examen biochimique montre une hypoglycémie sévère à 0,36 g/l (valeur usuelle : 0,7 à 1,2 g/l).

Face à une hypoglycémie, quatre groupes d’affections sont évoqués. Le premier concerne les affections associées à une synthèse inappropriée d’insuline (insulinome) ou à d’autres facteurs à effet similaire (syndrome paranéoplasique par sécrétion de peptides insulin-like : tumeurs mammaires, hémangiosarcome, adénocarcinome des glandes salivaires, léiomyosarcome, etc.). Le deuxième groupe concerne les affections avec diminution de la production ou augmentation de la consommation de glucose (hypoadrénocorticisme, insuffisance hépatique, maladies de stockage de glycogène, sepsis). Les autres origines sont moins probablement des causes iatrogènes (surdosage en insuline) ou toxiques, avec libération inappropriée d’insuline (sulfonylurées, xylitol, ß-bloquants).

La fructosamine sérique est basse (200 µmol/l, valeur usuelle : 220 à 340 µmol/l), compatible avec une hypoglycémie chronique. L’examen échographique abdominal révèle une masse pancréatique de plusieurs centimètres ainsi qu’une lymphadénomégalie hépatique. Le diagnostic d’un insulinome s’appuyant sur la documentation d’une hypoglycémie (< 0,6 g/l) en présence d’une insulinémie sérique inappropriée (> 20 µU/ml), un dosage d’insulinémie est réalisé. L’insulinémie est élevée (47 µU/ml) au moment d’une hypoglycémie évaluée à 0,4 g/l.

Diagnostic et pronostic

L’hypoglycémie, le dosage de l’insulinémie ainsi que la détection d’une masse pancréatique à l’examen échographique laissent suspecter un insulinome. Le pronostic est considéré comme réservé.

Traitement et suivi

Avant l’intervention chirurgicale, une stabilisation médicale est nécessaire pour contrôler les signes cliniques et diminuer les risques anesthésiques. Lors de la présentation, en raison de l’hypoglycémie, une administration par voie intraveineuse de 1 ml/kg de glucose à 25 % sur une durée de 10 minutes est réalisée, suivie d’une perfusion de glucose à 5 %, permettant une stabilisation de la glycémie en dessous des valeurs usuelles, mais au-dessus du seuil de manifestation des signes cliniques. De la dexaméthasone (0,5 mg/kg administrée en perfusion sur une durée de 6 heures, deux fois par jour) est associée au plan thérapeutique, les stéroïdes antagonisant les effets de l’insuline. De la médétomidine est ajoutée au protocole pré-anesthésique. Celle-ci est choisie car elle diminue significativement les concentrations plasmatiques d’insuline, réduisant les risques d’hypoglycémie peropératoire. Une pancréatectomie partielle associée à une exérèse du nœud lymphatique et de l’infiltration mésentérique est pratiquée sans complication peropératoire. L’analyse histologique confirme le diagnostic d’insulinome. Une récidive des crises d’hypoglycémie 3 mois après la chirurgie justifie la mise en place d’une corticothérapie (prednisolone 0,5 mg/kg, une fois par jour). Cinq mois après la chirurgie, le chien est cliniquement stable sous traitement.

Discussion

Épidémiologie et signes cliniques des insulinomes

Les chiens affectés sont en général de taille moyenne à grande et l’âge moyen rapporté au moment du diagnostic est de 8 à 10 ans. Les races prédisposées sont les golden retrievers, les labradors, les boxers, les bergers allemands et les caniches. Une caractéristique des signes cliniques hypoglycémiques, quelle que soit la cause, est leur nature épisodique, en raison des mécanismes physiologiques de compensation qui augmentent généralement la concentration de glucose dans le sang après le développement de l’hypoglycémie. Une grande variété de signes cliniques peut être observée : faiblesse, changements de comportement, convulsions et coma.

Diagnostic

L’échographie abdominale peut être utilisée pour identifier une masse dans la région du pancréas et pour rechercher d’éventuelles métastases dans le foie et dans les structures environnantes. Cependant, en raison de la petite taille de la plupart de ces tumeurs et d’une échogénicité proche de celle du tissu pancréatique adjacent, cet examen ne permet pas toujours d’identifier la tumeur. Le scanner semble avoir une meilleure sensibilité que l’échographie pour le diagnostic des insulinomes.

Des métastases sont suspectées chez une très grande majorité des chiens au moment du diagnostic, mais celles-ci ne sont confirmées que dans 45 à 55 % des cas au moment de la chirurgie.

Traitement

La chirurgie ne doit ainsi pas être considérée comme curative, mais palliative. L’exérèse des tissus néoplasiques a pour objectif d’améliorer à la fois l’efficacité des traitements et la survie. La stabilisation de l’animal avant la chirurgie est importante. Les insulinomes sont des tissus fonctionnels et les bolus ou les perfusions de dextrose peuvent précipiter la libération d’insuline, conduisant à une “hypoglycémie rebond” aux conséquences parfois dramatiques. Les glucocorticoïdes sont couramment utilisés en conjonction avec un régime alimentaire pour la gestion à long terme. Ceux-ci stimulent la néoglucogenèse, la glycogénolyse hépatique et interfèrent avec les récepteurs cellulaires à l’insuline. Une dose de prednisolone 0,5 mg/kg par jour (divisée en deux ou trois doses par jour) est suffisante. Certains cas demeurent cependant réfractaires et l’augmentation de la dose de corticoïdes peut être à l’origine d’effets secondaires. Des thérapies alternatives sont décrites, comme le diazoxide, l’octréotide ou la streptozocine1. Il est souvent difficile de se procurer ces traitements et des effets secondaires importants sont rapportés (streptozocine et néphrotoxicité). Les chiens avec insulinomes doivent être nourris toutes les 4 à 8 heures, avec une alimentation riche en protéines, graisses et glucides complexes.

Pronostic

Le pronostic est évalué en fonction de la durée de la période d’euglycémie et de la survie globale. Le traitement chirurgical est recommandé, permettant à la fois le contrôle durable des signes cliniques et une survie prolongée. Les complications postopératoires les plus courantes sont la pancréatite, l’hyperglycémie et l’hypoglycémie. Le développement de ces complications est directement lié à l’expertise du chirurgien, à la localisation de la tumeur dans le pancréas et à la présence ou non de métastases. 10 à 15 % des chiens seraient euthanasiés dans le mois suivant la chirurgie en raison de la présence de métastases, d’une hypoglycémie postopératoire incontrôlable ou de complications liées à une pancréatite2. 20 à 25 % le seraient dans les 6 mois pour les mêmes raisons, 60 à 70 % vivraient au-delà de 6 mois après l’opération, souvent au-delà de 1 an.

1 Pharmacopée humaine.

2 Feldman E. C., Nelson R. W. Beta cell neoplasia: insulinoma. In: Feldman E. C., Nelson R. W., eds. Canine and feline endocrinology and reproduction. 4th ed. Saunders Elsevier, St Louis (MO). 2016:616-644.

Pour en savoir plus :

Bailey D. B., Page R. L. Tumors of the endocrine system. In: Withrow S. J., Vail D. M., eds. Small animal clinical oncology. 4th ed. Saunders Elsevier, St Louis (MO). 2007:599-602.

De Brito Galvao J. F., Chew Dennis J. Metabolic complications of endocrine surgery in companion animals. Vet. Clin. Small Anim. 2011;41:847-868.

Goutal C., Brugmann B., Ryan K. Insulinoma in dogs: a review. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2012;48:151-163.

Alexis Lecoindre Résident Ecvim-CA à VetAgro Sup (Lyon).

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